Les pupilles dilatées pour
mieux s’accoutumer à la pénombre,
il regarde la divine créature
langoureusement assise sur le sol.
Intrigué, il n’attend pas de
se faire prier pour entrer.
A pas feutrés, il avance. Doucement
pour ne pas l’effrayer, il progresse vers elle.
Quand soudain, Il lui semble
que quelque chose ne va pas.
Les lumières tamisées,
l’ambiance de la pièce….son instinct de chasseur ne peut le tromper,
il s’est laissé distraire par
les artifices de couleurs.
Il n’en croit pas ses yeux.
Tout autour de lui ce n’est
que tutus.
Des dizaines de ballerines
reposent dans des positions plus qu’équivoques.
A qui fera un grand écart le
plus maintenu, la pirouette la plus rapide, la révérence la plus gracieuse, les
pointes les plus fines….
Cela grouille de petits rats.
Il en arrive de partout,
Dans toutes les directions,
qu’il en perd l’orientation.
Et de se retrouver moustaches
dans plumes bleues et roses,
à rêver à je ne sais qu’elle histoire de « la belle et la bête ».
Loin de paraître déplacé dans ce musée de ballerines,
il saute d’entre-chats en pirouettes félines… et c’est alors que la magie opéra.
Félix est sur scène.
Le rideau s’ouvre.
La grâce de ses arabesques fait l’admiration de tous.
Depuis quand avait-on vu pareil ballet.
Un félin au pays des petits rats ?
-« … monsieur
vous allez bien ?
Tirez la langue ?
monsieur ouvrez les yeux » !
-« quoi encore!! le jeu du
chat et la souris. » ?
-«
un petit malaise, je pense » ?
-« non je crois plus tôt que
je me suis assoupi à force d’attendre. D’ailleurs elle ne viendra plus ».
D’un bon Félix est debout.
Il s’étire mollement ,quand un billet
entre les griffes attire son attention.
Bleu comme les plumes des oiseaux de nuit, il se surprend
à rêver à cet étrange ballet dans un musée.
Il regarde le petit bristol .
Il
n’a pas rêvé !
mais laquelle choisir, toutes étaient si gracieuses, si félines.
Non vraiment il ne sait
laquelle prendre.
"Non d’un chat, que ce
défi 28 est difficile.
Mais combien plaisant" se dit-il en se léchant les babines
On aurait dit le bruissement de
quelques pas pressés sur les feuilles mortes de l’allée ou le froissement
incessant des pages blanches d’un écrivain en mal d’inspiration. En pleine
nuit. Je me suis retournée dans mon lit, blottie fébrilement dans l’abri de
chaleur qu’offraient mes couvertures. Le bruit n’était pas désagréable, juste
inquiétant. Inquiétant comme cet homme au regard pénétrant qui m’avait suivie
tout à l’heure, au musée.
-Ils disent que les œuvres appartiennent à tout le monde, c’est
faux vous savez. Tous ces tableaux sont en attente, sur le départ, prêts à
suivre le regard ou l’âme qui leur renverral’image juste, la réplique de ce qu’ils sont.
J’avais laissé partir sa
silhouette déformée sans lui répondre et elle s’était évanouie dans le petit
salon des œuvres alpestres.
Je respirais rapidement. J’étais seule. Le bruit avait cessé. La fin
d’un mauvais cauchemar sans doute. Je me suis levée, j’ai ouvert la porte du
salon et elles étaient là, devant moi, terribles et pénétrantes,reflet inouï de ce que je suis.
Il a d’abord pris peur quand la
sonnerie s’est déclenchée lors du passage dans le portique de sécurité. Il a
pourtant bien acheté son billet, payé avec du vrai argent, au tarif étudiant
justifié par une vraie carte d’étudiant. Pas un de ces trucs plastifiés qu’on
se fabrique tout seul en bidouillant sur son ordinateur, une véritable carte
pour le thésard en maths qu’il est. Et la fréquentation des musées n’est
pasréservée aux seuls étudiants en
beaux arts tout de même… Alors quand tout ce monde s’est précipité vers lui
lors du déchainement de décibels, il s’est franchement demandé ce qui lui
arrivait. Puis un homme à lunettes en costume sombre, avec une belle cravate rouge
ornée de petites statuettes s’est approché de lui en lui tendant la main :
-Félicitations Cher Monsieur, votre numéro de billet a été tiré
au sort au grand jeu des musées de France.
Venant de l’entrée, le
photographe officiel du musée se précipite pour immortaliser la poignée de main
célébrantl’instant et fait crépiter
son flash, figeant le jeune homme dans une pause d’éberlué au visage lunaire
qu’il n’est pourtant pas à l’abri des murs de son laboratoire.
La caissière qui a reconnu en ce
jeune homme intimidé l’habitué des dimanches matins de renchérir :
-Et il le mérite Monsieur le Directeur, il vient tous les
dimanches !
-Nous avons en plus un amateur de culture. Le sort n’a pas été
aveugle cette fois. Monsieur, vous êtes le grand gagnant, bravo.
Et tout le monde autour de se
mettre à applaudir ce drôle de jeune homme en duffle coat.
-… Merci beaucoup. Je ne m’attendais vraiment pas à cela.
-… ? Soulèvement de sourcils interrogatif du directeur.
-… ? Haussement d’épaule interrogatif du petit étudiant.
-Mais vous ne voulez pas savoir ce que vous avez gagné ?
-Si bien sûr. Excusez-moi. C’est à dire que je ne m’y attendais
pas…
-Vous avez gagné l’œuvre d’art de votre choix dans ce musée.
Il peine à intégrer vraiment ce
qu’il entend mais ce qui ce sont les grands cris dans le public qui le font
réaliser. Public qui dans l’intervalle a grossi de façon exponentielle, attiré
comme les papillons par la lumière des flashs mais aussi et surtout bloqué par
le petit cordon d’étranglement au portique.
-Vous voulez dire que je peux choisir ce que je veux ? Comme
dans un supermarché ?
-Oui, on peut formuler ça comme cela. Je vais vous accompagner
dans les allées du musée, et vous allez regarder tranquillement toutes les
œuvres. Et je vous fournirai les explications que vous souhaitez pour que vous
puissiez choisir.
-C’est à dire que dans ce cas je sais ce que je veux.
Et le petit étudiant de rougir de
confusion
-Vous avez déjà décidé de l’œuvre d’art que vous allez
choisir ? En 30 petites secondes ?
-Oui. C’est pour cette elle que je viens chaque dimanche. Je
reste des heures à la regarder. A contempler ses formes généreuses, son port de
reine, ses traits si délicats. C’est un tel chef d’œuvre…
-Oh, laissez-moi deviner… C’est une statue de l’aile romaine,
non ?
-Non p…
-Un tableau de l’aile renaissance ?
-Non Monsi…
-Pas de la période romaine ni de la période renaissance, vous
m’intriguez… Où est donc cette œuvre ?
-Dans l’aile préhistorique.
-Ne me dites pas que vous voulez notre Vénus ?
-Non, je vous parle de Justine (c’est le prénom qu’il y a
marqué sur son badge), la gardienne. Je crois que je suis amoureux, et mon
œuvre d’art préférée, c’est elle. Je la prends sans aucune hésitation !
Au Musée des Beaux-Arts de Lyon, je voulais revoir les tableaux de fleurs de 19 siècle.
A cause du commerce de la soie, Lyon avait privilégié les artistes qui donnaient dans les motifs floraux, car ils étaient repris dans les ateliers d'impression.
Je suis retournée sur la Place des Terreaux, je suis passée sous le porche . Mon amie qui connait toujours quelqu'un, avait prévenu et je devais me présenter aux caisses de la part de Mickey. On me donna un billet gratuit et je commençais mon exploration. A l'envers, ou à contre-sens, enfin je commençais par la période contemporaine et remontais le temps.
Je parcourus quelques salles pour arriver enfin devant le tableau que je voulais revoir.
Il était bien tel qu'il s'était fixé dans ma mémoire.
Grand, clair, avec ces femmes mêlées aux fleurs. Dans cette salle, il y avait une toile que je ne me rappelais pas avoir vu là. Aussi, quand on m'annonça que grâce à ce billet que je n'avais pas payé et qui était toutefois numéroté, j'avais gagné le droit de partir avec l'œuvre de mon choix, je n'ai pas hésité.
Je veux celui-là, les amants heureux de Courbet, que je pourrai renommer les amants comblés. C'est celui-là que je veux.
Pour le cou blanc et gras de la femme, pour sa pose alanguie, ses paupières mi-closes et l'esquisse de son sourire.
Pour les pommettes rosées de l'homme, ses cheveux en bataille, son épaule solide.
Pour les mains qui s'étreignent.
Pour leur contentement tangible, et leur quiétude devant un ciel plombé.
Voilà pourquoi à la tombola du Musée des Beaux-Arts de Lyon, j'ai choisi cette toile.
Monsieur Paul Art Barok, jeune homme d'une quarantaine d'années,
engoncé dans un canapé au fond trop moëlleux – de ceux qui vous mettent les
genoux au niveau des oreilles - sirotait tranquillement un thé à la bergamotte
dans le salon douillet de sa vieille tante Mrs Robinson. Cette dernière
était entourée de sa cour vieillissante, composée de sa veuve de belle-soeur de
83 ans, de sa cousine de 85 ans toujours flanquée de son mari, le cadet de 78
ans. Il était presque 16 heures 30 et l'on n'y manquait jamais la
traditionnelle Tea time, même si la sortie de table venait de se
faire... Le café avait encore une fois été oublié au grand dam de Paul Art. Car
Monsieur Barok était plutôt caféine que théine, à tel point que ces meilleurs
amis le surnommait le Père Colateur... Malgré tout, il s'était habitué
au rituel de sa vieille famille... A la guerre comme à la guerre ! Et puis ce
n'était qu'un week-end tous les deux ou trois mois...
Paul Art était plongé dans ses pensées, se laissant envahir par les sons
du silence, lorsque par-dessus un flot de paroles, il entendit ces bouts de
phrases : .... journées ...moines... Jocelyn...
Aux regards de tous les membres de l'assemblée qui divergeaient vers
lui, il comprit, comme réveillé en sursaut, qu'on s'adressait à lui...
Il ne put que répondre ces bredouillements :
- Le moine
Jocelyn ??? Ah... un nouveau chartreux dans le diocèse, chère tante ... ???
- Mon cher
Paul Art, vous rêvez ! Encore plongé dans vos délires de polars ! M'enfin vous
vous prenez toujours pour Hercule Poirot ? Cela ne vous a pas passé depuis vos
piètres années d'études au collège ? Sept, si j'ai bonne mémoire... Non mon
cher neveu, il n'est nullement question de moine Jocelyn ou Cafdael. Je
vous disais simplement que cela me ferait un immense plaisir que vous daignâtes
nous accompagner au Musée de poupées, situé dans les vestiges du château de
Josselin, comme toute personne cultivée le sait. Car comme vous ne pouvez
l'ignorer, ce week-end ont lieu les journées du patrimoine... Et à cette
occasion, le musée qui nous intéresse, présente au public la totalité de ses
collections ! Soit environ mille spécimens, tous uniques en leur genre ! Je
vous rassure, il y en a pour tous les goûts mon cher Paul Art : faïence, porcelaine,
laine, cire, son, coquillages, crustacés...
- Et la
plage ensoleillée, c'est pour après ???
- Allons,
allons, il n'est plus temps de plaisanter ! Prenez votre veste de tweed et
empressons-nous de partir. Vous allez nous mettre en retard ! Vous n'avez même
pas encore touché à votre thé. Il vous manque peut-être votre nuage de lait ?
Et patatati et patata...
Avant la fin de tout ce radotage, notre Paul Art eût le temps de terminer
son thé et d'enfiler sa veste de tweed. Une demi-heure plus tard, soit environ
vers 17 heures, ils furent tous installés plus ou moins confortablement dans la
voiture de sa tante, une antique DS quasi-authentique. Pour être honnête, il
s'agit plutôt d'un bas de gamme qui fait mal au do... Un ersatz. Une ID,
qui est en fait bien loin de l'idée qu'on se fait d'une déesse...
Tout ce petit équipage avait réussi à se caser dans la vieille
automobile aérodynamique et aux fameuses suspensions hydrauliques. Un sacré tangage ! Au volant comme capitaine
au long court, se trouvait le mari de la cousine de sa tante, le moteur
personnel un peu trop imbibé de sherry... et à ses côtés, à la fameuse place du
mort, la belle-soeur de sa tante, déjà veuve rappelons-le... Coincé entre sa
vieille tante et sa cousine, Monsieur Barok était lourdement écrasé de gauche
comme de droite – il se dit alors que ce ne devait pas être facile tous les
jours d'être centriste... Il se sentait comme pris dans un étau qui avait le
désagréable désavantage de causer... Il comprit alors le sens profond des
expressions Aller de l'avant et être sur ses arrières...
Sa tante se délectait à l'avance de la visite qu'ils allaient faire. Et
elle en profita pour étaler ses goûts artistiques et toute sa confiture
pseudo-culturelle... un véritable coulis d'airelles ! Si on ajoute à cela le
roulis imprimé par la caisse quinquagénaire, Paul Art était sacrément bien
bercé. Cependant, des bribes de dialogue, attrapées au vol par ces oreilles mal
embouchées, le sortirent de sa demi-torpeur... :
(Sa tante ) : « .... L'année passée j'ai visité le musée du Velours,
formidable ! Croyez-moi c'est quand même autre chose que tous ces Louvres
et compagnie ! » A voir absolument, si vous ne le connaissez pas, ma chère
cousine ! »
Il ne pût s'empêcher de se mêler à la conversation, au bord de
l'effarement :
« Ah oui oui, c'est vrai. Tenez, moi je me souviens avoir visité
aux Pavillons-sous-bois, un merveilleux et charmant petit établissement, le
musée des Drapeaux. Magnifique ! Là c'est sûr, c'est autre chose que leur Prado
et autres dépotoirs de l'art ! »
Ce qui ma foi, relança bien la discussion entre la tante et sa
cousine... et replongea Paul Art dans son hypnose illusoire.
On approchait du but. Paul Art Barok pensa que peu de monde viendrait
visiter un tel musée. Des poupées ??? Qui cela peut-il bien intéresser ? Sa
tante... mais à part ça ? Ca serait toujours ça de gagné, parce que, c'est bien
joli les journées du patrimoine, mais en général, on passe plus de temps en
attente qu'en visite !
La voiture freina et s'arrêta sans se déglinguer.
Quel naïf ce Paul Art ! Il y avait un monde fou ! On se serait cru aux
fameuses Ballades
avec Georges Brassens qui
avaient eu lieu la semaine dernière à Rennes ! Il y avait parmi tout ce beau
monde, un bel échantillonnage de représentantes des 3 et 4ème âge, ajoutez à
cela, une sacré marmaille : des dizaines de rangs d'oignons de petites filles
modèles ! Mais finalement, pensa Paul Art, cette foule c'est une aubaine...
- Mince
alors ! On ne pourra jamais rentrer avant la fermeture avec tous ces gens ! On
n'a plus qu'à s'en retourner, maugréa-t-il, faussement déçu.
- Ne soyez
pas si triste mon cher neveu, lui répondit sa tante, il y en a qui viennent
simplement voir ce qui reste du château... Et ne vous tourmentez pas, à
l'occasion de ces fabuleuses journées du patrimoine, le Musée de poupées a eu
la bonne idée d'organiser une nocturne. Le musée sera ouvert jusqu'à 23 heures
! Alors vous voyez bien, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.
En un jour pareil, l'entrée était gratuite. Mais il fallait quand même
faire la queue pour prendre son ticket. Ce qu'ils firent pendant près d'une
heure. Ensuite, on les conduisit dans une petite salle nommée Salon
Polnareff. Cela ressemblait plutôt à une salle d'attente de cabinet
dentaire, le samedi matin... mais en pire, car ici on vous infligeait en boucle
- ô divine musique d'ambiance – le refrain de La Poupée qui fait non...
C'était terrible ! Enfin, ils s'en sortaient déjà pas si mal car, à côté, il y
avait deux autres salons : Le SalonFrance Gall (en écoute Poupée
de cire...) et le nec plus ultra, le SalonBernard Menez où
défilait inlassablement cette inoubliable romance, Jolie poupée...
Trois quart d'heure plus tard - il commençait à se faire tard - et Paul
Art avait quelques centaines de fourmis dans les jambes. C'est alors qu' un
guide vint enfin les chercher :
-Mesdames et messieurs, si vous voulez bien me suivre...
Avec cette chanson qui défilait en écho dans sa tête, Paul Art avait
envie de répondre Non non, non non non non...
Il se ravisa et suivit sa petite smala. Devant les vitrines exhibant
des centaines de poupées, il se fit tout petit... Ca changeait un peu de
registre ! Ca commençait fort avec la première salle, consacrée aux poupées de
coquillages... berniques, moules, palourdes, coques, praires, amandes,
bigorneaux, pétoncles... tout un inventaire digne d'un conchyliophile s'étalait
dans un enchevêtrement baroque devant les yeux ahuris de Paul Art Barok. Et, Il
y avait au total huit salles ! Nous voilà propres, pensait-il...
Il était 22 h 30 lorsqu'ils sortirent enfin de l'ultime pièce du musée,
la Salle des faïences ! Ouf nous allons enfin pouvoir rentrer, lâcha Paul Art,
si heureux d'en finir avec ce supplice, qu'il ne se rendît même pas compte
qu'il parlait tout haut. C'est alors qu'une voix microphonée fit l'annonce
suivante :
- Mesdames
et messieurs, il est l'heure à présent de vous donner le résultat de notre
loterie surprise... L'un d'entre vous aura la chance de repartir avec la poupée
de son choix si son numéro de ticket est tiré au sort.
- Vous
allez voir que ça va tomber sur moi chère tante, lança goguenard Paul Art.
- Le
Ticket gagnant est le... ... ... 12322 !
- Non, mon
cher neveu, c'est moi ! cria en pleurant de joie sa tante. Vous aviez le ticket
12321! Pour une fois le palindrome ne vous a pas porté chance !
Elle fut accueillie sur une estrade et applaudie par une foule jalouse,
médusée et même parfois à musée... Elle choisit alors une poupée en porcelaine,
un clown aux cheveux carotte et ébouriffés.
L'animateur en la circonstance lui demanda pourquoi ce choix un peu
surprenant. Il pensait qu'elle aurait plutôt élu une ravissante marquise en porcelaine.
Elle s'empressa de répondre :
- Parce que
cette poupée clownesque est à l'image de mon neveu. Et je voudrais, pour le
remercier de m'avoir accompagné jusqu'ici, la lui offrir...
Un tonnerre d'applaudissements retentit pour acclamer ce si beau geste.
On aurait pu se croire à la Nuit des Césars...
- Il est où
ce jeune homme bien chanceux ? reprit l'animateur.
- Là, entre
ma cousine et son indécrottable mari, et à côté de mon ex-belle soeur, veuve de
surcroît...
Et Paul Art fut poussée sur le devant de la scène par la cousine de sa
tante et la foule en délire... Le cauchemar se poursuivait...
EPILOGUE
Minuit trente, chez Paul Art.
- Mon cher
neveu, voyez comme cette poupée est ravissante sur ce guéridon ! Cela finit
d'habiller votre salon, s'enthousiasma la tante de Paul Art.
- C'est
trop ma tante, gardez-la donc, je ne peux pas accepter... une telle oeuvre,
d'une telle valeur ! (Il avait vu la veille, la même poupée en vente sur un stand de la Braderie
du Canal Saint-Martin, 5
euros à débattre !)
- Allons,
allons, cela me fait plaisir. Et puis comme ça vous penserez à moi et je serai
si heureuse de la retrouver chez vous quand je passerai à l'improviste. Elle me donnera envie de venir plus souvent
chez vous... Tenez, c'est décidé, je passerai chaque semaine pour l'admirer...
Et c'est cette nuit-là que Paul Art Barok décida de faire un tour du
monde en 80 ans... au moins !
Gigoletto est
parti. Il a jeté son sac de sport griffé Lacoste sur son épaule et a fermé la porte
sur nos quelques semaines de vie commune. Non sans une certaine élégance.
Depuis ce dimanche
d’abandon, la semaine a déroulé son ennui pluvieux. De pseudo-obligations en
sorties mondaines, son prénom s’est effacé. Quant à son nom, l’avais jamais
connu ? Ses traits s’estompent dans un halo de boucles dorées et dociles. Y
perdre ma main était un jeu savoureux. De ces souvenirs sans esclandres - ce
jeune garçon n’avait pas eu le mauvais goût de me faire une scène de boulevard
ou de m’accuser de l’avoir abusé – ne me reste en bouche qu’un léger souffle
d’amertume.
Matinée dominicale
oisive. De ma terrasse, j’admire les flots de zinc qui s’étalent. Le disque
pâle étouffe le dôme du Sacré Cœur d’une clarté éblouissante. J’entends
vaguement les bruits de la rue Taitbout tandis que je sirote un café solitaire.
Le bouquet acheté hier se creuse déjà sous le poids de la fatigue et des lourds
roses. Un pétale se pose sur ma main. Rosé et tendre, il me caresse. Il est
piqué de quelques marques. Comme sa peau lisse d’éphèbe éclaboussée de taches
de rousseur. J’aimais effleurer son visage de mes lèvres, croquer les siennes,
juteuses et gémissantes. Ma main aux fines ridules a froid malgré la chaleur de
la porcelaine et des rayons de soleil. Dépouillée des ses bijoux, elle semble
bien inutile. A peine quelques jours auparavant et elle musait, mutine, sur sa
chair drue, taquinant un sexe tendu et malhabile. Ses caresses étaient pleines
de fougue et de rires. Il avait, les premiers temps, gardé cette innocence de
la jeunesse, comme s’il s’excusait de devoir encore apprendre. Bien vite
pourtant, alors qu’il ne se croyait pas observé, un éclat de haine avait
traversé ses yeux. J’avais alors deviné qu’il allait me quitter. La douceur et
les présents ne pouvaient éclipser bien longtemps la fierté de se savoir
posséder et, qui sait, le désir d’un sentiment plus fort. A vingt ans, on ne peut
pas savoir que la tendresse a une saveur hors de prix.
Assez. Il est temps
pour moi d’aller traîner mon vague-à-l’âme au Louvre. Je me lève et repousse la
chaise. Les touristes ont déserté la capitale, les parisiens préférerons se
presser sur les terrasses des cafés. Ou s’accommoderont des chaises métalliques
du Luxembourg, avides des derniers feux de l’été. Oui, une visite au musée. Je
prendrai ensuite un thé et un gâteau avant de rentrer dans mon salon déserté.
Face au tracé de
mon Maître, Jean Auguste Dominque Ingres, je sens monter en moi une larme
intempestive. Heureusement, une voix rompt le brouhaha ces curieux et annonce
un n° dans les haut-parleurs. 3948 a gagné ! Une œuvre, n’importe quelle
œuvre. Quel jeu stupide. Même la Joconde ? En un réflexe machinal, je tire
le ticket d’entrée de ma poche. 3948 se détachait sur la mort de Sardanapale en arrière plan-glacé. Je lève ma main. Des
officiels arrivent. Une foule pressante se colle à moi. J’aurais pu toucher cette
excitation bruyante, les paris fusent, tous s’exclament, s’interrogent…
Tout se précipite
alors très vite, je marche lentement à côté de M. le Conservateur et lui désigne
un coin retiré de la salle des statues. La masse grogne, montre les dents et se
disperse. M. le Conservateur semble soulagé. Nous passons dans ses bureaux pour
que je lui laisse mes coordonnés et puisse signer quelques papiers.
Le colis arrive en
fin de semaine. Je le déballe avec précaution. La statue apparait dans toute sa
grâce. Je tourne autour, médusée, en admiration devant sa pureté antique. Je
pose mes mains sur elle, j’exulte d’une joie d’enfant. Je la pose avec soin sur
le socle que je lui ai réservé. Je m’accroupis soudain et frotte lentement ma
joue sur ses fesses parfaites. Et je les revois tous, déambulant au saut du lit
alors que je repose ensommeillée. Gigoletto I, Gigoletto II, III, les doués,
les tendres, les éphémères, les cupides. Je laisse un chaste baiser en hommage
à leur souvenir sur le fessier de terre cuite.
Désormais, je vais
pouvoir jauger les doublures à venir à l’aune de la perfection.
Quand je passe quelques jours à Paris, si j’ai un peu de
temps, j’aime beaucoup passer une après-midi au musée d’Orsay, musée pas trop
grand mais avec des œuvres qui me parlent.
C’est justement ce que j’ai fait la semaine dernière et il
m’est arrivé une aventure bien singulière ; lorsque j’ai pris mon billet,
au guichet, on m’a annoncé que j’avais beaucoup de chance ; j’étais la …ème visiteuse et, à cette occasion j’avais gagné
l’œuvre qui avait ma préférence. Revenue de ma surprise, je n’ai pas hésité longtemps ;
il y bien sûr plus d’un tableau qui me plaît à Orsay, mais sans conteste, celui
que j’aurais envie de rapporter chez moi, c’est "La Pie " de Claude
Monet.
Petit tableau à l’air insignifiant, me direz-vous. Il date
de 1868 et aurait vu le jour (en demi-teinte) à Etretat. Il n’a même pas été
sélectionné pour le salon de 1869, ce qui n’a pas contribué à améliorer les
finances (déjà désastreuses) du peintre.
Peut-être…
mais j’aime les teintes tout en douceur, le calme feutré qu’il communique, les jeux de lumière et je
connais un peu l’histoire de ce tableau qui est lié à une période un peu difficile de la vie de Monet et je reste
toujours très impressionnée par ce courant de peinture (oui, je sais, l’allusion
est facile !)
"La pie" 1869
89 x 130 cm - Huile sur toile
Musée d'Orsay, Paris
Pff, la poisse, ce défi ! Une œuvre d’art ! Mais moi, je n’y connais rien en art. Quelle ignare ! Comment je vais faire ? J’me le demande !
Un musée… pff ! J’vais leur dire quoi, moi ? J’pourrais aller vite fait au musée de la mer, ou encore à celui des commerces d’autrefois. Non, j’laisse tomber !
.
Si encore Goldman avait accepté d’avoir une statue au musée Grévin, ça aurait fait mon affaire !
.
J’vais tout de même pas dire que je veux la Joconde dans mon salon. Comme Steevy ! Ridicule ! La Joconde, chez moi, sur mes murs en plâtre même pas peints ni tapissés. Non mais franchement !
.
Si seulement j’avais pu choisir la statue de Goldman, j’l’aurais mise dans la chambre à coucher.
.
J’ai pas le souvenir d’avoir été frappée par une œuvre d’art. Vraiment frappée. Je me souviens que dans la salle d’espagnol, au lycée, il y avait ces affiches avec des reproductions de tableaux de Botero. Je les regardais tout le temps. Elles attiraient mon regard. Mais, je pense que c’est pour d’autres raisons. De là à en vouloir une pour moi…
.
Non, Goldman ça aurait été bien. Je l’aurais embrassé sur les lèvres chaque matin. Et peut-être même le soir, et la journée aussi.
A part lui j’vois pas ! Mince ! Mais, je sais, c’est pas une oeuvre d’art.
M’en fous !
.
On dirait que je faisais la queue au musée Grévin, et que j’aurais gagné à la tombola. On dirait qu’il avait changé d’avis et accepté cette foutue statue de cire ! Et on dirait que je repartais avec !
Et Manu aurait râlé ! Sûr !
Une statut de Goldman dans sa chambre ! Grandeur nature. Pas la peine d’y songer ! Il va péter un câble !
.
Mais bof, il dit souvent non au début, et puis j’arrive toujours à mes fins. Il ne sait rien me refuser.
M. le
Conservateur du Musée des Beaux Arts de Rennes
20, quai
Emile Zola
35000 RENNES
Rennes
le 23 septembre 2008
Cher
Monsieur
La
dernière de vos géniales idées va sans doute me coûter très cher. Quelquefois
ce qu’on nomme la chance n’en est pas vraiment une. Je n’aurais sans doute pas
dû, je pense, à l’issue de ma récente visite dans votre établissement, garder
par-devers moi le ticket d’entrée numéroté ni le remettre à ma secrétaire,
mademoiselle Martine Vingt-Trois, afin qu’elle l’archivât avec mes autres notes
de frais à destination de M. mon contrôleur des impôts. Je suis aux frais réels
et donc très conservateur moi aussi.
Je
n’aurais surtout pas dû dire oui à Miss 23 quand elle m’a demandé de répondre
positivement à votre courrier. Le n° de mon billet d’entrée avait été tiré au
sort lors de la grande tombola annuelle de votre établissement et il m’était
donc proposé le prêt pour trois mois d’une œuvre de votre musée à choisir dans
vos collections.
J’ai
tout de suite pensé à ce merveilleux petit Picasso, la baigneuse de 1928 qui
joue au ballon sur la plage de Dinard avec le même enthousiasme que Martine
Vingt-Trois qui chantonne toujours, même quand elle va aux toilettes. Ma
secrétaire était si emballée par votre courrier qu’on eût dit qu’elle-même
avait gagné, au tirage du Catalogue des « Trois cuisses », en guise
de cadeau-attirail, le vibromasseur de Madonna. Je l’ai un peu calmée puis l’ai
diligentée vers vous afin qu’elle nous ramenât la volleyeuse de ce brave
Picasso. Les tableaux de Pablo, c’est mon blot !
Las !
Martine n’a jamais été ni très duraille en affaires, ni fute-fute en quoi que
ce fut. Elle est un peu du même tonneau que l’architecte de la station de métro
Sainte-Anne à Rennes qui a construit tout de guingois là-dessous sous prétexte
qu’il est né à Traviole, en Italie ! Elle a donc accepté qu’en lieu et
place du Picasso promis à une exposition New-Yorkaise vous lui prêtassiez le
« Portrait d’Isaure Chassériau » peint en 1838 par Eugène
Amaury-Duval, élève d’Ingres moins doué que son maître pour le violon à
sanglots longs et les berceuses langoureuses à low tone de l’automne.
Personnellement, étant plutôt versé dans la modernité, je déteste cette
peinture figurative atone, monotone et autochtone. Ce tableau m’a paru relever
du pire néo-classicisme tendance mou du bulbe ! Une horreur !
J’ai
donc fait la leçon à ma secrétaire et l’ai obligée, par punition, à garder le
portrait de ladite donzelle dans son propre bureau. Elle en a été ravie, cette
idiote ! A croire que cette fille n’a jamais rien gagné dans la vie qu’à
être connue des dragueurs de shampouineuses rase-moquette de la foire du Trône
ou des rois du tir au bouchon de la foire aux boudins de
Mortagne-au-Perche ! J’étais bien loti, désormais : au lieu d’avoir
une cruche à proximité, j’avais deux gourdes sous les yeux à chaque fois que je
sortais de mon bureau ovale.
La
vie a continué son cours dans nos bureaux : les affaires sont les affaires
et il faut toujours travailler plus si on veut gagner plus. Et puis voilà qu’à
la fin de la semaine, un samedi, Martine Vingt-Trois est entrée affolée chez moi sans même frapper à la
porte.
- Monsieur ! Monsieur !
Elle n’est plus là !
- Qui ça, mademoiselle
Vingt-Trois ?
- Ben dame ! La fille
Isaure ! La môme Chassériau, celle qui est en rose et qui a des couettes à
la place de Picasso dans le Musée !
- Vous voulez dire qu’on vous a
volé ce tableau que nous avions en dépôt ?
- Non, lui est toujours là. C’est
la fille qui est peinte dessus qui est partie !
J’allai
constater de visu l’étrange phénomène qui s’était produit dans mon antichambre.
Sur le tableau ne subsistaient plus, en effet, qu’un décor gris, des moulures,
un rideau bleu, l’ovale du cadre. Le personnage féminin malingre et maladif
semblait s’être fait la malle. C’était toujours ça de pris !
J’aurais
pu vous contacter dès ce moment, Monsieur le Conservateur, pour vous signaler
le fait mais j’étais alors plongé en plein « mercato ». Les
transferts de joueurs de football d’un club à l’autre, cela vaut une fortune
maintenant et je m’étais piqué au jeu d’y mettre mon grain de sel. C’est moi
qui paye, après tout, non ? On passe par plusieurs stades dans la vie et
moi j’étais rendu à celui de propriétaire de stade. Je mets le paquet – et un
tas de paquets même -là-dessus parce que j’aimerais bien que mon équipe soit
championne de quelque chose d’autre que du milieu de tableau un jour.
J’ai
rassuré Martine 23 en lui affirmant que je ne la tenais pas pour responsable de
ce tour de magie. Elle avait déjà pris un sermon quand elle m’avait ramené
cette stupidité, je n’allais pas la moucher ou la doucher encore. Le petit
personnel, si on le frotte trop souvent dans le sens inverse du poil, si on le
savonne trop, il se rebiffe et se met à buller. J’ai passé l’éponge sur
l’incident. Il fallait d’abord que je consolide ma défense sur la pelouse avant
de repartir à l’attaque auprès de vous.
Et
puis le samedi suivant, nouveau coup de théâtre, Isaure Chassériau était de
retour dans son tableau ! Seulement cette fois-ci elle était coiffée d’un
chapeau de reporter américain. Du bandeau de tissu de ce couvre-chef dépassait
un bout de carton sur lequel on pouvait lire « press ». Elle était
encore plus ridicule ainsi qu’auparavant et la contemplation de cet objet
saugrenu me fit découvrir pour le coup un sentiment que j’ignorais jusque
là : la honte.
Cela
fait plus de deux mois maintenant que ce trafic insensé à lieu dans notre siège
social. Isaure Chassériau disparaît le lundi et revient le samedi matin avec
son chapeau à la con et un petit sourire en coin qui ne me plaît pas du tout.
On dirait qu’elle se fout de ma gueule. Je n’aime pas qu’on se moque des
milliardaires. Et encore moins quand le milliardaire c’est moi.
Je
ne vais évidemment pas pouvoir, Monsieur le Conservateur, vous rendre en l’état
ce phénomène de foire. Encore que cela amuserait peut-être les enfants qui
viennent visiter vos croûtes figuratives archaïques. Je vais donc vous acheter
ce radis rose et vous offrir en prime, en dédommagement, un tableau que vous
choisirez parmi mes
toiles abstraites. Mes lignes de fuite ne sortent pas du cadre, mes traits
de couleur ne coulent pas sur la moquette, mes taches d’acrylique sont
garanties non amovibles. Mes biens ne se font pas la malle, mon Bacon ne part
pas en omelette et mes Jocondes modernes ne se laissent pas pousser la
moustache.
Si
ce marché ne vous agrée pas, je vous propose de racheter la totalité de votre
boutique, le Picasso y compris et les murs du bâtiment itou. Je ferai démonter
tout pierre par pierre, repeindre l’extérieur en jaune moutarde et installer
l’ensemble sur le bord du Grand Canal à Venise. Tout plutôt que le scandale jaillissant
sur mon nom à cause d’un ticket de tombola et d’une mijaurée qui se prend pour
Albert Londres et me jette un regard de défi tous les samedis !
Je
vous remercie de garder cette proposition secrète le temps que nous effectuions
les transactions nécessaires.
Veuillez
agréer, Cher Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées mais un poil
énervées quand même. Je t’en foutrai, moi, de l’élève d’Ingres !
Francis
Carcopino, homme d’affaires et collectionneur d’art
P.S. Si vous voulez voir ce
qu’est devenu votre tableau je vous joins une photo ci-dessous :
Non
mais quelle idée j'ai eu d'entrer au Muséum d'Art Moderne de New York.
Complètement dingues ces fichus Yankees d'offrir une œuvre par tirage
au sort et moi qui n'ai jamais de chance au jeu, voilà que j'ai gagné,
enfin, je me suis aperçue après coup qu'en fait de chance, ça a été un
sacré coup de poisse oui !
J'avais
donc gagné le droit de choisir une œuvre parmi toutes celles du Musée
et j'ai jeté mon dévolu sur "Persistance de la mémoire" enfin moi
personnellement je préfère le titre "les Montres molles" de l'ami Dali.
Bon,
pourquoi ce tableau là en particulier, allez savoir, il m'a toujours
amusée même si, il faut bien le reconnaître le paysage n'engendre pas
une franche rigolade, mais ces montres qui dégoulinent me "parlent". Ah
ça pour me parler, elles me parlent les bougresses.
Me voilà donc revenue en France avec ce tableau.
Et
là les ennuis ont commencé, d'abord à la douane, malgré les papiers
fournis par le Musée j'ai failli me retrouver en taule pour vol.
Ensuite, elle jure abominablement avec mon papier peint et comme les
assurances me piquent quasiment l'intégralité de mon salaire pour
assurer ce fichu petit bout de toile je n'ai pas les moyens d'en poser
du neuf.
Ah
ne pas oublier que je vis maintenant dans un bunker, avec des barreaux
aux fenêtres et des alarmes dans tous les coins, je ne vous dis pas il
y a même un code pour aller aux toilettes, alors quand j'ai une petite
envie la nuit et que je me souviens plus de ces !§=£$*µ d'alarmes je
réveille tout le quartier, je déplace la société de gardiennage et je
n'arrive pas à me rendormir avec l'afflux d'adrénaline qui m'a envahie,
en prime il faut que je décroche ma minette perchée en haut de la
moquette murale et qui feule de fureur.
Mais ce n'est pas encore le pire. Non !
Faut dire qu'avec un personnage comme Dali, j'aurais du me méfier.
Figurez
vous que pendant la nuit ses montres se mettent à fonctionner.
Seulement au lieu de faire un honnête tic-tac comme toutes montres qui
se respectent, non elles font des bruits bizarres des plic-plac,
flic-floc, blic-bloc, clip-clap, bling-bling et jamais en rythme bien
sûr, parfois c'est toutes les secondes comme ce doit être
réglementairement le cas, et parfois, vlan une fois toutes les minutes
ou une seconde sur deux. Donc pas moyen de dormir correctement même
avec des boules quies et trois oreillers par-dessus, ce son s'infiltre
et m'emballe le cœur.
Bon
remarquez j'aurais choisi une autre œuvre allez savoir ce qui se serait
passé : le discobole m'aurait envoyé son disque dans toutes mes
vitrines et mes carreaux, la Joconde n'aurait pas arrêté de marmonner
dans sa barbe, le radeau de la Méduse m'aurait inondée et j'en passe et
des meilleures.
Bref,
je suis sur les genoux et j'envisage de détruire cet instrument de
torture. Et quitte à avoir des montres molles à la maison je crois que
je préfèrerais opter pour celles de Claude Ponti et de Monsieur
Monsieur.
Pardon
? Je pourrais le revendre ! Mais dites donc c'est une super idée ça !
Je n'y avais pas pensé. Ca ne vous intéresserait pas par hasard ?
— Épouse-Endimanchée, ce charmant musée des Beaux-Arts nous attend ! — C’est que... j’ai aperçu Marie-Annick... à l’accueil... commence la visite, je te rejoindrai.
“... point d'échappatoire, car la surface, par les ruptures de formes et de couleurs qui y sont opérées, interdit les projections mentales ou les divagations oniriques du spectateur. La peinture est un fait en soi et c'est sur son terrain que l'on doit poser les problèmes. Il ne s'agit ni d'un retour aux sources, ni de la recherche d'une pureté originelle, mais de la simple mise à nu des éléments picturaux qui constituent le fait pictural. D'où la neutralité des œuvres présentées, leur absence de lyrisme et de profondeur expressive.”
La guide, corsage jaboté de dentelles, longue jupe noire qui laisse deviner deux ballerines à la semelle étrangement fine, entreprend de faire l’éducation d’un groupe de trente adolescents, à la frontière entre le collège et le lycée.
“Le groupe « Supports/Surfaces » fut un mouvement éphémère : La première exposition du groupe se tint en 1969 au Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Elle regroupait des artistes privilégiant la pratique de la peinture qui interrogeait ses composants élémentaires.”
Whaoo ! Qui interrogeait ses composants élémentaires ? Si je m’étais douté qu’on pouvait interroger les composants élémentaires de la peinture. Les gamins boivent cela comme du petit lait. Une classe-Art, sans doute. Mais que fait donc Épouse-J’ai-Aperçu-Marie-Annick ? Elle saurait m’aider à suivre le discours de la guide dont les lunettes aux verres fumés reposent sur son opulente poitrine.
“...par un style particulier mais plutôt par une démarche qui accorde une importance égale aux matériaux, aux gestes créatifs et à l'œuvre finale. Le sujet passe au second plan. Au-delà de cette phase de brassage d'idées, chaque artiste évolua dans des ...”
— Enfin ! Je m’inquiétais. — Je parlais avec Régis du contrôle des billets. On organise une tombola tout à l’heure. — Régis ? — C’est le mari de Solange, la...
Un “chutt” autoritaire cloue les deux vieux visiteurs. La guide ne souffre guère les papotages.
“désormais engagé dans une sorte de traversée des formes et de l’histoire de la peinture moderne qui lui fait élire comme figures magistrales...”
Une exposition des peintres fondateurs du mouvement “Supports/Surfaces”, c’est un évènement dans ce petit chef lieu d’arrondissement. Le couple, bras-dessous bras-dessous, s’approche d’un tableau qui interroge les composants élémentaires de la peinture. François Rouan !
La classe opère une migration vers la toile gigantesque. La voix haut perchée de la guide s’enflamme :
“Le travail de François Rouan aboutit à un ordre du second degré qui laisse visible les conditions de son apparition tout en s’employant à disloquer un ordre légué par la tradition moderniste et l’histoire de la peinture. C’est sont ces déplacements et ces moments d’énergie que donnent à voir ses œuvres.”
— On dirait qu’il a découpé sa toile et qu’il l’a tressée ensuite.
“Comme monsieur ne peut s’empêcher de le constater,à voix haute, pendant ma conférence, François Rouan, par des effets résultants du tressage, travaille entre apparition et disparition. Il refuse les a priori d’une surface et démontre par le travail même – le tressage - qu’elle est une construction et que le plan est toujours pourvu d’une épaisseur, il nie le rationalisme d’une vision unifiée du monde et opère un déplacement lié à une tradition picturale dont il assume en même temps l’histoire.”
— Dis, Épouse-Enfin-A-Mon-Bras, tu connaissais François Rouan ? — Oui, avec Vincent Bioulès, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, André Valensi et Claude Viallat, ce sont les membres fondateurs du groupe. — Tu m’interloques. — Hi, hi ! C’est Régis qui m’a donné la plaquette de l’exposition ! — Et... tu aimes ? — J’aime bien Rouan. C’est... — Chut, la dame nous regarde de travers !
"Ce sont ces déplacements et ces moments d’énergie que donnent à voir ses ...”
La tombola désigne, vous l’aviez deviné, le brave élément masculin de ce couple en goguette. Le conservateur du Musée insiste : — Je vous assure, Monsieur, l’œuvre de votre choix. Allez-y, n’importe laquelle. — Même de François Rouan ? — Celle de votre choix... dégouline le conservateur.
Intimidé, le vieux monsieur se rend dans la salle d’exposition des artistes “Supports/Surfaces” et décroche une toile, sans cadre, déstructurée, aux savants tressages de coton qui induisent des applications ultérieures de couleurs. Dans le réseau serré des touches, des figures sont prises, qui à la fois se dispersent dans l’hallucinante fragmentation de la surface et qui en même temps paraissent la tenir tout entière en germination. Son épouse l’a laissé libre de choisir, Solange, Marie-Annick et Régis l’entretiennent des potins des vestiaires du musée. Photographies, poignées de mains, champagne tiède et petits fours Casino, gentiment le couple est poussé vers la sortie. Leur œuvre sous le bras du plus grand, les deux amoureux de soixante ans se dirigent vers le parking où leur antique Ami6 les attend.
— Ça fera si bien au salon, dit la vieille dame, en faisant briller ses prunelles. — Oui, j’ai pris celle-ci parce qu’elle n’était pas trop encombrante. Je n’ai pas voulu qu’on soit obligés de rehausser le plafond. — Tu as bien choisi, mon amour, comme toujours, cligna de l’œil la petite femme aux cheveux blancs.
Épilogue
La scène se déroule au musée.
— W'égis, je suis t’ès cont’a’iée. Je ne t’ouve plus le pantalon de mon ma’i, celui que j’ai appo’té de la maison pour b’iquer les statues du musée. Un bon pantalon de coton ‘ep’sié et usé mais qui faisait me’veille pour fai’e b’iller le ma’b’e des statues. Je l’avais acc’oché à un clou dans la g’ande salle. Il était vieux et couve’t de taches de peintu’e, c’est quand Toussaint a ‘epeint le couloi’ l’an de’nier, ce cochon, il m’en a mis pa’tout. J’ai jamais pu ‘avoi’ son pantalon que j’avais tout ‘p’sié au fil de coton DMC. Je vais le di'e à Monsieu’ le conse’vateu’, où donc il est le vieux pantalon à mon Toussaint ? C’est v’ai, avec quoi je vais fai’e b’iller les statues moi, déso’mais ?
Second épilogue
La scène se déroule dans le salon du couple gagnant de la tombola
— Chéri ? — Oui ! — Je ne sais pas pourquoi, mais... le tableau de François Rouan... me fait étrangement me souvenir de Papa. Il me bouleverse à chaque fois que je le regarde. C’est comme si Papa était là, dans la pièce, avec nous ! Tu as vraiment eu l’œil. Je t’aime.
« Dis
grand-père, c’est quoi la pièce en fer qu’il y a dans la vitrine de ta
chambre ? »
.
- Oh, ce n’est pas n’importe quelle pièce ; c’est une très
vieille pièce ; elle vient de Chine. Elle a une très grande valeur ;
à mes yeux elle est encore plus que ça…
.
« Oh racontes
moi papy, dis moi…c’est quoi cette pièce ? »
.
- Tu sais c’était il y a maintenant bien longtemps et je m’en
souviens comme si c’était hier : Je n’ai jamais beaucoup fréquenté les
musées ou autres lieux culturels mais par contre j’ai toujours aimé la culture
asiatique. Il se trouvait qu’en 2008, il y avait une exposition à Paris, à la
Pinacothèque, sur l’armée de soldats du premier empereur de Chine.
.
Je n’ai jamais beaucoup aimé prendre les transports en
commun mais pour y aller, il me fallait les utiliser ; pourtant je ne sais
pas pourquoi, cette exposition m’attirait. Ni une ni deux, me voilà dans ces
métros puants pour me rendre du côté de La Madeleine pour trouver cette fameuse
Pinacothèque.
.
L’exposition se situait dans un lieu plutôt petit, je voyais ça bien plus grand ;
mais dès l’entrée dans la salle, je fus de suite subjugué par des soldats faits
en terre cuite qui semblaient tout droit sortis de l’histoire… je ne faisais
qu’à peine attention aux autre visiteurs qui s’empressaient autour de ces
statues. De plus, lorsque je payais mon entrée, on m’annonça que puisque
j’étais le 10 000ème visiteur, j’aurai droit à une surprise…Moi qui n’ai
pas une chance exceptionnelle, je me retrouvais au milieu de cette histoire
asiatique l’esprit en ébullition, me demandant quelle serait cette surprise, et
les yeux comme ceux que tu fais lorsque tu t’arrêtes devant quelque chose qui
te plait…
Toute l’exposition présentait non seulement les fameux
soldats de terre, mais aussi tout ce qui entourait cette grande civilisation
qui donna naissance à la Chine. On pouvait y admirer l’art de cette époque, art
particulièrement mis en évidence dans tout ce qui avait trait au culte des
ancêtres par exemple.
.
Aussi, d’espace en espace, de vitrines en vitrines, j’absorbais
avidement tout ce que je pouvais apprendre sur ces civilisations qui me
fascinaient.
.
« Oui
papy ; mais la pièce, c’est quoi la pièce ? »
.
- J’y viens mon petit … Cette pièce est une pièce de
monnaie ; oui, tu as bien entendu. Et c’est cette pièce que j’ai choisie
comme cadeau, car en fait la surprise qui m’était réservée était de pouvoir
choisir parmi les éléments exposés à la Pinacothèque…
.
« Mais elle est
moche ta pièce papy ; elle est toute vieille et toute moche.. »
.
- C’est vrai qu’elle est très vieille, et très laide ; elle
ne ressemble pas à ces pièces d’aujourd’hui ; mais je vais te dire
pourquoi j’ai choisi cette pièce plutôt que tout autre objet : Lorsque je
regardais les nombreuses vitrines, j’ai pu contempler certaines pièces de musée
très ouvragées, d’autres plutôt grossièrement travaillées ; mais
qu’importait, j’avais devant mes yeux des siècles d’histoire et rien que cela
faisait prendre à toute cette collection un aspect presque irréel mais de toute
beauté.
.
Pourtant, alors que je restais en admiration devant un vieux
moule qui servit à fabriquer cette fameuse pièce, de l’autre côté de la
vitrine, l’espace d’un court instant, il me sembla apercevoir deux yeux qui
croisèrent mon regard. Plus que de les voir, je ressentis leur présence…tout d’abord
mal à l’aise (je pensais avoir rêvé, emporté comme je l’étais par ce tourbillon
d’histoire), je restais un peu plus à admirer cette pièce que tu as vu dans ma
vitrine. Et cette fois, je me rendis compte que je n’avais pas rêvé : ces
yeux regardaient la même chose que moi mais croisaient mon regard aussi
subrepticement que je pouvais le faire de mon côté.
.
Dans la pénombre de l’exposition et malgré les quelques
reflets dans la vitrine, je pouvais voir à quel point ce regard était clair et
beau ; je n’ai jamais vu des yeux d’une telle intensité, ce genre de
regard qui semble sonder jusqu’à l’âme tout en offrant une compréhension
presque palpable…
.
« Ça veut dire
quoi tout ça papy ; c’était quoi ces yeux ? »
.
- Et bien, mon petit, ce regard est celui de la personne qui
éclipsa jusqu’aux bijoux d’émeraudes exposés ce jour là ; ces yeux sont
ceux de la personne qui fut pour moi comme une renaissance ; ces yeux mon petit, sont ceux de ta
grand-mère ; et ces regards échangés à la Pinacothèque furent les premiers
que nous échangeâmes.
Depuis ce jour où nos vies se sont croisées au travers de
cette vitrine où trônait cette petite pièce, nous ne nous sommes plus quittés.
Voilà pourquoi j’ai choisi cette pièce, mon enfant ; parce qu’elle a
traversé les siècles pour me faire rencontrer ta grand-mère.
- Vous savez, vous avez réellement gagné. Ce n'est pas une
plaisanterie ! Vous pouvez vraiment choisir n'importe laquelle de toutes
les œuvres exposées ici. Sans rire !
- C'est ça que je veux.
- Vous savez... enfin... sans vouloir vous inciter à tous les
excès, sachez quand-même que vous pourriez repartir avec la Vénus de Milo ou le
Radeau de la méduse…
- Vous croyez vraiment que des trucs pareils tiendraient dans
mon salon ?
- Oh ! Je disais ça comme ça, c’était juste des exemples… Mais
vous pourriez choisir quelque chose de plus raisonnable… je ne sais pas… un
petit Vermeer par exemple ?
- Je croyais que je pouvais prendre ce que je voulais ?!
- Oui… oui. Bien sur. Mais là… c’est-à-dire qu’il faudrait que
je voie avec la sécurité… Vous ne voulez pas une statuette égyptienne ?
- Bon, écoutez : j’ai payé 1 247 fois mon entrée, dans
l’espoir d’avoir le ticket gagnant et de pouvoir éviter que le premier abruti
venu ne décide de priver l’humanité d’une œuvre majeure en l’accrochant entre
les photos du rejeton et le chien en canevas dans son salon, alors arrêtez de
m’emmerder et donnez-moi ce satané extincteur avant que je ne change d’avis et
que je ne vous dépouille de la Joconde !
« Samedi soir devant la télé… ça craint… bouge toi, on
se retrouve à Châtelet dans une demie heure ! » Et elle a raccroché.
Me voilà partie pour passer la soirée avec Isa. Je ne sais
pas où ; je ne sais pas pour quoi faire mais j’y vais, de toute façon ça
peut pas être pire que de regarder une merde à la télé.
Châtelet. 19h50.
« On va dans le musée des qualités et des défauts, il
s’appelle Les faits Plassé Beau ».
Ben voyons, c’est quoi ça encore ?
Isa s’explique : « c’est un nouveau genre de
musée, c’est dans une cave derrière le BHV, tu verras c’est sympa, y a des
photos, des films, des peintures… les œuvres d’art sont les qualités et défauts
eux mêmes, mais surtout leur représentation… et en plus tu peux gagner quelque
chose il parait! ».
Pas convaincue, mais alors pas convaincue du tout !
Nous voilà parties, bras dessus bras dessous pour cette
cave.
Je connais un peu ces caves aménagées dans ce quartier
là : je n’en ai que de bons souvenirs. Par contre le concept musée dans
une cave… ça m’intriguait un peu. Et puis cette idée de musée de qualités…
bizarre…
Une fois l’entrée payée, j’ai suivi Isa dans la première
salle. Nous étions bien dans une cave, quarante marches descendues, plafond
vouté, pas de fenêtres.
Tous les visiteurs de la soirée étaient réunis, un homme –
celui qui nous avait vendu nos billets – a commencé à nous expliquer que nos
billets portaient un numéro et qu’un tirage au sort aurait lieu après la visite
des salles. Il nous a ensuite invité à
commencer la visite.
Ce que nous avons fait.
Magnifique. C’est le mot qui résume ce musée : chaque
qualité, chaque défaut était illustré par une image figée – une photo ou une
peinture – ou par un film… Ainsi la générosité était représentée par la
peinture d’un enfant tendant son jouet à un autre, la solidarité était imagée
grâce à une photo d’une femme en train de donner son sang. Côté défaut
l’indifférence était personnifiée par la vidéo une jeune femme très bien
habillée – bon chic bon genre – passant devant un mendiant et détournant son regard
de lui lorsqu’elle le croisait.
D’un point de vue artistique j’ai trouvé la visite
intéressante. Certaines photos ou vidéos nous ont bien fait rire, Isa et moi.
Nous avions fini notre visite.
« Et le tirage au sort alors ? »
« Patience » rétorqua Isa…
« Tu sais bien que j’en ai pas… »
Nous étions à nouveau tous réunit dans la première salle.
L’homme du début était revenu : il allait annoncer le numéro gagnant.
« Le 2812 ».
Isa me regarde l’air de dire « C’est toi ? ».
Et moi, je lui réponds d’un grand sourire signifiant « Oui c’est
moi ».
J’avais gagné. Quoi je n’en savais rien. Mais j’avais
gagné !
L’homme du musée est ensuite venu me voir pour vérifier que
j’avais bien le billet gagnant. J’attendais qu’il me dise ce que j’avais gagné.
Mais rien. Il m’a dit simplement dit « Attendez là que tout le monde soit
parti ».
J’expliquai ça à Isa, qui proposait de m’attendre à la
sortie.
Voilà qu’enfin l’homme me révélait mon gain :
« Vous n’allez pas y croire, mais tentez l’expérience. Je vous propose
d’échanger une de vos qualités ou l’un de vos défauts contre soit une qualité
soit un défaut ».
Je souriais, non de contentement, mais plutôt en pensant
qu’on se foutait ouvertement de moi.
« Et comment je procède ? Je fais une
prière ? », ironisai je.
« Je vois bien que vous n’y croyez pas, mais allez y,
essayez ! Pour ceci il vous suffit de décrocher l’illustration correspond
à la qualité ou au défaut que vous souhaitez voir disparaître, vous placerez
ensuite votre photo – si vous n’en avez pas mettez votre pièce d’identité – à
côté de la qualité ou du défaut que vous souhaitez avoir. Ensuite revenez me
voir ».
Je ne savais pas quoi faire : me ridiculiser en faisant
ce qu’il m’avait dit ou ne rien faire ?
Finalement, je n’avais rien à perdre. Je suis allée
décrocher « Râlerie intempestive », et j’ai mis ma carte d’identité à
côté de « Patience ».
Je revenais voir l’homme. Il souriait « Vous avez fait
un bon choix, vous pouvez aller reprendre votre carte, la sortie est par là, à
bientôt mademoiselle ».
J’osai raconter tout cela à Isa. Je pensais qu’elle aurait
ri, et m’aurait dit que j’avais été bien bête de croire à tout ça et au lieu de
ça elle a dit « Pourquoi tu as fait ces choix là ? ».
« Tu sais… Je sais que je râle beaucoup, tout le temps
et pour rien, alors si je peux me défaire de ça, j’en serai contente. J’ai bien
essayé de prendre sur moi, de me forcer à ne pas râler mais c’est plus fort que
moi. Et puis la patience, c’est quelque chose que j’envie chez certaines
personnes. Pouvoir vivre sereinement l’attente. Ca serait bien. Enfin… c’est
des bêtises tout ça. N’y pensons plus ».
Je ne voulais pas y croire, mais qui sait, qu’avais-je à
perdre à y croire ? Et le musée s’appelait bien Les faits Plassé Beau ; si pour une fois il pouvait faire
effet ce placebo, ça m’arrangerait…
Je doute qu'aucun musée organise jamais une telle loterie. Et, sauf à
la vendre pour d'évidentes raisons matérielles, que ferais-je d'une oeuvre
d'art ? Et pourquoi la soustrairais-je à la contemplation des possesseurs
des billets suivant le mien? Les pauvres, ils étaient venus tout exprès
pour la voir ! Certains de l'Iowa... Non, l'oeuvre que je rêve
de posséder n'existe pas encore. Ce serait une merveille réalisée
rien que pour moi par quelqu'un qui aurait deviné que j'en
pleurerais.