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Le défi du samedi
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27 septembre 2008

Gigoletto - Caro_Carito

Tragi-comédie en une scène

Et plusieurs répétitions…

 

Gigoletto est parti. Il a jeté son sac de sport griffé Lacoste sur son épaule et a fermé la porte sur nos quelques semaines de vie commune. Non sans une certaine élégance.

Depuis ce dimanche d’abandon, la semaine a déroulé son ennui pluvieux. De pseudo-obligations en sorties mondaines, son prénom s’est effacé. Quant à son nom, l’avais jamais connu ? Ses traits s’estompent dans un halo de boucles dorées et dociles. Y perdre ma main était un jeu savoureux. De ces souvenirs sans esclandres - ce jeune garçon n’avait pas eu le mauvais goût de me faire une scène de boulevard ou de m’accuser de l’avoir abusé – ne me reste en bouche qu’un léger souffle d’amertume.

Matinée dominicale oisive. De ma terrasse, j’admire les flots de zinc qui s’étalent. Le disque pâle étouffe le dôme du Sacré Cœur d’une clarté éblouissante. J’entends vaguement les bruits de la rue Taitbout tandis que je sirote un café solitaire. Le bouquet acheté hier se creuse déjà sous le poids de la fatigue et des lourds roses. Un pétale se pose sur ma main. Rosé et tendre, il me caresse. Il est piqué de quelques marques. Comme sa peau lisse d’éphèbe éclaboussée de taches de rousseur. J’aimais effleurer son visage de mes lèvres, croquer les siennes, juteuses et gémissantes. Ma main aux fines ridules a froid malgré la chaleur de la porcelaine et des rayons de soleil. Dépouillée des ses bijoux, elle semble bien inutile. A peine quelques jours auparavant et elle musait, mutine, sur sa chair drue, taquinant un sexe tendu et malhabile. Ses caresses étaient pleines de fougue et de rires. Il avait, les premiers temps, gardé cette innocence de la jeunesse, comme s’il s’excusait de devoir encore apprendre. Bien vite pourtant, alors qu’il ne se croyait pas observé, un éclat de haine avait traversé ses yeux. J’avais alors deviné qu’il allait me quitter. La douceur et les présents ne pouvaient éclipser bien longtemps la fierté de se savoir posséder et, qui sait, le désir d’un sentiment plus fort. A vingt ans, on ne peut pas savoir que la tendresse a une saveur hors de prix.

Assez. Il est temps pour moi d’aller traîner mon vague-à-l’âme au Louvre. Je me lève et repousse la chaise. Les touristes ont déserté la capitale, les parisiens préférerons se presser sur les terrasses des cafés. Ou s’accommoderont des chaises métalliques du Luxembourg, avides des derniers feux de l’été. Oui, une visite au musée. Je prendrai ensuite un thé et un gâteau avant de rentrer dans mon salon déserté.

 

Face au tracé de mon Maître, Jean Auguste Dominque Ingres, je sens monter en moi une larme intempestive. Heureusement, une voix rompt le brouhaha ces curieux et annonce un n° dans les haut-parleurs. 3948 a gagné ! Une œuvre, n’importe quelle œuvre. Quel jeu stupide. Même la Joconde ? En un réflexe machinal, je tire le ticket d’entrée de ma poche. 3948 se détachait sur la mort de Sardanapale en arrière plan-glacé. Je lève ma main. Des officiels arrivent. Une foule pressante se colle à moi. J’aurais pu toucher cette excitation bruyante, les paris fusent, tous s’exclament, s’interrogent…

Tout se précipite alors très vite, je marche lentement à côté de M. le Conservateur et lui désigne un coin retiré de la salle des statues. La masse grogne, montre les dents et se disperse. M. le Conservateur semble soulagé. Nous passons dans ses bureaux pour que je lui laisse mes coordonnés et puisse signer quelques papiers.

 

Le colis arrive en fin de semaine. Je le déballe avec précaution. La statue apparait dans toute sa grâce. Je tourne autour, médusée, en admiration devant sa pureté antique. Je pose mes mains sur elle, j’exulte d’une joie d’enfant. Je la pose avec soin sur le socle que je lui ai réservé. Je m’accroupis soudain et frotte lentement ma joue sur ses fesses parfaites. Et je les revois tous, déambulant au saut du lit alors que je repose ensommeillée. Gigoletto I, Gigoletto II, III, les doués, les tendres, les éphémères, les cupides. Je laisse un chaste baiser en hommage à leur souvenir sur le fessier de terre cuite.

Désormais, je vais pouvoir jauger les doublures à venir à l’aune de la perfection.

colis

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Commentaires
C
C'est posté!
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P
Alors là, Caro, cela me fait un immense plaisir.<br /> Plaisir qui sera partagé, je n'en doute pas un instant !
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C
Sebarjo je l'ai lu mais j'en ai gardé un drôle de goût dans la bouche.<br /> <br /> Papistache, ok pour la lecture; RV pris pour demain si les brigands me laissent respirer.
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M
Au moins pas de déception, même si c'est un peu froid une statue (surtout quant on a froid aux pieds dans son lit)
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M
Une vraie croqueuse de Gigoletti ... J'aime aussi la dernière phrase !
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R
pourvu qu'elles ne restent pas de marbre ?<br /> et en biscuit....<br /> l'idée m'amuserait moi !
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T
Oh que la dernière phrase est savoureuse !
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O
On en avait parlé de ce texte, à mots couverts mais je ne t'attendais pas nécessairement dans ce détour-là. Coquine, va! L'homme-objet d'art... On peut toujours rêver, n'est-ce pas?
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P
J'aime vos phrases courtes qui donnent ce rythme à votre texte.<br /> Et je vous redis que j'aimerais vous l'entendre dire ce texte. C'est vrai, vous savez mettre chez vous de petits bijoux sonores. Donnez-nous votre voix sur ce texte-là, Caro.<br /> J'essaie de l'imaginer, mais ceux qui ne vous pas entendue comment feraient-ils ?
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B
Joli texte automnal .
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T
Fesses parfaites, mais de marbre.... ;-)
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L
Un délice fort coquin que ce texte là... j'aime me ballader dans les musées d'art, alors ce défi là me plait bien. Je reviendrai lire les autres textes. L'histoire de Sylvie "le chat et les p'tits rats" croque en bouche comme un délicieux berlingot... Vous êtes doué(e)s, y'a pas à dire...<br /> <br /> Bisous de l'Oursonne admirative
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J
Oups Sebarjo est passe avant moi... :P
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J
Un delice, ce texte!! et drole aussi, je trouve.<br /> <br /> Joye>> je crois que 'elle' fait reference a la main de la phrase au-dessus...
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J
Ah ! Merci beaucoup, Sebarjo, je vais certainement devoir relire plus soigneusement !!!
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S
Pour Joye :<br /> Cette "elle", c'est la main de la narratrice...<br /> ("elle n'avait plus d'bague à chaque doigts...")<br /> <br /> Caro carito :<br /> <br /> Oui c'est un texte étonnant... J'ai l'impression que la narratrice, à choisir, aurait préféré garder son apollon des débuts, comme oeuvre d'art...<br /> L'homme-objet quoi. Du coup, ça me rappelle un livre de EE Schmitt "Lorsque j'étais une oeuvre d'art"...
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J
Je reste devant ton texte comme devant un tableau que j'essaie de comprendre. S'agit-il d'un narrateur ou d'une narratrice ? Et qui est cette elle qui apparaît soudainement (Dépouillée des ses bijoux, elle semble bien inutile. A peine quelques jours auparavant et elle musait, mutine, sur sa chair drue, taquinant un sexe tendu et malhabile. Ses caresses étaient pleines de fougue et de rires.) au milieu du récit du jeune Adonis blond-bouclé ?<br /> <br /> Donc, tout comme dans un musée, je me demande, j'examine, je savoure, et je reviendrai.<br /> <br /> Même si je ne comrpends pas le tout, j'aime la richesse de ton texte, c'est du grand art.
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J
Je n'ai pas l'impression d'avoir lu une "histoire de cul" et pourtant il y a quelque chose de troublant dans tout ce texte. Comment cela se fesse-t-il ? On ajoutera, quoi qu'il en soit, ce maître-étalon du pavillon de Breteuil au Musée des cadeaux faits ce jour par le Défi du samedi.
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G
Putain de beau texte!!!!! Bien écrit, bien construit et tout et tout.<br /> Et intéressant en diable...<br /> Madame serait gourmande....?<br /> Chapeau (uniquement) bas!
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V
Caro, je ne sais pas si j'aime ton personnage, mais toujours est-il que j'aime beaucoup ton texte. Très bien mené! <br /> Bravo!
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K
Celui-ci sera parfait à vie...Belle écriture comme toujours Caro.
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P
Pourvues qu'elles soient douces ;-)<br /> <br /> Il y a sous l'amertume beaucoup de douceur dans ce texte, j'aime...<br /> En lisant je pense à la chanson de Dalida sur il venait d'avoir 18 ans, j'imagine une grande différence d'âge entre tes 2 personnages mais l'est-elle vraiment ?
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