Un metier d'homme - J-F & V
8h : J’arrive dans
mon petit salon de bois vernis et cuir bordeaux qui a pignon sur rue.
Avant toute chose, je vérifie la propreté du lieu. L’hygiène dans mon
métier, c’est indispensable !
8h30 : Mon premier habitué entre.
Toujours ponctuel ! Depuis des années, il vient 6 jours sur 7. Je
l’installe dans « son » fauteuil. Il est toujours curieux des
préparatifs. Chacun de mes gestes est observé, analysé. Dès les
premiers soins, il se détend, il se cale bien confortablement et
s’abandonne. Il sait pourtant qu’il est à ma merci. Ma technique est
celle du très très près. Pendant les soins, j’entame une conversation
virile. Conversation n’est pas le bon mot. Monologue serait plus juste
car dans la position où se trouve mon fidèle client, il peut
difficilement me répondre !
8h50 : Mon habitué a payé. Il est
parti direction la brasserie à deux pas d’ici. Deuxième rite de sa
journée : prendre un petit crème en lisant le journal. Lorsque mon
carnet de rendez-vous m’en laisse le temps, il m’arrive de
l’accompagner pour refaire le monde. Aujourd’hui ce n’est pas le cas,
alors je balais. Vous savez : l’hygiène dans mon métier … c’est
indispensable.
9h : J’accueille mon
rendez-vous suivant. C’est la première fois qu’il vient. Comment
sera-t-il ? Craintif ? Nerveux ? Confiant ?... Nous faisons
connaissance. C’est un tout jeune homme et demain il se rend à un
mariage. Mon métier, plutôt rare, mais bien dans l’ère du temps, c’est
aussi de l’esthétique ! Dans la société actuelle, l’aspect extérieur
est un critère social important !
9h15 : Je prépare mes pots,
m’active autour de ce nouveau client, lorsqu’un chaland entre. Je finis
l’acte en cours et interroge l’homme :
- Que puis-je pour le monsieur ?
-
J’aurais besoin d’un débroussaillage, m’explique-t-il accompagnant sa
phrase d’une gestuelle imagée. Vous auriez une petite place pour moi,
entre deux ?
Un petit mot à mon client qui attend sagement dans le fauteuil et je me rends à mon bureau pour consulter mon emploi du temps :
- Mon client de 16h30 s’est désisté, 16h30, ça vous convient ?
- Parfait.
- Je peux avoir votre nom !?
- Impérial, me répond l’homme et il ajoute avec un clin d’œil en se dirigeant vers la sortie, c’est de circonstance !
J’accueille, je prépare, je soigne, j’esthétise, je cause, j’encaisse bien sûr : ainsi se passe ma matinée.
12h45 : Grand ménage : vous savez l’hygiène…
13h
: Pause déjeuner : je vais au bistro du coin. Christiane, la serveuse,
et Rolande, la patronne, sont aux petits soins pour moi : je suis un
habitué de ces dames, j’ai ma petite table réservée dans le fond de la
salle.
14h : Retour au salon. Je prépare ma sacoche et je
prends mon agenda. Je me rends au domicile de mon premier client de
l’après-midi. Dans la rue, il m’est déjà arrivé que l’on m’appelle
docteur !
Mon premier patient est un homme très âgé quasi
grabataire. Mon arrivée est toujours source de joie. Il se sent si seul
! Si mon travail est apprécié, ma compagnie l’est encore plus !
L’hygiène, l’esthétique : je vous en ai déjà parlé !?
Mon «
im-patient » suivant comme j’aime à l’appeler est un jeune chef
d’entreprise. Dynamique, toujours entre deux rendez-vous. Il n’a pas de
temps à perdre, mais il sait que les soins que j’apporte lui sont
indispensables. Si j’osais, je vous dirais que parfois j’ai
l’impression de lui faire l’effet d’une masseuse thaïlandaise…
16h
: Je suis de retour au salon. Mon habitué est déjà là. Je réédite des
gestes mille fois répétés : j’installe le sieur dans le fauteuil,
protège ses vêtements d’une large blouse blanche. Je prépare mes
accessoires, mes pots : baumes, huiles. La serviette « plus blanche que
blanche » posée sur l’avant bras, je commence les soins.
Les clients s’enchaînent toutes les demi heure. Il faut prendre le temps, savoir les écouter. Ils doivent se sentir bien.
17h20 : Une donzelle entre. Sans cesser de m’occuper de mon client, j’y vais de mon : « La petite Dame s’est perdue ? »
Mais
non, la briseuse d’intimité vient prendre un rendez-vous pour son mari
! Ici c’est un lieu dédié aux hommes, un sanctuaire de la masculinité !
Je n’aime pas que ces dames y stationnent. A peine le rendez-vous noté,
je la reconduis illico presto vers la sortie.
17h45 : Eponge, serpillière, c’est le balai ménager. Vous savez ?... L’hygiène dans mon métier…
Si mes parents avaient anticipé, ils m’auraient appelé Figaro…
Je manie blaireau, ciseau et rasoir, moi le barbier de cette ville.