La dyslexie (TOKYO)
Je croyais qu’il sortait d’un cirque, il utilisait un escabeau, pour me servir un sirop à la menthe.
Je me rendais chez lui tous les mercredis pour réviser nos leçons.
Il faisait un énorme bond la bouteille de sirop de menthe à la main et avec sa dyslexie il me disait.
Tu l’écris comment boire un sirop avec un P ou un B.
Alors il se cabrait comme un vieux canasson hennissant en vociférant boire poire on s’en fout .
C’était mon meilleur ami. Quand la cloche sonnait dans la cour il arrivait tout triste et se mettait dans le rang où je me trouvais.
On rentrait dans la classe il se mettait en face le globe terrestre et disait un jour je serai le plus grand de ce monde .
La dyslexie personne ne savait ce que c’était mon ami portait au coin du mur affublé d’un bonnet d’âne. Les punitions pleuvaient pour lui. Il s’est perdu à l’école, c’était un explorateur dont on avait grippé la boussole. A l’école on n’aimait pas les idiots du village. Mon ami il écrivait pour les morts. Tous les dimanches il travaillait au petit cimetière, il se faisait quatre sous, vaille que vaille ici les morts ne s’offusquaient pas de sa dyslexie.
J’ai oublié longtemps cette amitié et ce petit compagnon qui boitait de la langue jusqu’au jour où j’ai cru l’entrevoir au détour d’une ruelle assis en train de faire la manche.
C’était bien lui. Ces fautes avaient eu des conséquences désastreuses. Ce bon à rien comme disait l’instituteur avait perdu toutes les guerres. Il ne m’a pas reconnu quand je me suis penché vers lui. Puis j’ai entendu un ricanement BOIRE ou poire on s’en fout.
Un petit bout de vie par bongopinot
Des études très courtes
Toujours au fond de la classe
Des cours que ma mémoire efface
On me disait inadaptée et lente
La lecture les dictées en vrai
Étaient pour moi un crève cœur
J'avais beau copier pendant des heures
Des mots des phrases rien ne s’imprimait
Et ce n’est qu’à l’âge adulte
Qu’on me parla de dysorthographie
Une forme de dyslexie
Un mot qui enleva mes doutes
Je ne suis donc pas si bête
J'arrive à bien comprendre
Je continue à apprendre
Je suis plus libre dans ma tête
L'école pour mes enfants
Fut pour moi un nouvel apprentissage
Un moyen de revoir les bases
En jouant en s’encourageant
Puis arriva l’ordinateur
Un véritable ami pour moi
Remit de l’ordre dans mes mots de joie
Et d’écrire maintenant je n’ai plus peur
Puis j’ai découvert le samedi défi
Ma fille était encore à la maison
Elle corrigeait mes fautes à foison
Puis elle est partie faire sa vie
Et j’ai failli arrêter l’écriture
Et Walrus a accepté de corriger mes écrits
Grâce à lui je suis encore parmi vous aujourd’hui
À lire vos billets et mettre des commentaires
Même si des fautes passent ici et là
Je suis moins inquiète qu’avant
Je vide mes pensées calmement
Merci à tous pour tous ces moments de gala
L'ex Pierre de Rosette (Kate)
Cher Pierre,
Pour quoi faire ?
Un point final il nous faut faire
La belle affaire
Tu restes mutique
Quasi mystique
Réponse magnétique
Si je te dis que notre amour idyllique
Se trouve relégué au rayon des souvenirs antiques
Enfin ta réponse la voici
Photos à l'appui
Du lundi au samedi
Message bien reçu merci
Là ici
Encore là et même ici
Ton ombre planant sur mon affiche
Eh bien je m'en fiche
Tes diplômes de linguistique
Devraient-ils me faire passer pour dyslexique
Soyons quittes
Je te quitte
Pierre
Ton coeur de pierre
M'indiffère
Rien à faire
Rosette
Dr Curieux (Vegas sur sarthe)
Cabinet du Dr Curieux : neuropsychologue
« Qu'est-ce qui vous amène Monsieur Vegas ? »
« Euh … je vous dirais bien que c'est le 58 qui m'amène mais aujourd'hui je suis venu à pied et puis je vous l'ai déjà faite celle-là et je sais qu'elle ne vous fait pas rire »
« Alors que puis-je sérieusement faire pour vous ? »
«Il s'agit de Germaine. Je crains qu'elle ne soit devenue dyslexique »
« Voyez-vous, bien des gens sont dyslexiques et pas des moindres … ainsi, Einstein, Churchill ou encore ... »
« Oui mais j'ai pas épousé Einstein ni Churchill »
« Et qu'est-ce qui vous fait croire qu'elle serait dyslexique ? »
« Sa meilleure copine est dyslexique et Germaine fait toujours tout comme sa copine »
« J'aurais préféré l'interroger mais puisque vous êtes là, vous allez répondre à quelques questions, à commencer par celle-ci : Est-ce qu'elle pense en images plutôt qu’en mots ?»
«Je dirai qu'elle pense si fort en mots – surtout quand je regarde la télé – que je rate souvent les images »
« Hum... Et trouvez-vous qu'elle pense autrement ? »
« Si vous me demandez si elle pense autrement que moi, la réponse est Toujours. Je crois qu'elle le fait exprès»
« Et a t-elle tendance à résoudre des problèmes par une approche innovante »
« Ah ça oui ! Tenez si un fusible saute à la maison, elle le remplace par du papier d'alu et si elle ne trouve pas la laisse du chien, elle utilise mes rallonges électriques »
« Monsieur Vegas, je commence à cerner Germaine et vous également. Ma dernière question sera celle-ci : Pensez-vous qu'elle utilise tous ses sens pour percevoir le monde ? »
« Je l'ignore mais je peux vous dire que je n'ai pas assez de tous les miens pour la percevoir, elle ! »
« Hum … je ne pense pas que ceci soit du ressort d'un neuropsychologue »
« C'est vous qui voyez, Docteur Curieux... au fait c'est curieux mais est-ce votre vrai nom ? »
«Votre curiosité en dit beaucoup sur vous Monsieur Vegas. Et Vegas, est-ce votre vrai nom ? »
« Euh … non. Je vous dois combien ? »
« Rien du tout. C'est Germaine que j'aimerais rencontrer »
Dys.. Et plus... Si affinités (Laura)
D'après mes souvenirs d'élève.
Il n'y avait pas à cette époque de dyslexiques et autres dys.
Peut être était-ce surtout que l'on ne savait pas les diagnostiquer.
Peut-être que les parents d'enfants dys et les profs connaissaient ça à l'époque
Mais pas moi
Je les découvre maintenant en tant que professeur-documentaliste dans 2 cdi: un de lycée pro et l'autre de collège et lycée général.
C'est compliqué pour eux surtout, leurs parents et nous.
J'ai dans ma belle famille un dyslexique/gaucher (à l'époque contrarié) qui a beaucoup souffert jusqu'à se réconcilier un peu avec les livres grâce à Harry Potter. Depuis il lit et j'espère que les livres sauveront des dys et d'autres... si affinités.
La ronde des dys (Lecrilibriste)
Mercredi , la ronde des dys
Patiemment, patiente chez l’orthophoniste
Le dyslexique qui a oublié son lexique
Le dysphonique qui a pris son micro
Le dysphasique qui dans sa poche cherche ses mots
Le dysphorique aujourd’hui tout apathique
Le dyspraxique qui a un tic
Et le dyscalculique qui prend la colique
Chaque fois qu’il a un zéro
Ah ! vraiment, c’est un hic, c’est un os
De faire partie d’un de ces dys
Et D’aller chez l’orthophoniste
Pour supprimer ce déficit
Totalement disconvenu
Qui disqualifie, discrédite
Vous distingue comme un disparate
Alors que vous êtes tout dispersé
Et disposé à dissiper
Ce malentendu dissonant
Qui vous distord honteusement
Et vous distrait confusément
Ah ! Ah, Ah oui vraiment
Vive les orthophonistes
Qui transmutent les dys
en dix sur dix !
Crimes et délits (joye)
Moi, je suis dyslexique en ce qui concerne les chiffres.
Si je lis que la population de Liège est à 195.965, par exemple, je dirai invariablement qu’elle est à 159.695.
Et paf ! Comme ça, j’assassine 34 470 pauvres Liégeois. Et le lendemain, je dis au juge que c’était une erreur, mon assassinat numérical de ces 43 740 individus !
Bon, le meurtre, même si ce n’est pas intentionnel, cela vaut, bien sûr, une peine d’emprisonnement à vie, en Europe, mais on peut sortir après quinze ans. Or, dans quinze ans, j’aurai octante-et-un ans ( NB : je me sers de l’octante suisse parce que je ne suis pas obligée de me rappeler si je dois aussi assassiner le “s” de “quatre-vingts” devant "un" ou non, alors, c’est plus convenable, non ?)
Comme quoi, avec ma dyslexie chiffreuse, je n’aurais que dix-huit ans lors de ma sortie (eh oh, je ne serais pas longtemps à Lentin !) et je passerais ma vie à me mettre sur mon treize, à faire les cent quatre coups, et à vivre ma vie récupérée à la quatre-six-deux, quoi.
Franchement, je ne vois pas pourquoi on classe la dyslexie comme trouble. En ce qui me concerne, c’est tout à fait libérant !
Magie du cerveau ! (Joe Krapov)
Mention : Grande Dys ! (Walrus)
Bordel ! Dyslexie à c't heure !
Il m'avait dit que ce serait dyspepsie, ce grand sensible de l'estomac ! Mais avec lui, il faut s'attendre à tout, c'est le roi du dysfonctionnement.
Deux phrases et déjà trois mots en "dys" (non pas dix, dys !). Consultons (mais non, pas un psy, le dico)!
Dans le CNRTL, on découvre pas moins de 69 mots débutant par Dys.
Dys semble être un préfixe ne présageant rien de bon, voyez vous-même son analyse par wikimachin (vous aurez peut-être la joie de recevoir une demande de support financier par la même occasion).
Remarquez, j'aurais pu m'en douter : Louise, notre seconde petit-fille est dysphasique et c'est pas drôle tous les jours non plus.
Je me demande à la fin si nous n'avons pas tous enfoui quelque part au fond de nous un petit côté "dys".
Notre monde lui-même ne semble pas épargné. D'ailleurs, j'ai de plus en plus de mal à le "lire", je suis sans doute dyslexique...
Ont tenté d'en bricoler un
Laura ; Walrus ; Lecrilibriste ; Kate ; TOKYO ;
Joe Krapov ; joye ; Poupoune ; bongopinot ; Clio101 ;
Vanina ;
Comment ? Les astres ont un capot ?! (Walrus)
J'avais jamais vu de capodastre.
Pourtant, notre fils, dès ses études primaires, a pris des leçons de guitare, mais je ne lui ai jamais vu utiliser l'accessoire en question. Nous avons bien regretté qu'il abandonne cet instrument pour jouer de la batterie dans le garage au grand dam des voisins, mais bon que voulez-vous, c'était la période des Heavy Metal Drums !
Ma fille, elle, m'a fait lui acheter un instrument hybride : un manche de guitare monté sur une caisse de banjo. Elle ne l'a jamais utilisé vu qu'elle l'a prêté à un copain qui ne le lui a jamais rendu.
Tant qu'à faire, nous avons également acheté, sur ses insistances, une guitare à Louise, notre petite-fille, qui, en digne fille de sa mère, ne l'a quasiment jamais utilisée non plus.
Il m'a donc fallu attendre de devenir chef d'Unité chez les scouts pour découvrir mon premier capodastre.
Une unité scoute sans guitariste(s), ce n'est pas une unité scoute. D'autant qu'à l'époque, c'était le plein boom d'Hugues Aufray*.
Dans celle où j'avais échoué, s'il y avait bien l'un ou l'autre "gratteur" dans le staff de toutes les sections, les virtuoses de la chose étaient concentrés dans celui de la meute de Thâ : une demoiselle (totem Marcassin) qui se défendait vachement bien et un mec (totem Écureuil) un Cador de l'instrument !
À Cador, j'ai mis une majuscule pas seulement pour montrer que c'en était vraiment un mais aussi, plus prosaïquement, parce que c'était son nom de famille.
C'est donc lui que j'ai vu pour la première fois de ma vie, au cours d'une veillée d'Unité, monter un capodastre sur le manche d'une guitare. Et quelle guitare : une somptueuse folk 12 cordes qu'il entourait de soins délicats !
Ne me demandez quand même pas d'aller jusqu'à vous expliquer l'utilité de la chose, même si je devine qu'il s'agit de changer la tonalité de l'instrument, mais il doit y avoir quelque chose de plus...
* Les veillées de mon unité ont beaucoup dû à Hugues Aufray : vous voyez le genre, des airs vifs et entraînants comme Santiano ou l'Épervier de ma colline (et son curé de Camaret). Dommage que les louveteaux aient aussi eu un faible pour Stewball ou Céline : autant il est facile de faire chanter juste et bien en phase des chants bien rythmés, autant il est délicat d'obtenir d'enfants une exécution harmonieuse d'airs lents et un brin tristes. Que voulez-vous, personne n'est parfait, même pas Hugues Aufray !
Petite envie de guitare (Lecrilibriste)
À mon grand dam
Je ne joue pas de la guitare
Je n’en connais ni les accords qui l’accompagnent,
et les mots qui la caractérisent
je ne sais rien des capodastres ,
les éclisse sont pour moi de l’hébreu
J’ignore si les dièses, bémols et bécarres existent
Si les croches des quintuples croches s’accrochent
Sur les partitions pour guitare
comme sur les morceaux de piano
Mais j’aime la musique des guitares
La guitare ancienne et ses airs de western
La guitare classique et les sons qui s’égrènent
La vivacité de la guitare manouche
Les vagues langoureuses des guitares hawaïennes
J’avoue aimer moins la guitare électrique
Ses vibrations frénétiques
Ses déferlements métalliques
J’aimerais savoir gratter la guitare
Placer un capodastre pour relever le défi
Et jouer dans la cour des grands
Mais je crains que maintenant
Ce ne soit sur d’autres continents
Capodastre (TOKYO)
C’était au temps où la paille jonchait le sol de la chambre étable.
Le souffle chaud de l’âne se mêlait aux doux ronflements des vaches.
La chambre est basse, noire de fumée et les murs sentent la chaux.
Les poutres servent de ciel et un vieux capodastre les enserre dans sa mâchoire d’acier.
On dirait qu’elles chantent comme des cordes la naissance qui vient.
Une vielle lampe à l’huile brille comme une âme.
Mystère , mystère que cette naissance.
Marie ne dit rien du père, qui est donc ce fils, un vaurien, alors que dehors l’aube est encore noire, on sait déjà la nouvelle partout.
Une clochette de vache rumine dans sa barbe de lait et s’accorde à dire c’est le christ qui nait.
Jésus nait dans un cri d’oiseau contenu dans un capodastre d’étoiles.
Les Rois mages sont en chemin, à l’arrière-plan vaste soupirs maternels de marie qui sourit à l’enfant.
Quelle est douce la souffrance des mères.
On apporte un grand saladier de vin chaud tout fleuri de citrons. La sagefemme soulève l’enfant nu à bout de bras et désigne au centre de son corps le rire des anges.
Le christ dort, l’osier du berceau lui tresse une auréole d’or et ce bout de matelas est un épais nuage.
Une odeur de ventre monte dans l’étable un mélange de chair fraiche de lait et d’aubépine.
Ses yeux sont hermétiquement clos, , la qualité de ses cils défit toutes les finesses, sa petite narine, sa narinette de nacre se recroqueville dans sa perfection .
Un peu de poussière d’étoiles au creux des fossettes trace que l’enfant arrive du lointain.
Jésus dort dans les bras de sa mère, et tous les capodastres du monde s’accordent à manger le soleil pour qu’il n’ait pas trop chaud dans l’étable.
Le Parti pris du capodastre (Joe Krapov)
Le capodastre n’a rien à voir avec le caporal ni avec la science-fiction, les planètes, le ciel, enfin, l’astronomie.
Cependant, notons-le, qu’elle soit lactée ou pas, il aide à bien poser sa voie, pardon, sa voix.
Le capodastre n’est jamais qu’une espèce de pince à linge qui emprisonne à sa façon non pas quelque marcel ou autres pantalons, dessous affriolants pour qu’ils sèchent au vent, mais les six ou douze cordes d’une guitare ou les quatre d’un ukulélé afin que la chanson résonne dans le ton voulu.
Il permet de trouver d’aimable compromis lorsqu’un ténor léger fredonne en compagnie d’un coffreux baryton. Ne cherchez pas "coffreux", je viens de l’inventer.
Je trouve dommage au demeurant qu’il n’en existe pas pour les accordéons diatoniques, de capodastre ! Eux vous limitent et vous condamnent à do et sol, parfois du ré, à mi mineur et la mineur alors que moi, ma foi, rien ne me va si bien que le fa et le ré mineur.
Mais je sais bien qu’ici on quitte la musique pour parler de technique. Ce que c’est que d’avoir un oncle scientifique !
La goutte d’eau qui met le feu aux poudres (Poupoune)
Je venais juste de poser sa bière à portée de sa main. Il l'a attrapée sans me regarder et a dit « Oh chou, tu m'apporteras mon capodastre. »
Ce n'était pas vraiment un ordre, mais ça y ressemblait quand même assez fort.
Déjà, je n'arrivais pas bien à me rappeler pourquoi et comment on en était arrivés à cette espèce de rituel qui consistait à lui apporter une bière dès qu'il descendait au sous-sol pour jouer de la guitare. Pourquoi il ne la prenait pas tout seul, sa bière, vu qu'il descendait les mains vides ? La première fois, j'étais en bas en train d'étendre le linge quand il était descendu et au moment où je suis partie, il m'a dit « Ah tiens, puisque tu remontes, tu pourras me rapporter une bière ? »
Sur le coup, je m'étais dit que oui, bon, puisque je remontais, effectivement… mais en fait ça ne justifiait pas une seconde que je fasse l'aller-retour à sa place.
Depuis, au moins deux ou trois fois par semaine, quand il descendait au sous-sol faire de la musique et sans qu’il ait à demander, je lui apportais une bière. Ce genre de petits trucs que tu fais au départ pour faire plaisir, mais qui finissent très vite par être perçus comme un dû et que tu n’arrives pas à ne plus faire. Et je n’avais jamais un « s’il te plaît » ou un « merci ». Souvent je n’avais même pas un regard, sauf quand il voulait me signifier qu’il faudrait que je parte pour qu’il puisse jouer tranquille.
Le sous-sol était à moitié occupé par son matériel de musique – guitare électrique, amplis et pédales en tous genres – et à moitié par la machine à laver et le séchoir. La musique, c’était pas son métier. Il avait commencé la guitare au lycée, comme tous les garçons un peu moches ou empotés, pour séduire les filles, et il avait continué de gratouiller par habitude, jusqu’à la crise de la quarantaine. Pas assez riche pour la voiture de luxe et pas assez charismatique pour la maîtresse vingt ans plus jeune, il avait décidé de jouer les rockers et s’était mis à acheter tout un tas de gadgets très bruyants qui occupaient donc désormais le sous-sol.
Malgré cet amateurisme total et un manque criant de talent, il se considérait quand même prioritaire au sous-sol et avait là aussi insidieusement réussi à me faire accepter l’idée que s’il jouait, je débarrassais le plancher. La première fois qu’il y a eu conflit, je descendais vider la machine et dès qu’il m’a vue il a dit du ton le plus désagréable possible « Non mais je joue, là ! » alors j’avais répondu « Et moi je bosse. La machine doit être finie ». Sa réponse ce jour-là était une telle cause évidente de divorce que je me demande encore aujourd’hui comment j’ai pu ne pas fuir à cet instant précis. Il a dit « Non t’inquiète, je l’ai arrêtée y a un moment, le bruit me gênait. Tu la relanceras quand j’aurai fini ».
Tu la relanceras quand j’aurai fini.
Il va sans dire que la machine contenait environ cinquante pourcents de fringues qui lui appartenaient et que je n’étais pas rémunérée pour les laver. Encore moins pour attendre que monsieur ait fini pour me taper ses corvées. Quand j’y repense, j’ai vraiment été stupide de ne signifier mon agacement qu’en bougonnant, mais en m’exécutant quand même. Jamais il ne s’est demandé comment je m’organisais pour gérer mon boulot, les courses, le ménage, la bouffe et ses lessives - la fameuse répartition des tâches où, en compensation, il ouvre les bocaux de cornichons, bricole et porte les trucs lourds - sauf les courses, donc. En revanche, moi, je devais m’adapter à ses séances totalement irrégulières de gratouilles.Quelle idiote j’étais, quand même, d’avoir laissé une situation pareille s’installer…
Stupide. Idiote. Bête. Couillonne. D’un coup ça me paraissait évident : globalement notre relation me rendait stupide. Du moins me faisait me sentir stupide. Souvent. Tout le temps. Comme en cet instant précis, où je remontais du sous-sol pour aller chercher le capodastre de monsieur sans avoir la moindre idée de ce que pouvait bien être un capodastre.
J’ai cherché sur internet et en fait c’est bêtement le bidule qui coince les cordes. Je suis sûre qu’il a fait exprès de dire « capodastre » et pas « bidule qui coince les cordes » pour que je me sente encore une fois un peu conne. Pour m’obliger à lui demander ce que c’est et qu’il puisse me répondre avec son petit air condescendant, là. Mais cette fois je ne me suis pas laissée avoir.
J’ai trouvé le machin et j’ai commencé à redescendre pour lui apporter quand je me suis figée à mi-chemin dans les escaliers. Le tuyau qui fuyait depuis une semaine et qu’il devait réparer fuyait toujours. Je regardais les gouttes tomber une à une pour former une petite flaque à mes pieds. La marche et le mur commençaient à être un peu imbibés. Une semaine. Cinq jours de travail. Deux séances de courses. Une dizaine de repas préparés. Trois lessives. Zéro truc lourd à porter. Zéro bocal à ouvrir. Et, donc, zéro bricolage.
J’étais là, comme hypnotisée par ce goutte-à-goutte, son fichu capodastre à la main, à me sentir encore une fois complètement nulle de m’être exécutée sans moufeter pour lui rendre service, quand il a crié « Eh ! Qu’est-ce que tu fous ? » et je l’ai instantanément haï. D’un coup, en bloc, pour toutes les petites humiliations, pour l’asservissement, pour les heures perdues à la cuisine, pour les centaines de marches montées et descendues avec sa bière, pour les lessives à étendre au milieu de la nuit sans bruit parce qu’il dormait après avoir joué de la guitare jusque tard le soir, pour mon dos cassé par ses packs de bières, pas assez lourds sans doute pour que ça bascule dans ses tâches à lui, pour ce satané tuyau qui fuyait…
Je me suis mise sur la pointe des pieds, j’ai levé les bras, évalué la distance… et sauté pour attraper le tuyau. Il était assez gros, mais pas au point de résister à mon poids. Il a cédé et l’eau s’est déversée abondamment dans le sous-sol, directement vers mon guitariste du dimanche. Le temps qu’il réalise qu’il avait les pieds dans l’eau, il était trop tard pour réagir. Il y a eu une première étincelle, une deuxième, et puis un véritable feu d’artifice quand tous ses appareils ont eu l’air d’exploser l’un après l’autre. Pour la première fois, secoué par les décharges, tressautant comme un pantin épileptique avec sa guitare étincelante au milieu du tumulte, il a un peu ressemblé à une rock star sur scène. Mais pas longtemps. Il s’est vite effondré.
Ironiquement, le linge qui séchait n’a ni pris l’eau ni pris feu.
J’ai récupéré mes affaires, bu une bière à sa santé, la première depuis que je ne pouvais pas en ramener assez pour nous deux parce que c’était trop lourd dans mes sacs de courses, et je suis partie.
Je ne vous dirai pas où je lui ai mis son capodastre avant de m’en aller, mais c’était un de ces petits gestes simples, qui ne coûtent pas grand-chose, qu’on ne pense pas toujours à faire et qui, pourtant, font drôlement plaisir.
Monsieur Bongo par bongopinot
Tu piquais la guitare de ton frère
Lorsqu'il n’était pas là
Mais un jour voilà
Il l’a découvert
Il a râlé pour le principe
Mais comme tu jouais mieux que lui
Il a déposé sa guitare sur ton lit
Tu as appris et joué dans un groupe
Tu as fait partie de “Viva la Musica”
Tu es parti en tournée
Sans jamais te lasser
Tu as travaillé avec Papa Wemba
Tu es parti en Belgique puis en France
Où tu as décidé de rester
Et derrière toi tu as tout laissé
Et ici tu as tenté ta chance
Ça fait quarante ans maintenant
Et tu as toujours ta guitare
Et sur la manche un capodastre
Tu joues et enregistres ton chant
Je vis avec toi depuis plus de trente-huit ans
Tu as toujours la musique dans ta vie
Elle t’aide beaucoup aujourd’hui
Quand les jours ne sont pas évidents