Défi #448
Vous n'êtes pas obligé de vous prendre pour
Monsieur Beulemans
Mais parlez-nous un peu
d'Ostracisme
Vous n'êtes pas obligé de vous prendre pour
Monsieur Beulemans
Mais parlez-nous un peu
d'Ostracisme
“Dis, pourquoi les nouilles c'est si long?”
“Parce qu'elles arrivent à pied par la Chine”
“Tu déconnes!”
“J'déconne... c'est juste une contrepèterie”
“Dis, c'est quoi une contrepèterie?”
“C'est un jeu de mots où tu permutes des syllabes ou des lettres... comme dans Auberge de Vendée”
“L'auberge de Vendée? Celle des Sables d'Olonne où t'avais pas arrêté d'draguer la serveuse?”
“Oublie, c'est juste un exemple de contrepèterie”
“Dis sérieusement, alors pourquoi les nouilles c'est si long?”
“Parce que c'est des mille-pattes alimentaires”
“Beurk! Des mille-pattes alimentaires!”
“C'est comme les langoustines, t'es pas obligée de manger les pattes”
“Dis, tu t'ficherais pas un peu d'ma poire?”
“Non! Comment tu crois qu'on fait les nouilles sautées? On les met au bord du plat, on leur tend une carotte, de l'oignon et de l'ail et elles sautent grâce à leurs pattes!”
“Là, tu me mais farcher”
“Hein?”
“Tu me mais farcher”
“Et ça veut dire quoi?”
“Ben... c'est ma contrepèterie à moi”
“C'est pas drôle, ça veut rien dire”
“Ah bon?”
“Dis, c'est vrai que t'es vraiment nouille!!”
Bien que pour moi, ce vocable ait de multiples acceptions, de la nouille alimentaire à l’aspect de certain appendice masculin (dit-on), j’en retiens surtout celle qu’un de mes collègues enseignants galvaudait à souhait, et à répétitions, toujours à l’égard de son fils, qui avait, le pauvret, la malchance de compter au nombre de ces élèves de CM2.
Le collègue en question, qui faisait en même temps office de directeur de l’établissement, ajoutait à une carrure assez imposante un fort accent qu’il tenait de ses origines ariégeoises. Imaginez donc un instant sa réaction, face à ce qu’il jugeait comme une lenteur inacceptable lorsque sa progéniture ne réagissait pas assez vite à son gré, ou bien- situation encore bien plus terrrrible- quand il le prenait en flagrant délit d’une orthographe approximative ou d’un mauvais raisonnement mathématique.
La cour d’école (pas très vaste, il est vrai) séparait ma classe de la sienne, mais régulièrement, surtout aux beaux jours, fenêtres ouvertes, les vibrations tonitruantes des « GRRRAN….DE- NOU….ILLE- » secouaient nos murs. Plus de quarante ans après, j’entends encore ces hurlements qui tenaient, je crois, autant de la frustration de père que du caractère sanguin de celui-ci.
Mes petits CP ne s’y trompaient pas : je surprenais souvent de malins sourires quand la claque verbale : « GRANDE NOUILLE !! » interrompait (ou agrémentait ?) le silence de ma classe.
Faut que tu viennes t’encanailler à Palerme .
Faut que tu viennes chez moi manger des pasta asciutta
Ne téléphone pas viens les mains vides et les yeux ouverts
Sur les voluptés sensuelles du café de TONNINI .
Tu y découvrira tous les visages de l’Italie loin de tes dimanches glacés.
Et d’un geste large , je te servirai les pasta aux anchois
Ma cuisine sera les reflets de mes voyages en Italie intérieure celle qui se cache comme Venise
Sous de multiples masques.
Et puis tu repartiras comme un enfant qui quitte sa mère pour un triste voyage d’étude
La malle pleine de chansons et d’épices .
Faut que tu viennes t’encanailler à Palerme , entre les nouilles à la socca aux écrevisses
Et la pastaciutta au pistou .
Tu arriveras un roseau entre les dents et tu repartiras comme un voleur .
Là, c’est la ferme vue depuis le château d’eau. Bien sûr, on n’avait pas le droit de gravir les barreaux de fer qui menaient à la dangereuse plateforme de la cime, à vingt-cinq mètres de haut. C’est mon père qui a pris la photo. La belle maison de Grand-Père, j’y suis né, et les plus petites autour. Toute la tribu, un clan. Mes parents, mes oncles et tantes et leurs rejetons : Claire, ma grande sœur qui, pour cause de Seconde Guerre, était cinq ans plus âgée que la smala des neuf garçons, frères, cousins. On avait tous des prénoms, bien sûr, mais on nous taquinait par des sobriquets cruels : Grincheux, Limace…
Moi, c’était Boulette.
La famille sortait les coudes serrés d’une souffrance pour entrer dans une autre : Colonie, Algérie, Mitidja. Et moi j’étais trop jeune pour comprendre pourquoi les adultes étaient aussi stupides.
Claire avait grandi d’un coup, comme après une pluie d’avril. Et il lui avait poussé des grandes jambes maigres et aussi des petits seins. Elle allait au collège. Pour nous les gamins, l’institutrice, c’était ma mère avec ses élèves, neuf petits Français. Et six Arabes, les fils et filles des meilleurs ouvriers de Grand-Père. Il en restait soixante autres qui ne sont allés à aucune école…
Après le goûter, dans la cour de la ferme, mes cousins galopaient après un ballon. Samira et moi, dans le sable de l’oued Bou Roumi, on préférait jouer aux osselets ou lire, relire « La dernière classe, Le mauvais zouave… »
— Je connais un nouveau jeu, tu veux essayer ?
Alors, j’avais pincé son menton et lui avais demandé :
— Vas-y, fais pareil. Je te tiens, tu me tiens… Le premier qui rira aura une tapette…
Elle avait levé les yeux au ciel d’un air désespéré.
— Ton jeu, c’est de prendre une claque si tu rigoles ? Elahy… Misère… Viens !
Elle m’avait saisi la main et entraîné sous l’arche du petit pont :
— On va jouer à rire.
Samira avait commencé à pousser des glapissements de chacal et cela, au début, m’avait effrayé puis fait sourire puis rire. Et mes rires, en résonnant amplifiés sous la voûte, avaient transformé ses cris en de vrais rires et, au bout d’un moment, il n’y avait plus rien d’autre que le bonheur de nos rires qui emplissait nos cœurs, la forêt d’eucalyptus et le ciel tout entier, bien au-delà des briques de ce petit pont et de tous ces bruits de guerre.
Un klaxon avait interrompu notre fête. C’était mon oncle sur la route. Samira était rentrée à pied.
Été 1956. On nous a dit que c’était un accident, puisque c’était défendu de monter au château d’eau. Claire était tombée du haut pendant la nuit et le curé n’avait pas voulu dire de messe à cause de la lettre qu’elle avait laissée. Mais je l’avais souvent entendue pleurer dans son lit depuis cette fois où elle s’était fait attraper en rentrant sur la pointe des pieds à minuit passé. Il y avait eu les cris de mes parents : déshonorée… avec un Arabe en plus… attend que le Docteur t’examine… si jamais…
***
On est rentré en Métropole et je ne me suis jamais vraiment accoutumé à cette nouvelle terre sans oued. Et un jour, Maman nous a quittés. Elle allait avoir quatre-vingt-dix ans dont cinquante de remords. Mon fils s’est occupé de vider sa maisonnette à présent en vente. Je n’avais pas le courage de le faire et ne voulais rien garder. Mais il a retrouvé et m’a donné le livre que j’aimais tant dans mon enfance, les « Contes du lundi ».
Quand je l’ai ouvert, une photographie est tombée. Claire dans une partie de jokari avec moi à Tipaza. Au dos, de sa belle écriture, mon père avait inscrit :
« Printemps 1956 – Boulette et la Grande Nouille ».
J’étais ému sans être triste. Peut-être les rires de Samira…
Pantéleon, dit Pâton mettait souvent la main à la pâte pour aider son épatante épouse nommée Patsy . On le disait bonne pâte, certain murmurait qu’il était une vraie nouille vis-à-vis de sa bourgeoise , lui laissant porter le pa- talon
Tous deux tenaient l’unique bistrot-casse croute, d’un patelin situé près de l’accès routier d’un grand port maritime. Ils avaient obtenu du maire, un habitué, la patente de boisson. Ce qui leur amenait une épatante clientèle de bois sans soif.
« Aux Nouilles Fraiches » avait-il mit en bannière ce brave Pâton.
Il avait une réputation pour le rapport qualité-prix, et chez lui régnait une ambiance qui sentait bon le terroir et la bonne franquette
Pour confectionner ses spaghettis aux patelles, la spécialité qui appâtait des gourmands à 20 lieux alentours, il utilisait une patelle* en terre qu’il tenait de son patriarche de grand père dénommé Romulus.
Patelles dans patelle c’était là l’idée originale, peut être plus attractive que le succulent de la recette.
De cette recette il en avait la paternité entière, il l’avait élaborée personnellement.
Il l’agrémentait à sa manière d’une sauce maison qui vous laissait cependant la bouche un peu pâteuse, car il y rajoutait des patate douces un peu collantes..
La vie s’écoulait ainsi entre cuisine et dortoir pour ce couple pathétique .
Mais, patatras, voici qu’un jour de grand vent, un marin au long cours, capitaine de patache, aux gros bras et à l’appétit pa-tagruélique , monté sur deux macaroni * franchi la porte pour vérifier la véracité de la réputation des spaghetti aux patelles,.
Il les aima... un peu beaucoup. Mais surtout, hélas aussi, il aima la femme de Pâton qui avait des formes girondes lui plaisant par sa manière de belle patagonne* aux seins généreux.
Et patapouf, elle tomba dans les bras de ce pataud qui s’exprimait dans un drôle de pataquès, mais avait patentement un charme caché sous ses spirales Rotini *
Le lendemain elle se carapata, avec lui, abandonnant dans le pétrin, sans remord, son trop bonne pâte de Pâton. .
Celui-ci n’avait pas de chatte pour la sermonner.
Il n’avait aucune envie de patafioler* les deux coquins.
Et seul il pleurait sur ses spaghettis aux patelles.
lexicos
*Plat en terre ou métal servant à toutes sortes d'usages`` (
*Habitante de Patagonie
Macaroni tubes minces
*Rotini pates en formes de spirales bien enroulées
*benir
Dans ma prime jeunesse, je ne connaissais que trois sortes de pâtes :
les macaronis qu'on préparait soit gratinés avec jambon et fromage, soit noyés dans le beurre fondu et largement saupoudrés de vergeoise, ce qui donnait une sauce sucrée-salée un brin écœurante qu'on pouvait aspirer à travers le macaroni, produisant de splendides bruits de sucion
le vermicelle et les petites lettres qu'on mettait dans les potages. Avec ces dernières on pouvait tenter d'écrire son prénom sur le bord de l'assiette (et plus si affinités)
De nouilles, il n'en était question que dans une chanson de marche pour colonie de vacances ou boys-scouts plus ou moins attardés :
"Dans la troupe, y a pas d'jambes de bois,
Y a des nouilles, mais ça n'se voit pas..."
Cette mauvaise réputation des nouilles peut faire supposer que les cuistots de ces colonies ou camps étaient eux-mêmes des nouilles pas foutues de cuire les pâtes al dente, ce qui a pour effet de les rendre collantes et molles (en plus de transformer une grande partie de leurs sucres lents en sucres rapides et de favoriser ainsi l'obésité ambiante).
Chez nous, nous n'employions généralement pas "nouilles" au sens étendu de "pâtes", comme c'est souvent le cas en France, nous nous limitions au sens de pâtes longues et plates comme les tagliatelles. Quoiqu'aujourd'hui avec l'invasion des plats préparés et des cuisines orientales, nous ayons tendance à pédaler dans la semoule (de blé dur bien sûr).
Mais j'imagine que vous vous en foutez...
Eh bien, moi aussi, je ne mange que des linguine alle vongole (et sans tomate encore !).
Les nouilles de mon enfance
Avec jaunes d’œuf et gruyère
Préparées par ma grand-mère
Avaient un goût de vacances
Dès notre arrivée on avait droit
A une platée de bonnes nouilles
Pour nous un plat de roi
Avant nos escapades, nos vadrouilles
Souvenirs de déjeuners entre cousins
Le ventre repu on allait jouer
Dans un petit coin du Limousin
Où les gens étaient tous dévoués
Ces moments avaient des saveurs de fêtes
Avec les petits alphabets dans l’assiette
Et parfois de drôles de coquillettes
Et on n’en laissait pas une miette
Et pour nous surprendre des papillons
Et puis les éternels spaghettis
Ou du vermicelle au court-bouillon
Et sans oublier les macaronis
Et qu’elles soient chinoises ou italiennes
C’était toujours de la bonne tambouille
Et notre grand-mère était une reine
Et disait « avec les nouilles point d’embrouille »
N ous les regardons, sidérés, avec l’appétit qui retombe :
O n dirait un plâtras épais de gélatine anglaise molle,
U n enchevêtrement pervers d’asticots qui feraient la bombe,
I gnorant qu’au dos des affiches est destiné le pot de colle.
L es mollassonnes, les nigaudes ne vont pas pointer chez Engie ;
L es niaises ont leur blancheur de dindes de Bressuire !
E lles sont le maître étalon, par plats, du manque d’énergie
S urtout lorsque le maître-queux, distrait, les a laissé trop cuire.
En Champagne, comme ailleurs je pense, mon paysage de pâtes d’enfant sage est constitué de cheveux d’ange et des pâtes en forme de lettres de l’alphabet, du vermicelle dans du lait et des coquillettes.
Lorsque j’ai quitté mes parents pour la première fois pour une chambre de bonne au sixième étage (sans ascenseur, toilettes sur le pas de la porte, pas de douche bien-sûr) à Paris, j’avais juste un butagaz (interdit) pour faire la cuisine, c’était assez rudimentaire. Faisais-je des pâtes ?
J’en ai cuit dans mon deuxième appartement car j’étais un peu mieux équipée : une cuisinière, un four. Je mettais des pâtes dans un plat, des œufs et du gruyère et je faisais gratiner le tout au four. Mon plat de Reims.
J’ai du manger des pâtes chez des copines (j’en avais peu) et chez des copains (j’en ai eu pas mal) mais je me souviens plus de ce qu’on buvait que de ce que l’on mangeait…
J’ai toujours eu des chéris cuisiniers, des hommes qui n’avaient pas besoin de femme pour s’occuper d’eux.
Avec mon mari, nous avons découvert les ravioles dans la Drôme où nous avons vécu et dans l’Isère voisine d’où elles sont originaires, je crois. Allez à Romans voire le paysage et manger des Ravioles. Je n’en trouve plus en paquets mais fraîches en plaque, elles sont très bonnes.
Al dente, surcuites ou bien en collier,
au sens général ou particulier,
chinoises, italiennes, japonaises,
allemandes, vietnamiennes ou françaises,
ou même à la crème d'andouille,
parlez-nous des Nouilles !
Je suis née dans les paysages de Champagne
Entre coteaux charmants et plaine monotone
Je suis née dans une ville dont les contours
Forment en pétillant un bouchon de champagne
Je suis partie dans la seule région de France
Où il n’y a, il me semble, aucun cépage
Mais où les yeux des gens pétillent
Pour vous accueillir autour d’une bière
Je suis descendue, comme on dit, dans le sud
Celui des Pyrénées et du rugby, l’ouest du sud
J’ai bu les vins du Languedoc et des Corbières
Des côtes du Roussillon aux Costières de Nîmes
Je suis remontée, comme on dit, dans le centre
Où j’ai goûté, dans le sens premier du terme
Les vins du Forez, ceux de la Loire
Pas celle des châteaux mais de Saint-Etienne
J’ai quitté la France et ses paysages vinicoles
Pour le Maroc où les français ont planté leurs cépages :
Grenache, le Carignan, le Cinsault et l'Alicante
De Berkane à Meknès, De Boulaouane à Benslimane
Si je ne suis pas fan des vins liquoreux comme en Dordogne
Le Monbazillac ou le Porto que je buvais avec ma grand-mère
Je chéris chaque instant passé à boire un verre
Avec une personne et / ou un paysage que j'aime
Tout a commencé du côté de Rouffignac-de-Sigoulès, en Dordogne. Comme chacun le sait, cette jolie commune se situe entre le Bergeracois et le Périgord pourpre. Elle est cernée, à l’ouest, par la rivière Gardonnette, juste après le lieu-dit Pissegasse et, à l’est, par le ruisseau de Fontindoule qui prend sa source au lieu-dit Tabardine, derrière le château de Bridoire. Au nord, s’étendent de vastes champs de vigne, tandis qu’au sud, par temps clair, on peut voir jusqu’à Marmande-le-Haut.
Au XIVe siècle, après quelques sièges et quelques pendaisons, c’est le seigneur Balintran de Zillac qui détrôna le seigneur de Flaugeac et qui prit sa place au château de Bridoire. Les terres alentour lui revinrent ainsi que tous les habitants des contrées sous sa coupe.
Entre deux batailles, sans son armure de guerroyeur, il aimait se balader seul, le long du ruisseau de Fontindoule ; à l’abri des regards, il cueillait quelques fleurs, il les respirait longuement pendant des soupirs de poète énamouré. Dans l’immense sérénité de la Nature, il regardait les truites se précipiter sur les éphémères inconscients, les libellules posées sur les roseaux pensifs, les nuages boursouflés se réfléchissant dans l’onde et il brouillait leurs grimaces monstrueuses avec des ricochets adroits…
Madeleine la Queyrille, la fille aînée d’un vigneron, ne tarda pas à tomber sous le charme de ce fier chevalier à la côte de maille si friable. Elle s’arrangeait toujours pour se retrouver dans le champ de promenade du jeune seigneur. Avec des sifflements de merlette, des chansons de mésange et des refrains de fauvette, elle sut l’apprivoiser. Chenu comme un cep de vigne, bon comme le vin, parfumé telle une grappe tiède, le teint liquoreux, il ne tarda pas à tomber dans la hotte de la belle vendangeuse ; sous les petits pieds de son pressoir, bien vite, il lui avoua tous ses arômes…
Dans l’intimité de la cave, entre « sarments » d’Amour, ils trinquaient à bouche que veux-tu ! Aux degrés de son ivresse, elle l’appelait Bazillac, la contraction de Balintran et de Zillac, et quand elle gueulait tout son plaisir, on entendait des « Vas-y, mon Bazillac !... Vas-y, mon Bazillac !... » des « Essore-moi la grappe, mon chevalier téton !... » des « Ma vigne est crépue !... Refends-moi de ton cep, mon « pieu » viti-cul-buteur !... » ou encore des « Remplis ma dame-jeanne ; que tes efforts ne soient pas « vin !... ». Le Monbazillac, l’heureux susnommé en question, en pleine ascension de son orgasme, prononçait des « Millo-dioùs* !... » nerveux, en tentant de ne pas déjanter dans les virages…
On entendait tout ça, des meurtrières aux échauguettes, des chemins de ronde au donjon, et jusqu’aux oubliettes ! C’était soûlant, tout ce bonheur des corps, sans un seul pépin ! Les délaissés des culs de basses-fosses faisaient la grève de la soif !... Les tonneliers avaient des chansons de matelassiers !... Ses musiciens ne jouaient plus que du branle !... Cépage, non… ses pages avaient tous les yeux cernés !... On bouchait même les oreilles des enfants pour ne pas les corrompre avec leurs cris de Sauvignon !...
A force d’entendre ses exploits de galanterie, en clins d’yeux connaisseurs, ses vieux vendangeurs, ceux qui avaient de la bouteille, appelèrent la future récolte, toutes les suivantes, et jusqu’à nos jours, le vin de sa treille : le Monbazillac. Inutile de vous dire qu’on n’en fit pas du vin de messe…
Millo-dioùs : Mille Dieux en Occitan. Ne pas confondre avec mildiou (Plasmopara Viticola), maladie de la vigne…
- Pétula chérie, n’aurais-tu pas vu mon bazillac ? Je le cherche partout !
- Ca commence à devenir énervant, Alois, ta manie de tout oublier tout le temps ! Un jour tu égares khangelsk, le lendemain tu perds nambouc… As-tu regardé sous ton bouctou ?
- Oui mais il n’y est pas.
- Et dans ta nanarive ?
- Non plus.
- Je ne sais pas, moi ! Où tu le ranges, d’habitude, ton bazillac ?
- Entre mes rignacs et mon télimar. A moins que ce soit entre ma zamet et mon talembert ?
- Ecoute, Alois, c’est à chacun de gérer sa marcande et son derborg, tu ne crois pas ?
- En même temps, si tu ne laissais pas traîner partout tes saloniques, ta rascon et tes gucigalpas, on s’y retrouverait un peu plus, tu ne crois pas ?
- Je t’en prie, ne te mêle pas de ma lakoff, de mes roberts ou de mes idoncanons ! Parce que ton quédec à toi, il faut voir !
- Voyons, Pétula, calmons-nous et réfléchissons posément. Je suis sûr de l’avoir laissé ici hier soir. Est-ce que… Est-ce que tu pourrais te lever un instant ?
(Elle se lève de son siège)
- Mais enfin Pétula ! Tu es assise sur Mon cuq en quercy blanc ! Ca faisait trois jours que je le cherchais !
- Désolé, Aloys, je ne l’avais pas vu. J’espère qu’il n’est pas trop froissé ?
- Lui pas, mais moi si !
(Il sort en claquant la porte)
***
Un peu plus tard.
- Dis donc, Alois, ton bazillac… C’était bien ce liquide jaune extrait de la pourriture noble du raisin et il se trouvait bien dans une jolie bouteille ?
- Ben… Oui, évidemment !
- Alors je l’ai retrouvé ! Enfin, je sais où il est ! Ou plutôt, où il n’est plus ! On a sifflé le litre hier soir avec ma lataverne et ma licorne pendant que tu étais à ta manrasette !
Lorsque j'étais en rhétorique (c'est à ce genre d'expression qu'on comprend que mon âge est déjà bien avancé), j'ai participé à un concours organisé par une fondation de défense (et illustration) de la langue française et, bien sûr, j'ai figuré parmi les lauréats, ce qui prouve que j'écrivais vachement mieux alors qu'aujourd'hui.
Le prix consistait en un séjour d'une semaine à Paris.
Comme la chose avait été organisée entre des Belges et des Français, il y avait forcément eu un twist linguistique quelque part et les Français chargés de nous recevoir et de nous piloter et qui s'attendaient à voir débarquer un groupe de profs de français sont tombés sur une bande d'ados ce qui n'a pas manqué de les surprendre.
Mais tout était déjà (parfaitement je dois le souligner) organisé et nous avons eu droit à la totale, je cite dans le désordre et en en omettant beaucoup : le musée de l'Homme, le palais de la découverte, le planétarium, la tour Eiffel, Henri IV de Pirandello au TNP de Vilar encore logé à l'époque dans le Palais de Chaillot, les installations du Figaro (bélinographe, linotype, marbre, rotatives), le musée Grévin, les Archives nationales, les toits de Notre-Dame, les usines Renault encore sur leur île Seguin à Boulogne-Billancourt, Henri Tisot imitant de Gaulle dans l'autocirculation au Caveau de la République, du théâtre avant-gardiste dans un bistro rive gauche, des chansonniers, la cafeteria du Lido, des lentilles (les premières de ma vie) au restaurant universitaire, le Louvre (désert), Claude Luter à la Huchette, les flics avec mitraillette (déjà) sur les quais du dernier métro à Levallois (nous logions à la Maison des Jeunes de Courbevoie), le Sacré-cœur et son funiculaire, le Clairon des Chasseurs de la place du Tertre...
Et le Monbazillac dans tout cela? M'apostropherez-vous brutalement...
Sur le zinc d'un bistro de Versailles, en descendant de la plate-forme arrière d'un autobus brinquebalant (vous savez avec le contrôleur et sa chaîne avec poignée pour chasse d'eau...), avant la galerie des glaces, la chambre du Roi et les grandes eaux (les fallait bien pour éliminer le sucre...)
J’avais supporté du mieux que j’avais pu les mille injustices de Nanardo ; mais, quand il en vint à l’insulte, je jurai de me venger. Vous cependant, qui connaissez bien la nature de mon âme, vous ne supposerez pas que j’aie articulé une seule menace. À la longue, je devais être vengé ; c’était un point définitivement arrêté ; — mais la perfection même de ma résolution excluait toute idée de péril. Je devais non seulement punir, mais punir impunément. Une injure n’est pas redressée quand le châtiment atteint le redresseur ; elle n’est pas non plus redressée quand le vengeur n’a soin de se faire connaître à celui qui a commis l’injure.
Certes, ce Nanardo, ivrogne et goinfre, fut une cible facile, je vous le concède, volontiers. Toutefois, l’énormité de son crime méritait une correction sévère, une correction que seulement moi, sa victime, saurait réaliser, alors, je pris toutes les précautions : il ne soupçonnait rien. Je devins son meilleur ami, un camarade de la coupe, comme on disait. Et un beau jour après plein de nuits bourrées, je lui fis savoir que je venais de recevoir une superbe bouteille de Monbazillac.
Je me souviens de ses yeux quand je le lui racontai. Ils luisaient comme une flaque d’eau de vie versée sur un comptoir par un barman paresseux. La bave imperceptible montait à ses lèvres, et ses bajoues de porc rougeâtres tremblaient d’anticipation.
- Vous et moi, on se le goûtera ensemble, n’est-ce pas, Nanardo ? lui fis-je dans une voix moelleuse.
- Euh oui, oui, oui, il faudra se le goûter, très certainement, bredouilla-t-il.
- Mais vous, vous êtes déjà éméché, Nanardo, ce serait peut-être une erreur de boire ce vin exquis quand vous ne savez pas l’apprécier. Revenez demain, à jeun, et puis on se fera des gâteries…
Le feu s’éteint immédiatement dans ses yeux de porc. Mais il me connaissait assez pour savoir que j’étais formel. Alors, le lendemain, il revint, tellement sobre que je le regrettais presque. Malheureusement, sa cohérence était fondamentale à sa punition. Alors, j’étouffai ce petit lancement moral. J’aurais ma vengeance…
Le lendemain, il parut à l’heure convenue. Je l’invitai à s’asseoir. Je notai qu’il le fit difficilement. Je savais qu’il voulait vraiment m’arracher la bouteille afin de la porter à sa bouche et la vider d’un trait. Je vis, non sans plaisir, ses mains qui tremblaient d’envie. Il avait raison. Un bon verre de Monbazillac, douce comme une demoiselle timide, est un des plus grands plaisirs de la vie, mais pas plus que celui dont joui un vengeur.
Je pris pitié sur mon compagnon, et je lui versai un petit verre, de taille correcte, afin qu’il ne se doute de rien.
Il le prit et attendait que je remplisse mon propre verre. Je refusai. « Non, non, mon ami, cette dégustation est pour vous et pour vous seul. Je me retins simplement le plaisir de vous contempler en train de boire. »
Tout comme prévu, il le but avidement et tendit son verre pour en reprendre. Je me demandais s’il l’avait même goûté dans sa hâte.
Et puis, son visage me dit que ses papilles sevrées ne le trompaient pas.
- Comment est-ce que vous le trouvez, cher ami ? lui murmurai-je ?
- Euh, à vrai dire, eh ben…
- Eh ben ?
-Eh ben, votre Monbazaillac, j’hésite à vous le dire, cher ami, mais votre Monbazillac, euh…ça a un sacré goût d’urine.
- Un goût d’urine ?
- Bah oui, d’urine…mais sucré, quoi.
- Ah. D’urine ! Mais parfaitement, mon ami ! C’est normal !
- Normal ? Comment ça, normal ?
- Bah, vous savez bien, cher Nanardo, vous avez dû oublier…vous savez bien que je suis diabétique.
Toute petite enfant, quand j’entendais prononcer « Montbazillac » par mon père, je savais qu’il y avait un évènement marquant à la clé. Je savais bien qu’il était question d’un vin. Qu’avait-il donc de si différent des autres, pour que mon père le prononçât avec un accent de pure délectation ?
Je ne crois pas qu’il fut jamais un grand connaisseur, ni un grand amateur, mais ce vin, moelleux à souhait, convenait tout à fait à son palais essentiellement sensible aux pâtisseries et sucreries en tout genre.
Aucun évènement jugé important, aucune fête familiale n’échappait au partage d’un Montbazillac dont il surveillait scrupuleusement l’approvisionnement régulier.
J’ai eu droit, sûrement encore plus jeune que dans mon souvenir( !), au biscuit trempé dans un verre de ce vin liquoreux à la robe mordorée.
J’y ai sans doute goûté trop jeune, j’apprécie guère le Montbazillac, je consens juste à sa consommation avec un bon foie gras.