Les Fonds de tiroir
Ce n'est pas toujours commode d'être taillé comme une armoire à glace. Surtout quand on n'a rien dans le buffet et, qu'on vous demande, comme ça juste pour voir, de vider vos tiroirs. Ben oui parce que les tiroirs vous semblent bien bas dans ce cas-là... C'est qu'on peut se voir tout seul dedans (quand on est une armoire à glace) mais quand on ne supporte plus sa tronche, ça dégénère forcément... Ca déménage.
Vous avez beau en faire les fonds (de vos tiroirs), vous êtes au bout du rouleau. Vous n'êtes plus vraiment un tiroir-caisse... vous êtes tellement fauchés. Sans blé. Complètement moissonnés. Il vous reste juste une tige sur la lippe et un épi sur la tête. Vous êtes obligés de réclamer du feu car vous n'avez plus la moindre étincelle, pauvre petit marchand d'allumettes que vous êtes.
Et pas de bol, il n'y a plus rien dans le vaisselier non plus. Pas la peine de remettre le couvert, vous n'êtes plus dans la fourchette et encore moins dans votre assiette (fiscale). Tout ça est plutôt louche... Retournez à la soupe populaire.
Souvenez-vous, dans le temps, vous aviez un trois pièces, et dans l'une de ces trois pièces, vous aviez une bibliothèque. Dans votre chaos, vous l'aviez mise KO au treizième round. Faut dire que depuis Sartre, elle avait plutôt la nausée, votre bibliothèque. Même si elle était votre rayon de soleil, ce fut bien vite l'hêtre et le néant. Pour votre fin faudra tout de même prévoir du pin. Sinon au lieu d'Elise ou la vraie vie, ce sera la fausse communale...
Ah oui...
A cette époque, je me souviens que je pouvais encore jouer au secrétaire... courant à droite, à gauche, en ligne droite, pour faire signer à mes collègues leurs congés d'été ; tapant sur une olivetti des rapports, des factures, des courriers sans suite, des compte-rendus inaboutis ; passant des coups de fils de Paris à Brest, D'annecy à Rocamadour... J'en avais plein les tiroirs en ce temps-là !
Des trombones glissés en coulisse, des stylos billes, des stylos quatre couleurs, des crayons papier, des bâtons de réglisse mâchouillés, des gommes efface-tout, des gommes à mâcher, de l'encre de Chine bien noire, des pastilles valda, une plume d'oie d'un autre âge, des ciseaux à bouts ronds, des ciseaux spécial gaucher, une boîte de cachous Lajaunie, une agrafeuse et sa réserve d'agrafes baby sagement rangée dans sa petite boîte en carton, des stabilos boss (la plupart jaunes), un coupe-papier, un ôte-agrafe, de la colle en tube et en petit pot au goût d'amande douce, des élastiques aux diamètres anarchiques, du papier buvard, un peigne fin, des chemises cartonnées, du papier calque, du papier millimétré, un porte-clé Gaston lagaffe, des intercalaires couleur, un dictaphone, des sous-chemises en papier gaufré, des mini-cassettes, un bloc-note, un cutter orange et quelques lames dans un étui en plastique, un vieux tournevis tordu, du blanco, une cocotte en papier, de l'huile de coude, des mots fléchés d'Alain Bonhomme (force 3-4), quelques sachets de thé Darjeeling ou de tilleul miel, un sucre dans emballage coloré, un compas et sa réserve de mines personnelles, un petit rapporteur inutile, deux ou trois Ouest-france du mois en cours, un double-décimètre, une vieille équerre en bois, quelques pointes, vis et boulons, un mars, des cartes de visite, du papier à lettres, des enveloppes aux formats divers, des coins de lettre, un marqueur noir et un marqueur rouge, une carte de voeux, un mini-bloc de post-it, un sifflet, un dé à coudre, quelques aiguilles, une loupe, de la ficelle, un tampon-encreur, un composteur, deux ou trois chiffons plus ou moins propres, un calendrier perpétuel, une cuillère en plastique, un paquet de kleenex mentholés, un annuaire téléphonique au format A5, un pinceau, une brosse, des pochettes plastiques, un vieux plan de métro parisien, du white spirit, un taille-crayon, un rouleau de scotch transparent et son dérouleur grisâtre, une bouteille d'eau minérale, trois tubes de gouache, des dossiers volants...
Quelle opulence quand j'y pense !
Que voulez-vous donc... Aujourd'hui, mes tiroirs restent dans le noir, vides de toute histoire. Je ne dirai rien, vous avez beau me faire chanter, je n'ai plus de coffre depuis longtemps... Au temps du bac, j'avais bien un bahut mais depuis toutes ces années, je l'ai perdu. Je n'avais pas de place où le ranger.
Je n'ai plus rien. La société s'en fout ! Elle a raclé mes fonds de tiroir et m'a jeté sur le trottoir.
Depuis je fais un carton sous les ponts ou dans les caniveaux, ça meuble mon temps. Maispas l'espace. L'espace, c'est la rue. La vie au grand air ! nauséabond... Aux grands airs teRRiblement désolés... Mais ne vous inquiétez surtout pas, car l'Etat gère.