Ont démasqué le fantôme
Papa (Thérèse)
À sa sortie de l'hôpital, il avait été décidé pour Papa qu'une aide serait nécessaire pour son retour à la maison. C'est ainsi que chaque matin, quelqu'un venait pour l'aider à faire sa toilette.
Malgré tout, je continuais à y aller régulièrement, n'hésitant pas à dormir là-bas certaines nuits pour veiller sur mes parents.
Bon an, mal an, les années continuaient à passer et j'aidais du mieux que je pouvais Maman qui commençait à fatiguer. Papa m'appelait très souvent dans la journée quand il avait des soucis ; il savait qu'il pouvait compter sur moi et il me faisait entièrement confiance : je l'aidais alors à se changer quand il avait ces accidents récurrents. Parfois il se mettait à pleurer en me disant "Je ne suis plus bon à rien" : il ne supportait plus cet état de dépendance. Il m'expliquait aussi des choses intimes qu'il n'aurait pas dit à Maman : il savait qu'elle se mettrait en colère pour une raison ou pour une autre. Le soir, il fallait l'aider à enfiler son pyjama et à se coucher. Et chaque fois il me disait merci, des larmes dans la voix.
Puis vint ce funeste samedi matin... Il tomba sans un mot pour ne plus jamais se relever. Les pompiers appelés à la rescousse ne purent rien faire. Son dernier vœu était exaucé : il avait dit, la veille au soir, à maman "Quand est-ce que je vais m'en aller là-bas !?", ce qui avait d'ailleurs déclenché une dispute, maman ayant très mal réagi.
Tandis que ma sœur était venue de Paris pour assister notre mère à son tour, j'étais repartie chez moi car je devais me rendre au travail le lendemain matin.
Ce jour-là devait rester gravé dans ma mémoire. A 7h, je me réveillai en sursaut : j'avais entendu très distinctement la voix de papa qui m'appelait, comme à son habitude quand il avait un souci. Mais cette fois, c'était beaucoup plus fort, plus impérieux. Je me levai, complètement sonnée, et partis au travail avec un sentiment de malaise profond. Malgré tout, ce fut plus fort que moi : j'envoyai un message à ma sœur pour lui expliquer mon réveil subit et cet appel qui résonnait encore à mes oreilles. C'est alors qu'elle m'expliqua ce qui s'était passé : Maman, ce matin-là, avait explosé de rage, de douleur. Son chagrin s'était transformé en colère. Désemparée, elle était entrée dans la pièce en furie, là où Papa reposait, et s'était mise à l'invectiver avec de grands cris. "Pourquoi tu es parti ? Pourquoi tu m'as abandonnée ? Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?" Ceci se passait à l'heure exacte de l'appel de Papa qui m'avait réveillé. C'est ensuite que Michèle s'est rendu compte qu'il avait bougé. Ses bras, auparavant croisés sur sa poitrine, s'étaient dénoués. Elle a cherché à les replacer mais sans succès probant.
Plus tard, l'après-midi s'acheva avec la mise en bière.
Papa, où que tu sois, j'espère que tu es bien et que tu as enfin trouvé la paix.
Autant en emporte le plat : Épisode Sept [embre arrivera la semaine prochaine] (joye)
L’histoire jusqu’ici : http://samedidefi.canalblog.com/archives/joye/index.html
Après le poum-alakazoum de la superbe princesse-fée, Émilie, Hammour, Garceline, et Fanfan se frottèrent les yeux.
Devant eux, ce n’était plus Vonceralet, le pauvre nain grincheux et généralement méprisé, mais plutôt la silhouette bien agréable d’un homme charmant et spirituel, accompagnée d’un petit chien blanc.
- Mais ! qui êtes-vous ? s’écria Garceline, pas pour la première fois dans cette saga. Vous n’aurez pas loupé, cet été, si vous avez tout lu, que cette prétendue héroïne manque sévèrement d’originalité, ce qui est souvent le propre des héroïnes dans les romances, mais passons, parce que sinon, on n’arrivera jamais à la fin de cet épisode, et puisqu’il n’y en aura plus qu’un seul pour tout terminer avant le deux septembre, alors, bon, en voiture, Simone !
- Oui, qui êtes-vous ? s’écria Hammour, qui lui aussi, souffrait du même manque d’originalité que Garceline, mais lui, au moins, et à son crédit, était musclé et masculin.
Fanfan, la marionnette – au cas où vous l’avez oublié – ne dit rien. Lui aussi se fatiguait de cette histoire, et il ne croyait pas que l’auteure allait le restaurer à sa forme humaine, avant la fin, elle n’est pas quand même Oualte Diznée, alors, il se tut.
- Eh bien, rit l’homme, avant que je ne vous dise qui je suis, il faut répondre à cette question : Croyez-vous aux fantômes ?
- Non ! répondirent Hammour et Garceline d’une seule voix. Fanfan hocha sa tête avec raideur. Que voulez-vous, c’était une marionnette faite de bois, il hocha sa tête alors avec raideur. Noméo, il y a comme des pinailleurs dans le monde littéraire, franchement.
L'exquise fée-princesse rit gaiement. Il ne faut pas oublier qu’elle figura elle aussi dans ce chapitre, même si elle n’eut pas de répliques.
- Très bien, dit l’ex-Vonceralet devant eux. Je suis…
Mais avant qu’il ne pouvait terminer sa phrase, le petit chien blanc s’échappa de sa laisse et partit au courant.
- Yipyipyipyipyiiiiiiiiiiiiiiiiiip ! aboya le chien. Fanfan se fâcha. Même le chien eut plus de répliques que lui cette semaine.
- Oh mince ! cria l’homme dont vous ne connaissez pas encore l’identité. Le chien ! Suivez-le !
~ À suivre pour la fine fin de la saga à samedi prochain ~
Le gant Mapa (Vegas sur sarthe)
Pour mon 469ème défi j'avais décidé de rencontrer un revenant ou une revenante.
Je n'étais pas difficile et puis les revenants ont-ils vraiment un sexe? Ceux qui en ont approchés ont-ils eu la curiosité d'aller voir jusque là?
Tant qu'à en voir un, je préférais que ça en soit une alors j'ai fait les petites annonces et j'ai filé rancard à une dame blanche un samedi soir après 20 heures car elle bossait comme dame pipi à l'abbatiale Saint Paul de la Couture.
La dame blanche habitait dans le vieux Mans – si tant est qu'un revenant puisse habiter quelque part – dans la cité Plantagenêt là où un certain Geoffroy plantait du genêt dans sa coiffure pour aller à la chasse.
Dire que la cité aurait pu s'appeler Plantaforsythia... les manceaux l'ont échappé belle, bref.
La White Lady comme on lit dans les dépliants en angliche s'appelait en fait Reine – Reine Blanchard née Bérangère – comme gravé sur sa plaque à côté de celle d'un courtier en assurances, un dénommé Richard Queurdelion dont il me sembla avoir déjà entendu parler, bref.
Ma Reine avait des milliers d'heures de vol et cachait ses mains ridées sous des gants en plastique.
"Je terminais ma vaisselle" dit-elle en refermant la porte... parfaitement, ma revenante ouvrait et fermait les portes et faisait la vaisselle comme vous et moi, enfin comme vous pour la vaisselle.
Je la suivis dans une pièce étrange qu'on nomme cuisine.
C'est vrai qu'elle était blanche, pas la cuisine mais ma Reine – la légende ne disait pas que des bêtises – elle était même livide, cadavéreuse, déterrée, éteinte, enfin vous choisirez.
"Vous seriez pas malade?" osai-je en restant à distance respectable.
"Non" dit-elle d'une voix blanche "je suis toujours comme ça après 20 heures".
Alors elle se sentit obligée de me raconter sa vie, son enfance chez les Navarro – pas les indiens mais les basques de Pampelune – une soeur qui s'appelait Blanche pour entretenir la confusion, puis une belle-doche autoritaire et par dessus le marché un mari aux amitiés particulières devenu courtier en assurances et qui n'avait même pas été capable de lui fabriquer un moutard.
"Vous avez dû voir sa plaque sur la porte, c'est tout ce qu'il en reste" dit-elle en tendant le bras.
J'avais reculé instinctivement, évitant le gant Mapa.
"Ca tache pas" dit-elle avec un sourire édenté "c'est du Paic citron... j'utilise que du Paic citron et du savon de Marseille pour la lessive... ça lave plus blanc"
J'allais lui faire remarquer que son Paic citron contient des tensioactifs, véritables saletés pour l'environnement mais je n'étais pas venu pour parler écologie.
Je tentai une question :"Et ça fait quoi de revenir quand on est partie depuis si longtemps?"
Elle parut étonnée :"Longtemps? C'est quoi longtemps? Mon queutard de mari n'est mort qu'en 1199"
Je bredouillai :"Excusez-moi madame... euh... Blanchard mais on est au XXIème siècle"
"Appelle-moi Reine" dit-elle en me forçant à m'asseoir contre elle.
Elle était froide, blanche et froide comme un roti de porc oublié au frigo avec une abominable odeur citronnée.
On était là tous les deux, loin des Navarre, des croisades à la con et d'Alienor sa belle-doche acariâtre qui aimait les troubadours et les angliches qui roulent à gauche.
"Le mariage, c'est une belle connerie" soupira t-elle en me prenant par l'épaule "c'était bien la peine de m'emmener à Chypre pour se faire dessouder 8 ans plus tard... "
Je profitai de ses points de suspension pour m'écarter tout à fait.
Elle soupira encore :"On vous fait si peur que ça, nous autres les revenants pour que vous vous écartiez toujours ainsi?"
Elle avait encore blanchi, elle était presque transparente au point que je ne voyais plus que ses gants à vaisselle.
Je ne sais pas pourquoi j'ai eu envie de lui serrer la main... elle était molle et collante et le gant m'est resté dans la main. On a beau faire attention, on a toujours peur de casser quelque chose en touchant un revenant.
Elle comprit que j'allais partir :"Reviens quand tu veux"
Je ne sus que répondre :"Euh... d'habitude c'est vous qui revenez"
Elle eut un pauvre sourire comme je repassais la porte, on avait dû lui faire la blague un peu trop souvent.
Dehors la plaque de Richard Queurdelion brillait de mille feux et je me sentais finalement assez fier de mon 469ème défi.
Vous y croyez vous, aux fantômes? Moi j'y crois. C'est pas donné à tout le monde de possèder un gant Mapa du 12ème siècle.
ECRIRE A RIMBAUD ? 5, Fantôme (Joe Krapov)
Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière
08000 Charleville-Mézières
Mon cher Arthur
« And is this that you want,
to live in a house that is haunted
by the ghost of you and me ?”»
Leonard Cohen encore !
Cette semaine on me demande si je crois aux fantômes. Sans doute que la réponse est oui. Sinon que serais-je allé faire dans la «Maison des ailleurs», cette demeure où tu habitas, en plein Charleville, sur le bord de la Meuse, face au moulin et le dos tourné à la place ducale cent mètres derrière.
Il y régnait une atmosphère fantomatique, liée aux éclairages choisis, aux plans des villes que tu as visitées dessinés à même le parquet et surtout aux étranges vidéos conçues par des plasticiens contemporains.
Je suis actuellement coincé par la pluie dans un camping tout près de Dieppe. J'y termine la lecture du «Temps des assassins», un livre consacré à toi par Henry Miller, un écrivain priapique de l’admirant-idole. Je déduis de ses phrases que chacun de nous à son Arthur Rimbaud ou son fantôme d’Arthur qui le hante à jamais. Mon projet n’étant pas de dévoiler le mien – ça ferait bien suaire mes lecteurs et lectrices, je pense – je vais plutôt te parler ce jour d’Arthur le fantôme. Ca me permettra d’évoquer mes propres limbes et de vagabonder en icelles.
Arthur le fantôme ! Il s’agit d’une bande dessinée, d’un récit en images si tu préfères, dont la publication a commencé en 1953 dans un hebdomadaire destiné à la jeunesse et intitulé « Vaillant, le journal le plus captivant ». Le créateur de la série «Arthur le fantôme justicier» s’appelait Jean Cézard.
Arthur est un ectoplasme aux formes arrondies, enfin pas trop au début, qui n’a que deux boulets de charbon à la place des yeux dans le visage, qui a une houppette en guise de cheveux et, à la place des jambes, une espèce de queue. Oui, un peu comme Henry Miller. Ou comme toi, Arthur, à la fin de ta vie : un fantôme sans jambes.
Arthur, à ses débuts, est doté d’un papa et d’une maman ! Il habite avec eux un château moyenâgeux à l’abandon dans une sombre forêt - les Ardennes ? -. Histoire de coller encore plus la frousse – «les miquettes» comme dit Alexandre Astier qui joue le rôle du roi Arthur dans «Kaamelott» – aux gamins, Cézard leur apprend le mot «oubliettes» en en dessinant à l'occasion. Il leur faudra attendre la leçon d’histoire sur les cages de Louis XI pour découvrir que le pouvoir rend cruel et con celui qui le possède. Mais ne nous égarons pas dans le labyrinthe, nous risquerions d’y rencontrer le Minotaure, çui-là qui tord les minots et leur dit «Thésée vous ou sinon vous allez perdre le fil de la fusée Ariane et du récit d'oncle Krapov».
A part le premier gag en une planche, les aventures d’Arthur dans le journal Vaillant constituent un long récit de 366 pages qui paraît à raison d’une page par semaine. Chaque planche contient une douzaine d’images, en noir et blanc au départ, en couleurs ensuite.
Chaque semaine Cézard a livré son épisode à la rédaction et dans le même temps il dessinait d’autres histoires pour d’autres journaux (Billy Bonbon, Kiwi). Tu imagines le boulot ! Inventer des aventures à Arthur le fantôme chaque semaine que Dieu fait ! Avec mission d’être drôle à chaque fois. Comme dit l’autre «impaussible n’est pas français» !
Je ne sais plus si Jean Cézard me faisait vraiment rire. Sur ce plan-là, René Goscinny, Charles M. Schulz et Marcel Gotlib sont les premiers sur mon podium. Mais j’étais scotché par son dessin, ses châteaux branlants, ses vieux tacots, ses bateaux de corsaires, son Far-West avec des trognes de cow-boys pas possibles. La série s’est enrichie de personnages secondaires attachants (ou attachés, comme Verlaine le fut pour toi ?) : le professeur Mathanstock a amené sa machine sphérique avec laquelle Arthur a voyagé dans le temps.
Lorsque Vaillant est devenu « Vaillant le journal de Pif » les aventures d'Arthur, toujours à suivre, ont adopté le format album classique, autour de 48 pages par récit, et ont été publiées à raison de quatre planches par semaine. En 1969 le journal devient « Pif gadget » et publie des aventures complètes de sept pages du fantôme justicier. Le faire-valoir du héros est alors un magicien diplômé qui s’appelle le père Passe-Passe. Au cours d’un de ses voyages Arthur rencontre les Rigolus et les Tristus qui vivront ensuite leur vie dans une série indépendante. Les rouges contre les verts, les gais contre les tristes. Inutile de te dire quel camp j’avais choisi !
Oui, celui des Rigolus. Et pourtant ça me désole de n’avoir pu localiser sur les cartes de Monsieur Google la maison de Bonneuil-sur-Marne où mes grands-parents nous emmenaient, mon frère et moi, à l’époque où nous avions ces lectures-là. La voisine s’appelait Madame Bidart, elle avait un superbe jardin et un chat – comme toutes les voisines de cette époque-là -. Nostalgie ! Nostalgie !
Je me souviens aussi d’un appartement prêté au grand-père par un de ses collègues, un nommé Achille, dont le fils, prénommé Serge, avait conservé une bonne collection de recueils de «Vaillant». J’avais lu là-dedans «La Grande descente», une aventure de Richard et Charlie par Tabary et j’y avais découvert Vlugubu, un personnage miniature avec une flamme sur la tête. L’histoire était un décalque du « Voyage au centre de la terre » de Jules Verne, une sorte de « Saison en Enfer » mais en beaucoup plus drôle.
Accessoirement, nous avions été quelque peu choqués de découvrir, chez ce jeune lecteur de publications "communardes" comme nous, des véhicules militaires Dinky toys en pagaille (et en métal). Ce fut une bonne leçon. Le prosaïsme de la réalité a toujours vite fait de détruire la poésie de Norev. Normal, c’est du plastique ! Du plastoc, disions-nous.
Mais je ne t’ennuie pas plus. A relire Miller, je retrouve un autre fantôme : ce jeune homme que j’ai été, qui fréquentait les bibliothèques municipale et universitaires de Lille, qui dévorait Rimbaud, Kérouac, Miller, Scott Fitzgerald et des tas d’autres disparus plus ou moins notoires. De ce lecteur-là, je n’ai plus rien à dire, sinon que lui ne s’est pas arrêté d’écrire.
Je reparlerais bien par contre du même bonhomme un poil plus âgé qui a redécouvert hier à Dieppe, en spectateur, l’ambiance des tournois d’échecs. Une autre tranche de vie, ailleurs.
Comment ne pas croire aux fantômes pour peu qu’on ait une mémoire affective, voire affectueuse ? Nous en promenons tous avec nous, à commencer par celui de nous-mêmes !
Salut à toi et à bientôt, camarade Arthur, ami poète, mon très cher roi de cœur « sans cœur » !
Le fantôme du paysage (Laura)
Il des lieux qui ne sont pas des paysages car on ne les regarde pas
Il est des paysages qui redeviennent seulement des lieux car on ne les regarde plus
Il est des lieux entre vie et mort, des lieux hantés où règne le fantôme du paysage
Ce sont des villes où l'on est né, où l'on a marché pour la première fois
Ce sont des rues où on est allé à l'école, où l'on a pédalé, marché, aimé
Ce sont des rues où on a pleuré, souri, sauté dans les flaques, couru
Ce sont des rues où on a posé pour un peintre, embrassé, bu, fait l'amour
Ce sont des rues où on a enterré sa grand-mère, parlé avec son meilleur ami
C'est une ville où on a lu, été heureux, crié, souffert, été soi-même et parfois un autre
C'est une maison où on a lu ses premiers livres puis sous les draps avec une lampe
C'est un lieu où on a dansé avec sa grand-mère avant de sortir en boîte
C'est une ville dont on a connu l'histoire, le nom des rues, la place des statues
Ce sont des rues qu'on a parcouru en tout sens avant de partir ailleurs
C'est une ville où on est revenu le vendredi, parce qu'on y chérissait des personnes
C'est une ville qu'on défend parce qu'elle est belle et riche de passé et de possibles
C'est une ville où on a vécu et où on ne vit plus, où on ne voudrait plus vivre
Mais c'est une maison où on a écrit pour donner des nouvelles, faire un signe
C'est une maison qui a reçu des cartes de tous les coins de France où on a pensé à elle
C'est une maison qu'on aimait pour ses racines de coeur, les personnes qu'on y aime
C'est comme l'arbre dont on coupe une branche et qui pleure sa sève blanche
C'est comme si j'étais cette branche sans tronc dans un paysage sans âme.
C'est une maison, une ville où plane des souvenirs qu'on jette aux oubliettes
D'un grenier poussiéreux, c'est une maison qui bafoue son passé en le glorifiant
C'est un paysage où ne reste plus qu'un fantôme d'amours qu'on nie sans vergogne.
Monsieur Martin (Pascal)
Quand je m’apprête à faire une bêtise, couper trop court un bout de tuyau d’arrosage, bidouiller une prise de courant sous tension ou me relever avec une porte de placard ouverte, j’ai l’impression qu’il m’épie un peu plus avec un poids tel, que je m’arrête comme si j’étais obligé de réfléchir à deux fois avant de m’engager dans la périlleuse entreprise... C’est un sauveur…
Je l’entends distinctement dans les courants d’air. Selon la manière brutale ou feutrée des portes ou des fenêtres quand elles claquent, il m’explique, avec le vent entremetteur, comment profiter de cette clandestine aération sans faire tout chavirer et sans réveiller le quartier... C’est un bienfaiteur…
Il a laissé des explications post mortem dans quelques coins de sa maison.
Dans le petit tableau électrique de la chaufferie, sur un bout de papier jauni, il y a toutes ses explications, des utiles annotations détaillées quant au bon fonctionnement de son appareillage. On dirait qu’il défend à tout le monde de toucher les endroits qui, potentiellement, sont dangereux !... C’est un protecteur…
Ici, il n’y a rien d’inutile. C’est plein de petites astuces, de petites finesses qu’on ne voit pas du premier coup d’œil : aussi, je ne touche à rien avant de laisser passer une année.
J’ai toujours l’impression habituelle d’être chez lui et cela ne me dérange pas vraiment. Sa présence invisible est ma compagnie. Les murs sont remplis de gais murmures, les planchers grincent et la cuisine exhale encore des parfums suaves de repas de l’ancien temps. La poussière confetti ne m’appartient pas, de même que les traces de doigts, ses empreintes, qui se promènent sur les portes, le long du couloir et sur la rampe d’escaliers. Les antiques interrupteurs sont noircis, d’une longévité extraordinaire de vie d’éclairage nuiteuse... Les plinthes plantées au parquet se plaignent à force d’espérer une nouvelle peinture avant le printemps suivant, les poignées des portes sont avachies de trop de mouvements, les étagères des placards se gondolent de leurs pots de confiture envolés, les vitres opaques ont des reflets de ce qui n’est plus dans le jardin comme si elles regardaient des paysages que je ne peux pas voir. Les blancheurs carrées ou rectangulaires sur la tapisserie fleurie de la salle de séjour laissent entrevoir des portraits disparus. Les volets grincent de concert, les rideaux « s’accordéonnent », ils se gonflent de vent, à intervalles réguliers, comme si une respiration de présence tranquille se reposait dans l’ombre. C’est un conservateur…
Il est omniprésent. Je sens sa présence silencieuse comme les puissantes fragrances de son après-rasage qui passent et repassent encore dans les pièces.
Quand je me couche, il vérifie si ses volets sont bien fermés, si le gaz est bien coupé et que les robinets ne fuient pas. J’entends des bruits de buffet, des tintements de vaisselle, des glissements de chaise, des craquements de boiserie, des chuchotements discrets… Je voudrais aller voir mais c’est toujours l’endormissement qui prend le dessus. C’est un chaperon…
Et puis, il est encore un peu chez lui, après tout…
Sa présence est plus forte du côté de la cave comme s’il vivait plus souvent en bas que dans l’appartement. Il devait aligner les cépages dans des arrangements prévus par son imagination d’organisation et je suis sûr qu’il devait s’évader en regardant les étiquettes racoleuses des bouteilles, de château en château, de coteau en coteau, de chais en chais. Il se baladait dans notre France en admirant les couleurs de son vin. C’est un pilier…
Mais c’est dans le jardin que l’effet est encore plus flagrant :
Il surveille, il constate, il s’intéresse aux moindres de mes gestes dans sa verdure !...
Il m’interpelle. Il réclame de l’eau pour les tomates, un coup de piochon du côté des pommes de terre, le ramassage des haricots verts ! Et le liseron, il prolifère !... Il m’envoie ses ordres ! Et j’obéis… Je ratisse, je bêche, je cueille… C’est un tuteur…
Quand je perce, quand je scie, quand je taraude, il est par-dessus mon épaule ! Il certifie, il contrôle, il prend ses mesures ! Il me donne des conseils et… je l’écoute !!...
Quand j’accroche un tableau, il le regarde avec circonspection, avec le souci du détail, avec une infinie attention, pour voir s’il s’accorde en couleurs agréables dans l’ambiance.
C’est un support…
Il devait l’aimer, sa maison…
Il doit la regretter avec tous les souvenirs d’une vie heureuse qu’il a laissés entre ses murs et maintenant à l’indélicatesse, à l’outrage, à l’invasion du nouveau propriétaire que je suis. J’ai l’impression d’être dans sa vie mais en décalé de peu de temps. C’est moi le voyeur, le fantôme…
On dirait, qu’avant de s’en aller définitivement, il prend la tension de celui qui a investi ses murs, pour voir s’il en est digne, pour s’assurer de la sérénité des lieux, pour que la continuité se fasse sans qu’il garde une amère arrière-pensée dans l’Eternité reposante.
J’enlève toujours ma casquette quand je monte à l’étage. Je lui porte une sorte de respect d’outre-tombe. Je suis sûr qu’il était rempli d’altruisme, de gentillesse et qu’il baignait sur son visage une grande sympathie contagieuse. C’est un père…
Petit à petit, sa présence se fait moins fréquente. Il doit s’habituer dans ses nouveaux appartements dynastiques en grave granit gravé, auréolés de fleurs plastique ou bien, je prends vraiment la dimension durable de ce qui dorénavant m’appartient.
Il me délaisse, je me sens un peu seul. Il est l’aîné, le bon exemple mais il me cède définitivement sa place. J’aurais bien aimé lui serrer la main et lui dire bonjour ou au revoir… Je l’aurais rassuré avec les clés de sa maison dans ma poche. Il m’aurait fait visiter…
Il peut reposer en paix maintenant, je prends soin de… notre maison…
Mes fantômes par bongopinot
Chez moi il y a des spectres
Ils me guident à leur manière
Avec de jolis petits morceaux de lumière
Doucement ils ont appris à me connaître
C’est pour ça que depuis que je suis petite
J'abrite tous ces fantômes
Bienvenus dans mon royaume
Ou les revenants s'agitent
Cela peut vous paraître étrange
Toute ces apparitions ces visions
Réalité ou illusion
D’esprits qui se dérangent
Y croire ou ne pas y croire
C'est une bonne question
À chacun ses déductions
À vous de mieux y voir
Mais ici du dimanche au samedi
Ils accompagnent mes jours et mes nuits
Et les moments importants de ma vie
Mais surtout ne prenez pas peur les amis
Ils ne sont pas méchants voyez vous
Seulement malins et joueurs
De gentils fantômes avec du cœur
Et aussi réconfortant qu’un doudou
Tout château a son fantôme (Walrus)
Autour du lac Trasimène, la moindre colline porte sa ville, son village, son château, tous ceints d'imposantes et rébarbatives murailles. Quel passé belliqueux ont-ils connu ces endroits aujourd'hui si paisibles dès qu'on en franchit les portes ?
C'est sans doute de ces temps troublés que datait le fantôme que j'ai aperçu à l'intéreur du mur reliant le palais ducal à la forteresse de Castiglione del Lago.
Peur, moi ? Mais non, je m'y attendais un peu : l'Ombrie n'est-elle pas le royaume des ombres ?
Participation de Venise
N’attendez pas de moi des souvenirs d’enfance avec les fantômes
Je n’en ai pas . Voilà ça c’est fait!!!
De quoi les fantômes sont-ils alors les ancêtres ?
Surement pas du plombier du second qui vient de rendre l’âme .
Les fantômes sont d’une extraction noble et ne supportent que les demeures princières .
Et pour leur rendre justice ils n’ont pas besoin de moi une roturière !!
Bien je vous l’accorde je ne crois en plus rien
C’est ici d’ailleurs que je sors du bois!!
Ecoutez plutôt cette charmante histoire médiévale tout droit sortie de mon imagination.
Le fantôme est une survivance échevelée de la grâce qu’il nous faut à aimer .
Et comme un vieux diable pleurant sur un quai le fantôme de nos amours
Sort rincé de la vie pour s’élancer vers les ombres que nous sommes et emporte avec lui les couleurs de notre âme .
Rends-moi le bleu de mes saisons, le rouge de mes joues, le rose pâle de ma main
Et dans la trainée de brouillard où il se cache , il nous apprend à rester présents à nos vies.
Détourne toi de lui , mais pas trop !!
Entame quand tu le pourras un ballet improvisé avec lui
Sort le de ta boite optique où tu l’entrevois
Où il se meut dans une marelle spatiale
Ce qui me vient à l’esprit à ce moment là
C’est / son regard ne t’a t-il pas cloué au sol ?
Où es tu simplement un demeuré?
Face à l’hypothèse désormais tout à fait fondée que les fantôme n’ont aucune existence je répondrai/
prêtons leur une âme .
Tentons de faite bouger les frontières .
Le temps est assassin... (Walrus)
S comme ... par bongopinot
C'est une clé secrète
Qui ouvre bien des cœurs
Il contribue aux petits bonheurs
Et efface un peu le mal être
Qu'il soit cajoleur enjôleur
Il accueille désarme rassemble
Moment agréable et aimable
Il arrive tous les jours à toutes heures
Il a un rôle précis
Quant il est vrai et sincère
Il fait oublier les colères
Et éloigne un temps les soucis
Il est souvent communicatif
C'est aussi un bon moyen de défense
Il nous donne de l'assurance
Et nous rend plus positif
C'est un langage universel
Et il peut si on le désire
Exprimer ce qu’on n’a pas su dire
Il est de plus en plus essentiel
Alors aller y SOURIEZ encore
Donnez et recevez toujours
C'est votre cadeau de tous les jours
Il ne coûte rien et il rend plus fort
Ecrire à Rimbaud ? 4, Sourire (Joe Krapov)
Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière
08000 Charleville-Mézières
Mon cher Arthur
« C'est moi que je suis la Joconde.
Que de mots vains on m'inonde.
Critiques, artistes abondent
En intarissables facondes. »
Cette semaine on me demande de faire sourire ! Ce n’est pas bien difficile pour moi qui passe désormais ma vie à ne faire que cela ! Je fais sourire et je prête même souvent à rire à taux de z’héros !
Je pourrais bien aller piocher dans mes collages de Jean-Emile Rabatjoie, par exemple. Jean-Emile R. est un avatar de moi-même qui découpe des images dans des vieux magazines et les colle ailleurs, cela pour suivre les traces artistiques et iconoclastes de Jacques Prévert. Je pourrais endosser à nouveau son costume pour concocter d’autres rapprochements improbables et, par exemple, coiffer Mona Lisa avec les chapeaux de la reine d’Angleterre.
Le plus simple à vrai dire serait de recopier ici mon journal de voyage à Charleville-Mézières et de publier un diaporama photographique rassemblant les enseignes et effigies « dédiées à ta gloire » que j’ai pu contempler dans ton Ardenne natale. Mais le sourire serait un peu jaune, peut-être.
Je préfère t’annoncer que j’ai bien reçu ton « pitch ». Le pitch, toi qui fus angliciste mais ignores les tics du langage français moderne, c’est le scénario d’un film, c’est la trame d’un récit, le sujet d’une œuvre, le thème d’un poème.
Il est intéressant, ton story-board kaléidoscopique mais je trouve qu’il manque de musique et… qu’il ne prête pas précisément à sourire, même si les notes de bas de page laissent à penser qu’il y a plein de sous-entendus coquins et cultivés là-dessous. Ou pas.
C’est pourquoi je me suis permis de chausser mes gros sabots et d’en réécrire trois. J’ai pitié des Défiant(e)s du samedi qui en ont déjà marre sans doute de cette correspondance idiote entre deux types qui n’ont rien à voir ensemble sinon qu’ils sont un peu, comment dire, chacun dans leur genre, « illuminés ». Je n’en livre donc ici qu’un seul, « Hortense », libre transposition krapovienne du texte intitulé « H » à la page 278 de l’édition en Pocket de tes œuvres complètes.
HORTENSE
Ne demande pas la main d’Hortense :
Elle s’occupe à fourrager
Beaucoup plus bas que sa voilette.
N’attends pas d’Hortense
Un doigt d’indulgence :
Il s’applique à la mécanique
Hygiénique et il met
- Ô monstruosité ! –
De la frivolité
Au sein de sa pilosité.
Hortense a des gestes atroces,
Des passions, des actions violentes,
Des manigances érotiques.
A force de frotter
Elle fait tout reluire
D’un beau vernis de mandoline.
Pour la dynamique amoureuse,
Pour ce qui va la rendre heureuse,
Elle paye, depuis l’enfance,
Un tribut de portes ouvertes,
De décorporation salace,
De travaux de mise en lumière
Car elle est reine d’éclairage.
C’est là sa mauvaise habitude.
Et surtout ne paie pas Hortense
D’un rubis sur l’ongle :
Elle rira sous sa pelisse
De ton frisson d’amour novice.
Attends juste qu’elle finisse,
Arthur appuyé au chambranle,
Sa toilette.
Les amateurs de littérature comparée iront lire l’original ici.
Ca les fera peut-être sourire. Ou pas.
Sur ce je repars m’activer une semaine en Normandie. Bon repos à toi, cher poète de mes dix-sept ans !
Participation de Laura
Les couleurs entre les mains (petitmoulin)
Les couleurs entre les mains
Tu ouvres une brèche
Par où s'éveille
Une autre saison
La tienne
Ton regard mutin
Éclabousse mon visage
Et ton sourire
Dépose sur moi
L'éclat de ta présence
Qui me sauve de l'hiver
Marie-Jeanne (Pascal)
J’avais réservé une table à l’Auberge du Pachoquin. Située dans la vallée du Gapeau, ancien relais de poste transformé en restaurant, c’était un antre de délices pour toutes les papilles gourmandes et c’était foule, ce dimanche. Fin de l’automne et chasse ouverte, sur tous les menus, le civet de sanglier était la marque de leur grande notoriété dans la région.
Quand nous entrâmes dans l’immense salle, le restaurant embaumait ses gibiers et ses marinades. Avec tous les salamalecs d’usage, on nous trouva notre petite table, on nous installa, on nous apporta les menus, la carte des vins et quelques amuse-gueules pour nous aider à patienter.
En attendant la commande, nous restâmes en contemplation devant l’énorme cheminée ; une véritable moitié de tronc d’arbre se consumait lentement dans l’âtre. Telles les fusées rougissantes d’un feu d’artifice improvisé, des crépitements soudains pétardaient dans les flammes dansantes ; coupant la parole, ils taisaient un instant le brouhaha des attablés alentour comme si toutes ces petites détonations faisaient partie du spectacle. Entre deux fourchetées, entre deux rasades, entre deux bons mots, cela rajoutait encore au décor gentiment champêtre de l’endroit. Des vieilles choses accrochées aux murs enrobaient l’ambiance des fastes d’une nostalgie ancienne ; leur désuétude flagrante plongeait immanquablement les attablés dans le siècle passé.
Quand ce n’était pas les senteurs boisées du chêne brasillant dans la cheminée, le bouquet précieux des gerbes de lavande séchée, des effluves tièdes de mangeaille appétissante venaient nous taquiner les narines et, des yeux, nous cherchions désespérément un serveur pour nous rappeler à lui. Enfin, l’un d’eux, un peu moins occupé que les autres, vint prendre notre commande. Ce fut un civet de sanglier, bien entendu…
Pour célébrer cette sortie dominicale, tu portais une belle robe blanche, brodée de motifs tarabiscotés, comme un habit de princesse médiévale. Tu avais relevé tes cheveux dans une coiffure savante entre mèches et boucles, entre tresses et barrettes. Pour parfaire ton charme, tu avais glissé quelques bagues le long de tes doigts, attaché un collier de perles transparentes autour du cou et ajusté des bracelets tintinnabulant leur liberté à chacune de tes gesticulations.
Mais ce qui m’éblouissait le plus, c’était tes sourires que tu me flashais en salves quand je t’admirais ; jeunes amoureux, nous étions connectés au grand Tout, celui qui augure des secondes lumineuses et des lendemains enchanteurs. J’avais l’eau à la bouche…
Avec le peuple occupant la grande salle, l’atmosphère était lourde, entre la fumée opaque des cigarettes, la chaleur rayonnante du foyer, les fragrances capiteuses des plats posés sur les tables et le tintamarre obsédant des discussions enflammées. C’était comme un bourdonnement incessant ; seuls des éclats de rire, des tintements de verres, des chaises malmenées crissant sur le carrelage, semblaient émerger du tumulte.
Curieuse de ton entourage, tes regards s’étaient portés sur une table proche ; elle était occupée par une huitaine de personnes âgées en pleines libations gargantuesques. Chacun des protagonistes, trop occupé à engloutir ses carrés de quartanier, ignorait son voisin comme s’il avait peur qu’on lui ravisse sa part…
On venait de nous apporter notre poêlon de sanglier mariné ; dans la corbeille, les tranches de pain croustillant n’attendaient que notre boulimie et nos verres étaient remplis avec un gouleyant vin rouge provençal. Je nous servais grassement en laissant couler la sauce épaisse sur nos morceaux de viande…
Au milieu de cette troupe de cheveux blancs, tu avais remarqué le comportement étrange d’une petite mémé qui se balançait mollement sur sa chaise, comme si elle avait perdu le contrôle de ses facultés. Tu me le faisais remarquer quand, tout à coup, les yeux de la vieille dame se révulsèrent et sa tête tomba au mitan de l’assiette…
Debout, avant que je m’en aperçoive, et que toute sa tablée ne s’en aperçoive aussi, n’écoutant que ta compassion, tu as retroussé les manches de ta belle robe brodée, tu as foncé vers elle, tu l’as sortie de sa fâcheuse posture d’inconsciente, en début de noyée, et tout aussi promptement, tu l’as installée sur le sol, dans la position latérale de sécurité.
Tu t’occupais d’elle, tu tapotais ses joues si pâles, tu lui parlais avec des mots d’assistance comme si tu la connaissais ; son dentier à la main, tu avais un peu de bave entre les doigts. Tu as trempé une serviette dans un pichet d’eau et tu lui as humecté doucement le visage en le nettoyant de toute cette sauce tellement brunâtre. Tes bijoux ne brillaient plus pareil, comme si un sortilège les avait subitement ternis à mes yeux ; l’ambiance enchanteresse de notre dimanche s’était soudain effacée devant la réalité du fait divers…
Dans nos assiettes, le civet de sanglier fumait toute son impatience et tous ses parfums de garrigue sauvage ; le vin rouge stagnait dans nos verres et je n’osais même pas goûter ce que j’avais piqué au bout de ma fourchette…
Revenue des limbes comateux, la tête blottie entre tes bras, la vieille dame t’a souri ; j’ai pensé que c’était un sourire de miraculée mais c’était plutôt un sourire de maman. Il y avait de l’Amour dans cette grimace à l’endroit, une miséricorde réciproque, et je compris que c’était ton salaire de labeur. Vous aviez des secrets que je ne comprenais pas et j’étais bêtement jaloux de ne plus être le seul détenteur de tes attentions humanitaires.
Sur ta tête, ta coiffure s’était disloquée, et les mèches, et les barrettes, et les boucles, et les tresses, s’emmêlaient sans que ton charme n’en souffrît une seconde. Tu étais Marie, bénie entre toutes les femmes, tu étais Jeanne, Jeanne d’Arc, volant au secours des plus démunis, tu étais Marie-Jeanne, mon Amour, mon Amie, ma Fiancée de toujours…
La vieille dame avait repris ses esprits ; nantie de son appareil dentaire, elle avait réinvesti sa table et réclamait déjà une autre louche de sanglier mariné. Je me souviens comme elle lorgnait sur notre table comme si elle attendait que l’un de nous deux défaille pour voler à son secours ; je me souviens de ses mille œillades complices de vieille maman qui veille sur sa progéniture…
C’est le patron de l’Auberge du Pachoquin qui était content ; tout sourire mercantile dehors, il vint nous apporter un nouveau poêlon de sa daube de sanglier mariné parce que, réchauffé… c’est encore meilleur…