Ont balancé la fumée
maryline18 ; Venise ; Vegas sur sarthe ; Walrus ; Joe
Krapov ; JAK ; Kate ; petitmoulin ; joye ; bongopinot ;
Liturgie macho (Vegas sur sarthe)
"Hé Cindy, t'as déjà secoué l'encensoir ?"
"J'ai plus cinq ans, j'suis pucelle que tu croives"
"J'te d'mande si t'as déjà manipulé un encensoir"
"Euh... c'est quoi c't'embrouille ?"
"C'est une boîte à fumée où c'est qu'on brûle de l'encens"
"Et c'est quoi l'an cent?"
"C'est comme la résine de canne à bisse mais c'est légal passeque c'est garanti par l'église, c'est un truc qui cocotte grave et qui fume et qu'on fait monter au ciel pour donner d'l'odeur aux prières"
"Passque tu fais des prières, maint'nant ?"
"Non... pas moi, moi j'fais juste le naviculaire"
"Le navi quoi ?"
"Tu f'ras l'thuriféraire pendant que j'f'rai l'naviculaire"
"J'comprends que dalle à c'que tu dis"
"C'est simple! Not' curé cherche deux volontaires pour la messe de minuit... c'est bien payé"
"C'est quoi un avis culaire ?"
"C'est çui qui porte la navette"
"La navette... comme la chevillette ou la bobinette du chap'ron rouge ?"
"Mais non! C'est une boîte à coucou où c'est qu'y a l'encens qu'on met dans l'encensoir pour le faire crâmer"
"Si j'comprends bien, j'vais secouer ce Jean-François qui fume et qui pue pendant qu'tu tiendras juste la p'tite boîte et on s'ra payé pareil ?"
"C'est l'geste qui compte ma vieille et pis c'est Noël"
"J'm'en balance de ton transplantoir!"
"Justement, c'est l'balancement qu'est essentiel"
"Et y faudra l'secouer combien d'fois ton assesseur ?"
"D'abord à la procession et pis avant les vangiles et pis à l'Offre-toi et pis à la consécrétion et pis c'est tout. Tu l'agites trois fois deux coups ou trois fois trois coups, ça dépend"
"Euh... ça dépend d'quoi ?"
"T'inquiète, le curé compte pas les coups, pourvu qu'y lui en reste un peu pour soigner son asthme"
"Passque l'curé est asthmatique en plus ?"
"Ouais, les curés sont pas à l'abri, tu vois..."
"En tout cas j'préfère faire le naviculaire si ça t'déranges pas"
"C'est pas qu'ça m'dérange mais ça va pas êt' possible, rapport au feu"
"Quel feu ?"
"Ben les allumettes pour allumer l'encens dans la navette"
"Et c'est quoi le problème avec les allumettes ?"
"Ben les allumettes, c'est une affaire d'homme"
"Tu sais pas... t'iras t'secouer l'ascenseur tout seul !!"
Quand j'étais kreoltsje (Walrus)
C'est le titre que j'aurais choisi si j'avais voulu vous narrer mes aventures lorsque j'étais enfant de chœur. J'en aurais accompli des choses derrière le rideau de fumée de l'encensoir !
Il y a cependant deux gros empêchements à la chose :
- quand j'ai eu l'âge d'être enfant de chœur, je n'habitais pas Bruxelles et je n'aurais donc pas pu être kreoltsje
- de toute façon, je n'ai jamais été enfant de chœur
Du coup, je ne puis que me rabattre sur le sens figuré du mot-sujet de la semaine.
J'en ai connu des thuriféraires !
Toujours prêts à encenser n'importe qui pour peu qu'il y mette le prix.
Bien sûr, vous pouvez trouver ça malhonnête, mais il y a matière à chicane, ratiocination, pinaillage, argutie même !
C'est que pour encenser...
Faut de la braise !
Ah...
Ecrire à Rimbaud. 12, Thuriféraire (Joe Krapov)
Monsieur Arthur Rimbaud
B.P. 01 au vieux cimetière
08000 Charleville-Mézières
Mon cher Arthur
"Entends-tu les clochettes tintinnabuller ?"
Graeme Allwright
Nous autres les thuriféraires de la poésie volatile, les apôtres des hashtags #balancetonencens, #diffusetonpatchouli, #assumetonbabacoolisme et #décroissantsaubeurre, nous avons fort à faire ces jours-ci avec les sommations de la société de consommation.
Nous voici à peine sortis de la célébration coûteuse et somptueuse de la naissance d’un fils de pauvre dans une étable que d’aucuns songent déjà à remettre le couvert le 31 décembre pour commémorer la venue au monde de Jean-Marc Sylvestre, le thuriféraire n° 1 du libéralisme galopant nez au vent, ou pas, sous sa bannière emplie d’étoiles.
Consommons ! Consommons ! Consommons la dinde et le marron, les serpentins, les cotillons, les canapés sur le napperon, la veuve Clicquot, le Dom Pérignon, soignons-nous aux petits oignons, gavons-nous jusqu’au troufignon de foie gras d’oie, foie gras d’oie voilà les Dalton !
Car il ne sert à rien de jouer les Harpagon, Picsou nageant dans ses millions, d’avoir la passion des actions et d’honorer le dieu Pognon.
Claquons tout ! Soyons fous ! Sauf que moi je ne le puis. Mon bonheur sur cette Terre me coûte excessivement peu cher. Je suis le thuriféraire des captations de lumières ; l’objectif de ma prêtrise est de dispenser des bêtises et mon déguisement en Merlin l’encenseur ne vise que des petits bonheurs, ceux qui n’ont pas de prix parce qu’ils sont gratuits.
J’opère en toute simplicité d’esprit et – beati spiritu pauperes – je m’en trouve bienheureux. J’entre dans les églises pour aimer leur silence et faire mon miel photographique de leurs vitraux. C’est par-là que je crois au mot «divinité». A ce jeu-là, si c’en est un, il me semble que nos chemins sont à l’inverse.
Y a-t-il un coeur sous ta soutane d’autrefois ? Qu’est-ce qui bave à la poupe sinon l’encre d’un certain fiel ? N’était-il pas par trop facile de retourner Verlaine comme tu le fis à chaque fois ?
Sur le bateau ivre de la photographie, dans cette chapelle marginale, ne rencontré-je pas, de mon côté, un certain mysticisme planant ?
Là où nous nous rejoignons, finalement, c’est au désert ! J’écarte soigneusement les humains de mes paysages, tel un herboriste rousseauiste et me réjouis des attraits des bois et guérets de la Creuse.
Mais je ne dédaigne pas pour autant les portraits de groupe, la sainteté volée des musiciennes au travail ou la gaîté posée ou joyeusement éclatée des carnavaleuses complices.
J’adore aussi ces krapoveries à la W.C. Fields qui me viennent je ne sais comment : « Ca y est ! Je me suis encore fait avoir. L’estomac plein, le cœur au bord des lèvres. Fruits de mer, pâté en croûte, vins, Champagne, chocolats, gâteaux. Trop, trop, trop. Pourquoi ai-je tant participé à ces festivités alors que je ne crois même pas au Père Noël et encore moins à sa naissance à Bethléem entre un bœuf et un âne ? En Laponie, entre deux rennes, passe encore ! ».
A part ça j’ai découvert ce week-end un bien plus terrible thuriféraire que nous autres. Il s’agit de Pierre Michon dont, jusqu’à la semaine dernière, le nom et l’oeuvre m’étaient inconnus.
Ce monsieur s’est fait une spécialité d’écrire autour des portraits, d’en dresser de bien littéraires à des moments-clés de la vie des glorieux. Dans son livre «Le corps du roi» il nous met sur la table des lois son idolâtrie pour Samuel Beckett et William Faulkner se faisant portraiturer chez un photographe ou nous dépeint Gustave Flaubert sortant pisser un coup dehors après avoir mis le point final à la première partie de "Madame Bovary". A tous les coups Michon a dû écrire quelque part une prose poétique du même acabit sur Proust. A bon entendeur, Port-Salut ! Voilà, c’était une idée de cadeau à rechercher pour votre oncle de Belgique !
Mais surtout j’ai appris en parcourant les Cahiers de l’Herne à lui consacrés qu’il a commis un «Rimbaud le fils» dont je ne peux pas te dire grand-chose car il était sorti, comme tous les livres de Michon, de la bibliothèque où j’ai mes habitudes. J’ai d’autant plus d’appétence pour cette lecture que son projet de départ était d’écrire sur ton frère, Frédéric Rimbaud, le conducteur d’attelage ! Je trouve cette idée géniale, gaguesque à souhait mais je doute qu’il en ait fait un bouquin réellement rigolo.
Voilà, mon cher Arthur, ça sera tout pour aujourd’hui. Ite missa est !
Je t’envoie mes salutations distinguées de thuriféraire de Sainte-Boîte-à-lettres-du-Cimetière qui me permet depuis six mois maintenant de correspondre avec un mort d’importance !
P.S. Ceci n’est pas une grossièreté : existe-t-il pareille boîte à lettres dédiées au cimetière de Montcuq ? Car je me ferais bien aussi le thuriféraire de Nino !
La maison. (maryline18)
Du baraquement, j'en ai peu de souvenirs...Ah si, je me souviens qu'on dormait à trois : ma soeur, de quatre ans mon aînée, ainsi que mon grand frère et moi, dans la même chambre. Nous vivions, alors, dans trois pièces exigues.
... il y avait le bain du samedi, que je prenais dans la baignoire en zinc, devant la cuisinière à charbon. Il y avait aussi le porte bassine, sur pieds, ancêtre de l'évier. Je grimpais, haute comme trois pommes, sur un tetit tabouret pour y accéder car je voulais absolument faire la vaisselle ! ( Cette anecdote laissera, bien plus tard, mes filles incrédules...). C'étais le temps où je m'ouvrais à la vie, sans a priori : voir une souris bondir de mon baril de jouets m'amusait autant que de faire chaque jour le long chemin, à pieds, jusqu'à l'école. Après la traversée de la départementale, on longeait une route paisible de campagne. Les bas-côtés, bordés de vastes champs, traçaient notre chemin, lui donnant des allures de randonnée. Peu avant l'école, se trouvait une riche propriété arborée. De grands marronniers éparpillaient, de-ci, de-là, leurs fruits. Au retour, en prenant garde de ne pas nous piquer les doigts avec les bogues, nous nous en remplissions les poches. Nous les prenions à la sauvette, de crainte d'être surpris en flagrant délit. Braver l'interdit supposé de cette "cueillette" nous émoustillait. Mon frère me taquinait souvent, prenant sa revanche, sur les moments riches de frustrations, où il entendait maman lui répéter mainte fois, pour calmer mes caprices :
_"Laisses la faire, elle est petite ; prête lui...elle est petite..."
Il criait alors cette évidence qui ne lui avait pas échappé :
_"Mais elle sera TOUJOURS plus petite !" Tout en rageant, se raclant bruyamment la gorge, impuissant. Parfois il cueillait des orties pour me les coller sur les jambes. Il courait bien plus vite que moi donc je rentrais inévitablement pleine d'irritation, en pleurant.
Je donnais la main à ma soeur. Lui, devant, marquait le pas, nous donnant ainsi la cadence à adopter pour ne pas être en retard. En temps de brouillard, c'était amusant, voir impressionnant d'assister à l'absorption instantanée de tout son être par ce phénomène mystérieux, cotonneux. On l'appelait pour se rassurer. J'avais quand même un peu peur mais je renonçais à en avoir l'honneur ! Je serrais plus fort la main rassurante.
...Vous voyez le peu de souvenirs qu'il me reste de ces années!
...Ah oui, je dois vous parler aussi de la certitude, à cette époque, que ma mère était la seule personne sur terre à pouvoir entrer directement en communication avec le Père Noèl ! Les baraquements, construits, en grande hâte, en bois, pour accueillir les mineurs recrutés en nombres, offraient, eux seuls, sans doute cet avantage. La preuve en fut faite puisque le "charme" fut rompu une fois déménagée...
On venait d'arriver dans la cité de la Faisanderie...On les trouvait jolies, ces maisons de briques rouges, surplombées de cheminées, d'où sortaient en dansant, des volutes de fumée. Les belles bâtisses se scindaient en deux logements identiques. À la tenue du petit espace qui les entourait, on devinait qui avait "la main verte". Certains, tout ornés de troènes taillés avec le plus grand soin, attiraient l'attention par leur beauté, tant leurs massifs de fleurs avaient été disposés avec goût ou originalité. En se promenant, en courant, ou en pédalant, on parcourait les rues entre frères et soeurs. Parfois les plus petits s'affolaient car les plus grands les avaient distancés. C'était le coeur battant plus fort et les yeux humides, qu'ils tournaient alors dans un sens puis dans l'autre, jusqu'à retrouver en pleurnichant toute la troupe.
À chaque coin de rue, un bois miniature formait l'angle. Par temps sec on pouvait y jouer à cache-cache. Une fois je m'étais si bien cachée, menue, derrière un gros chêne, que personne ne m'avait trouvée ; jugeant alors le temps interminable, j'avais foncé jusqu'à la maison, toute contente, en les imaginant me chercher encore et encore...Ils me croyaient perdue. Leur colère fut à la hauteur de leur inquiétude, quand, en rentrant finalement prendre leur goûter, presque résignés, ils me trouvèrent confortablement installée devant un dessin animé. Le casse-croûte se composait presque tout le temps de tartines de beurre et de confiture et d'un verre de limonade (quand il en restait car nous adorions ça, si bien que la livraison du "camion brasseur", ne "faisait pas long feu". L'hiver un chocolat chaud remplaçait cette boisson.
Le froid ne nous empêchait pas de jouer dehors, encore et toujours ! Quand il neigeait, on enfilait nos bottes en caoutchouc, et notre gros manteau pour aller glisser et se lancer des boules de neige ramassées en douce. Les plus petits, moins rapides en prenaient plein la tête ! Ces jours là je rentrais toute mouillée en couinant, répétant que ce n'était pas juste. C'étais le bon plan pour me faire un peu caliner par maman, et je pensais : "tant pis pour eux".
Bientôt une petite soeur agrandit la famille, et quelques années plus tard, ce fut un petit frère qui pointa le bout de son nez.
Quand approchait Noël, papa nous emmenait, mon grand frère, ma grande soeur et moi, en voiture voir"mèmère". J'avais le mal des transports donc j'appréhendais les longues sorties. J'utilisais une technique imparable pour éviter d'avoir la nausée : je faisais tout le voyage les yeux fermés. Au début, toute occupée à imaginer ce que je ne voyais donc plus, je laissais mon corps pencher tantôt à droite,tantôt à gauche, mais très vite, je m'endormais, bercée par la conduite souple de mon père. Quand j'ouvrais les yeux, croyant le voyage terminé, il m' arrivait de voir débarquer, profitant de l'arrêt des voitures au feu rouge, le Père-Noèl, tout sourire, distribuant des sachets de friandises avec en plus une orange et une coquille fondante à souhait. Je ne tardais pas, ravie, à en croquer les extrémités. Mélés aux bonbons colorés, acidulés, se trouvaient des "carambar". Je ne savais pas encore lire mais j'étais curieuse des mots...Je déballais ces espèces de longs caramels et les donnais à ma soeur qui lisait à voix haute les charades qu'ils cachaient. Je me souviens de l'une d'entre elles qui nous avait laissé sans voix, c'était celle-ci :
_"Mon premier vient après le "je"dans les conjugaisons".
_"Mon deuxième est une céréale nourricière cultivée sous un climat chaud et humide".
_"Mon troisième permet de repasser le linge".
_"Mon quatrième est la mélodie d'une chanson".
"Mon tout est un encenseur".
Donnant notre langue au chat, à l'unisson, dans la voiture, ma soeur nous lu la solution : "un thuriféraire".
Même papa ne savait pas qui était celui là ! Pourtant il connaissait des tas de gens !
Le coron où "mémère" restait me semblait triste, il n'y avait pas d'enfants avec qui jouer, sauf quand ses voisines recevaient de la famille. Nous sortions de la voiture, un peu engourdis par le trajet, l'automne avait eu raison des dernières pensées qui égayaient, aux beaux jours, la petite allée de graviers blancs. On avançait, précédés par papa qui, après avoir salué sa mère, nous disait toujours la même chose :
"-Fais un' baiss' à mémère !"
Nous obéissions, déposant, un peu timides, sur la pointe des pieds, un baiser furtif qui ne claquait pas et laissions la place au suivant, sans état d'âme...Elle ne nous enlaçait pas comme nombres de mamies d'aujourd'hui. Ses cheveux gris, tirés en arrière, s'enroulaient dans un chignon bas. Une blouse sans teinte vraiment définie, sombre et lustrée par places, uniformisait sa silhouette longiligne. Je me souviens qu'elle piquait un peu comme papa...Le son de sa voix, je l'ai oublié...Elle s'exprimait avec parcimonie.
La pièce où nous passions la journée lui servait également de chambre. Le papier peint d'un autre temps, l'assombrissait. Dans la demeure, flottait une odeur de renfermé qui imprégnait les vêtements de "mémère", et bientôt nos manteaux, que nous déposions sur l'épaisse courte-pointe qui recouvrait son lit. Les quelques rayons de lumière qui traversaient l'unique fenêtre, se fatiguaient vite mais "mémère" attendait qu'il fasse presque sombre pour allumer la lampe, ce qui donnait un côté lugubre à la salle-à-manger/chambre. Le tic-tac de l'horloge au dessus du lit, qui faisait face au fauteuil en similicuir dans lequel je m'installais toujours, surprenant par ma rapidité mon frère et ma soeur, rythmait les longues heures de ces dimanches.( Les enfants ne participaient pas aux conversations des adultes, dans mon enfance...)Parfois nous sortions quelques minutes nous aérer. J'avais très peur de me perdre et de ne plus retrouver la bonne maison car elles se ressemblaient toutes.
Nous redoutions l'inévitable envie qui nous obligerait à nous rendre au bout de la cour. Les "cabinets" qui ne ressemblaient en rien aux "wc"actuels nous rebutaient. il fallait soulever la planche en arrêtant de respirer un instant, et se résigner à s'assoir au dessus du trou, noir et nauséabond. L'aissant alors couler les eaux usées que nous avions courageusement essayé de retenir, nous levions des yeux plein d'effroi sur les toiles d'arraignées accrochées un peu partout. Toute frissonnante, de peur d'y apercevoir l'arachnide, je me revois encore tortiller mon corps, les pieds dans le vide, afin de toucher le sol, pour fuir ce décor digne d'un film d'horreur ! Le papier journal remplaçait le papier hygiénique !
Pour attendre l'heure du départ, je jouais avec les trous du plaid crocheté qui ornait le fauteuil. Mes doigs grimpaient des montagnes, dévalaient des pentes...L'après midi, la télévision fonctionnait sans réussir à égayer l'atmosphère. Mon père la regardait ainsi que sa mère et curieusement, ni l'un, ni l'autre, ne semblait souffrir de ce manque de dialogue. Souvent je m'endormais, enroulée sur moi même comme un chaton.
. Enfin arrivait l'heure de se séparer, alors mémère prenait dans la grande armoire à gauche du fauteuil, une boite de bouchées et nous l'offrait :
_"Tiens, té partage'ras avec euz zo't !" Disait-elle à l'un d'entre nous.
On remerciait et le rituel de l'arrivée se répétait mais nous faisions, cette fois, claquer les baisers, trop contents que ça se termine...Ce n'est qu'une fois rentrés que nous nous apercevions, éberlués, qu'il ne restaient que la moitié des précieux chocolats dans la boite. Toujours est-il que leur nombre réduit les rendait délicieux.
Au printemps, je jouais aux raquettes avec mon grand frère ou on essayait de fabriquer des cerfs-volants avec tout ce qu'on trouvait. On n' arrivait jamais à les faire s'envoler mais on s'occupait, et on était contents. À la belle saison, j'édifiais des tentes avec des vieux bouts de tissus (rideaux troués ou vieilles couvertures), que j'accrochais aux troènes avec des pinces à linge. La pelouse, attenante à la maison, toujours haute, accueillait dans un confort agréable, nos jeunes corps tout excités de si bien s'amuser. Les filles se disaient princesse Paola ou Sissi. On ordonnait à notre frère de nous courtiser ou de manger ce qu'on lui avait préparé avec les moyens du bord ( fleurs de pissenli et mauvaises herbes). Quand l'heure de tout ranger arrivait, on protestait et c'était tout bougonnant, qu'on obéissait malgré tout..L'odeur suave du lilas triple, de couleur mauve, accompagnait notre enfance, tout comme celle des fleurs de troènes dont nous respirions le fort parfum, une bonne partie de l'été.
(Impossible de m'imaginer à l'époque que ces deux senteurs me ramèneraient infailliblement et systématiquement à mes jeunes années, à chaque fois que je les respirerais, intentionnellement ou par hasard, au cours de ma vie future).
Certains jours, deux fois par an, peut-être, le camion des Houillères déversait notre part de charbon, devant l'allée séparant la maison de la pelouse. Papa, usé de son poste de nuit, au fond de la mine, se reposait à l'étage, des boules de cire dans les oreilles. Il ne fallait pas faire de bruit...Ces jours là, on se sentait alors investis d'une mission importante dans laquelle on y mettait toute l'énergie possible ! Munis de seaux, de grandeurs proportionnelles à nos tailles, tels des "forçats" heureux, nous ramenions les boulets jusqu'au hangar, au fond de la cour. Ce jour là, c'était sûr, on n' s'ennuierait pas ! Quelle chance, se disait-on qu'on nous laisse faire un vrai travail, comme les grandes personnes ! On fonçait hargneusement sur le tas de charbon en poussant sur nos bras, raidissant nos muscles, afin de remplir notre récipient. On se toisait, on courait (au début, seulement), pour prendre de l'avance, pour prouver qu'on était "capable de travailler". Les voisins qui avaient aussi leur "mont" de charbon à rentrer, nous regardaient amusés. Je me souviens combien j'étais fière de mon courage. Bien sûr, la lassitude arrivait bien vite pour les plus jeunes... On finissait la journée éreintés, nos vêtements, couverts de poussière noire. On avait l'assurance d'avoir chaud tout l'hiver mais on n'y pensait pas, c'était naturel dans la cité. Nos camarades de classe étaient presque tous enfants de mineurs.
Alors que les jours rappetissaient, que la fraîcheur du soir s'insinuait sous les plis de ma jupe plissée, j'attendais, avec mes frères et soeurs, que maman vienne nous chercher, exprès. La voisine, dont le jardin se terminait de l'autre côté de la rue par une petite barrière verte, nous faisait la conversation avec 'man et le temps semblait bon...Elle complimentait notre bonne éducation, demandait en quelle classe nous irions à la rentrée...Son mari avait attrappé la silicose. Cette dernière, avait eu raison de lui.
Pour la rentrée , on irait à l'hypermarché pour acheter les manteaux, les bottes pour l'hiver et le tablier obligatoire.Nous faisions nos courses courantes au "CODEC", un peu à l'écart de la cité minière, sur la route départementale conduisant à Carvin. Il y avait de tout : de bonnes patisseries polonnaises au graines de pavot, ainsi que de la mètka, et aussi de la saucisse fumée que ma mère faisait cuire dans la soupe au lard. (Toutes celles que j'ai essayé de préparer par la suite, n'ont jamais eu le mème goût !) Comme nous étions nombreux, maman enmenait toujours un enfant faire les courses avec elle, pour porter les sacs, disait-elle ! Sur le chemin, on ne parlait pas beaucoup. L'aller, était un peu monotone par contre le retour nous réservait parfois une surprise : maman nous achetait un cornet de glace en secret. Il ne fallait pas le dire aux autres, en rentrant à la maison ! Je compris bien plus tard qu'elle agissait pareillement avec mes soeurs et mes frères, mais ce jour là, lêcher cette glace, unique, rien que pour nous...que c'était bon ! Il y avait bien la camionnette, le marchand de glace ambulant qui, nous délivrant sa musique à tout và, sillonnait les rues de la cité au jours les plus chauds, mais peu de personnes achetaient. Pour les grandes familles, cette habitude auraît été trop coûteuse. On ne réclamait rien, quand on entendait la musique, on rentrait manger nos bonnes tartines...
Plus tard, je devais avoir une douzaine d'années, quand maman allait faire les courses, je demandais à rester à la maison. Je pretextais une forte fatigue... Elle n'insistait pas pour m'enmener, mais elle n'était pas dupe...À peine avait-elle tourné les talons que je me mettais en quatre pour tout nettoyer. Je faisais la vaisselle, lavais les sols, époussetais...Le désir de lui faire la surprise d'une maison toute propre, me mettais en joie. Pour nous récompenser, elle nous ramenait des petits pains au lait tout emballés, garnis d'une barre de chocolat, que nous mangions sans attendre.
Avec le temps va, tout s'en va...sauf le(les) goût(s) de l'enfance !
LE THURIFERAIRE (Venise)
Retiré sous le porche d’une maison le thuriféraire laissait passer la giboulée.
Une plénitude silencieuse se dégageait de lui. Je ne savais pas au juste ce qu’il tenait dans ses mains, mais une odeur d’encens remontait dans l’air.
J’entrevoyais une lassitude sur son visage d’enfant, épuisé désencombré des attachements.
Quelle parole, quel chant du cœur l’avaient mis sur ma route ?
Il était là comme un chant, un livre , une sculpture figée dans le temps.
J’avais devant moi un Rembrandt, et moi comme un peintre flamand, flairant le modèle parfait qui dormait dans l’atelier du Maitre je voulais toucher son âme.
Il s’est éloigné. Alors je me suis dit « si je le perds, je perds tout le reste , tout ce que le monde est en train d’oublier .
Alors à la manière d’un écureuil par bond et immobilité je l’ai suivi.
Je l’ai retrouvé figé dans la pierre au fronton de l’église comme un fantôme fatigué, plongé dans le ravissement d’un sommeil pur .
Un jour petit thuriféraire je parlerai de toi je montrerai comme tu m’as délivré de tout.
Tuerie ferraire… (Kate) (22)
Non, j’ai mal lu, c’est : « thuriféraire » ! Encore plus obscur, plus fumeux (oserai-je ? oui !)…
Fonçons donc, puisqu’un mail de Walrus a, par un heureux hasard, réveillé mon envie (rentrée) d’écrire et de participer (après tant d’années) à ce défi aux puissants parfums d’encens.
Plusieurs ont déjà « envoyé la fumée » et même si on est déjà jeudi soir et « entre les fêtes » ou « pendant les fêtes », je n’attendrai pas « après les fêtes » comme tout un chacun jouant le débordé (de « chez débordé ») que je ne suis pas vraiment mais que je peux feindre d’être aussi…
Toutes ces digressions qui envahissent mon texte ! Non, qui sont mon texte, comme le livre que je viens de finir où l’on en apprend autant sur son auteur que sur son sujet (« La serpe » de Philippe Jaenada, passionnant !).
Un acrostiche peut-être, vu le temps imparti restant, le manque d’imagination et le peu d’humour qui m’habite en ce moment… Je sais que certains ne manqueront pas le sens figuré... Mon humeur terre-à-terre de cette fin décembre me pousse sur une pente « premier degré » et donc :
Théologie
Hommage
Utile
Rome
Idolâtrie
Fumée
Encens
Respect
Autel
Infini
Rite
Effluves
Bien sûr, je voulais joindre une petite photo mais le temps que je traverse la ville pour rechercher une verrière du 14ème siècle mentionnée sur internet mais dont aucune photo n’est disponible sur internet (que j’ai écumé) ni dans ma doc perso, alors, comme dit la chanson « Non, je n’aurai pas le temps… » et donc à suivre !
Un grand coup de brosse à reluire (petitmoulin)
Un grand coup de brosse à reluire
Excellent ! Monsieur le Directeur
L'encensoir à portée de main
Magistral ! Monsieur le Directeur
La dithyrambe forcenée
Génial ! Monsieur le directeur
La courbette chronique
À votre service ! Monsieur le Directeur
La paillasson seconde nature
Après vous, Monsieur le Directeur
Le pantalon... le pantalon...
Faites... Monsieur le directeur
La promotion en bandoulière
Merci ! Monsieur le Directeur
Et tu te demandes
Pourquoi les miroirs
Se sont couverts
D'épaisse fumée
Bonne Année à vous tous
Amis défiants du samedi.
Une jolie pièce par bongopinot
Derrière cet écran de fumée
Un petit garçon joue de l’encensoir
En le faisant gentiment balancer
Aux premières lueurs du soir
Il suit une procession
Tout de blanc vêtu
Lisant des citations
Lors d’un spectacle inattendu
Trois autres de ses copains
Neptune Saturne et Jupiter
Bouquets de fleurs à la main
Ces trois petits thuriféraires
Ouvrent de nombreux chemins
Dans l’avenir et l’espace
Pour aujourd’hui et demain
Brisant au passage des carapaces
Et lorsque sonne minuit
Brillante comme un soleil
Elles arrivent dans la nuit
Étincelante dans un demi-sommeil
C’était une pièce de théâtre
Pour la fin d’une année scolaire
Elle était interprétée à quatre
Pour un moment beau et lunaire
L’adulateur (JAK)
Une belle endimanchée, sur ses talons perchés
Plantureusement montrait ce que l’on ne saurait zieuter
L’Alphonse, ce voyeur flagorneur, par ces seins alléché
Lui roucoula :
Eh! Miss vous êtes ci-devant, une authentique vénusté.
Et si pour moi vous vouliez bien promptement turbiner
Je vous offrirais à vie, le gite et le couvert.
L’élogieux compliment fit alors chavirer la jolie dulcinée.
Et l’encenseur par son discours flatteur illico l’emballa
Laissant ses pères et mères, au bras de l’enjôleur de suite s’en alla.
Sur un boulevard, dans une voiture clinquante dès lors échoua.
Et depuis, elle chante à qui veut l’ouïr, honteuse et bien confuse,
Un peu tardivement toutefois, qu’on ne l’y prendra plus.
Il en va ainsi du verbe qui peut être louangeur et flatteur, et parfumer les chemins.
Le vil se l’approprie pour mieux manipuler, en authentique mâtin
Et pour lors de la sorte, arriver à ses fins
Gardons nous bien des mots, n’aimons que les actions.
Il faut pourtant le reconnaitre la chose n'est pas toujours aisée
Il est si doux d’entendre la louange de l’obséquieux
Lorsque l’on veut à tout prix être aimé.
Sont tombés dans les pommes (élégamment bien sûr)
Walrus ; Laura ; maryline18 ; Venise ; Vegas sur
sarthe ; bongopinot ; Pascal ; Joe Krapov ; Emma ;
petitmoulin ; JAK ; joye ;
Syncope (Laura)
S'éclater sans repos sur un rythme parfois trop binaire
Y a trop de bruit: trop fort, ce n'est plus de la musique
Nerfs à vifs, coeurs qui s'accélérent au rythme de la danse
Corps qui transpirent en cherchant une place
Or des vêtements, argent des vêtements, tout brille
Pieds qui s'écrasent, jambes qui fatiguent, bras qui se lèvent
Eclater la nuit jusqu'à la SYNCOPE
Le chant du pinson (maryline18)
Il y avait la vie qui bouillonnait en moi,
Il y avait l'envie, mais bafouée parfois...
Telle une frêle embarcation,
Perdue, emportée par la houle
Très loin, de la contemplation
Des constellations,je déboule.
Je cherche ma respiration,
A travers les rêves qui s'écroulent.
Victime de strangulation,
Je sens les regrets qui s'enroulent,
Sur mon âme en perdition.
Je m'en vais, marchant dans la foule :
Famille de substitution.
Je suis l'oeuf et elle est la poule.
Je subi sa respiration.
Dans un souffle nouveau, je roule...
Le vent de la résurrection,
Si bon, comme un vieux vin me soûle...
Je m'emplie de satisfactions,
Jusqu'à présent, jugées futiles.
Addicte, sans contre-indication,
Pour soigner mon état fébrile,
J'achète avec satisfaction,
Un tas de trucs et je jubile.
J'achète aussi des armoires, pour ranger les fruits,
De mes achats compulsifs, oh la belle vie !
Je suscite l'admiration,
Je sais, oh combien puérile !
De mes nouvelles relations,
Qui sont, je vous le donne en mille,
Des victimes, sans prétention,
De cet engrenage subtil,
Hélas de la consommation;
Nous rendant tous déjà séniles,
Nous dictant l'accumulation,
oui ! jusqu'à nous laisser débiles,
Désabusés, sans réaction,
Amorphes, quand il faudrait crier
Pour que cesse la machination.
Le "BEAU" ne peut se fabriquer !
Tout ça n'est qu'hallucination,
Tous, nous savons la vérité.
Mentir n'est pas la solution.
Oh ! laissez moi encor' rêver !
Vous me croyez sans ambition ?
Mais si seulement vous saviez...
Mon niveau de saturation
Est depuis longtemps dépassé.
Je vais dans ce monde, à ma gorge la nausée...
Moi aussi je fais la ronde, pour que vous m'aimiez...
Mon instinct de préservation
D'un petit peu d'humanité,
Me conduit sans invitation
Au coeur d'une belle forêt ;
Intacte est ma satisfaction
À chaque fois renouvelée,
Quand tout près, j'entends le pinson
Venant, chantant, me saluer.
Si la perdrix, sans précaution
Se joint à l'homme, d'un peu trop près,
D'un coup, d' une déflagration,
Son audace, lui fait payer.
Le dégoût, l'incompréhension,
Devant autant de cruauté,
Font place à la résignation.
Se ferment mes yeux pour pleurer...
Ici bas la désolation
Est, ce que nous en avons fait,
Et toutes nos explications
Pour peut-être nous justifier,
En guise de purification,
Pour sûr, n'auront aucun effet.
Je ne suis pas rappeur,ignore le hip-hop
Je ne sais me révolter,je tombe en syncope...
Sus, lapsus et collapsus (Vegas sur sarthe)
"Hâtez-vous docteur" suppliait Firmin le majordome "notre bonne a ses vapeurs"
Encore essoufflé de sa course, le docteur Lapalisse se pencha sur le corps abandonné au sol pour déclarer : "Elle a perdu connaissance"
"Comment peut-elle perdre ce qu'elle possède si peu ?" fit remarquer Madame sur un ton sarcastique.
L'éminent docteur tenta de rassurer : "Si c'est une syncope vagale, cela ne devrait pas durer longtemps"
"J'y compte bien" rétorqua Madame "il est si difficile de nos jours de conserver son petit personnel"
"Sinon, il faudra chercher ailleurs" répondit l'homme de sciences.
Chercher ailleurs! On voit bien qu'il n'emploie pas de gens se dit Madame.
Comme la bonne restait sans connaissance – confirmant les dires de Madame – le docteur Lapalisse ajouta : "Il peut s'agir d'une hypoxie brutale... d'une apnée"
"Pourquoi aurait-elle fait une apnée ?" aboya Madame en s'adressant à Firmin "on n'est pas bien traité, céans ?"
Gêné, Firmin balbutia: "Hum... quand je l'ai trouvée, Madame... elle avait encore en bouche le... comment vous dire... l'instrument de Monsieur"
Dans le boudoir attenant, Monsieur remettait à la hâte de l'ordre dans son habit.
"Vous viendrez me voir, cher ami" tonna Madame, le regard noir et les poings crispés.
Le docteur Lapalisse crut bon de couper court : "Il faudrait la ventiler"
"Ce sera aisé" dit Madame "elle est déjà amplement dépoitraillée!"
Finalement la bonne dépoitraillée sans connaissances bougea un peu et déjà son teint cireux virait au rose pâle.
Le docteur Lapalisse lui prit le pouls et colla son oreille sur un sein accueillant, s'y assoupit longuement puis se releva pour déclarer :"Il s'agit d'un collapsus, d'une diminution des forces avec baisse de la pression artérielle, autrement dit d'une pâmoison"
"Une horrible pâmoison" ricana Madame "elle aura sans doute trop astiqué l'argenterie... ou quelque bijou de famille ou bien elle aura chuté du haut de l'armoire"
La bonne pâmée sans connaissances reprenait petit à petit ses esprits, jetant des regards de droite et de gauche, évaluant la scène.
Comme elle faisait mine de se relever, Monsieur intervint pour l'aider mais un malencontreux croche-pied le projeta dans les bras du docteur Lapalisse.
"Docteur" minauda Madame "aidez Monsieur avant qu'il ne se pâme à son tour" puis elle se pencha vers la bonne tout à fait désyncopée "Ma fille, vous passerez à l'office pour vous défaire de votre tablier, ce qui doit être chose aisée pour vous !"
Monsieur avait pâli à son tour et d'une démarche syncopée il reprit la direction du boudoir et de son armoire aux alcools à la recherche d'un brandy ou d'un vieux marc...
Comme la porte claquait violemment il se retourna en chancelant; affichant son regard des mauvais jours Madame fonçait sur lui.
"Vous avez renvoyé cette gourgandine" osa t-il d'une voix blanche sur un ton faussement affirmatif.
"Avec un soufflet en sus, mon cher! En sus!" ricana Madame "nous nous passerons désormais de bonne en espérant que Firmin ne soit pas lui aussi sujet au collapsus"
Syncope 201217 (Pascal)
En cette fin de journée de vendredi, à la Valette, nous nous étions retrouvés fortuitement chez des amis communs qui gardaient notre fille de temps en temps. La procédure de notre divorce suivant son cours, nous ne vivions plus ensemble depuis quelques mois. Nous n’étions pas particulièrement en odeur de sainteté, et nous avions au moins autant de griefs à nous reprocher l’un et l’autre. Tu devais aller chercher un billet de train à la gare de Toulon, aussi, je t’avais proposé de t’emmener ; je ne sais pas pourquoi je t’avais suggéré cette aide, je ne sais pas pourquoi tu avais accepté, même si j’avais insisté.
Seul, en dehors du contexte des priorités d’un mari, d’un père de famille, d’un bon ouvrier, celui souffrant du devoir de la longévité à ces seules responsabilités sacrificielles, toutes ces choses qui font d’un homme une célébrité, à la gestuelle éprouvante des habitudes maritales, et une dignité sans faille, j’avais passé le permis moto. J’avais économisé, vendu ma collection de timbres, ma chaîne stéréo et, depuis peu, je m’en étais acheté une, à la démesure de mes rêves de gosse, aux accélérations fulgurantes.
Sur cette machine, j’avais le plaisir de retrouver la liberté, celle que notre mariage si pressant avait emprisonnée quelques années plus tôt. Tout ce retard d’adrénaline pure invitait naturellement le démon de la vitesse près de moi, à chacune de mes sorties ; caressant la lame de l’échafaud, la roulette russe, le billot de l’inconscience, je roulais à tombeau ouvert…
C’était bon de remettre ma vie à la Question ; loin de toute claustration, je lui trouvais désormais un intérêt, celui de piloter ma bécane, chaque jour nouveau. Sous mon heaume, à une vitesse folle, je joutais entre les voitures, les camions, ces obstacles poussifs, et tout ce qui dérangeait mes courses infernales. Tu dédicaçais ton cœur à un autre, j’avais perdu le goût des fleurs, de la poésie et de la mélancolie ; seuls comptaient les roues arrière, les dérapages, les accélérations, les évitements ; tous les frissons nerveux qui couraient sur mon échine, je les bousculais dans mon inconscience en haussant les épaules…
On t’avait prêté un casque et c’est avec beaucoup d’appréhension que tu étais montée sur ma machine. Après le coup de démarreur, le rugissement du moteur, j’avais enfourché ma bécane, passé le premier rapport et j’avais pris la direction de Toulon. Oui, bien sûr, je t’avais promis de conduire prudemment mais, une fois sur la route, tu ne pouvais plus descendre…
Pour éviter les encombrements de la ville, j’avais emprunté l’autoroute ; je te sentais crispée, refusant de te pencher avec moi dans le virage de la bretelle d’accès. A peine sorti de la courbe, sur la voie d’accélération, j’avais descendu ma visière et j’avais tourné la poignée de gaz à fond, en enquillant les vitesses à la volée…
Même si c’était le seul fait de ma conduite imbécile, brutale et dangereuse, cela me faisait plaisir de sentir que tu t’accroches à moi. Nous qui avions consommé la séparation de corps, c’était ma façon de nous serrer encore l’un contre l’autre, sans aucun doute la dernière fois. Les paysages défilaient à toute allure et les couleurs se délayaient dans un brouet d’incertitudes pittoresques. Accaparé par la conduite, je t’imaginais pourtant fermant les yeux et récitant des prières. J’avais la responsabilité de ta vie mais je l’avais mise en commun avec la mienne, comme nos serments éternels échangés devant l’autel de l’église. J’entendais tes cris sous ton casque comme des suppliques lancées à ma bêtise…
Te montrer toute ma propension à piloter mon engin, te faire apprécier mes réflexes à anticiper les dangers, te faire peur ou t’en mettre plein les yeux, je ne sais pas trop encore, aujourd’hui, ce que je voulais te démontrer, même si tu n’en comprenais que toute ma stupidité. Peut-être voulais-je te montrer mon côté Mister Hyde, loin de l’insipide docteur Jekyll, celui que tu avais fui parce que tu le connaissais par cœur…
Avec le bruit infernal du quatre en un, les terribles vibrations, le guidonnage incessant, ta peur de tout à l’heure était maintenant de la frayeur ; tu tapais dans mon blouson en espérant me faire ralentir. Tu me serrais encore plus fort et cela fortifiait ma frénésie…
Sortant d’une grande courbe, à quelques centaines de mètres, je m’aperçus, effaré, qu’une énorme file de voiture à l’arrêt saturait l’autoroute, à l’entrée de la ville ; j’étais un chien fou lancé dans un jeu de quilles. Impossible d’éviter, impossible de contourner ; telle une bombe, j’allais férocement m’encastrer dans le bouchon des voitures. Ralentir, m’arrêter, en tentant un freinage désespéré, c’eut été coucher la moto et nous laisser cruellement glisser jusqu’aux pare-chocs guillotines des bagnoles.
Un instant, j’ai paniqué, je te l’avoue ; notre histoire allait s’arrêter là, dans un terrible accident d’imprudence. Comme nous étions ensemble, cela me paraissait moins grave ; à la vie, à la mort, c’était aussi dans le contrat de notre mariage. « Je n’avais pas peur de mourir » furent mes conclusions…
Parce que l’instinct de survie commande, au frein moteur, mon bolide rugissait ; les coups de frein que je donnais à la roue arrière faisaient dribbler le pneu sur la route. Le freinage de l’avant avait tassé la fourche et j’avais l’impression que j’allais passer par-dessus ma bécane. Toi, tu serrais les cuisses contre les miennes comme pour te faire la plus menue possible ; entre tes bras, tu me serrais si fort que j’avais du mal à respirer. De toute façon, j’étais en apnée depuis le début de tous ces terribles événements d’adversité routiers…
Tout à coup, un mince dégagement entre deux files de voitures apparut droit devant moi ; à plus de cent soixante, j’entrai dans cet étrange corridor salvateur. Je me souviens de l’écho bruyant de mes échappements, des peintures aveuglantes des bagnoles alentour et de mon dernier soupir libéré, remis… à plus tard…
Enfin, nous sommes arrivés devant la gare ; j’avais tellement de tremblements que je n’arrivais pas à mettre la machine sur sa béquille…
Quand tu t’es retrouvée debout à côté de la moto, je t’ai sentie toute pantelante, tes jambes ne te portaient plus ; comme si on avait ouvert l’interrupteur de ton énergie, tu es tombée dans les pommes. Plus de lumière à tous tes étages, Game over. Heureusement que tu avais gardé ton casque, tu aurais pu bêtement te blesser avec la bordure du trottoir, quand ta tête a heurté le sol…
Du vent dans les idées (petitmoulin)
Saisi de vent dans les idées
Tu glisses dans le lointain
Un tourbillon d'étoiles
Sous les paupières
Tout vacille
Tu traverses le vide
La brume gomme les visages
Et les gestes
Et les couleurs
L'ombre te reprend les mots
Au bord des lèvres
Tu entends sans le voir
Le pianiste du bar
Les notes syncopées
Tombent sur le seuil
De ton vertige
Instant suspendu
Tu tends la main
Pour essuyer le regard
Ce n'est pas encore le grand jour
Mais une lueur te fait un signe