… Vive le homard !
À Saint Nazaire, essoufflés, nous rentrions à la maison, quelques chewing-gums en poche. Pas facile pour des gamins, nombreux comme des nuées d’oiseaux, de les attraper en courant. Sympathiques ces américains ! De l’arrière de leurs camions bâchés, ils nous lançaient des tas de friandises, en riant fort, en nous criant des mots bizarres. Les garçons se battaient …
Et pendant ce temps-là, nous les filles, nous récupérions tranquillement toutes leurs miettes.
Le soir je contais à mon petit frère, les histoires de Toto le homard bleu. Avec ses bulles habiles, ses grosses frayeurs, ses mues d’adolescent, ses tendres pinçons, ses amours frétillantes. Le dernier jour de l’année, oncle Georges et tante Lionelle sont venus chez nous. Georges et Lio tout émoustillés exhibaient un homard vivant, « épatté », en chair et en os.
Ti Léon fit un vœux, il ne voulait pas que l’on tue son homard vivant !? Aïe, problème ! Pendant ce temps, l’oncle et la tante se disputaient. Pour d’abord le couper en deux, ou pour le mettre directement la tête la première dans l’eau bouillante … Toto avait une âme pourtant, car si l’on s’en approchait, il agitait ses antennes et dressait maladroitement sa pince gauche restante. Prêt à défendre sa vie.
Personne n’avait écouté notre conte, et personne ne voyait en Toto autre chose qu’un accessoire de Réveillon. Ainsi, c’est avec de tels réflexes que nous finirons par traiter l’humanité en objet taillable et corvéable à merci, utilisable – même si elle n’est pas encore comestible – à l’américaine ...
Lothar