Participation de Venise (385)
Chez nous les Noëls étaient particulièrement déprimants.
Entre la Bûche et le Sapin de Noel on attendait un Pére Noel qui ne venait jamais.
Alors on allait se coucher avec les pieds aussi glacés que les marrons de tante Jeanne !!
Mais cette année-là le voisin avait abandonné sa vieille boite de scrabble sur le trottoir et toute la famille avait passé la soirée autour de ce vieux scrabble .
Obélisque avait demandé mon père AU ou O.
Obélix avait crié mon petit frère avec un X à la fin .
Mais non hurlait de rire ma mère AUBELISQUE
À l’unanimité Obelisque s’écrivait AUBELISQUE !!
Aucun dictionnaire n’avait pénétré notre vieille chaumière , et la langue française on l’a retournée comme une crêpe Suzette !!
Je vous raconte cette histoire, car l’autre soir je suis sortie du métro place de la concorde et il était là devant moi notre obélisque .
Une colossale énigme trônait au centre de Paris .
Je jetai un rapide coup d’œil sur la bête et j’y découvris des hiéroglyphes qui ressemblaient étrangement à la langue de mes parents La langue cubiste !!
Je venais de découvrir que mes parents loin d’innover appartenaient au monde dont la langue chatoyante comme un fleuve m’avait fait aimer les voyages.
J’entends leur rire comme une douce pluie qui ne se sèche jamais dans l’encre de mes lettres .
L'obélisque pour les Nuls (Vegas sur sarthe) (376)
Comme astérisque le mot obélisque est masculin à cause de sa forme, c'est pourquoi on parle d'érection lorsqu'on le dresse.
Erigé ou au repos, un obélisque est toujours rose grâce au granite rose de chez Assouan, un tailleur égyptien qui fit carrière dans le granite.
Les techniques d'érection restent méconnues à ce jour bien qu'on ait échafaudé de nombreuses théories comme celle du docteur Hypothalamus "Erection, mode d'empoi ou la Gaule du matin".
Par contre on sait que l'obélisque de Louqsor provient de Louqsor en Egypte où il gisait ; s'il était venu de Gizeh on l'aurait appelé l'obélisque de Gizeh ce qui eut été grotesque pour un obélisque en érection.
Il a été échangé aux égyptiens par Charles X contre une horloge en cuivre qui n'a jamais marché mais l'obélisque n'a jamais marché non plus bien qu'il serve aléatoirement de cadran solaire.
Mené en bateau durant un an au gré des crues du Nil puis de la Seine par Champollion – célèbre pour avoir déchiffré le mot barbare hiéroglyphe – l'obélisque est érigé en 1836 à Paris où il remplacera un monument autrefois érigé en l'honneur de Louis XVI qui fut décapité au même endroit.
Selon les époques, on décapite, on castre ou on érige et tout ça devient l'Histoire avec une grande H.
Louis-Philippe Ier finira par trancher lui aussi: ce sera la Place de la Concorde et nulle part ailleurs!
On notera que Champollion portait un nom de lycée, le même nom que beaucoup d'établissements français comme Grenoble, Dijon ou Figeac (Source: Les Copains d'avant)
C'est ainsi que le 25 octobre à 14H30 et des poussières – beaucoup de poussière – au moment de l'érection il y aura du monde au balcon, Louis-Philippe Ier – inventeur de la pièce de 20 francs – et sa famille recueillent l'ovation de la foule; il faut dire que ce jour-là il faisait beau... mais parlons technique:
L'obélisque comporte trois parties distinctes mais reliées entre elles: le pied des stalles, le fût et le pyramidion mais vu d'en bas on distingue surtout le pied à moins d'être en haut; c'est pourquoi on peut dresser un obélisque à l'envers, dans ce cas on dit planter et non pas ériger.
Le planter d'obélisque est développé en détail dans les brochures de Goscinnix et Uderzum.
Le pied des stalles:
Le pied des stalles d'origine de l'obélisque de Louqsor comportait seize statues de babouins surexcités et en érection comme l'obélisque mais il fut remplacé par un pied des stalles plus sobre pour ne pas choquer la société française prude du XIXème (du XIXème siècle et non pas du XIXème arrondissement).
Notons à l'attention des voyeurs libidineux que le pied des stalles d'origine et ses babouins qui bandent tous les jours de 9H à 18H sauf le mardi est visible au pyramidion du Louvre.
Le fût:
Déjà douze siècles avant JC tous les fûts sortaient couverts, celui de Louqsor ne manque pas de caractères ; il est couvert de hiéroglyphes ou rébus à base d'oiseaux, de cafards, de trombones, de casseroles et de scoubidoubi-ou-ah qui racontent la vie de Ousirmaâtrê Setepenrê appelé plus amicalement Ramsès II (ou Rame 16-2).
Le pyramidion:
C'est une mini-maquette de pyramide placée au sommet du fût et pour couronner le tout celui de la pyramide de Louqsor est recouvert de feuilles d'or pour faire plus style Louis-Philippe.
À suivre: La culture de l'agrégadolinium à travers les âges
Vide-grenier (Joe Krapov) (427)
Dans le grenier aux mille frusques,
Encadrée par la soldatesque,
S’agite l’odalisque brusque,
Pour une braderie dantesque.
Telle, au désert, une bourrasque
Elle remue tapis et vasques
Et statuaire éléphantesque,
Confisque tout le pittoresque
Du harem devenu burlesque.
Sa danse est une bergamasque !
Shéhérazade s’en inspire
Et s’en redescend pour écrire
Ceci :
L’obélisque est gigantesque,
L’odalisque est fantasque,
Moi je rêve de Manosque.
Qu’y boirai-je ? Une mauresque !
Jouer des musiques sous le kiosque
A la Daft Punk, dessous un casque,
Peindre mille et mille arabesque
Orner des boucliers étrusques…
Dois-je citer toutes mes frasques
Ityphalliques et pioupiesques ?
Prescription pour le pays basque ?
Je n’ai pas dégradé de fresque
Mais Omar a « manger » la bisque !
Pourquoi changerais-je de disque ?
Pourquoi tomberais-je le masque ?
L’exercice n’est pas sans risques :
Un jour nous aurons les joues flasques,
Nous serons des vieillards grotesques
Car toute existence est farcesque.
Sarcey se prénommait Francisque,
L’obélisque sera clownesque
On n’était pas chevaleresques
Mais juste… abracadabrantesques » *
Ce que la conteuse nous chante
Finira-t-il à la brocante ?
Se pourrait-il, par aventure,
Que ses mille nuits d’écriture
Disparaissent dans la nature ?
Qu’un heureux acheteur du souk
Les emmène dans sa felouque ?
Se peut-il qu’un jour sur E-bay
Parmi d’autres trésors livresques
Un libraire ému les débusque ?
Ou suis-je par trop romanesque ?
* Oui, j’ai oublié de citer nommément l’astérisque.
C’est pour ça que j’en ai mis un quand même sous cette forme-là.
Tant pis s'il ne sert à rien !
Revendez-le au prochain vide-grenier près de chez vous !
A Paris (Laura) (124)
A Paris, je n’ai jamais su choisir entre revoir l’Obélisque ou une des Odalisques de la peinture.
Au Louvre, je n’ai jamais su me décider entre admirer la grande Odalisque d’Ingres et une des saisons de Poussin
A Paris, je n’ai jamais su choisir entre revoir une Odalisque de Matisse au Centre Pompidou ou flâner au Jardin du Luxembourg en récitant Nerval
Au centre Pompidou, je n’ai jamais su me décider entre visiter une exposition et revoir les Kandinsky
A Paris, je n’ai jamais su choisir entre revoir l’Obélisque ou un futur événement sur les Odalisques
A Paris, je n’ai jamais su me décider entre l’actuel et l’immortel, entre les tableaux parisiens de Baudelaire et les Odelettes
A Paris, je n’ai jamais vraiment choisi
J’essaie de tout faire
Et je sais que je n’y arriverai jamais
Et c’est ça qui est bien
A Paris
Essayer de tout voir
L’obélisque
L’Odelette
Le tableau et le paysage
APPETITION (chansonge) par tiniak (86)
J'ai rêvé trop loin...
Je me suis perdu
d'horizons tordus
en soupirs en coin
J'ai rêvé de foires
aux lents rigodons
portant des chansons
au front de l'Histoire
J'ai rêvé trop fort
comme l'odalisque
devant l'obélisque
écoutant son corps
J'ai rêvé de mains
caressant l'Ailleurs
tel un orpailleur
en oublie sa faim
J'ai rêvé trop cher
un tissu de mots
qui ferait la peau
aux foudres de guerre
J'ai rêvé d'un jour
de belle facture
qui ferait le mur
pour vivre d'amour
Rêverais-je mieux
à l'économie ?
J'ai tant d'appétits
quand j'ouvre les yeux !
Marie-Jo (Pascal) (100)
Marie-Jo, la cinquantaine fanée, je l’ai connue sur un site de rencontre ; elle avait de belles photos affichées sur sa devanture virtuelle, un avenir qui ressemblait au mien (je m’adaptais), du temps libre, et des fantasmes accrocheurs en bas résilles et en dentelle noire.
Divorcé depuis peu et véritable taïaut, la truffe au vent, je courais le guilledou et, Toulon-Marseille, ce n’était qu’à une portée de fusil de ma libido galopante. Nous étions faits pour nous rencontrer…
Au téléphone, elle m’avait susurré : « Mon beau, tu prends l’autoroute jusqu’à Marseille, tu vas toujours tout droit ; arrivé sur le Boulevard Michelet, tu prends à gauche, tu passes devant le stade et tu continues toujours tout droit. Quand tu verras l’obélisque de Mazargues, tu prendras à droite, le Boulevard de la Concorde, et encore une fois toujours tout droit jusqu’à la première à droite : la rue Jules Isaac ; remonte-la, je t’attendrai, tu me reconnaîtras… »
Moi qui suis nul, question géolocalisation, j’avais trouvé du premier coup ; ce devait être l’aiguille du GPS, du dessous de ma ceinture, qui m’indiquait la bonne route…
Effectivement, elle m’attendait au bord du trottoir ; je ne pouvais pas la manquer. Avec toute sa panoplie d’apparat, décolleté super plongeant, jupe ultra courte et montée sur des talons si hauts, elle ressemblait à une majorette qui n’a pas vu retomber son bâton ; j’étais même étonné que les hommes de passage ne s’arrêtent pas pour lui demander son prix…
Plus que ma vieille voiture, elle avait des kilomètres au compteur, ma belle Marie-Jo ; les cernes autour de ses yeux valaient tous les maquillages de films tragiques en noir et blanc ; ses cheveux décolorés en blonde cachaient mal leurs racines blanches ; ses mains calleuses, ses ongles cassés trahissaient sa pénible condition de femme laborieuse et, si elle avait des frissons, ce n’était que le froid du dehors. Comme je n’étais pas non plus de la première fraîcheur, on s’est reconnus, on s’est approchés, on s’est touchés, on s’est embrassés. Elle sentait bon la savonnette et le parfum de la superette.
Son histoire est digne d’un roman de Victor Hugo, dans sa période « Les Misérables » où elle n’aurait pas dépareillé dans un chapitre entier, tant ses emmerdes étaient multiples.
Divorcée d’un mari aussi juif qu’ambigu, comme pour se soulager, elle m’avait raconté. En allant aux WC, elle l’avait surpris, dans la nuit de l’appart, en train de se masturber devant l’écran de son ordinateur, tout en parlant à un interlocuteur inconnu.
A longueur de journée, été comme hiver, elle préparait des gâteaux dans sa cuisine et, lui, il allait les vendre à la boulangerie d’en face, moyennant un maigre bénéfice. Gare, les gifles tombaient bas quand elle ne réalisait pas son quota.
Sur mes recommandations, elle s’était séparée de son dernier loulou en date ; la nuit, il était videur de boîte, de son état ; en échange, aux frais de la princesse, il passait ses journées à jouer à des jeux d’arcade sur la télé de la maison tandis qu’elle allait s’éreinter à faire des ménages. S’il avait une grosse BMW, elle n’était pas assurée, il dealait avec les gamins du quartier, il jouait aux courses, il grattait à tous les jeux et il ne gagnait jamais…
Elle avait deux gamins, deux véritables p’tits cons (comme elle disait) d’une vingtaine d’années qui profitaient outrageusement d’elle ; pour l’emmerder, ils l’appelaient la vieille, devant moi, ce qui la faisait immanquablement pleurer. Moi, je les j’aurais bien balancés d’une fenêtre de sa minuscule location, au quatrième étage.
Elle avait recueilli un chien, à cause des caprices de ses deux gamins ; il ne servait à rien qu’à vider ses gamelles, qu’à gueuler son ennui et à réclamer sa promenade quand l’envie de faire ses besoins le débordait. Quand j’étais là, c’est moi qui allais le balader, ce pauvre clébard. A force de tirer sur sa laisse, il avait le cou plus long que la normale. En apnée, j’en profitais pour prendre l’air, loin de toute cette détresse sidérale…
Plus tard, quand j’arrivais chez elle, un week-end sur deux, elle me préparait toujours un bain d’eau chaude parce que cela faisait du bien à mes articulations malades, même si elle n’avait plus que de l’eau froide pour sa vaisselle et même si sa facture d’électricité allait s’en ressentir. Nue sur son lit, les seins un peu lourds, le ventre un peu flasque et les cuisses un peu rondes, elle n’était pas franchement une odalisque, non, ma Marie-Jo.
Après l’amour, du haut de l’armoire de sa chambre, en catimini de ses gosses intéressés, d’une antique boîte de biscuits, elle me sortait ses trésors de vieilles pièces et de vieux timbres qu’elle étalait sur le lit ; elle voulait tout me donner. Elle me montrait des photos de son mariage, des photos d’elle à la plage et elle insistait sur la beauté de ses formes, au temps de ses jeunes années. Pendant les quelques heures qu’on passait ensemble, elle riait, elle était agréable et spontanée. Comme si le soleil éclairait sa cuisine, pendant un rayon de bonheur, elle me préparait des bons petits plats, des gâteaux, sans doute les mêmes que celui que son mari lui réclamait, des années auparavant ; je devais les ramener chez moi pour que je l’oublie moins vite, me disait-elle, redevenue sérieuse…
Pour occuper le temps, on a fait le tour de sa famille. Nous sommes allés voir son père, il était pied-noir, espagnol et aveugle. Il était boxeur amateur, dans son jeune temps, et il n’a pu s’empêcher de me montrer quelques-unes de ses photos de jadis. Quand je lui ai dit qu’il ressemblait à Cerdan, il m’a tout de suite accepté à sa table.
Avec des fleurs, nous sommes allés voir sa mère ; au cimetière, avec vue imprenable sur la mer, elle dormait dans la travée six de l’allée douze.
Nous sommes allés rendre visite à une de ses sœurs ; elle n’a pas ouvert sa porte même si sa voiture était garée devant la maison ; nous sommes allés voir une autre de ses sœurs ; en bras de chemise, la clope au coin du bec, le juron aux lèvres, elle déchargeait un camion de livraison du magasin Liddle de son quartier.
Nous n’avons pas eu besoin d’aller à la rencontre de son frère, un peu demeuré, vu qu’il traînait toujours dans les environs, à l’aumône habituelle d’un petit billet ou d’une assiette chaude sur un coin de table. Un dimanche, alors que nous déjeunions chez son paternel, il était assis à côté de lui ; chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il prenait une beigne. Aussi, je me suis demandé si le boxeur à la retraite était vraiment aveugle ou si le gamin ne faisait pas exprès de s’en prendre plein la figure, seulement pour avoir une caresse de son père…
Quand ses « merdeux » n’étaient pas dans les environs, on faisait l’amour sur toutes les chaises, celles du salon, celles de la cuisine, celle de la chambre ; cela devait être son fantasme le plus exaltant. J’eus un peu peur avec le tabouret de la salle de bains, à cause de son état bancal et madame avait des orgasmes en décibels tonitruants, à décoller la faïence. Son lit était tellement mou que je me retrouvais toujours aspiré avec elle, en son milieu. Alors, je me retournais et, agrippé contre le bord, j’avais l’impression d’essayer de dormir sur les pentes glissantes d’une montagne abrupte…
Aussi, je vous le demande, amis lecteurs de cette aventure ; cette pauvre femme, qui avait-elle à dénoncer ? Son juif ? Son porc ? Ses enfants ? Sa malchance ? Son ignorance ? Sa pénible condition de femme ? Ce bonhomme qui avait frappé à sa porte, seulement intéressé par ses photos en porte-jarretelles ? Moi, j’arrivais dans son monde et j’étais comme un chien dans un jeu de quilles. Elle, sans permis de conduire, sans réel boulot, sans avenir, elle gérait la guigne, la fainéantise de son aîné, les crises d’épilepsie de son plus jeune, les fins de mois difficiles à partir du dix, les factures qui s’accumulaient, le frigo et les placards qui se vidaient en échange, la machine à laver en panne, les deux bouts qu’elle tentait de joindre à la seule force de son courage et de ses ménages chez les riches avares…
Chez elle, à part le jeu des chaises musicales, c’était devenu le palais des mille et un ennuis. Bien sûr, on sortait. Nous avions déjeuné dans des grands restaurants, ceux du bord de la mer ; elle était toute contente de se retrouver dans le monde, avec ses bijoux en toc, pour briller en public. Nous étions allés au Vélodrome et nous avions applaudi l’OM ; bras dessus, bras dessous, nous nous étions baladés au Parc Borély, malgré la pluie, malgré le Mistral et malgré le soleil ; nous avions arpenté les grands magasins et fait des emplettes mirobolantes à la couleur enflammée de ma carte bleue ; nous étions allés au cinéma voir triompher des héros en costume de chevaliers. Pourtant, il fallait se rendre à l’évidence ; nous nous étions épuisés à force d’avoir vécu notre temps ensemble. Cette vie de barreau de chaise ne me convenait pas…
Avec ses deux pénibles ados qui squattaient l’appart, c’était des sempiternelles crises de disputes avec leur mère, et j’en avais ma claque d’arbitrer toutes ces guerres de suprématie. Une fin d’après-midi, quand une goutte d’incompréhension et d’engueulade fit déborder le quatrième étage, je repris le chemin inverse ; je contournai l’obélisque de Mazargues, bien dressé entre la nuit et la journée, je longeai le Boulevard Michelet et je tournai à droite pour retrouver la bretelle de l’autoroute de Toulon. Je ne suis jamais revenu. Je crois que je lui ai fait du mal, je crois qu’elle a pleuré ; comme une bouée de sauvetage, je crois aussi qu’elle s’est accrochée à un autre bras, plus responsable, plus compréhensif, pour la prendre en charge et pour tenter de la sortir enfin de tout son marasme. Insatiable navigateur, le nez au ciel, je repartais en quête de l’inaccessible étoile…
Ah, être Calife à la place du Calife ! (Walrus) (351)
La procrastination (oui, je sais, je retarde de trente-trois chapitres) est une manie qui me fait un tort fou.
Déjà que comme c'est moi qui propose les sujets, vous pourriez penser que j'ai déjà une petite idée derrière la tête en le faisant et que, d'autre part, j'ai au moins quelques petites minutes d'avance sur vous pour me mettre à rédiger.
FAUX ! (comme disait Norman)
Faux parce que mon indolence naturelle fait que quelle que soit l'idée qui me vienne sur le sujet, je la retrouve déjà dans un des envois des participants plus courageux que moi.
Je vous les donne en vrac :
- associer l'obélisque à l'astérisque comme un vulgaire Uderzo (bon, je vais pas en faire une idée fixe)
- remettre les pendules à l'heure sur la nature exacte des odalisques
- et, puisqu'on parle d'heure, prendre la place de la Concorde pour un cadran solaire
- prendre un air pénétré à la pointe de l'obélisque
- jeter un voile pudique sur toutes les odalisques de la peinture française
- transformer l'obélisque en fusée et la mettre sur orbite
Bon, ben comme on me coupe tous mes effets...
Je vais peut-être pouvoir entrer au harem !
LÓDZ par bongopinot (192)
Une place majestueuse
Comme je suis heureuse
Et très vite je m’émeus
En découvrant ce lieu
C’est la place de la liberté
Une statue est posée
Au dessus de l’obélisque
Et Lodz est magnifique
Le monument se détache
Et fièrement s’impose
Le tram danse autour
Et des personnes courent
Cette statue fièrement dressée
On ne peut que l’admirer
Sur l’obélisque de pierre
La ville de Lodz peut-être fière
Regardez l’obélisque
Dans ce ciel énigmatique
Il est majestueux et droit
En ce jour un peu froid
Défi #482
Ont joué les oiseaux de nuit
Venise ; Vegas sur sarthe ; Laura ; Thérèse ;
Pascal ; Joe Krapov ; tiniak ; bongopinot ; joye ;
Walrus ;
La Pomponette (Vegas sur sarthe)
Elle est là dans le vestibule, pâle comme un maccabée, chiffonnée de la tête aux pieds et chancelante comme un funambule de pacotille, les yeux battus et la choucroute de travers.
Alors je commence puisque je suis le plus valide de nous deux :"C'est à c't'heure-là qu'tu rentres? On avait dit pas tard, Germaine"
Je me doute de la réponse comme elle se doutait de la question et ça sort :"Il est pas tard... il est tôt, il est même très tôt. Qu'est-ce que tu fous déjà debout ?"
L'oiseau de nuit, déplumé et repu de gros son – ça tintinnabule encore dans sa tête – ressemble moins à une chouette qu'à une chatte rassasiée, on dirait la Pomponette de Pagnol.
Je me retiens de dire :"Assieds-toi là ma belle, tu dois avoir faim" mais elle n'est pas belle à cette heure matinale; Germaine est belle le soir mais jamais belle au matin, elle est du soir... du très soir.
Comme en préambule à l'habituelle empoignade elle ajoute pour se justifier :"J'y peux rien, j'suis somnambule"
Comme à chaque fois ce dialogue de sourd va ruiner mon petit-déjeuner du dimanche matin :"On ne dit pas somnambule mais noctambule"
Une grosse larme creuse lentement un sillon de rimmel ravageur :"J'y arrive pas"
Je repousse mon bol de café refroidi tout comme moi :"C'est pourtant facile, noc-tam-bu-le et som-nam-bu-le, c'est différent! Noctambule c'est quinze points au scrabble alors que..."
"C'est quoi le scrabeule?" demande t-elle.
Si les copains du club de scrabble l'entendaient, ils seraient sur le cul!
Germaine fourrage d'une main lasse dans sa choucroute dévastée; le sillon de rimmel finit sa course à la mandibule :"J'y arrive pas à rentrer moins tard parce que j'ai besoin de partir tard, sinon à quelle heure on ferait les after?"
Je pose ma tartine beurrée... Germaine l'est tout autant; j'ose la question :"C'est quoi un afteure?"
Si ses copines d'afteure m'entendaient, elles seraient sans doute effarées.
Elle s'explique les yeux fermés comme pour prolonger son plaisir "nocturne" :"C'est là où on va finir la nuit quand les boîtes ferment vers trois heures"
"Et on y fait quoi dans ces afteures?"
Une lueur incrédule éclaire son regard éteint :"Ben... on fait la même chose qu'en boîte, on boit, on grignote, on s'amuse quoi!"
C'est vachement bien organisé leur truc: quand les boîtes ferment, les afteures ouvrent.
Je réponds juste :"Tu grignotes après trois heures du mat? Va pas vomir dans mon bol"
Pomponette tangue dangereusement dans un slow approximatif et finit par s'affaler sur la chaise contre moi.
Un mélange de tabac froid et de Lancôme suranné déambule autour de ma fêtarde et me donne la nausée :"Tu fumes maintenant ?"
"Non, c'est les autres, alors fatalement j'en profite"
Comme si elle était fatalement contrainte d'aller en boîte chaque samedi et fatalement obligée de rentrer à sept heures.
Fêtard... c'est curieux ce mot qui finit par tard.
D'après le Larousse le mot fêtarde est très rare, mais il a fallu que j'en épouse une.
Moi je fais partie des couche-tôt et je n'ai pas envie de changer de rythme.
Ma fêtarde ronronne et commence sa nuit sur place, je pourrais lui dire façon Pagnol que je m'étais fait un sang d'encre toute la nuit, que j'avais tourné et viré dans tous les coins, plus malheureux qu'une pierre... mais en fait j'ai dormi et il faut que j'aille réchauffer mon bol de café :"Maintenant que tu en as bien profité, Pomponette tu peux aller te décontaminer sous la douche et filer au lit... il est encore chaud"
Je rêvais de conciliabules, d'enfantillages échangés sur l'oreiller dans la chaleur du lit conjugal mais voilà, j'ai épousé une noctambule.
"S'il est chaud j'en veux bien" bredouille t-elle.
J'ignore si elle parle du café ou du lit et je n'ai pas envie de savoir; pas envie de partager l'un comme l'autre: c'est mon café et c'est mon lit puisque j'y dors seul et que je le bois seul ou le contraire.
Dimanche prochain, je prendrai mon café au lit... ça résoudra la question.
Noctambules (Laura)
Les oiseaux de nuit ne trouvent plus d’appui
Pour distinguer hier, demain et aujourd’hui
Ils n’attendent plus grand-chose d’autrui
Leurs rêves et leurs désirs se sont enfuis
Ils boivent seulement pour noyer leur ennui.
Les oiseaux de nuit ne trouvent plus l’étui
Qui contient leurs lunettes de pluie.
L’alcool a nui et tout le plaisir a fui.
Si le bar a un instant relui
Il ne reflète même plus celui
Qui confond le jour et la nuit.
Balade nocturne (Thérèse)
Des jours comme ça où tout implose, où tout explose,
Des soirs comme ça de solitude et de silence,
Des nuits comme ça où rien n'a de consistance
que les brumes qui s'emmêlent dans mon cerveau en déroute.
Des murs, des barrières, des portes, des maisons…
et des ombres, qui se cachent derrière,
caressent les briques une à une,
jouent avec la lumière des lampadaires,
courent, se coulent, se faufilent, subreptices,
sœurs intimes de fantômes aïeux.
Devant mes yeux écarquillés de surprise,
halos tout ronds, tout orange, striés de fins rayons,
encerclent chacun des éclairages au-dessus des trottoirs.
Je marche au milieu de la route déserte,
je marche dans les rues de mon âme,
le cœur oppressé d'être aussi inutile
avec le poids de cette peur en bandoulière.
Des rues vides où résonnent mes pas.
Même les chiens se sont tus dans la ville fantôme.
Des nuits comme ça où tout n'est qu'incohérence
Des soirs comme ça qui éclairent l'indifférence
Des jours comme ça écrasés de solitude
où tout explose, où tout implose…
Les Noctambules (Pascal)
Après ton boulot de serveuse, te souviens-tu quand nous allions finir la nuit dans ce singulier bistrot, dont j’ai oublié le nom, sur la place du Théâtre ? Dans la basse ville, les rues borgnes succédaient aux impasses malfamées. On courait sur les pavés brillants éclairés par les seules devantures racoleuses des bars à matelots. Des clochards nous poursuivaient en réclamant l’aumône, des marins en pompons occupaient la zone, la rue du Canon fourmillait d’une hétéroclite faune. Sous des porches sans âge, des prostituées en jupette clamaient leurs avantages aux passants malhonnêtes…
A l’heure officielle de la fermeture, le patron tirait ses rideaux de fer et seulement une ou deux petites lumières restaient éclairées derrière le bar. Après quelques martèlements de connivence sur les carreaux, il entrouvrait sa porte aux habitués nuiteux.
A chaque table, c’était plein de messes basses remplies de propos tenaces. Sans manière, à coups de murmures, on reculait les frontières, on repoussait les murs. Ici, au bras d’une blonde, on refaisait le monde ; là, sans rien à vénérer, il n’y avait plus rien à espérer. Des chaises criaient sans manière en se reculant bruyamment ou s’avançaient poliment jusqu’aux amarres de leurs verres. Les putes discutaient avec leurs macs, les serveuses recomptaient leurs pourboires, les amoureux se parlaient dans les yeux…
Sur le comptoir, des mendiants alignaient leur mitraille et réclamaient en échange une assiette de boustifaille. Quelques marins de croisière, accompagnés de femmes carnassières, racontaient encore leurs escales buissonnières et la bière coulait dans leurs chopes altières comme des grandes marées coutumières. Sur un coin de nappe, des excentriques dessinaient des cartes au trésor, des esquisses aux visages d’aurore, ou élaboraient des bouts de rimes en or ou des belles lettres bariolées, comme des vraies banderilles de matador…
Parfois, quelques éclats de voix débordaient, quelques jurons fusaient et c’était quelques rires de surface, ces rires de lave-glace qui essuient les premières larmes des grimaces. On se rabibochait, on se séparait, on se reprenait, on s’oubliait, mais on s’aimait sans feinte, à l’emporte-pièce, celui du véritable Amour, celui qui foudroie le cœur, celui qui bouffe les tripes, qui explose dans la tête et qui brûle l’âme aux feux incessants de la vraie Passion…
A cause des rondes de flics, souvent, le patron réclamait aux consommateurs l’accalmie des clameurs. En écartant son bout de rideau, il surveillait la rue et ses agitations…
La nuit durait longtemps. Chaque seconde avait son attrait, son émotion, sa couleur, sa partition. Animés par des fringales d’ivresse, les uns s’empiffraient avec des assiettes de kermesse ; les autres, les indépendants, se soûlaient encore par la seule habitude du fol enivrement. Remplis d’homélies radoteuses, leurs verres teintaient des messes froides sans jamais réchauffer leurs mains fiévreuses. Entre les tables, il flottait des parfums d’alcool, des effluves de sueur, des relents capiteux et des odeurs tenaces de tabac froid…
Des types louches palabraient dans l’ombre des colonnades du bar. Même les glaces du comptoir semblaient les ignorer comme pour ne jamais les reconnaître ailleurs. Devant le zinc, deux ou trois chauffeurs de taxi racontaient leur journée, leur dernière course, les cartons de leur tiercé, le prix de l’essence. Seul à une table, un quidam sans âge tentait toujours la même réussite. Une à une, il semait en l’air ses as, ses rois, ses dames, ses valets, dans un geste désabusé de battu…
Des cigarettes interminables, aux filtres maquillés de lèvres cannibales, se consumaient dans des cendriers vénérables ; la brûlure de leur tison enflammait le mégot précédent qui, lui-même, ressuscitait celui d’avant. Partout, les yeux étaient rouges, les gorges étaient écorchées, les haleines étaient défraîchies, les gestes étaient flous, l’Espoir se noyait…
Ici, c’était le repos des brillantes fusées du feu d’artifice après qu’elles aient décoré le firmament de leur nuit bataille. Vaille que vaille, elles s’incendiaient encore dans l’envers du décor, embrasant la face cachée du spectacle, illuminant l’antichambre de la Torpeur. Le monde glauque des noctambules communiait ; par bribes de considérations vineuses, on parlait du hasard comme de la chance et de l’Amour comme d’un rêve…
Les timides hardis, ces laissés pour compte frileux, mataient les jarretelles des dames légères attachées à leurs matous ; écrevisses, ils toussaient en récupérant leurs serviettes une fois de plus, et les belles de nuit écartaient gentiment leurs cuisses…
Je crois que toutes les étoiles tombées du Ciel se retrouvaient dans ce bar. S’échappant de leurs nuits noires, elles se ressemblaient tellement avec tous leurs projets sans espoir, elles se rassemblaient pour briller un peu…
Nous n’étions pas très à l’aise, toi et moi. Tu me donnais la main pour bien signifier à tous, ton appartenance amoureuse. Embrigadés par des boute-en-train bambocheurs, nous suivions leurs péripéties enjouées et surnaturelles ; on était dans la bande, on faisait le nombre, l’épaisseur des rires, le refrain des chansons, le tempo des applaudissements.
Inépuisables, ces joyeux drilles avaient encore des blagues, des bons mots, des flots de commentaires à verser à tous leurs allocutaires…
Tous les deux, on croquait dans le même sandwich, on se partageait la même bière, on fumait la même cigarette ; on cachait nos bâillements pendant des revers de mains en simulacres de pirouettes…
Au petit matin dentelle, sur le chemin du retour, c’était les camions poubelles qui nous poursuivaient dans les ruelles. Leur vacarme de ramassage était une vraie fanfare de tambours et nous courions devant ces sauvages, en regardant les dernières étoiles s’éteindre…
De Rimbaine à Verlaud. 4, Noctambule (Joe Krapov)
M. Arthur Rimbaine
Agence d’exploration de villes extraordinaires
et d’us et coutumes à mettre dans les annales
8, quai Arthur Rimbaud
08000 Charleville-Mézières
Monsieur Paul Verlaud
Société de géographie des Maladives et du Miraginaire
73, rue Sonneleur
62812 Vent-Mauvais
Saint-Nectaire le 28 octobre 2017
Mon cher Paul
Ton copain Octave n’est pas un très bon conducteur. Déjà, quand il a mis le contact, le moteur à injection a rugi aussi fort que Clarence, le lion qui louche de «Daktari», ou que son cousin de la MGM. Mais bon, restons objectifs, je ne suis pas là pour jouer les détracteurs et ton factotum, bien que fort silencieux, m’a mené à bon port.
La nuit était tombée sur Saint-Nectaire et il y faisait un temps assez infect pour qu’on se croie au mois d’octobre et, du reste, on y était. Il n’était pourtant que dix-neuf heures. Octave a garé sa vieille Peugeot sur le parking près de la basilique romane et nous avons traversé la rue pour entrer au Relais de Sennecterre.
Moi qui croyais trouver là une assistance clairsemée, succincte, composée de deux ou trois loqueteux égarés ou d’un groupe d’autochtones casquettés écoutant le facteur local rendu au bout de sa tournée – générale – et en train de jacter doctement sur les derniers potins du district, je dois avouer que je me suis mis le doigt dans l’œil jusqu’à l’adducteur rectal !
Le restaurant était bondé et s’il était peuplé d’ectoplasmes provinciaux rien dans leur mise ni dans leur diction n’en laissait rien paraître. Tout le monde était habillé classe, l’ambiance était sélect au possible avec autant de jeunes connectés et de fashion victims à smartphones fluorescents que de sexy-, septua- et octogénaires ayant connu Epictète à l’époque où il manquait d’adjectifs.
- Victor, tu nous mets deux kirs, STP ! a lancé un Octave péremptoire et limite irrespectueux : j’eusse peut-être préféré boire autre chose ?
- C’est ici qu’on va becqueter ? ai-je demandé sur le même ton.
- Non. Ici on prend l’apéro. Alors ? Comment il va le Paulo ? Toujours aussi «Laudver, Laudver, Laudver come back to me» ? Encore à collecter des destinations improbables et à étudier la tectonique des à-côtés de la plaque ?
- C’est un peu ça ! lui ai-je répondu tout en continuant à me délecter du spectacle du réfectoire.
- Et toi, Arthur, tu es la paire de semelles qui va devant et qui ramène au directeur de l’agence les infos nécessaires à ses dissections de parcours ?
- Vous avez eu fait ça aussi, Monsieur Octave ?
- Exact ! Jadis, quand j’étais belle ! Adieu les infidèles !
- Fréhel !
- Bravo ! Monsieur Rimbaine a des lettres !
Quel curieux mecton ! Ca n’allait pas être simple de pactiser avec ce guide-là ! C’était quoi, cette tagada-tactique du gendarme ? Il n’avait pas décoincé un mot dans son tracteur à roulettes entre Clermont-Ferrand et Saint-Nectaire et voilà que maintenant, tout à trac et sans aucun tact, il me tapait sur le ventre comme si on avait fait la dictée de Pivot côte à côte avec des antisèches de Mérimée ou fait gonfler nos pectoraux ensemble à l’époque où Monsieur Muscle et Jacques Anquetil imposaient leur diktat devant les foules du Puy-de-Dôme et d’ailleurs ! Mais j’exagère. D’une part c’est Poulidor qui avait pris le dessus dans cette étape et puis moi je n’ai commencé la muscu que sous Eddy Merckx et Schwarzenegger.
Le dénommé Victor, serveur réactif de son état, nous a servi les cocktails. Le kir auvergnat était onctueux à souhait.
- Sirop de châtaigne et Saint-Pourçain blanc ! C’est quand même plus gouleyant que la Volvic, non ?
Quand nous sommes arrivés au troisième verre, après avoir finalement trouvé le biais pour caqueter ensemble, Octave a éructé :
- Bon, ça c’était du prophylactique. Maintenant on éjecte et on passe aux choses sérieuses. On va dîner chez Wiwi.
Malgré les fluctuations de la sesterce arverne et de nos guiboles alcoolisées, nous avons regagné sa 206 et avons traversé le bled pour gagner Saint-Nectaire le Bas.
Ambiance un peu plus feutrée chez Wiwi mais toujours autant d’autochtones – ou pas ? – étiquetés « beau linge », de cliquetis de coupes et verres et de dégaines de sectateurs nyctalopes parés pour une virée nocturne du genre assez festif. Des noctambules, quoi.
- Tu vas goûter la marquisette maison, mon pote ! Objecte pas, c’est la tradition !
La décoction qu’on nous a servie était effectivement un pur nectar ! Je te passe les détails, mon cher Paul, sur l’abominable tripoux, même pas clandestin, que ton ancien collaborateur, semble-t-il addict à la charcutaille, s’est envoyé. Rien que le mot « tripe » me débecte et pourtant, je ne cesse pas de voyager ! Une infection ! En guise de victuailles je me suis contenté d’une succulente truite aux amandes.
Au dessert, Bénédicte, une connaissance d’Octave, est venue s’asseoir à notre table. Bises affectueuses, présentations effectuées, « Mes respects Mademoiselle ! », « Madame ! », Zut ! C’est une jeune femme d’une trentaine d’années qui a dû signer un pacte avec le diable pour hériter de pareille beauté et lui a refilé en échange un dictaphone des plus actuels – il paraît qu’on trouve peu de sténo-dactylos efficaces en Enfer -.
Une beauté picturale, sculpturale, pas piquetée des hannetons et pourtant Mme Terrail-Duponson – c’est son nom et, oui, elle est hélas bien mariée à un prénommé Hector – exerce ses talents d’artiste en dessinant, peignant, découpant des insectes fabuleux. Elle nous a montré cela sur sa tablette tactile. Comme on avait un peu disjoncté et que nos attitudes n’avaient, stricto sensu, plus rien de strict ni de sensé, on s’est retrouvés, à force de surfer, sur le site web d’un collectionneur de coquetiers auvergnats dont les pièces maîtresses étaient un service orné de cactus ayant appartenu aux Pompidou et un œuf peint décoré d’une tronche de Giscard d’Estaing datant d’avant Vulcania et les ptérodactyles, des collectors uniques en leur genre.
- On a quand même de satanés fortiches en France ! De sacrés crânes d’œuf ! a commenté Octave avec son rictus qui ne le quitte jamais même quand il prépare des mouillettes.
- C’est pas du fictif ! ai-je Percevalé façon Kaamelott revisité.
Après un dernier café et un dernier pousse-café – une Bénédictine pour Bénédicte ! – celle-ci a déclaré :
- Mektoub ! Activons-nous, messieurs ! Il faut absolument que je sois au casino à 23 heures ! Je pars devant. Vous m’y rejoignez directement ?
- On passe d’abord à l’hôtel !
Octave s’est ré-empaqueté dans son duffelcoat. On est retournés à la voiture et puis on a déposé nos paquetages à l’Hôtel de Lyon. On aurait dû commencer par-là d’ailleurs parce que, même en rectifiant la position, j’ai bien senti que la fille de l’accueil hoquetait intérieurement à la vue des deux poivrots auxquels nous commencions à ressembler. Elle imaginait sans doute, sur la moquette vert amande de nos chambrettes, quelque tas de vomissure abjecte déposé là par nous dans la nuit ?
- Ne t’inquiète pas, mon charmant petit dictateur, ai-je songé en lui remplissant le chèque, Arthur tient bien l’alcool et les impacts de balles ! Et l’Octave a l’air bien équipé aussi pour monter haut !
Et nous arrivons maintenant, mon cher Paul, au dernier acte de « Saint-Nectaire by night », celui dans lequel tous les acteurs et actrices du récit se trouvent réunis au même endroit, celui où Hercule Poirot donne lecture du verdict, celui où le faisceau du licteur s’abat sur le coupable, celui où l’hologramme de Sarah Bernhardt en fait des kilooctets et des mégatonnes dans la tératralité.
Cela se déroule au casino de Saint-Nectaire. Car il y a un casino à Saint-Nectaire ! Et pas une supérette, non ! Un vrai ! Du genre « Faites vos jeux, rien ne va plus » ! Il y a bien eu un architecte, un maire, des entrepreneurs assez fous pour imaginer et implanter ici un lieu de rendez-vous intergalactique de type « Carrefour des étoiles » pour les gens qui souffrent d’addiction au jeu et au divertissement : une salle de jeux Las Végassienne, sans doute importée de Sarthe, une boîte disco, une salle de spectacle, un restaurant…
Et ce soir les animateurs de la soirée techno sont le docteur DJ Kill et Miss Terrail-Duponson ! Hector et Bénédicte ! Et tous les clients et clientes du Sennecterre, du Z, de l’Auberge de l’Ane, de l’Hermitage, du Regina et de chez Wiwi s’agitent le rectum sur le dance-floor, complètement insoucieux des actualités du monde (dictatures, sectes, tromperies d’électeurs, guerres et catastrophes) et du nombre grandissant de victimes d’une Histoire dont personne ne comprend plus les vecteurs actuels.
Le tictac de l’horloge, la folie du gros son nous mènent à un minuit sans trac, sans tracts, sans rectitude morale, vers une victoire factuelle des corps en transe, vers toujours plus de sons électroniques et l’on entend partout, bien qu’aucun lecteur ne les prononce, les paroles du dicton de banlieue descendu jusqu’ici : « On ne peut rien contre le nycthémère alors nique ta mère, nique l’amer et toujours chéris l’homme libre !». « Et même la femme aussi » ajouté-je pour ma part.
Et on entend aussi, à un moment donné, une fois que trois sept ont été alignés sur un écran, le vacarme des pièces qui roulent un peu partout, le silence de toutes les autres machines qui s’arrêtent. Quelqu’un a décroché le jackpot ! Quelqu’un va emporter le pactole ! Sous le plafond en fausse voie lactée je vois trente-six étoiles car ce quelqu’un… c’est moi !
Voilà pourquoi, pour une fois, mon cher Paul, tu ne trouveras pas de facture jointe à ce courrier. Je te fais cadeau des frais liés à cette expédition-ci et je t’octroie même un chèque qui correspond à la moitié de mes gains. Il me semble normal qu’une somme recueillie auprès d’un bandit manchot revienne à un honnête homme unijambiste.
Avec mon indéfectible amitié, mon cher Paul !
P.S. Surtout, comme dit le poète : « Carpe diem et lapin noctem ! »
P.S. de Joe Krapov : En lisant ce texte, amie lectrice, amie lecteur,
tu as prononcé au moins 130 fois le son « ct ». Kèk t’en dis ?
CARNAGE (tiniak)
C'est mon terrain de jeu, ma cape, mon chapeau
la brume dans mons dos, le pavé sous mes pas
ce coin de rue obscur, la nuit et ses frimas
j'y promène ma joie et ma haine, au cordeau
Ah, c'est bon de sentir venir d'un pas serein
la promesse d'un sein qui n'a rien vu du monde
que des messes les saints, sans jauger leur faconde
à plier le genou quand on lui tend la main... !
Rigole, fais ton choix ! Moi, j'attends sous le porche
en me brûlant les doigts sur de tristes cibiches
dans l'attente fébrile d'une frêle biche
qui aura pris le métro quatorze, sans torche
Ne passe pas ici, quand j'ai trop faim de chair
ni ton dieu, ni ta mère et pas plus ton soupir
qui n'ont plus foi en toi, ne savent rien en dire...
Plus en saura ce mur quand sera faite affaire
Avec tes petits pleurs et tes cris étouffés...
Avec ta chair en sueur et tes yeux ébahis...
Avec ma Belle Horreur, là, sur ton clitoris...
Et le tout comme un lot vendu sur le marché !
Gargantua, redis-moi, c'est quand qu'on n'a plus faim ?
Mangées - toutes ! ses mains ? Quand il n'est plus d'espoir ?
En l'Homme, ses manies, ses manières du soir ?
Celles au dévidoir ? Ou celles du matin ?
Eh, c'est bon de sentir, venir à petits pas
quelque nouvelle proie fleurant bon la chair fraîche
mais je regrette un peu de n'avoir pas la flèche
(celle de Cupidon) pour lui sonner mon glas