L'homme marche à
grands pas, écrasant les feuilles sous ses pieds. Pourtant, il se déplace
presque sans bruit, tel un grand prédateur.
Son visage serait beau
s'il n'arborait pas une mâchoire crispée et des traits furieux.
C'est l'aube, il avance
dans la forêt, son fusil serré entre ses mains. Il n'a qu'une idée en tête,
toujours la même, tuer, tuer, faire mal, faire le Mal.
Tout à coup dans le
silence des arbres, il lui semble entendre une cavalcade. Là, oui, là, un peu
plus loin dans la légère brume qui stagne encore entre les arbres, il perçoit le
silhouette d'un cerf suivi d'une biche et de son faon. Il s'arrête net, épaule
et vise le petit, heureux déjà à la perspective de détruire une jeune
vie.
Mais dans le viseur plus
rien.
Il maugrée, aurait-il eu
une hallucination ?
Serrant encore plus fort
les mâchoires, les sourcils froncés, il s'enfonce plus loin dans la
forêt.
Tuer, tuer encore et
encore, c'est là son credo. Tirer sur les cervidés, tirer sur les lièvres, tirer
sur les faisans et quand la saison de la chasse est terminée, braconner, tirer
ou écraser les chats, les chiens où n'importe quelle sale bestiole qui croise
son chemin.
Et imaginer les maîtres de
ces malheureux animaux se lamenter, fantasmer sur les pleurs des enfants privés
de leurs compagnons, savoir que derrière lui il laisse une traînée de
souffrances humaine et animale lui fait du bien, c'est pour lui une jouissance
sans limite.
Un sourire glacé né sur
ses lèvres au souvenir de ses exactions, au souvenir des corps pantelants et
sanglants qui jonchent son chemin.
Un jour peut-être,
rêve-t-il, il s'attaquera à la proie suprême, une jeune fille pleine de vie et de
joie qu'il croise parfois.
Pris dans ses évocations,
il ne s'aperçoit pas qu'il n'a pas emprunté le chemin habituel. Ici le bois se
fait plus sombre, bruissant de mille voix. La brume s'élance à l'assaut des
arbres.
Lorsque, enfin, il reprend
pied dans la réalité, il se trouve à quelques pas d'une chaumière qui se tapit
au milieu des ronces.
Tout autour de lui, ce
n'est plus que geignements, aboiements, miaulements, sifflements plaintifs.
Agacé, puis vaguement
effrayé par ces sons qui l'assaillent, il tourne le dos à la maisonnette et
regarde autour de lui.
Et là, il les voit, ils
s'approchent de toutes parts de lui à pas feutrés, leurs blessures saignantes,
leurs gueules pleines de gémissements, ils sont comme évanescents.
Comment cela se peut-il ?
Il lui semble reconnaître, mais c'est impossible, toutes les victimes qui ont
jalonné sa route de tueur impitoyable, animaux sauvages, animaux domestiques,
les yeux brillant de haine, s'approchent de lui.
Il se met à tirer
n'importe comment, rechargeant encore et encore son instrument de
mort.
Mais en face de lui les
victimes devenues vengeresses le cernent.
En désespoir de cause, les
insultes à la bouche, il se rue dans la cabane, coince la porte comme il le peut
et se réfugie dans un coin, tremblant comme ce faon qu'il avait acculé, pleurant
de détresse comme ces chats et ces chiens torturés par plaisir.
A l'extérieur, les cris
des animaux viennent en vagues successives se heurter aux murs de la masure, les
corps se frottent contre la porte, les volets, une odeur de sang plane dans
l'air.
La journée passe ainsi, il
ne sait plus qui il est, plus ce qu'il fait, ce qu'il doit faire.
Et brusquement c'est le
noir, il s'évanouit de peur, lui le cruel chasseur.
La nuit est tombée quand
il revient à lui.
Il n'entend plus rien
!
Ses agresseurs semblent
être partis.
Alors, il se redresse, un
grand rire le secoue, il montre le poing et hurle "Je vais vous tuer tous !".
Alors, une lueur embrase la petit maison, une voix désincarnée s'élève "Tu n'as
rien compris, tans pis pour toi !".
Et la porte s'ouvre seule,
et les animaux fantômes qui attendaient dehors se ruent à l'intérieur et
ensevelissent leur tortionnaire sous leurs corps torturés, crocs, griffes, becs
prêts à le déchiqueter.
Un hurlement sans fin
s'échappe de sa gorge tandis qu'il succombe à l'assaut.
Quelques jours plus tard,
des promeneurs égarés trouvent le corps du chasseur.
Mis à part son visage
tordu par une peur sans nom, son cadavre ne présente aucune
blessure.
Et tandis que les secours
l'emmènent vers sa dernière demeure, de la chaumière s'élance vers l'azur du
ciel une brume impalpable.
Peut-être que si les
témoins regardaient mieux, ils pourraient distinguer au cœur de cette nuée
les silhouettes joyeuses et apaisées des animaux enfin redevenus
indemnes.
Et là-bas, dans la plaine,
une jeune fille respire à plein poumons, heureuse de se sentir vivante comme
jamais auparavant. L'étrange poids qui accablait ses épaules depuis quelques
temps vient de s'envoler.