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Le défi du samedi
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1 novembre 2008

Marja - Kloelle

Marja était assise sur le rebord de la fenêtre. Les jambes pendantes. Le regard loin. Elle suivait le va et vient des trains dans l’orage et frissonnait sous les doigts de la pluie. La gare, mais aussi les champs de maïs à perte de vue, voilà quelles étaient les fragiles limites de son monde. Les gens qui passaient sur le trottoir d’en face n’existaient que pour l’impérieuse nécessité de leur propre réalité, des ombres en transparence, des passagers sans lendemain. Elle aurait voulu engloutir tout ce vide, avaler goulûment l’ennui et les amertumes, s’en gorger, foudroyer l’inertie de ses cris.
Le vent s’infiltrait sous la trop légère cotonnade de sa jupe et ses mains se crispaient, tremblantes, sur l’encadrement décati.
Sa mère l’avait supplié de rentrer :

- Marja, tu vas attraper la mort !
- J’attrape ce que je veux la vieille ! Lui avait-elle lancé, le visage ruisselant.

L’eau rendait le mur friable et, pleine de cette rage qu’elle ne contenait plus, elle s’était mise à gratter nerveusement les lézardes, à extirper les pierres, creuser des gerçures vivaces sur la morne façade. Elle ne savait plus à quel moment l’espoir avait fuit. Au lendemain de ses 16 ans peut être, quand elle avait du quitter l’internat et réintégrer la ferme familiale, retrouver les odeurs de fiente et cette vie fruste dont l’école n’avait pas pu la sortir.
Elle hurlait :

- Je vais finir comme la vieille, puante, grise et tordue !

Personne ne se retournait vers elle. Ses mains meurtries en avant, elle riait, intensément, bestialement, à la manière des fous ou des condamnés à mort, avec ce rictus de désespérance accroché comme un masque à l’épiderme.
Quand l’homme était passé, à la nuit tombée, avec son pardessus gris et sa tête rentrée dans les épaules, elle n’avait pas fait attention à lui, c’était le petit chien qui l’accompagnait qui avait attiré son attention. Il était ridicule avec son manteau de cuir rose et un collier en strass de pacotille.
Elle avait alors sentit, dans un frisson jouissif, une sève acide remonter le long de ses veines. L’euphorie des plaisirs malsains, ceux qu’elle prenait, enfant, à arracher les ailes des mouches ou à noyer les hannetons qui se traînaient dans la poussière de l’été. Marja l’ogresse. Marja la toute-puissante. D’un geste précis, elle avait envoyé une brique sur l’animal qui s’était écroulé dans un spasme de douleur.

Il lui avait fallu un certain temps pour comprendre, revoir le regard démoniaque qui s’était alors levé sur elle, se souvenir du rire sardonique.
Il marchait toujours plus vite, le sol était sale et elle avait du mal à suivre ses pas. Elle savait que les enfants se retournaient en riant sur son petit manteau rose… Elle ne leur en voulait pas, elle aurait aimé les regarder, sentir leur chaleur de près, mais toujours, il tirait fermement sur la laisse.

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Commentaires
C
J'aime beaucoup comme ton texte très réel dérape soudain à la fin dans le fantastique. Les images que tu as trouvées sont fortes.
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K
Val...Tu ne comprends pas la fin ou le tout ?<br /> <br /> La fin est simple. Elle tue le petit chien d'un individu qui semble être un disciple du diable ou le diable lui même et se retrouve par le fait transformée en chien, condamnée à remplacer le pauvre animal et à suivre l'homme au bout de sa laisse.<br /> J'aime beaucoup l'idée de Walrus: sans doute attend-elle la même libération que le premier animal....<br /> <br /> Plus largement, c'est de l'idée d'enfermement que je voulais parler. Marja se sent prisonnière de la vie qu'elle a... Cette obsession confine à la folie chez elle et fait remonter tout ce qu'elle a de mauvais.<br /> Pourtant, cette vie, ce monde ouvert vers de grands espaces, vers les autres, est sûrement celui qu'elle rêve de retrouver maintenant qu'elle a réellement perdu toute liberté d'agir.<br /> <br /> Glissement de perspective...<br /> Nous fermons souvent nous même les portes des cages où nous nous croyons enfermés.
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J
J'ai bien fait de relire.<br /> Tres original. Une version fantastique de 'l'arroseur arrose'!
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J
Val, tu n'es pas la seule. <br /> Je vais relire.
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T
Je reprends le com de Joye : c'est fantastique dans les deux sens
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P
C'est cruellement fantastique et terriblement bien écrit
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V
Quelque chose m'échappe.<br /> Ne suis-je pas assez concentrée? le sens est clair pour tout le monde, et moi, je bute.
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T
Fantastique ET émouvant, le genre de truc qui n'arrive jamais, ben si, toi tu l'as fait. Bravo. Ton texte est superbe.
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J
Alors, ça ! Original, superbement raconté, vraiment dans le style souhaité de fantastique.<br /> <br /> Bref, c'est fantastique ! dans tous les sens du mot.<br /> <br /> Félicitations, Kloelle !!!
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L
Ah! on l'imagine bien ce rire sardonique!
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J
Glauque à souhait et cinématographique en diable. Un espèce de Cité des enfants perdues. Bravo !
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M
Vraiment fantastique ! Excellent Kloelle !<br /> Très bonne idée le petit manteau rose ...
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M
Ouf, excellent et bien fait pour l'affreuse Marja
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W
Et elle trottine, trottine, espérant la brique salvatrice !<br /> <br /> Bravo, Kloelle !
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A
Comme à chaque fois, c'est un petit bijou Kloëlle.
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P
Joli sens de l'élipse, Kloelle. Vous ne les dites pas et pourtant on devine les yeux embués de larmes, ou alors ce sont les miens qui se gonflent.
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