Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

Le défi du samedi

Visiteurs
Depuis la création 1 050 468
Derniers commentaires
Archives
3 mars 2018

Tournis (Vegas sur sarthe)

 

"Tournez, tournez, bons chevaux de bois...
Tournez, tournez au son des hautbois
"
Verlaine et son manège m'ont inspiré ce sonnet  

 

Tournez chevaux de bois, tourne beau carrousel
dans les joyeux flonflons de la fête à Neu-Neu
où frise et chérubins dansent,vertigineux.
Fais tourner les minois, emporte les donzelles 

Au beau mécanicien qui mène son diesel
et devance affairé la moindre des saccades
les filles délurées décochent des oeillades
retroussent leurs jupons en riant, font du zèle 

C'est l'heure où les vertus, les pudeurs de gazelle
se noient au tourbillon du manège en folie,
la tête tourne au risque d'un torticolis 

et le beau conducteur qui lui ne tourne pas
noyé dans l'océan agité des appâts
n'aura vu que damas, mousseline et giselle

 

Publicité
24 février 2018

Défi #496

 

Comme suggéré par Pascal
appuyé par mon neveu Joe
lors de la triste histoire du vilebrequin,

 

Carrousel

 

4962

 

À vos chevaux !
(qu'ils soient de chair ou de bois)

 

24 février 2018

Ont fait la tournée des bistrots

24 février 2018

Participation de Venise

 

Même si vous ne l’avez jamais vue, vous connaissez tous la GARE Saint-Charles.

Cette grande bouche béante qui crache des voyageurs hagards au petit matin.

Étaient-ils prêts à l’aborder, ma ville natale ?

Assise au pied des marches de la gare dans ce bistrot dès sept heures du mat je savourais mon café serré. Le bistrot est là où il faut , rempli de crapules , d’histoires de cul redoutables.

Ici on n’est pas dans un vernissage où personne ne vous pique votre montre.

Vous imaginez la monotonie ?

L’ennui mortel du bivouac. Ici pas de square Mandela, cette chienne de ville regarde l’Afrique en riant montrant son cul à l’Europe .

v01

Je remercie tous les jours les crapules de ce bistrot qui me donnent la bonne humeur quotidienne pour affronter le monde.

Hé t’en es où de tes études fillette ?

Ils rentraient avec leurs doigts crochus dans ma besace d’illusions et me donnaient  ce bon coup de pied au cul pour que je ne m’endorme pas .

 

C’étaient des salauds marrants t accoudées au comptoir, et je me disais que c’était plus intéressant qu’un crétin sympa.

Il faut être allé au fond de cette ville pour comprendre la globalisation.

Ça, mes pots du bistrot l’ont très vite saisie .Ils sont MAOUS GLOBAUX !!

Ici rien n’était déterminé à l’avance, y avait que des plans B.

Certains sortaient de taule d’autres étaient sur le point d’y entrer. Ils savaient tous ce qu’était un guidon de vélo quand il fallait tracer sa route.

Souvent entre deux cafés  j’étais suspendue  à leurs lèvres .

J’ai été démarché.

Par qui ?

Un marchand.

Un marchand de quoi ?

Le bizness ici semblait prendre tout leur temps.

Un autre rentrait dans le bistrot

Je viens causer à Gérard.

Ici ils s’appellent tous Gerard répondait le barman en me faisant un clignement de l’œil.

Une œuvre d’art ça sourit pas ma ville elle rit aux éclats. On pourrait tout lui saisir la mettre sous scellés elle regorgerait encore de trésors cachés.

Quelquefois je me lève en sursaut et me dit un jour il faudra rembourser ce trop de bonheur d’avoir vécu ici ?

Puis je me rendors mon chapeau de borsalino sur le nez !!

 

24 février 2018

Participation de Marco Québec

 

Texte inspiré par le tableau réalisé par Edward Hopper, intitulé Automat

 

image[2]

 

Le café

 

Je suis dans un café. Je pourrais quasiment dire mon café, tellement cet endroit est le mien. Il est pour moi un refuge, un cocon depuis je ne sais combien d’années maintenant. Je m’y sens bien. L’ambiance est feutrée et ce n’est jamais bondé de monde. La musique joue en sourdine des chansons françaises, les seules que j’apprécie vraiment. Malgré les grandes vitrines de la pièce, il n’y fait pas froid en ce soir de novembre. Les calorifères à eau chaude diffusent une chaleur confortable qui me fait du bien, autant qu’il m’est possible d’être bien ce soir. J’ai mis mon manteau vert avec la fausse fourrure au col et aux manches. Je le garde sur moi, comme pour me protéger. Un cocon dans un cocon, en quelque sorte. J’ai gardé mon chapeau, il masquera mes yeux si l’émotion devient trop intense. Je m’assois toujours à la même table, la table ronde près de la porte. Sa position par rapport à l’entrée du restaurant me protège de l’air frais extérieur qui s’engouffre lors de l’arrivée d’un client. 

La propriétaire et le personnel me reconnaissent toujours et me permettent de m’asseoir à cette grande table, même si je suis seule. Je crois d’ailleurs que je ne suis jamais allée à cet endroit avec une autre personne. C’est ma place à moi. Sans rien demander, la serveuse m’apporte un double espresso allongé, mais pas noyé, avec sucre, crème et lait. Elle me demande si je souhaite l’accompagner d’un dessert. Non pas ce soir, je n’ai vraiment pas d’appétit, lui dis-je. 

Je repense aux grandes décisions que j’ai prises dans ce lieu : ma rupture avec Louis, une relation qui n’allait nulle part; mon retour aux études qui allait me permettre de quitter un emploi que je détestais… Et la décision que je dois prendre maintenant : ablation ou non d’un sein.  Le médecin a parlé d’un cancer virulent, à un stade très avancé. À son avis, il vaut mieux procéder à l’ablation pour diminuer les risques d’une récidive. 

C’est tellement facile à dire. Il doit avoir plus de 60 ans. Sa vie est à un stade avancé, alors que moi, je n’ai que 25 ans et toute la vie devant moi. Les larmes me montent aux yeux et coulent sur mes joues. Est-ce que je peux encore dire que j’ai toute la vie devant moi? Je suis désemparée. Comment une telle chose est-elle possible? Je laisse les larmes trouver le chemin jusqu’à mon cou. Un frisson me traverse. 

Peu à peu la tristesse fait place à l’épuisement. Je me sens plus calme. Je fais signe à la serveuse de m’apporter l’addition. Je quitte le café, mon café, mon cocon.

 

Publicité
24 février 2018

Participation de Cavalier

 

 

 

00tig coli

 

 Sean, je me sens si bien, je chante juste ton nom

Tig Coili, façade à peine éclairée, rue déserte. Pas un promeneur, des gens qui sortent et qui rentrent chez eux, sous la pluie. Une nuée d’oiseaux dans le désert.

Doit-on dire bar ? Ou pub Irlandais. Même Irlandais au pub. Le public discute et boit de la Guinness. Une personne lève les yeux, parfois deux. Les tablées indifférentes à l'orchestre parlent, rient.

Magie ? L’espace se déchire, l’air tremblote un peu, bruit sec. Dans un nuage de fumée l’orchestre se délite. Un homme en costume bleu prend le micro. Cravate jaune, chemise, baskets blanches, il chante. L’orchestre encore flou émerge du néant.

À  la table du fond, un vieil irlandais, moustache rousse, casquette à carreaux, levait le coude. Le geste suspendu, la chope reste bloquée en instantané.

Le synthé synthétise, la batterie bat son tempo contre des moulins, le guitariste encordé n’accroche pas sa barbe, les trompettes éclatent de quatre noirs, ils fendent le vent, dansent de conserve, crèvent l’écran de leurs grands ronds cuivrés.

Deux personnes frappent des mains, les regards se croisent, étourdis, les têtes se tournent, presque le silence, le monde est debout, la sueur perle, le rythme contamine. Tous se dirigent lentement vers la scène.

Ils ingurgitent en cadence la chanson de Phil Collins, Sussudio. C'est dans leurs tripes.

Deux personnes, seules dans un décor de brume, ventres cadencés, ventres rythmés, vivent, frappent dans leurs mains, vivent, ne regardent pas autour, ne voient pas les autres, costume bleu, moustache rousse, deux qui se regardent comme ça, guitare du diable et les cors assassinent l’espace, ça danse, ça rêve, deux comme ça... ça crève l'écran...

 

00fond sussudio

 

ootig coili2

  

Phil Collins - Sussudio (Official Music Video)

 

  

24 février 2018

La semaine 7 (Kate)

La semaine 7

Mais pourquoi, mon Dieu, pourquoi, j'avais pris tous ces rendez-vous ?

IMG_2403

Je ne sais pas, je ne sais plus... Je ne veux plus savoir...La sociologie, une vocation contrariée ? Oui, c'est ça, on dira ça, ça m'arrange...

Disons une sorte de "challenge" Saint Valentinesque, de speed dating de "fond" qui tombait à ce moment-là, comme il aurait pu tomber à un autre moment, enfin, peut-être pas au 15 août ou à Noël ("après les fêtes !")...

Un élan qui aurait dû s'appliquer à prendre des rendez-vous éludés depuis pas mal de temps : dentiste, dermato, ophtalmo, généraliste, j'en passe et des meilleurs !

Bref, moi qui collectionne mes agendas aussi précieusement que si j'étais une célébrité (en puissance) pour laquelle le moindre écrit revêtirait une valeur inestimable permettant de décrypter la pensée... comme si cela était possible !

Le fait est que...

Lundi 12, 11 heures 30, je suis allée au bar du Conservatoire boire un apéro avec J. C., oui, Jean-Christophe.

Premier rendez-vous, première carte qu'on entame, pour voir, pourquoi pas, la partie commence doucement.

Mais J. C. était là avant moi, raie au milieu, noeud papillon, je ne pouvais pas le rater... Le violoncelle bien posé à côté de lui comme un personnage imposant devant s'écarter un peu pour me faire une place à la petite table ronde en marbre.

- "Un kir.

- Pour moi aussi, s'il vous plaît."

Comme il ne disait rien (et regardait sa montre), et moi pas grand chose (comme dans la chanson de Delerm : "elle parle pas trop et moi j'dis rien"...), j'ai parlé musique au professeur de musique :

- "Le violoncelle, quel instrument !"

Après m'avoir fait répéter à cause du brouhaha des conversations animées à l'entour, j'ai alors pu me taire et regarder l'environnement plutôt cool des autres tables...

Jean-Christophe était intarrissable sur le plus bel instrument de musique du monde (j'approuvais silencieusement, bien sûr). J'avais repéré un violoniste beaucoup plus discret qui faisait des sms et un guitariste pas mal qui lisait le journal.

Je voyais que Jean-Christophe croyait que je l'écoutais parler de tous les virtuoses du violoncelle puisque mon visage lui renvoyait des micro-expressions admiratives ou étonnées et parfois des "hum..." voire des "ah bon !"...

A midi, je lui ai dit que je devais y aller (où, quand, pourquoi ? non mentionnés et sans importance).

Je me suis levée pour lui dire au revoir. Il s'est dit enchanté : il me rappellerait. Bien sûr, bien sûr...

Je ne lui avais pas dit un mot de moi (et l'envie ne m'en était d'ailleurs jamais venue) et m'étais bien abstenue de lui parler de son prénom littéraire et musical...

La sortie à l'air libre parmi la foule de midi m'a emplie de joie, je sifflottais "Jésus, que ma joie demeure !", j'avais envie de piano, de saxo, de batterie, de synthé, de banjo, d'accordéon diatonique... tout sauf du violoncelle !

 

Mardi 13, 17 heures 30.

Cher Ernest, alors nous avions atterri là une énième fois lors de ton passage dans la région, au café du Port pour un traditionnel Lapsang qui nous transportait ailleurs très loin dans l'espace et le temps...

Histoire finie depuis longtemps.

Bien sûr, Ernest n'était pas ton vrai prénom car tu n'avais pas écrit "Le vieil homme et la mer" (à ton grand regret) mais tes trois ans au Costa Rica t'avaient permis de passer de traducteur à auteur. Beau parcours pas évident. Une heure bien courte mais tu avais rendez-vous en librairie pour une séance de dédicace et tu as pris ton sac de matelot, ton bonnet et ta veste.

Hasta Ernesto !

 

Mercredi 14, 14 heures au Bar du Jardin. Le SMS de William était court et le mien aussi : OK.

Des mois (non, des années...) que je n'avais pas eu des nouvelles de mon camarade de fac mais on s'était croisés le mois dernier en ville tout à fait par hasard.

Il avait dû faire son cours sur la période élizabétaine ce matin.

Bon, je l'ai retrouvé semblable à lui-même : même voix, un peu moins blond, un peu moins jeune, un peu plus loquace aussi.

On a parlé de nos familles, des copains, des copines... De la Californie où il avait vécu... Du polar nordique, de la bossa nova...

Déjà 16 heures, ma veste et mon écharpe, j'y vais. 

"Kate..."

"William ?"

IMG_2425

 

24 février 2018

SARMENT d’IVROGNE (JAK)

 

Biscornu tu es cher caboulot, avec tes  voluptueuses fumeroles, et tes  chopes douteuses, et où raisonnent d’  amphigouriques palabres


Idoine endroit où je picole chaque jour d’un verre bien décidé. Mais pourtant lasse de mes divagations, je voudrais t’oublier et comme

Sisyphe j’essaie alors de remonter la pente de la pochardise et adopte,


Tisanes, décoctions le soir enfin venu, pour de l’addicts pouvoir définitivement guérir.


Risque –tout et surtout inconsciente, dès lors  sur la chose avilissante, je m’abreuve de  moult réflexions


Oscillant entre un verre de Cherry ou un os de poulet à sucer mais hélas comme un


Tison, dans mes divagations hallucinantes, alors tu surgis et rallumes sans cesse la braise de ma passion.

 

bouteille

 

24 février 2018

Les feuilles mortes (Emma)

 

Mon dieu, mon dieu, elles sont toujours là, les banquettes en moleskine, un peu moins rutilantes, un peu plus avachies, mais il est toujours là, en son jus, le bistrot de Pierrot.
Et Pierrot lui-même est encore là, moins fringant qu'au temps de la photo en sa gloire au-dessus du comptoir, et nettement moins tonitruant.           

François l'interpellait avec insolence, en ces jours de jeunesse, en ces jours d'insouciance : ho là tavernier ! ou encore : pourrais-tu mettre un peu plus de margarine ?
Ils atterrissaient souvent là à la fin des cours, entre chien et loup, après de longues déambulations dans les rues, (est-ce que réellement il pleuvait toujours ?)  
L'un qui aimait, et l'autre non.
Les pavés luisaient doucement
et ils croisaient la lune dans chaque flaque.
D'une fenêtre là-haut un saxo bluesait,
il a dit : "te rends-tu compte ?
te rends-tu compte qu'on a vingt ans ?" 

Deux écorchés, ivres de musique et de mots, tendres et vulnérables ! Elle jouait les futiles, et lui l'artiste maudit.
Il était arrogant, agressif, mais la nuit écrivait des lettres déchirantes : Unique, disait-il, toutes les fois que je te quitte, je maudis le dilettante cynique et vaniteux que je joue, mais un jour, je t'enseignerai la ferveur".
Parfois, quand il n'y avait pas d'autre client, sur le vieux piano au fond du bistrot, plus habitué à résonner des gaillardes chansons estudiantines, il jouait Grieg, Chopin ou Kosma… Comme un dieu.
Oh je voudrais tant que tu te souviennes des jours anciens où nous étions heureux… 

Mon dieu, c'est là, sur cette banquette de moleskine miteuse, qu'elle a passé les meilleurs moments de sa jeunesse. Et elle ne le savait pas !
Te souviens-tu, Pierrot ?
Mais Pierrot ne se souvient pas, il a même oublié qu'ils se tutoyaient. Il en a tellement vu, des gamins, sur ses banquettes !
Non, il ne se souvient pas de François, ni de la moto qui a tué dans un lacet de montagne l'un des écrivains les plus prometteurs de sa génération.

 

24 février 2018

Trop c'est trop (bis) (Walrus)

 

Vous me direz que c'est toujours la même chose, mais une fois de plus, comme producteur de sujets, je fais un peu Lucky Luke (vous savez bien, celui qui tire plus vite que son ombre).

Où est le problème cette fois-ci me demanderez-vous...

C'est que dans mon pays, bistro, ça fait un peu exotique et pour tout dire franco-français avec un petit relent de gros rouge qui tache ou de blanc sec qui vous ulcère l'estomac.

Bien sûr, quelques établissements s'intitulent malgré tout "bistro", juste pour marquer un peu le coup depuis que la "bistronomie" fait florès et est venue rehausser le niveau de ces endroits en leur attribuant (à tort ou à raison) des qualités de convivialité et de bonne cuisine traditionnelle.

Chez nous, on parle plutôt de cafés, de cabarets, d'estaminets même, et la tradition est plutôt à la bière qu'au vin.

Avec le vin, on passe subitement à un niveau différent : les bars à vin et les  œnothèques qui se poussent du col (pas du faux-col comme les marchands de bière) en prétendant offrir des produits plus "haut de gamme".

Mais de toute manière, ça ne me concerne pas, je ne fréquente que les bars à eau, on est bobo ou on ne l'est pas, n'est-il pas ?

24 février 2018

Le bistro du zigue par bongopinot


Une fois par trimestre
Avec des collègues
On va au bistro du Zigue
Un endroit illustre

Et on décompresse
On refait le monde
Que des rires inondent
On élimine le stress

Certains sont à l’Orangina au coca
Pour d’autres l’alcool coule à flot
On ressort tous, nos lots
D’amertumes de combats

Côtoyer au quotidien la misère
Arriver à en aider certains
Pouvoir créer du lien
Mais pas pouvoir mieux faire

Un boulot pas facile
Mais qui peut-être riche
Des vies que l’on défriche
Des parcours parfois difficiles

C’est pour ça qu’une fois par trimestre
On va au bistro du Zigue
Pour échanger entre collègues
Dans cet endroit illustre

 

24 février 2018

Suze cassis (Pascal)


Je l’avais remarquée ; c’était ses yeux bleus qui me suivaient à la dérobée, quand je faisais semblant de ne pas la regarder. Dans le jeu des glaces, je savais tout de sa curiosité d’azur et de ses doux desseins d’espionne intéressée. J’étais le lauréat de toutes ses pensées…

Elle était serveuse au « Bon Coin », sur la place Monsenergue. Les bières sans faux col, les perroquets, les limonades, les cafés, c’était dans son quotidien de comptoir. Dès qu’elle le pouvait, elle se rapprochait de mes conversations. Quand elle passait un coup d’éponge sur le zinc, c’était toujours au plus près de moi ; je devais soulever les coudes, ne pas mettre les doigts, attendre que cela sèche, au milieu de ses sourires de plaisanterie…

Pourtant, il en défilait des marins, ici. On y voyait des grands, des beaux, des riches de leur solde, des conquérants, des gradés, des appelés, des en bordée, des esseulés, des étrangers d’autres bateaux, mais c’était moi qui avais la faveur flagrante de ses meilleurs sourires délicats. J’étais fier d’être l’élu de sa personne ; notre connivence devait être visible à cent lieues…
Encore posé sur mon épaule, je sentais la brillance de son regard saphir. J’en avais chaud dans le dos de me savoir observé par sa singulière inquisition. Alors, je me tenais droit, je faisais le beau, j’avais des sourires de jeune premier, je gonflais le torse et je soupirais des cœurs éphémères avec la fumée bleu-grand ciel de ma clope.
Les collègues du compartiment de la chaufferie me parlaient mais je n’étais pas franchement impliqué par leurs conversations d’enfermement de postes. Ils semblaient lointains, bien en dehors de mes observations du moment. Depuis elle, les perms, la Drôme et ses collines n’étaient plus le premier sujet de mes conversations. Je riais en retard d’une blague, je répondais à côté d’une question, j’oubliais de boire ma conso, de payer ma tournée…

Je la trouvais belle et je ne me lassais pas de cette certitude évidente. J’aimais bien les petites tresses blondes qui tournaient autour de son front comme une couronne d’or. Cela conférait à sa coiffure un effet de mode moyenâgeux qui correspondait bien à mes idées de contes et de princesses. Parfois, elle ajustait un bandana noir avec des motifs indiens, dans ses cheveux, et j’étais son premier pirate capturé dans ses yeux caraïbes. Sa peau était blanche et bronzée, en même temps ; un fin duvet de garrigue blonde courait sur ses avant-bras. j’y pressentais des douceurs de plage tiède, de sable fin, des parfums délicats de sel, des cris énamourés de mouettes rieuses et mille autres sensations ensorceleuses…

Tout en essuyant ses verres, elle m’étudiait au microscope de ses déductions féminines et je devais être dans ses petits papiers, tenir dans toutes ses éprouvettes, pour qu’elle m’apprenne ainsi. Avait-elle les mêmes rêves complices ? Etions-nous ensemble sur cette plage d’infini, à chavirer, à nous enlacer, à nous étreindre, en laissant rouler nos corps enflammés jusqu’à défier le complaisant ressac ?...

Du fond du zinc, elle m’observait encore. A l’improviste prévu, quand je la regardais, je souriais aussi niaisement et notre collusion était comme un fil tendu, incassable, évident, entre nos sourires de sentimentaux ravis. J’aimais notre romantisme de grands timides, cette façon équivoque et grandiose de nous plaire au milieu de l’uniformité stagnante des autres…

Dehors, les nuits étaient prometteuses. Les Lumières de loin étaient tout près. Notre Jeunesse en folie tambourinait dans nos cœurs en feu ; à nous deux, nous n’avions même pas quarante ans. L’Univers nous appartenait et on pouvait même capturer un instant une étoile filante pour nous partager, en secret, son intense clarté… J’étais peintre de feux d’artifices, décorateur d’arcs-en-ciel, semeur d’étoiles dans ses yeux conquis… Je savais déjà qu’on avait plein de je t’aime à nous partager, à tous les temps, à tous les silences, à tous les échos, à tous les firmaments. Dans un futur de volupté, j’allais lui prendre la main, j’allais lui goûter les lèvres, caresser ce duvet ardent ; les nuits seraient bien trop courtes pour consumer toute l’insouciance passionnée de nos vingt ans incandescents…

Les autres, les envieux, les riches, les galons dorés, les toujours deuxièmes, les pros des films pornos, les tourmenteurs des sirènes de la basse ville, ils nous regardaient comme des exceptions dérangeantes, comme si nous étions des cailloux pointus dans leurs chaussures trop bien cirées, des cancers à leurs certitudes de tueurs de baleines, des affiches réelles de films de science-fiction…
Et moi, moi, je les emmerdais, tous ces cons jaloux. Je voulais leur dire, leur crier : « Regardez, admirez !... C’est moi l’élu de son cœur ! Je n’ai rien que ma petite gueule de novice, mes gestes d’orpailleur, mes poches vides, mes silences de troubadour, ma chemise ouverte et ma dent de requin à côté de la médaille de la Vierge, pour lui plaire !... » Moi, je bronzais, je bronzais, aux soleils timides de ses sourires les plus courageux…

Un instant, quand le bourdonnement bruyant du bistrot se taisait, Cohen chantait dans le juke box ses : « Lover, lover, lover », Jimmy Hendrix revisitait l’hymne américain et Bécaud, amer, cherchait encore son orange volée. Dans un prolongement du bar, du côté des WC, s’entassaient des sacs et des valises de marins. Certains de nous s’y changeaient pour retrouver leurs habits civils plus séants, d’autres reprenaient l’obligatoire tenue militaire avant de passer sous la Porte Principale…
Avec son accent de l’Est, elle disait des « houit » charmeurs, quand c’était huit ; j’adorais la taquiner avec mes remontrances enjouées. J’essayais de lui apprendre la bonne prononciation du mot mais elle s’obstinait avec ses « houit » en me les murmurant comme une oiselle amusée qui gazouille ses gammes provocantes sur une branche printanière…

Au hasard des consommations, elle traversait la salle du bar avec son grand plateau rempli de verres. Un peu hésitante, au milieu de tout ce brouhaha de tempête, elle chaloupait entre les groupes de matafs amarrés autour des tables. Courageuse inconsciente, elle avait sa façon prévisible de me frôler qui disait : « Je te plais ?... As-tu cette solidarité d’attention ?... Comment me trouves-tu ?... Suis-je à ton goût ?... » Moi, je fermais les yeux, je respirais les effluves de son sillage avec empressement pour les distiller dans mes rêves les plus effrontés…

Parfois, au cassage d’un début de partie, une boule de billard s’échappait du tapis vert et ses rebonds étaient comme un diapason de marteau piqueur cherchant l’unisson sur le carrelage. Pendant ce temps de métronome exalté, tous les bruits se taisaient comme s’ils se fixaient dans l’éternité heureuse des souvenirs inaltérables…

Un soir, le long du zinc, pour la chiner, je lui avais réclamé un « pantalon ». Elle qui cherchait toujours à me faire plaisir, elle se trouva fort dépourvue quant à cette commande tellement saugrenue… Je voyais un millier de points d’interrogation se tisser sur son doux visage, soudain contrarié. Désespérée, elle chercha sur les étiquettes des bouteilles des étagères, elle demanda à l’autre serveuse, elle se renseigna auprès de sa patronne. Invétéré espiègle, j’aimais bien son accablement de faiblesse. Sa fragilité ne la rendait que plus belle, plus limpide, plus délicate, plus irrésistible…
Après son service, une nuit d’audace, une nuit vorace, une nuit brise-glace, une de ces nuits de champs de pâquerettes, avec ses un peu, beaucoup, passionnément, nous sommes montés jusqu’à sa chambrette…

 

24 février 2018

La déclaration (maryline18)

 

Toute entière investie dans ses gestes chaques jours répétés, Isabelle, nouvelle embauchée, termine la toilette  d'Antoinnette, la première réveillée. Elle a prit sa robe bleue dans la penderie, celle que lui a offerte son mari, quand... elle pouvait encore marcher..explique t-elle.

Ses yeux s'illuminent quand elle parle de lui, fidèle et venant très souvent lui rendre visite, avec un petit présent. Autant d'attention pour lui signifier son amour, assure t-elle... Antoinnette  range tous ces trésors, chocolats, madeleines, petites fiole d'eau de cologne, petits mouchoirs brodés, dans son chevet.

 Certains soirs, Isabelle vient la retrouver. Elle aime son regard malicieux et son sens de la répartie, elle la fait rire...Pendant qu'elle coiffe ses cheveux gaufrés par la natte du matin, une complicité sans nom les relie, volant toutes deux quelques instant au temps...Pour prolonger ces moments, Toinnette (c'est ainsi qu'elle se fait appeler par les aides-soignante) lui raconte la scène de la déclaration que lui avait fait Robert soixante-dix ans plus tôt.

"-C'était dans un petit bistrot, à l'occasion du bal de la ducasse, la seule sortie autorisée en soirée, de l'année. J'y était venue accompagnée de mes deux soeurs, Ginette et Louisette, et de mes trois cousines, bien décidées à faire la fête et à danser.

On s'était bien vite apprêtées, baclant les corvées de lessive et le nettoyage des clapiers et des poulaillers. Les parents nous observaient du coin de l'oeil, amusés, mais un peu inquiets, nous donnant les dernières recommandations de bonne conduite."

"-Comment était votre robe Toinnette, vous vous souvenez ?"

Elle fixe alors, comme à chaque fois, rêveuse, un point imaginaire sur la tapisserie fleurie et raconte...

"-J'avais mis la robe bleue qui me venait de ma soeur Joséphine. J'y avais cousu un galon rouge et volanté dans le bas. J'avais troqué mes galoches pour des escarpins vernis qui me serraient les orteils et que je supportais en grimaçant. Je l'ai repéré tout de suite, Mon Robert, à peine arrivée au bal !"

"-Il était beau ?"

"_Oh oui, il l'était ! Et il avait des mains...de pianiste !

 Après m'avoir invitée à danser, il m'a offert une limonade. Mes cousines et mes soeurs, je les avais semées au beau milieu de la salle ! Assise en face de lui, ses yeux ont rencontré les miens et à cet instant, j'ai su..."

"-Quoi, vous avez su quoi ?

Toinnette fait durer le plaisir et l'émotion reste suspendue à ses lèvres...

"-J'ai su que je l'aimerais...Il avait les mains si douce et les yeux si bleus...Il m'a pris la main et m'a déclamé mon beau poème d'amour !"

"-Allez-y toinnette, dites le moi !"

Savourant mon impatience, elle fait semblant de faire un effort pour se souvenir des mots déjà au bout de sa langue, et alors les joues rosies et les yeux humides elle se lance, sa main frêle dans la mienne :

-"Dans vos yeux délavés,

Je me suis égaré...

Mais où est donc la sortie,

Pour qu'au plus vite, je vous fuie ?"

Toinnette éclate alors d'un rire communicatif et ma collège intriguée rapplique :

"-Ben vous avez bien du plaisir toutes les deux !"

Toinnette lui adresse un clein d'oeil complice et poursuit :

"-Je raconte à la belle Isabelle le coup du poème !"

"-Lequel, le rigolo ou le vrai ,"

"-Les deux !"

Toinnette soupire d'aise de m'avoir bien eue et me tapote la main :

"Toi je t'aime bien, tiens, je vais te l'dire le vrai poème, si beau de ma rencontre avec Robert ! Voila ce qu'il m'a dit, ses yeux dans les miens :

Je vous aime, ô jeune fille !
Aussi lorsque je vous vois
Mon regard de bonheur brille,
Aussi tout mon sang pétille
Lorsque j'entends votre voix "     (Théophile Gautier)

 

Quelques mois  s'écoulèrent avant que Toinnette ferme les yeux pour toujours, un curieux sourire aux lèvres...

Isabelle apprit qu' Antoinnette ne s'était jamais mariée et que Robert, qui était sa seule famille, était son frère...Les friandises cachées dans son chevet provenaient des autres chambres et des charriots préparés pour les goûters.

Avait-elle inventé délibérément cette histoire ou sa mémoire lui offrait-elle un dernier réconfort ?

Personne ne peut affirmer la vérité, mais Isabelle gardera longtemps en mémoire les éclats de rire de la malicieuse Toinette qui aimait la vie et la poésie...

 

24 février 2018

Les Marie-salopes (Vegas sur sarthe)


Si le troquet s'appelait Le Café des Sports on y rencontrait plus de pochetrons que de sportifs, des poivrots la dalle en pente et qui marchaient au communard – un rouge-cassis pas piqué des hannetons – dès neuf heures du matin en rabâchant les mêmes histoires de quartier.
Le taulier – pour ne pas dire taulard, un ancien repris de justesse pris en flagrant débit de boisson – vivait là, planté tel un meuble de sept heures du mat à minuit sans sourciller entre son zinc et la machine à caoua.
Nul doute que si son rade venait à couler il resterait le dernier à la barre, cramponné à son tiroir-caisse comme un digne commandant de bord.

J'avais commandé une roteuse qui se trouva fort entamée quand Germaine fut venue, poussant enfin la porte du boui-boui sous le regard lubrique des pochetrons.
Je la gratifiai d'un "Salut ma poulette" ponctué d'une main au panier digne de la réputation de l'établissement, un troquet qui logeait temporairement quelques "sportives" professionnelles honteusement expropriées du bois de Vincennes...

A vingt trois heures – heure où le loufiat filait son coup de cachemire sur le zinc en lorgnant sur sa tocante – il est mal vu de recommander une roteuse alors on s'est contentés de deux marie-salopes, des vodka-jus de tomate plus vodka que tomate, histoire de se mettre en jambes.
Je ne fréquentais Germaine que depuis une semaine et on avait envie de passer aux choses sérieuses après avoir épuisés les explorations préliminaires.
A la table voisine, un couple entre deux âges – plus près du deuxième que du premier – noyait sa routine dans le pastaga en remplissant un cendar de clopes à moitié grillées.
"On va quand même pas finir comme ceux-là" me souffla Germaine en glissant sa jambe entre les miennes.
Les pochetrons lorgnaient grave sur les roberts de Germaine et je me serais levé pour aller leur soigner leur strabisme si Germaine ne m'avait entrepris l'entrejambe.
Elle avait parait-il appris le langage des signes et parlait couramment des deux mains depuis sa puberté.
J'avais un besoin urgent de recharger les accus.
"On remet ça" lançai-je au taulier trop heureux de dégourdir sa patte folle.

Comme Germaine filait aux gogues se refaire une beauté, le taulier revint clopin clopant – surtout clopant – avec trois verres vu qu'il ne perdait pas une occasion de s'en jeter un derrière la cravate en compagnie du client.
"Aux Marie et aux salopes" dit-il en s'envoyant la sienne d'un trait.
Il prit pour lui les sifflets d'admiration qui ne faisaient que ponctuer le retour de Germaine munie de ses appâts.
Il était temps qu'on file avant que les soiffards n'aient des attaques cardiaques en chaîne. Si le SAMU connaissait le chemin, je ne voulais pas qu'on soient tenus responsables d'une hécatombe.
Je gratifiai Germaine d'un "Viens ma poule, on change de crèmerie"
J'envoyai la soudure; "T'as du pourliche ?" minauda t-elle.
"Du pourliche, bébé ?" dis-je à la cantonnade "tu crois pas qu'tu leur en as largement refilé en nature ?"
Le loufiat nous avait ouvert la porte, la main tendue en chistera mais rien ne tomba, ni dix balles ni même une seule... les temps sont durs pour tout le monde.
Dehors, ça caillait un max et la pointe des tétons de Germaine pouvait en témoigner; on s'engouffra à la hâte à l'Hôtel des Sports où l'on n'y croisait guère que des "sportives" professionnelles honteusement expropriées du bois de Vincennes...
Il était grand temps d'aller se réchauffer sous la couette.

 

24 février 2018

Cannelle et les bars (Laura)

 

En déambulant dans sa ville de naissance, Cannelle ne songeait à rien d’autre qu’à fuir la maison de ses parents ; en fait, les fuir, eux et leur hypocrisie.
Elle allait de bars en bars (ceux qui étaient encore ouverts à cette heure avancée de la nuit).De plus en plus soûle, elle se prit une branche d’arbuste dans le visage. « Une ombellifère » se dit-elle. 
C’était son père –féru de botanique- qui lui avait appris à reconnaître une ombellifère. Comme quoi, les connaissances acquises dans la cellule familiale ne se diluent pas forcément dans l’alcool. Pourtant, ce n’était pas faute d’essayer…Oui, vraiment, elle essayait d’oublier tout ce qu’elle avait fait pour leur faire plaisir, pour être conforme à l’image qu’il se faisait d’elle. Elle aurait voulu s’oublier elle-même telle qu’il l’avait façonnée, pleine de peurs et d’inhibitions.
Elle arrivait à cet oubli en buvant mais ça ne durait pas ; car après l’exaltation venait la dépression et encore après, le lendemain au réveil (avant de reboire), le dégoût d’elle-même.
Elle avançait en tanguant d’un bout du trottoir à l’autre. Elle essayait de corriger sa trajectoire mais c’était difficile car le feu de l’alcool la brûlait, lui envahissait le cerveau. Elle savait qu’elle n’aurait pas du continuer à boire. Elle avait déjà son compte mais elle passa tout de même la porte de chez Roberto où elle avait commencé sa tournée tôt le matin :un petit blanc pour remettre la machine en route, pour oublier la nausée, pour se nettoyer. Elle avait vu de la lumière, elle était rentrée.

 

24 février 2018

bistrot (joye)

je fouette ma plume

elle a rencart dans un bistro

faudra qu’elle se lève

qu’elle se fasse une beauté

elle ira à la rencontre

d’un ancien amoureux

ou des amies avec lesquelles

elle a perdu contact

on boira, on jasera,

on trinquera au passé glorieux

quand le monde était jeune

et insouciant

quand personne ne craignait

laisser du sang sur la table

de la terrace

avec son pourboire

bistro

24 février 2018

B comme bistrot (Adrienne)

 

La bibliothèque était fermée, il pleuvait. J’ai couru jusqu’au café le plus proche. Une musique grinçante sortait d’un poste mal réglé. De l’arrière-cuisine parvenaient des odeurs de beignets et d’huile de palme.

La serveuse s’est adressée à moi avec lassitude. Ça m’a émue: elle me faisait penser à mon amie K*** qui écrit un livre sur la condition des femmes africaines. Une œuvre qu’elle ne cesse d’enrichir de l’expérience de toutes les femmes qu’elle rencontre. Voilà bien cinq ans qu’elle promet de me le faire lire.

- Vous voulez quoi, Madame ?

C’était une imposante femme noire un peu nasillarde, comme on en voit dans les histoires de jazz. Elle s’est approchée en traînant ses savates.

- Vous voulez quoi, Madame ? a-t-elle répété d’une voix encore plus lasse, en s’appuyant d’une main sur la table.
Pas très nette, la table. Elle y a passé un chiffon grisâtre.
- Un café, s’il vous plaît.

Voilà le genre d’endroit où la grand-tante Léonie tournerait de l’œilavec ces traces de boissons diverses sur la table et ces couches de poussière sur les miroirs devenus opaques. Elle qui passe son steak sous le robinet et l’éponge soigneusement entre deux torchons fraîchement lavés, amidonnés et repassés avant de le faire frire à la poêle.

Les savates se sont traînées jusqu’au comptoir pour y mettre en branle de quoi me confectionner un café.

Des savates comme celles-là, ces jambes lourdes, ce gros corps enveloppé d’un tablier usé, pas très frais, toute cette lassitude d’une vie, je les ai déjà vus. Et puis, un soir de fête, c’est une autre femme qui apparaît, maquillée avec art, vêtue d’un joli boubou, brillante de l’or cliquetant de ses bijoux, le geste gracieux, les ongles faits, le sourire éclatant, le regard vif.

Quand elle m’a apporté le café, la pluie a cessé et la lumière s’est allumée à l’intérieur de la bibliothèque. Je vais être en retard à mon rendez-vous, moi qui arrive partout avec un quart d’heure d’avance. Le café est amer et brûlant. J’aurais dû demander une eau plate.

La serveuse éteint la radio. Elle tourne la clé derrière moi, accroche la pancarte : « Fermé ».

Elle va enfin pouvoir la faire, sa sieste.

 

24 février 2018

Et pas qu'un peu ! (Joe Krapov)

DDS 495kaleid11Chaque fois qu’elle revient à Rennes-en-Délires, la toujours pétulante Isaure Chassériau va saluer rue de Dinan son oncle Camille Cinq-Sens. L’oncle Camille tient, en face de l’église du vieux Saint-Etienne transformée en théâtre, un bistrot à l’ancienne baptisé « Au Vieux Saint-Etienne ».

Autrefois, en des temps hélas révolus, on pouvait lire sur la vitrine quelque chose comme « Ici on peut apporter son manger » mais les temps sont devenus durs et depuis que l’oncle a épousé la belle Agata aux talents culinaires si incontestables qu’ils sont mesurables à l’embonpoint du patron, le bistrot fait restaurant et on ne peut plus apporter que son franc-parler, son goût de la rigolade et ses cris du cœur.

Le cœur n’apparaît pas que dans les cartes des joueurs de belote qui viennent là taper le carton l’après-midi. Lorsque la nuit est tombée ou le matin, avant que le café n’ouvre, quand les volets sont fermés, on en voit quatre qui sont percés en haut des panneaux de bois.

DDS 495 96706808Même si la rue semble déserte il vient beaucoup de monde dans ce café : le public et les artistes du théâtre situé en face, les gens du quartier, les Rennais qui font leur marché sur la place des Lices le samedi. Car la rue de Dinan prend naissance au bas de celle-ci, dans le prolongement de la rue de Juillet. Le mardi après-midi, maintenant, il y a Joe Krapov et ses potes qui viennent pousser du bois sur leurs jeux d’échecs Kasparov sans lettres ni chiffres sur le côté ! On ne sait pas comment ils font mais ils ont beau être huit inscrits ils sont toujours en nombre impair pour jouer et le dernier arrivé est obligé de kib(b)itzer. Ce jour-là, ça carbure en silence, chez Camille. Et pas qu’un peu.

Parfois l’après-midi, aux heures creuses, Camille vient s’asseoir avec ses vieux potes Jacques-Henri Casanova et Jean-Emile Rabatjoie. Ils ont tous les trois des ciseaux et découpent des vieux numéros de Télérama « le journal qui ne jure plus que par Harvey Weinstein pour pouvoir parler de sexe à tous les étages et même sur la couverture». De ces découpages collectifs, Jean-Emile réalisera ensuite des collages surréalistes qui n’ont rien à envier à ceux de Jacques Prévert qui est leur maître à panser les plaies de l’existence. Encore que ces trois-là n’ont rien de grand blessés : ils se marrent tout le temps. Et pas qu’un peu !

Sauf aujourd’hui où, après avoir embrassé Isaure, Camille est obligé de répondre à la question « Et à part ça, la santé ? ».

- Ah ! Ne m’en parle pas ! Les médecins me font chier ! Et pas qu’un peu ! Tu veux que je te raconte la dernière ?

- Peut-être pas, Camille, intervient tante Agathe, on va bientôt passer à table !

- Si, si  ! Raconte, Camille ! protestent Petitprince et Lemouton, les techniciens régie de l’église-théâtre d’en face. Tu es inénarrable quand tu narres !

- Rigolez, rigolez, les jeunes ! Un jour ça vous arrivera aussi, même si vous n’êtes pas malades ! Et d’ailleurs, pour répondre à Isaure, je suis en parfaite santé ! Simplement, comme tout le monde, j’ai l’ADECI au cul !

- C’est quoi ? Un genre d’hémorroïdes ?

- Pire que ça ! Une secte de dingues du principe de précaution ! Dès que tu as cinquante piges ils te sautent dessus ! Ils t’emmerdent tous les deux ans en t’envoyant un courrier pour que tu participes à leur jeu-concours de merde !

- Sois moins grossier, mon oncle ! Tu sembles bien énervé aujourd’hui ! Et pas qu’un peu !

- Il y a de quoi ! Non seulement je perds toujours à leur jeu à la con mais en plus cette année j’ai été disqualifié ! Et c’était même pas de ma faute !

- Tu ne m’as toujours pas dit ce que c’était que ton… « indécis » ?

- ADECI ! abrège Agata. C’est pour pister le cancer du colon !

- Et ça marche aussi pour le lieutenant et le sergent-chef ! plaisante Lemouton.

DDS 495 mode d'emploi- C’est simple, explique Camille. Enfin non, c’est hyper compliqué. Il faut tu ailles aux toilettes et que tu colles une espèce d’origami sur la lunette. Ensuite tu fais ta grosse commission mais tu ne dois pas mélanger ton pipi et ton caca ni déchirer le papier ni faire tomber ta crotte dans le trou. Quand tu as terminé tu prends la pince à tiercé qui est dans le tube du kit.

- ???

- Tu prélèves dans ton étron, à trois endroits différents, à l’aide de la tige verte, de quoi recouvrir la partie striée. Puis tu remets la tige dans le tube que tu secoues énergiquement.

- Aller aux toilettes pour se secouer la tige, ça n’a rien de l’amour sorcier, en même temps ! commente Agata qui, de temps en temps, – elle est native de Bogota - a des saillies involontaires du fait de sa maîtrise plus ou moins colorée de notre langue. Après reste plus qu’à coller les étiquettes et renvoyer.

- Sans oublier de décoller l’origami et de le vider sans s’en mettre plein les doigts !

- On dirait un rituel de l’église scatologique, ton truc, ajoute Petitprince. C’est qu’un mauvais moment à passer, pourquoi ça te rend vert ?

- Avant ils t’envoyaient le matos pour jouer. Maintenant tu dois aller le chercher chez ton médecin maltraitant. Et regarde le résultat !

L’oncle se retourne et prend parmi les cartes postales accrochées derrière son bar un courrier d’un laboratoire de biologie.

DDS 495 courrier labo


- J’ai été éliminé à cause d’un problème de gestion de stock ! Les touillettes du toubib étaient périmées ! Et pas qu’un peu !

Tout le monde, à l’exception du taulier, est hilare dans le bistrot.

- Alors t’as dû recommencer ?

- Oui mais cette fois je n’avais plus les étiquettes autocollantes du courrier d’invitation. J’ai dû réécrire tous les renseignements à la main sur leur fiche à la con et même sur le tube. Est-ce que je le connais, moi l’organisme de rattachement du médecin traitant ? J’ai laissé la case vide. Si ça se trouve ils vont me disqualifier encore une fois à cause de ça. Le pire c’est que j’ai retrouvé la feuille avec les codes à barre après avoir renvoyé le tout.

- Des codes à bar pour un patron de bistrot, c’est indiqué, non ? en remet une couche Lemouton.

- Je ne sais vraiment pas pourquoi j’y joue encore à leur jeu, je ne gagne jamais ! Ca fait dix ans qu’ils me répondent «résultats négatif» d'un air désolé !

- Oncle Camille, réfléchis ! Il vaut mieux qu’ils ne trouvent rien, tu ne crois pas ? Avoir un cancer, ce n’est pas très drôle !

- En attendant c’est chiant, leur truc. Et pas qu’un peu !

- En même temps, comme on dit maintenant, tu m’as bien cassé mon coup ! ajoute Isaure. Je vous avais amené des cadeaux à la tante et à toi, mais je ne vais pas pouvoir vous les offrir.

- C’est gentil, chère Isaure, remercie Agata. Je suis prendeuse quand même. Ne tiens pas compte des bêtises de ton oncle. On les a déjà oubliées.

Isaure sort alors deux paquets de son grand sac à main rose. Le premier, plus petit, est pour l’oncle. Camille déchire le papier cadeau et découvre le DVD de la saison 3 de « La minute vieille ».

- Trop bien ! apprécie-t-il. Trop bien vu, ça va me plaire ! C’est la seule émission que je trouve regardable sur Arte !

Lorsque Agata déchire le sien tout le monde éclate de rire et pas qu’un peu dans le bistrot : ce sont des crottes en chocolat !

24 février 2018

un coup pour rien, c’est ma tournée (Nana Fafo)

c_est_ma_tournee

Episode 07 : un coup pour rien, c’est ma tournée

 

Eppeville - Quartier Verlaine.

Au Bon Accueil.

 

Pingouinnot et Ronchonchon étaient en avance pour leur rendez-vous avec Kamélia-Kamélius qui allait certainement les aider à retrouver ce fameux JP aux énigmes façon Bill (ou Boule… de cristal bien sûr !).

Walrus, leur fit un bon accueil.

Pingouinnot et Ronchonchon s'avancèrent au comptoir, saluer l’patron.

ça se fait dans l’milieu, si on ne veut pas passer pour une barrique ou une coche.

 

Ronchonchon, lui-même ex-tavernier à poches trop niais(es) et à poches trouées commanda un Boc, histoire de faire baisser la pression, et de ne pas galoper trop vite.

ça lui rappela cette fille à Monaco, dit débarquait en Limo avec sa robe Grenadine… elle avait l’air de s’évaporer, il aurait aimé la “bichonner”, ce pti bouchon !

 

Pingouinnot s’en serait bien jeter un dans l’gossier, un pti jaune ou une mauresque pour lui rappeler sa jeunesse, un perroquet ou une tomate aurait aussi bien fait l’affaire, tant que l’anisette coulait à flot.

C’était l’époque insouciante des apéros TGV, où il devait rentrer en taxi…

Mais il était un peu tôt pour commencer l’apéro, la pendule indiquait 10h43, l’entre deux.

Il commanda un glacial et que ça saute !

 

Walrus l’patron était russe, il restait à l’eau, il en buvait des packs. Il valait mieux avoir les idées sobres dans ce troquet, car quand  venait le temps de casser une pure croûte, le bougnat qu’il était troquait son torchon contre une toque de chef étoilé pour régaler les pleu-pleu du coin, notamment Monsieur Akrapovic, le réparateur poétique. Ils étaient tous avides de son art culinaire : des assiettes de tapas Zakouskis ! Ainsi ses convives repartaient à plein régime, pleins et à pieds…

 

Un vent glacé venait de pousser la vieille porte du boui-boui : Kamélia-Kamélius entra.

 

Ils s'asseyèrent tous les 3 à une table, il était 11h44.

Une bande de minets gominés entra pour boire jusqu’à l’oubli. C’était l’heure, l’heure de la répétition quotidienne.

Ronchonchon ne put s’empêcher de dire : quel estaminet à minet (il ne croyait pas si bien dire…)

Lorsque Pingouinnot expliqua à Kamélia-Kamélius qu’ils cherchaient le fameux JP et que cette vacherie de Germaine leur avait donné un indice qu’ils ne comprenaient pas, elle leur dit :

“ Votre JP, il est jaune. Quelle étrange coïncidence, mon ami Karlybout l’québécois a déjà rencontré votre JP”.

 

24 février 2018

Arrêt sur images... de bistrot (petitmoulin)


L'adolescence en paravent
Ces deux beautés-là
Affûtent leur regard
À leur désir tout neuf

Emmitouflée dans un manteau
Et un bonnet de laine
Le visage à demi caché derrière un livre
Elle est seule
Au bord de son attente
L'impatience qu'elle enfouit
Dans sa lecture supposée
Remonte à la surface
À chaque ouverture de la porte
Viendra ? Viendra pas ?

Soutenu par d'invisibles béquilles
Cet homme n'a plus d'âge
Ni passé ni futur
Il cherche au fond d'un verre
Assez de loques
Pour habiller son présent
Il écrase son âme sur le comptoir
Comme on écrase un cancrelat

Et eux, combien sont-ils ?
Tribuns d'un jour
Unis par leur désunion
Ils ont tous raison
Chacun d'eux paie son écot de vérité
Tournée générale

 

Publicité
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité