Participation de Marco Québec
Texte inspiré par le tableau réalisé par Edward Hopper, intitulé Automat
Le café
Je suis dans un café. Je pourrais quasiment dire mon café, tellement cet endroit est le mien. Il est pour moi un refuge, un cocon depuis je ne sais combien d’années maintenant. Je m’y sens bien. L’ambiance est feutrée et ce n’est jamais bondé de monde. La musique joue en sourdine des chansons françaises, les seules que j’apprécie vraiment. Malgré les grandes vitrines de la pièce, il n’y fait pas froid en ce soir de novembre. Les calorifères à eau chaude diffusent une chaleur confortable qui me fait du bien, autant qu’il m’est possible d’être bien ce soir. J’ai mis mon manteau vert avec la fausse fourrure au col et aux manches. Je le garde sur moi, comme pour me protéger. Un cocon dans un cocon, en quelque sorte. J’ai gardé mon chapeau, il masquera mes yeux si l’émotion devient trop intense. Je m’assois toujours à la même table, la table ronde près de la porte. Sa position par rapport à l’entrée du restaurant me protège de l’air frais extérieur qui s’engouffre lors de l’arrivée d’un client.
La propriétaire et le personnel me reconnaissent toujours et me permettent de m’asseoir à cette grande table, même si je suis seule. Je crois d’ailleurs que je ne suis jamais allée à cet endroit avec une autre personne. C’est ma place à moi. Sans rien demander, la serveuse m’apporte un double espresso allongé, mais pas noyé, avec sucre, crème et lait. Elle me demande si je souhaite l’accompagner d’un dessert. Non pas ce soir, je n’ai vraiment pas d’appétit, lui dis-je.
Je repense aux grandes décisions que j’ai prises dans ce lieu : ma rupture avec Louis, une relation qui n’allait nulle part; mon retour aux études qui allait me permettre de quitter un emploi que je détestais… Et la décision que je dois prendre maintenant : ablation ou non d’un sein. Le médecin a parlé d’un cancer virulent, à un stade très avancé. À son avis, il vaut mieux procéder à l’ablation pour diminuer les risques d’une récidive.
C’est tellement facile à dire. Il doit avoir plus de 60 ans. Sa vie est à un stade avancé, alors que moi, je n’ai que 25 ans et toute la vie devant moi. Les larmes me montent aux yeux et coulent sur mes joues. Est-ce que je peux encore dire que j’ai toute la vie devant moi? Je suis désemparée. Comment une telle chose est-elle possible? Je laisse les larmes trouver le chemin jusqu’à mon cou. Un frisson me traverse.
Peu à peu la tristesse fait place à l’épuisement. Je me sens plus calme. Je fais signe à la serveuse de m’apporter l’addition. Je quitte le café, mon café, mon cocon.