B comme bistrot (Adrienne)
La bibliothèque était fermée, il pleuvait. J’ai couru jusqu’au café le plus proche. Une musique grinçante sortait d’un poste mal réglé. De l’arrière-cuisine parvenaient des odeurs de beignets et d’huile de palme.
La serveuse s’est adressée à moi avec lassitude. Ça m’a émue: elle me faisait penser à mon amie K*** qui écrit un livre sur la condition des femmes africaines. Une œuvre qu’elle ne cesse d’enrichir de l’expérience de toutes les femmes qu’elle rencontre. Voilà bien cinq ans qu’elle promet de me le faire lire.
- Vous voulez quoi, Madame ?
C’était une imposante femme noire un peu nasillarde, comme on en voit dans les histoires de jazz. Elle s’est approchée en traînant ses savates.
- Vous voulez quoi, Madame ? a-t-elle répété d’une voix encore plus lasse, en s’appuyant d’une main sur la table.
Pas très nette, la table. Elle y a passé un chiffon grisâtre.
- Un café, s’il vous plaît.
Voilà le genre d’endroit où la grand-tante Léonie tournerait de l’œil, avec ces traces de boissons diverses sur la table et ces couches de poussière sur les miroirs devenus opaques. Elle qui passe son steak sous le robinet et l’éponge soigneusement entre deux torchons fraîchement lavés, amidonnés et repassés avant de le faire frire à la poêle.
Les savates se sont traînées jusqu’au comptoir pour y mettre en branle de quoi me confectionner un café.
Des savates comme celles-là, ces jambes lourdes, ce gros corps enveloppé d’un tablier usé, pas très frais, toute cette lassitude d’une vie, je les ai déjà vus. Et puis, un soir de fête, c’est une autre femme qui apparaît, maquillée avec art, vêtue d’un joli boubou, brillante de l’or cliquetant de ses bijoux, le geste gracieux, les ongles faits, le sourire éclatant, le regard vif.
Quand elle m’a apporté le café, la pluie a cessé et la lumière s’est allumée à l’intérieur de la bibliothèque. Je vais être en retard à mon rendez-vous, moi qui arrive partout avec un quart d’heure d’avance. Le café est amer et brûlant. J’aurais dû demander une eau plate.
La serveuse éteint la radio. Elle tourne la clé derrière moi, accroche la pancarte : « Fermé ».
Elle va enfin pouvoir la faire, sa sieste.