Il monte les marches qui le séparent de la tribune. La rumeur, en bas, s’amplifie, le monde est comme enrubanné d’une douce folie. La joie enfle, libérant enfin l’égrégore si longtemps contenu, de toutes ces volontés individuelles qui l’ont porté, transporté, amené peu à peu à ce jour tant attendu. Le jour de sa victoire. Un immense soupir de soulagement s’exhale de sa poitrine.
Il sait pourtant que ce ne sera pas une sinécure, la réalisation de ce rêve. Il sait qu’il lui faudra compter avec la circonspection de toute une frange révoltée ou désabusée de ceux qui ont pourtant contribué à son triomphe. Il sait aussi que ses ennemis ne connaîtront aucune trêve. Il s’apprête à devenir seul, terriblement seul, bien que constamment entouré. Le paradoxe de la fonction.
Il apparaît aux yeux de la foule en liesse, et jette un coup d’œil furtif à la feuille de papier, qu’il tient dans ses mains. La stupeur lui porte comme un coup de poing au cœur. Quel est ce sortilège ? Un effet du surmenage des dernières semaines ? la feuille est vierge ! Plus aucune trace du discours qu’il a soigneusement préparé, dans la secrète espérance de ne pas être obligé de le jeter au feu le moment venu…
Et voilà que ses phrases toutes prêtes, soigneusement orchestrées par son conseiller en communication, elles aussi, s’effacent une à une de sa mémoire. Voilà que devant le peuple qui l’a choisi, il se retrouve nu comme un enfant au premier matin du monde. Un instant, le vertige le saisit.
Puis il surmonte le tremblement qui parcourt ses membres, et, laissant tomber, comme feuille au vent, ce papier où son texte prêt-à-lire a été tracé à l’encre sympathique par une facétie du destin, il entrouvre les bras dans un geste magnanime et protecteur. Contre toute attente, il se sent envahi d’un étrange calme. Le peuple l’écoute.
Privé de ses notes, il doit absolument dire quelque chose. Alors, une petite voix se fait entendre tout au fond de lui, avec des mots vrais, loin des compromissions, des manigances politiciennes. Il va la chercher, cette petite voix. Il se met à parler. Il parle de sa joie, de son émotion, de son espoir, il parle d’humanité, de progrès social, d’entraide, de solidarité de créativité, d’échange mutuel.
Il se sent énergie, dynamisme, optimisme. Il va les soulever, ces montagnes.
Il parle de culture, de différences, de chaleur, d’enthousiasme, de couleurs, de partage. Sa voix vibre. Comme jamais.
Il parle de Liberté, d’Egalité, de Fraternité. Pour la première fois, il mesure l’émouvante dimension de ces mots, gravés en lui à jamais par l’écrasante grandeur de sa fonction, et un désir de ne pas décevoir tous ces gens venus l’acclamer. Il se jure de n’être pas comme les autres avant lui, de ne pas céder à la facilité, aux menaces des puissants. Et après la fantastique ovation que déclenchent ses paroles, comme une tempête balayant les incertitudes, il entend les mots tant attendus, tant redoutés aussi.
« Bonne chance, Monsieur le Président ».