Le voleur de bicyclette (Célestine)
Cher voleur,
Hier soir, en sortant du restaurant végétarien-zen où une amie m'avait gentiment conviée, je n'ai plus trouvé mon vélo.
Je ne peux te décrire les sentiments confus qui m'ont agitée en cette brève minute où il a fallu que je me rende à l'évidence.
Incrédulité, refus, incompréhension, colère, révolte, dépit, acceptation, résignation, relativisation...Toute la palette.
La soirée avait pourtant fort bien commencé, le cadre était idyllique, et j'avais décidé de m'y rendre à bicyclette afin de profiter de la douceur du soir et de contribuer modestement à la protection de la couche atmosphérique en ne rajoutant pas de Céodeux inutile...
Repas léger, bulles de connivence, on se raconte nos vie, on échange, à la lueur des lampions qui donnent un joli teint et un air un peu mystérieux. On parle d'enfants, de yoga, de boulot, de lectures, d'avenir. On est bien. L'air est tout empreint de ce bien-être.
Et là, paf! coup de théâtre, coup de grisou. Là, sur la digestion, me faire ça! Plus de vélo, un sentiment de grand vide et le poteau auquel je l'avais attaché, pourtant solidement, qui semble me dire d'un air penaud "Je n'ai rien pu faire, tout est allé si vite..."
J'espère au moins que tu vas bien le traiter. J'ose penser que tu en avais vraiment besoin pour te déplacer. Que tu es un adepte de l'écologie, et que j'ai fait un heureux.
Parce que si tu l'as volé pour le revendre, je te préviens, tu n'en tireras rien, c'est un biclou qui ne vaut plus un clou.
Si je le retrouve au hasard d'un "marché du vélo d'occasion" ou d'un vide-grenier, je le reconnaîtrai entre mille. Il clignotera de tous ses feux et me dira: "Reprends-moi!" Moi seule connais ses blessures secrètes.
Tu ne pourras rien faire pour m'en empêcher. Tu ne sais pas de quoi je suis capable pour un ami.
Tu ne sais pas l'amitié profonde que j'avais pour mon vélo.
Avec lui, j'aimais sentir le vent voleter dans mes cheveux, j'aimais sentir mon corps bouger, mes jambes dorer, ma robe se soulever un peu, la griserie des chemins de noisettes où il aimait m'emporter. Lui et moi, on s'entendait à merveille.
C'était bien plus qu'un tas de ferraille. C'était un art de vivre.
Je ne te salue pas.