Oublier (Célestine)
Il lui fallait oublier sa bouche, surtout sa bouche. Une bouche grenade qui lui explosait la langue en étincelles. Un salmigondis de papilles fruitées et agaçantes comme une limette cueillie sur l’arbre un matin d’été, torrent de framboise et de menthe et d’anis.
Il lui fallait oublier sa peau, ses courbures de velours, un velours mat et fluide, et étourdissant et enivrant de la douceur salée dorée d’un coquillage. Oublier la suave langueur de ses bras blancs, naturellement refermés sur lui en berceau, ses mains virevoltantes qui se jouent de sa nuque, petit animal fou accroché à son cou.
Il lui fallait oublier ses cuisses ombrées de lune effarées de plaisir, son petit cul potelé, la palpitation sauvage de ses seins de crème et de satin, sa fleur de lys immaculée aux feulements de tigresse engloutie. Sa voix passion de cascade fraîche, sa voix désir de colombe frémissante, sa voix tourment de fontaine et de soleil. Et puis ses yeux de jade intemporelle, tour à tour glace et feu, citron et miel.
Et tous les délicieux supplices de son cœur.
Elle avait ri, d’un sourire de perle vénéneux , l’éclair vert de sa prunelle laissant venir la tempête. Il lui faudrait oublier aussi son parfum flou de myrte et de cardamome, lui crevant les narines quand l’image même de sa folie disparaissait dans un éclat de rire cruel.
Elle lui avait balancé son bouquet à la tête en criant « c’est fini ».
Il regarda les pauvres pétales dispersés au vent gris de novembre, et y vit clairement les morceaux de son cœur égosillé de désespoir.