Une si jolie petite ville... (Célestine)
Ici, c'est notre ville.
Voici l'église dont les cloches , le jour du Seigneur, résonnent tumultueusement sous le ciel lumineux du Midi, pour guider les fidèles vers l'office. Ceux-ci en ressortent heureux et pleins de tendresse mêlée de pitié pour les brebis perdues.
Les effluves des viennoiseries dorées, qui épousent le fumet du poulet grillé et des frites, déclenchent une subtile félicité des sens . C'est l'heure de retrouver les siens pour les nourritures terrestres. C'est le bonheur !
Ici, c'est notre ville.
Une petite scène de poche, où se jouèrent d'immenses chefs-d'oeuvre, montre portes closes depuis longtemps, sous prétexte de sécurité. Les cintres , les coulisses, le trou du souffleur, tout est en imminente ruine, qu'ils disent. Les velours et les ors vieillis du dix-huitième siècle dorment pour toujours inutiles, noyés de l'obscurité d'un triste oubli.
C'est que notre édile, lui, rêve d'un nouvel édifice culturel trop somptueux dit « des Congrès » bien loin d'une petite scène intime et modeste. Un projet pompeux et hors de prix qui suit une ligne politique que l'on peut trouver inepte et peu écologique...si l'on réfléchit un peu plus loin que le bout de son nez.
Ici, c'est notre ville .
On y voit des lumières, de jolies boutiques, des rues bordées d'ifs bien entretenus, des troncs bien droits, de belles fleurs polychromes , de petits lieux cools où l'on puisse boire un verre en toute quiétude. Tout semble étudié pour une vie douce et sereine.
Ici, c'est notre ville.
Elle est fière de son donjon rénové, son musée de peinture moderne, son chemin de fer, ses écoles un peu vieillottes. Ses flopées de bistrots joyeux. Son enchevêtrement de styles et de constructions hétéroclites. Y compris une mosquée, depuis peu.
Le mercredi, les minots en trottinette ou en roller font exploser leurs petits cris pointus comme des flèches et les oreilles des vieux promeneurs s'emplissent des souvenirs émus de leur jeunesse.
Ici, c'est notre ville .
Les bons citoyens se serrent près du feu. Ils entrouvrent frileusement leurs persiennes pour observer les mouvements des individus louches qui glissent comme des ombres le long des ruelles sombres.
Des mendigots en guenilles tendent leur sébile, résignés, sur le sol froid et dur. Derrière leurs inscriptions dérisoires, griffonnées en vitesse, ils quêtent un peu de douceur et de générosité. Les belles demoiselles et les jolis messieurs s'en vont guincher en rond , vêtus de leurs riches costumes, et détournent leurs yeux pour ne plus les voir. Les gueux pleurent doucement et leur ventre crie en silence. De temps en temps, impunément, le froid en tue un.
Ici, c'est notre ville. Une si jolie petite ville...