MOISSON DE MER (SklabeZ)
Récolte du goémon |
Naufrage sur la côte bretonne Pierre-Émile Berthélémy, peintre normand (1818-1890) |
Récolte du goémon |
Naufrage sur la côte bretonne Pierre-Émile Berthélémy, peintre normand (1818-1890) |
"Les galets écoutent la mer
qui leur raconte des légendes"
peuplées de monstres, de chimères
de flibustiers de contrebande.
Elle décore son récit
de cônes et de porcelaines
y ajoute de-là de-ci
quelques bigorneaux et solens.
Quand l'histoire se fait tragique
viennent patelles et berniques
comme autant de mauvais présages
noircir le sable de la plage.
Mais viendra le tour des amandes,
et des pétoncles de saint-Jacques
venus d'îles paradisiaques
et les galets en redemandent...
A chaque marée montante, la mer arrivait avec une nouvelle vague de plaisanteries stupides, de devinettes et d’attrape-couillons dont elle faisait cadeau aux galets :
- Pincemi et Pincenous sont dans un bateau. Pincemi tombe à l’eau. Qui est-ce qui reste ?
- Pincenous ?
Et la mer pinçait les galets et rigolait bien.
La fois suivante, elle leur demandait :
- Est-ce que vous avez déjà glissé dans la piscine ?
- Non, répondaient les galets.
- Et manié le béton à la tonne ?
- Non plus.
Et la mer s’écroulait de rire.
- Pourquoi tu ris ?
- Ce sont des contrepets. Si vous changez deux lettres de place ça prend un tout autre sens.
- Manier le tét… Ah oui, tu nous as bien eus, disaient les galets !
Douze heures après elle disait :
- Il fait beau et chaud aujourd’hui
- Oui ?
- Allez je vous aide, c’est aussi un contrepet !
- Il fait chaud et beau ? Mais ce n’est pas drôle ?
- C’est parce que c’est un contrepet belge !
- Ah ?
Et la mer se pliait de rire de plus belle.
La fois suivante :
- Savez-vous pourquoi les paquebots belges ont trois cheminées ?
- Non . C'est un contrepet ?
- C'est parce que les transatlantiques !
- ???
- C'est une devinette absurde que j'ai piquée à Gotlib !
Et la mer se couvrait de rides sur toute sa surface à force de rire.
Et toutes les douze heures, la même situation se répétait sur la plage de Saint-Jean-Cap-Ferrat.
La mer sans arrêt roulait ses galets.
Les algues
(chanson de la littorine)
Ce jour-là, les galets qui se couchent généralement sur le sable du littoral breton s'étaient tous tus. Ils avaient comme disparu. Je les imaginais alors envahissant toutes les crêperies qui poussent comme des champignons sur nos côtes, pour rejoindre leurs bonnes amies. Galets et galettes bretonnes enfin réunis.
Ce jour-là, alors que je me promenais sur une plage au bord de la Rance, je m'amusai à ramasser des coquillages avec mes enfants.
Et, en la glissant délicatement dans ma main gauche, voici ce que me chanta, verte de rage, une jolie littorine, née jaune citron :
Regarde la mer qui ramène les algues
Sur la plage
Tu as vu comme elles ont l'air vague
On les dirait sans âge
Les goémons nous narguent
Sur le sable ils nagent
Mais regarde les algues s'échouer sur la plage
Ca te changera un peu de paysage
Regarde mes yeux
Comme ils sont deux
Le ciel nuageux
Comme il n'est pas bleu.
Regarde les beaux châteaux de sable
Que font ces enfants,
Et ce voilier au large
Qui avance dans le vent,
Comme les flancs de ces barges
Filent droit devant.
Mais regarde les algues s'échouer sur la plage
Ca te changera un peu de paysage
Regarde mes lèvres
Comme elles sont gercées
Au loin le Cap de la Chèvre
Et non, ce n'est pas Jersey.
Hey ! T'as vu ce mec tout nu
Qui mange sa banane
Il se l'enfile ni vu ni connu
Comme un jet de sarbacane
Les algues sont comme de la glu
Sur son corps mé-lagon-man !
Mais regarde les algues s'échouer sur la plage
Ca te changera un peu de paysage
Regarde le sel
Qui fait péter le feu
Au loin le Cap Fréhel
Et non, ce n'est pas l'île d'yeu
Mais regarde les algues s'échouer sur la plage
Ca te changera un peu de paysage
Regarde mes yeux
Comme ils sont deux
Le ciel nuageux
Comme il n'est pas bleu.
et pour écouter la chanson de la littorine :
Vague, vague, vaguelette
Raconte-moi le monde si grand,
Bateaux pirates ou goélettes
Et ces marins qui virent au vent.
Petit galet, galet si blanc
Oui, certes le monde est grand,
Petit galet si rond, si doux,
Ecoute aussi comme il est fou.
Vague, vague, vaguelette
Conte-moi les légendes inouïes
Celle d’Ulysse, celle des squelettes,
Du bateau fantôme englouti.
Petit galet, galet si blanc
Il y en eut beaucoup de vaillant
Pour défier ma puissance monstrueuse,
Quand Poséidon me fait si coléreuse.
Vague, vague, vaguelette
J’aime de Jason la folle aventure,
Et cette toison aux mille facettes,
Et puis Surcouf riant dans sa mâture.
Petit galet, galet si blanc,
Suis triste d’en avoir pris tant et tant,
Colas ou Tabarly qui m’ont tellement aimé
Dans les abysses, je les ai couchés.
Vague, vague, vaguelette
Tu as la vie aussi et les poissons d’argents,
Tu vois tant de ports et de trinquettes,
De misaines, de drisses et de haubans.
Petits galet, galet si blanc
Ecoute aussi mon murmure apaisant,
Quand mon clapot caresse ta douceur,
La lune m’appelle, zut, c’est déjà l’heure…
Galet bleu sous le pas de la dame alanguie
Tu connais le secret de l’océan brumeux
Son appel de dément, sa fureur, sa folie,
Et ses hérissements de dragon caillouteux
Galet bleu endormi sur la grève où somnole
Le soleil du matin que l’été a surpris
Ta rondeur adoucie ressemble à une étole
Eclaboussée d’argent par-dessus le surplis
Galet bleu échoué sur le sable de l’aube
Tout bruissant du parfum échappé des lichens
Galet bleu que le flux et le reflux érodent
Ton mystère se tait à l’appel des sirènes
J’avais toujours voulu la rencontrer, et puis un jour, elle accepta de venir à ma rencontre.
C’était à Ostende, une ville que je ne connaissais pas encore. Quand je descendis du train, mes oreilles sifflaient encore des grincements des roues rebondissant dans le quai souterrain à Bruxelles, mais le jour était ensoleillé et venteux et j’ai vite oublié les désagréments en me précipitant vers notre lieu de rendez-vous.
J’étais en avance, comme d’habitude, mais en retard aussi. Le long du parcours, je me demandais pourquoi j’avais attendu si longtemps pour rencontrer cette âme sœur – pleine de vie, houleuse, changeable, souvent froide, jamais calme, sauvage et libre, mais riche et vitale, quelqu’un qui savait bien garder des secrets.
On s’était donné rendez-vous à la plage. Le sable était beige et épais sous mes pieds et bien que cela fût le mois d’avril, je ressentais sa chaleur estivale et j’avais envie de m’y asseoir. Toutefois, je savais que si je faisais cela, je ne bougerais jamais plus et je ne retournerais jamais chez moi.
Alors, je continuai tout droit, jusqu’au bout de la jetée, admirant le bleu du ciel éclatant à l’horizon avant de fermer les yeux. Une larme de bonheur absurde tomba sur ma joue droite.
D’un coup, je humai son parfum, j’entendis sa voix et je sentis sa fraîcheur sur mon visage.
J’ouvris les yeux pour encore la regarder, celle qui venait à ma rencontre, celle dont j’admirais l’énergie, la soeur que j’avais connue toute ma vie sans jamais l’avoir vue – cette magnifique mer du Nord.
W - T'as vu des galets, Roger ?
R - Des galets, où ça ?
W - Ben sur la photo de MAP...
R - Ah ouais, MAP, la mer...
W - Elle est amère, MAP ?!
R - Non, elle n'est pas ma mère, elle est plus jeune que moi !
W - Plus jeune que toi ? Tu galèges, Roger ?
R - Mais non, regarde ses yeux rieurs, sa peau lisse...
W - Elle a une police, MAP ? Privée alors, pour surveiller sa plage ?
R - Ouais, tout juste, sa plage à Gérardmer... T'es con parfois, Walrus !
W - Parfois, Roger ?
"Les galets écoutent la mer
qui leur raconte des légendes
....."
Max Alhau
A vous maintenant de "légender" ....
et d'envoyer ce que la mer vous aura conté
à
A bientôt, à la marée montante !
Dans ce musée j’ai trouvé
-qui gisaient en liberté-
les cailloux blancs de Poucet,
-avec eux je jouai aux osselets !-
l'escarpin de Cendrillon,
en Vair et contre toute attente je l’essayai à mon pied,
les bottes du Chat botté
-trop grandes, j’y perdis pied !-
la montre d'un Lapin blanc
mais l'oignon me fit pleurer,
le placard de Barbe Bleu
tout noir et sang … je n’y restai !
un petit pois
un matelas !
Bah je n’avais guère faim et n’étais point fatiguée !
Un gardien me fit signe
Il ne fallait pas m’attarder auprès de ce champignon
venu du pays d’Alice !
Pourtant il était joli à croquer !
Et je craquai !
C’est à cet instant que je fus transformée en chenille bleue
Qu'est-ce donc qui m'arrivait ?
Heureusement le gardien m’indiqua illico un panneau :
« Pour redevenir vous-même tapez-vous sur la tête avec ce petit marteau ! »
« BOUM ! »
Une fumée bleue en forme de papillon sortit de mon crâne !
- « Ah, ah vous vous êtes laissée prendre Mademoiselle ! »
- « Comment ça laissée prendre ? » Répondis-je au gardien !
- « Au champignon piégé ! On le met là pour tester la gourmandise des visiteurs ! Vous êtes la 28ème visiteuse aujourd’hui transformée en chenille bleue ! Vous allez faire partie des statistiques de la CNEQLCLGPLSDT ! »
- « CNEQLCLGPLSDT ? »
- Compagnie Nationale Educative Qui Lutte Contre La Gourmandise Pour La Santé De Tous ! »
- « De toute façon je crois que je me suis trompée de consigne en cours de route Monsieur le Gardien alors tout ça, eh bien ... ça compte pour du beurre ! Hi,hi,hi !!! »
- « Rendez-moi au moins mon petit marteau ! »
* * *
N.B: Les photos ont été prises dans une exposition organisée par les élèves de l'I.U.F.M. de Maxéville (près de NANCY) qui se sont inspirés du livre de Frédéric Clément : "Magasin ZINZIN" à destination de la Jeunesse.
A la fermeture du musée, s’élèvent soudain des conciliabules dans les salles désertées par les visiteurs…
Bouh la la ! J’ai mal dormi, c’est ce qui s’appelle avoir la tête dans le cul !
-Les gars, on s’est planté, je vous avais dit que c’était par là !
-On a raté la bretelle de sortie, désolé, c’est de ma faute, pardon !!!
-Bon sang, Balthazar, qu’est-ce que t’a fichu avec le GPS ?
-Si on s’en sort, t’es viré mon vieux !
-Oh pétard ! J’ai encore oublié de fermer le gaz avant de partir !!!
-Bon, moi j’y vais hein, il faut que je passe à Leclerc, on n’a plus rien dans le frigo !
-Je reste encore un peu et je te rejoins. Mais emmène le clebs, il devient pénible !
-Attends, j’y crois pas ! T’as pris la liste des courses au lieu de ta partition ?
-T’inquiète, Janine, je connais mon morceau par cœur, je gère, t’as qu’à faire semblant de tourner les pages…et souris, on nous regarde !
-Tu sais quoi ? Ca caille dans ce musée, tu ne trouves pas ?
-T’as raison, Gaby, regarde, j’ai les tétons qui pointent !
-Ah oui, dis donc ! Je vais leur dire de baisser la clim.
-Dis donc, Bernard, tu serais pas en train d’essayer de m’endormir, Par hasard ? Elle fait quoi, la blondasse, avec son verre de rouquin ?
-Détends-toi Simone, on n’est pas bien, là, tous les trois, toi, moi et ma quinte royale ?
-Tu peux me dire ce que faisait ce préservatif usagé dans ta chambre ?
-Mais maman, vas-y, tu abuses, on est en 2012, là !
J’ai toujours rêvé
D’être seule au musée.
De pouvoir admirer,
Sans être dérangée,
Les œuvres exposées.
Contempler la Joconde
Plus de quelques secondes,
Pouvoir s’en approcher
A presque la toucher…
Pouvoir déambuler,
Sans être bousculée.
Errer de salle en salle,
Dans un silence total.
N’entendre résonner
Que le bruit de mes pieds…
Avoir le privilège
D’échapper au cortège
Des touristes entassés
Devant les œuvres d’art
Comme sur un quai de gare
A dix-huit heures, le soir…
On peut toujours rêver,
C’est pas prêt d’arriver
En tout cas, pas au Louvre
Ni au musée d’Orsay !
Rive de Gier, le 12 Mai 2012.
Venez donc me rendre hommage, à moi, la plus belle des manchotes !
Vous qui détournez les yeux quand la jeune fille en fauteuil passe près de vous, quand l’aveugle croise votre chemin, quand des mains bavardent pour se parler. Belle revanche des handicapés !
Et bien moi, vous m’admirez, vous me trouvez belle, vous n’arrivez même pas à imaginer mes bras perdus.
Quoi ? Vous cherchez encore qui vous parle ? Moi : Aphrodite de Mélos !
Comment ça qui ? Aphrodite de Mélos vous dis-je ! C’est mon nom, le vrai, pas ce sobriquet ridicule que vous me donnez : Vénus de Milo, d’abord parce que je suis belle et bien grecque ! Alors vos latinades de pages roses…Et puis Milo c’est du grec moderne alors bonjour l’anachronisme !
Appelez-moi par mon nom, nom de Zeus !
Déjà, vous croyez que ça me fait plaisir que tous vos regards se posent sur ma quasi nudité, moi qui étais si pudique.
C’est un coup du sculpteur, seul un homme peut vous faire un coup pareil : Il me demande de poser. Moi, la veille, évidemment, le grand jeu : Une demi-journée aux bains, épilation, masque à l’argile, massage…Le matin, une heure pour choisir ma plus belle tunique, un fil de laine arachnéen au tombé impeccable, une fibule d’or ciselé, mes deux bracelets d’ivoire, encore une petite retouche à ma coiffure et hop ! Rayonnante, magnifique !
Son atelier : Une esplanade poussiéreuse ! Il avait juste tendu une toile épaisse pour me protéger des curieux, il me regarde à peine et lance : « Déshabille-toi ! »
Ah ! Mais je lui ai bien dit qu’il n’en était pas question, et que pour qui il me prenait, et que j’étais une femme respectable, et que ceci et que cela…
« Arrête ton char et pose tes fesses là ! » Vous voyez un peu la délicatesse du personnage !!
Mais bon, vous voyez aussi le résultat : Grossier mais pas manchot, lui.
J’ai presque 3000 ans et pas une ride ! Mon corps de chair est depuis longtemps poussière…Mais mon essence est là, dans ce bloc parfait.
N’empêche de tout ce temps pas un seul qui n’ait eu le tact de me proposer une petite toge de lin, une cape pour me couvrir : rien !
Non, vous pensez ! Bien trop occupé à mater mes petits seins parfaits, ma chute de reins affolante, ma cuisse solide ou mon nez élégant…
Mais, l’air de rien, moi aussi je vous regarde, vous, les curieux. J’aime ceux qui restent bouche bée, émus sincèrement par ma beauté intemporelle.
D’autre fois, c’est nettement moins marrant, tenez hier même, deux petites péronnelles d’une classe de seconde : « Ben dis donc, elles étaient plutôt grosses les dondons grecques ! »
Non mais j’t’assure ! Y’a des baffes qui se perdent et une mandale de manchote, tu verras pas ça souvent…Hihihi…Enfin, j’dis ça, j’dis rien hein…De toutes façons moi j’m’en fous, je sais rester de marbre…Hihihi Pfiou !!
La dernière fois qu’Adrienne a emmené ses classes au musée, Kevin en avait fait le tour en un quart d’heure :
- Il n’y a rien à voir ! lui a-t-il déclaré.
Benjamin trouvait que ça ne valait pas le coup de faire tout ce trajet en bus pour voir « ça » et Cindy aurait préféré profiter de sa présence dans la grande ville pour faire du shopping.
Trois heures plus tard, alors qu’elle commence à envisager un retour sans lui, réapparaît enfin Henri, que deux copains partis à sa recherche ont enfin retrouvé :
- C’est déjà l’heure de partir ? lui demande-t-il tout étonné. Mais je n’ai pas encore tout vu !
***
Petit inventaire à la Prévert, sauce Sempé et Goscinny
La visite du musée
Quand on emmène ses classes au musée, quel que soit l’âge des élèves, on a
- les Alceste qui mangent tout le temps et qui ont leur sac bourré de victuailles
- les Geoffroy qui ont un papa très riche : ils trimbalent tous leurs gadgets électroniques dont un seul coûte plus que votre salaire mensuel
- les Clotaire, qui espèrent qu’ils ne seront pas interrogés après l’excursion
- les Eudes, qui souffrent d’une overdose de testostérone et semblent montés sur piles
- les Joachim, qui s’attirent des ennuis
- les Rufus, qui ricanent devant tous les nus
- les Maixent, qui courent plus vite que tout le monde et sont les rois de la visite éclair
- les Nicolas, qui aiment bien leur maîtresse et lui promettent de bien se tenir… mais qui aiment aussi tellement rigoler !
- et les Agnan, qui font scrupuleusement tout ce qu’on leur demande, écoutent attentivement et ont même de quoi prendre des notes.
Comme le dit le petit Nicolas après sa visite au musée de peintures : « C’est dommage que la maîtresse, qui est pourtant gentille, ne veuille pas le faire plus souvent. »
Au contraire des tristes cathédrales peu exceptionnelles et de vieux châteaux miteux dans les environs, le musée des curiosités du village où j’ai grandi ne laissait jamais indifférents ses visiteurs. Transformées en musée suite à une démarche du gouvernement pour encourager le tourisme dans la région, les curiosités contribuées par les gens du village avait toujours été un lieu de fascination et d’admiration pour moi.
Dès que je pouvais marcher tout seul - « haut comme trois pommes » comme me disait mon père - Papa m’y amenait afin que je me promène dans les rayons sombres et frais du musée.
J’adorais les bocaux remplis de porcelets roses à deux têtes, de chatons à six pattes. Le chirurgien avait contribué des choses enlevées des corps : une grosse balle de cheveux, des calcaires biliaires impressionnant, une grande tumeur gélatineuse préservée dans l’alcool. Il y avait aussi pas mal de squelettes : celui des veaux siamois m’emballait tellement que j’y allais toujours en premier et puis y allait lui chuchoter « au ‘voir » avant de repartir au soleil, ma main dans la main de mon papa.
Mais quand j’avais quatre ans, tout changea. D’un coup, Papa n’avait plus le temps de m’y emmener, et Maman était occupée à garder mon petit frère. Cela ne m’embêtait pas du tout, parce que Tifère était lui-même fascinant. Dès sa naissance, c’était évident qu’il était exceptionnel.
Pour commencer, il avait une très grosse tête qui avait l’air bien trop grosse pour le reste de son corps. Ses yeux gris étaient eux aussi gros et ronds, si gros que j’avais l’impression qu’ils allaient un jour jaillir de leurs orbites, en fait, j’espérais qu’ils sortiraient pendant que j’étais là, je voulais vraiment voir ça ! Il me fallut un temps pour me rendre compte que Tifère avait d’autres atouts. Maman devait lui donner son premier bain. Je constatai qu’au lieu de deux bras comme les miens, Tifère avait comme des nageoires au bout de ses épaules. Maman faisait comme ce n’était rien et elle me demanda d’aller chercher l’éponge pour son bain. Le temps que je la retrouve, Tifère était déjà lavé et remballé dans sa couverture.
Le plus chouette, c’était le bruit qu’il faisait. De sa trop grande bouche tordue sortaient des sons comme faisaient les phoques que j’avais vus une fois au cirque. Je compris alors que mon frère n’était pas un enfant, mais un phoque. J’en étais ébloui ! Et puis une chose curieuse arriva. Quand j’en parlai à papa ce soir-là au dîner, il me gifla. Papa ne m’avait jamais giflé. Maman se mit à pleurer et quitta la table. Ce soir-là, j’avais l’impression d’avoir cassé un des verres de cristal tellement prisés par ma mère. Je me couchai pour la première fois de ma vie sans bisou de mes parents, ma joue encore brûlante.
Le lendemain, l’incident était oublié, sans doute parce que nous préparions ma première journée d’école. J’eus un nouveau cartable pour l’occasion. J’en étais tout fier.
À la première récré, un groupe de grands garçons s’approcha de moi. Le plus grand, un roux aux tâches de rousseur me dit :
- Hein, c’est toi le frère du monstre ?
- Du…quoi ?
- Du phoque, quoi, t’es pas le frère du phoque ?
- Ah ça, oui ! je criai, en me dressant, encore plus fier de mon Tifère et de ma nouvelle célébrité parmi les grands.
- Pourquoi le gardez-vous chez vous ?
Je ne dis rien. D’abord, je ne comprenais pas, mais je reconnus soudain une agressivité désagréable dans son ton.
- Ouais, pourquoi ne l’envoyez-vous pas au Musée de Curiosités ? fit un autre de la bande.
- Dans un bocal ! cria un troisième, et tout le monde éclata de rire.
J’ai toujours la chair de poule quand je pénètre dans un musée. Mais je m’illusionne : Isaure Chassériau, en chair et en os, ne viendra pas à ma rencontre pour me dire qu’elle a aimé les aventures que je lui ai inventées. Ou pour se chicorer avec moi en me traitant de tronche de cake. Qu’elle surgisse d’un seul coup dans cette exposition d’oeuvres de Léonard de Vinci serait un peu fort de café.
Une fois cette première appréhension passée, il me faut mettre les bouchées doubles et jouer des coudes comme tout un chacun pour m’approcher de la Joconde. Mona Lisa ! Cette fille-là, mon vieux, elle est terrible ! Et l’offrir en pâture à des régiments de touristes japonais au Louvre c’est comme donner de la confiture à des cochons ! Notez que je n’ai rien contre nos amis les Nippons bien nippés mais ce n’est pas la peine d’avoir inventé le Nikon, le Canon et le Minolta pour venir se presser comme des citrons devant le tableau et faire chou-blanc photographique : un flash, devant une vitre, tu ne vois que le flash sur la photo, eh, cornichon ! Je sais bien que vous avez les pieds en compote et l’esprit en capilotade après avoir expédié Florence, Venise, Amsterdam et Bruxelles en quatre jours mais quand même !
De toute façon, cette fille nous rend tous fous. Même les Allemands, gens d’une extrême sagesse, déclarent désormais devant le chef-d’œuvre : « Ach so ! Das ist Da Vinci code ! ».
Mais bon, faisons comme tout le monde et jetons un œil à cette croûte. Tâchons de comprendre pourquoi il y a lieu de se faire envoûter et de devenir le dindon de la farce. Certes, Mona nous tient la dragée haute avec son petit sourire en coin et l’air mi-figue mi-raisin de celle qu’on dévore des yeux, qui a de l’estomac et aussi les moyens de te rouler dans la farine. Mais est-ce que toutes les femmes ne sont pas un peu comme ça ?
Et à ce moment-là, pour plomber ma croustillante théorie, il y a Isaure Chassériau qui me balance sa légende urbaine préférée :
- La Joconde, Joe Krapov, c’est un homme ! Comme Sheila ! ».
En général, je digère mal ce genre de plaisanterie et cet humour assez GLLOQ. Je deviens comme tous ceux qui ont vu la moustache ajoutée par Marcel Duchamp à la binette de la donzelle et en sont restés comme deux ronds de flan. Au lieu de se fendre la frite, le gratin aime assez à se scandaliser, cela permet de discuter le bout de gras dans les salons où la marquise sucre les fraises et où Marcel jadis trempa sa madeleine (il s’était embarqué sans biscuits !).
Léonard a-t-il peint son giton ? Faut-il en faire tout un fromage ? Il y a plus de cinq cents ans Gala Voici et Closer n’existaient pas. On ne trouvait pas encore des conseils pour garder la ligne haricot vert dans les gazettes de l’époque, noyés entre douze pages de pub pour surgelés de luxe et l’horoscope des lions : « Ne ramenez pas trop votre fraise aujourd’hui, sauf si vous venez d’être élu Président d’une république ».
Comme ces ragots sur les « people » me font bâiller ainsi qu’une huître et qu’Isaure, pour le coup, m’ennuie, je traîne mes guêtres un peu plus loin et me retrouve nez à nez avec « L’Annonciation », directement importée depuis la Galerie des Offices de Florence.
- Je suis désolée de soulever un lièvre, me glisse à l’oreille Isaure Chassériau-Lecrampon, mais la jeune Vierge à qui on vient dire qu’elle aura droit à un lardon sans même passer à la casserole avant, on n’a pas l’impression que ce soit la fin des haricots pour elle, tu ne trouves pas, Joe Krapov ?
- Les voies du Seigneur sont impénétrables, Isaure. Personnellement j’aime surtout l’ange dans ce tableau. Il, ou elle, a l’air assez peu concerné par son message à la noix de coco. Si les anges avaient un sexe et qu’il fût masculin, je dirais même que ça lui casse les noix, d’annoncer, tout sucre et tout miel, à l’heureuse élue que les Dieux de l’Olympe ont encore mijoté un mauvais coup et que c’est elle la victime. Mais maintenant qu’on lui a mangé le morceau, Marie, la moutarde ne lui monte pas au nez parce que…
- Moi, ce qui me troue, m’interrompt Isaure Lamalpolie, ce sont les bouclettes des deux morues. On ne donne pas l’adresse de leur merlan dans l’audio-guide ?
J’essaie de semer le fantôme déchaîné d’Isaure – et ce n’est pas du nougat ! – et je me retrouve devant « La dame à l’hermine ». Ca ne mange pas de pain de le dire, ce portrait est une réussite. On marche sur des œufs pour ne pas troubler ce moment-monument de grâce pendant lequel la jeune fille à la résille semble tourner la tête vers quelqu’un qui lui cause. Et l’hermine immobile, avec sa patte gauche levée, est comme le symbole absolu de l’aristocratie : pour cet animal-là toute la maisonnée est aux petits oignons et l’on pense à Baudelaire : tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté…
- Oseille, oui, Joe Krapov ! Je l’ai bien connue, ce sac d’os ! A l’époque je me faisais appeler Isaura Chasserio avec un « o ». Elle, c’était Cecilia Gallerani. C’est son mec, Ludovic le more qui avait tout le blé. Il l’a pour ainsi dire tirée du ruisseau, elle a juste eu le cul bordé de nouilles…
Il ne faut pas pousser grand’mère dans les orties ! Trop d’Isaure tue Isaure ! Je m’enfuis en courant et je sors du musée. J’avoue, j’ai fait le mauvais choix. J’aurais mieux fait d’aller visiter l’expo du douanier Rousseau. Là ils ne l’auraient pas laissée passer, l’étrangère à la robe rose qui a tant à déclarer. Finalement, ils n’avaient peut-être pas tort, les autres avec leur slogan « FRONTIERES ! »
Tu parles, Charles ! Va-t-en lutter, toi, contre ton ennemie intérieure, quand elle utilise tes propres armes !