Cela
ne date pas d’hier. Et ça ne cessera pas, je le sais, malgré mes airs désabusés,
mes déceptions, et le reste.
Il
y a longtemps, bien avant internet et sa simultanéité, il y avait les lettres.
De vraies lettres. Les enveloppes étaient enluminées, les timbres vivaient leur
vie colorée et gracieuse, l’écriture emplissait mon regard et donnait souffle à
ses pages souvent parcheminées, de vélin délicat, de grenat, de curry ou d’une
tonalité quelconque.
Et
la magie opérait : pour une lettre envoyée, il y avait un retour. Je
comptais les jours : deux voire trois pour la réception de ma missive,
autant pour recevoir un écho splendide à mes bafouillages. Il fallait donc une
semaine au minimum. Généralement, l’attente fébrile n’était jamais
déçue.
J’avais
beau savoir que rien n’arriverait avant huit jours, dès le lendemain du petit
cliquetis de la boîte qui avait avalé ma production épistolaire, je guettais. Je
savais que le facteur passait vers onze heures. Parfois, je descendais pour une
quelconque raison nos quatre étages, et je m’armais de cette petite clef sur le
trousseau, bien tenue dans la main, pour ouvrir la boîte aux lettres magique. Le
moment le plus délicieux était celui où, plantée là, devant les casiers du hall,
je voyais un pli épais dépasser de la fente. Ou celui où j’imaginais que la
boîte était remplie de surprises.
Plusieurs
de mes amis fonctionnaient sur le même mode. J’avais donc aussi des chances de
croiser les courriers, et d’en recevoir un alors que je venais d’en poster un
autre.
Parmi
ces amis, il y avait une danseuse, une calligraphe, une photographe, des
camarades de colonies de vacances, des amis Sénégalais, d’anciens professeurs…
Une multitude de possibilités et de merveilles à
découvrir.
Et
je rêvais de recevoir une lettre d’amour, un courrier extraordinaire de
quelqu’un que je ne connaitrais pas et qui me dirait comme il m’aime… Parce que,
de toute façon, les lettres sont toujours des lettres
d’amour.
Il
y a eu cette fois où mon amie V. a dû se faire opérer du genou pendant les
vacances d’été, en 1997. Je partais trois semaines travailler en tant
qu’animatrice de colonie de vacances : je savais que je n’aurais pas le
temps de lui écrire. Alors j’ai anticipé : j’ai créé environ quinze
courriers à l’avance, sur lesquels j’avais fixé des post-it. Ma mère avait les
dates auxquelles il fallait les envoyer. Une lettre tous les deux jours. Quand
V. a émergé après l’anesthésie il y avait une pile de courriers sur son
chevet.
Ou
encore, quand j’ai passé l’Agrégation en dilettante, et que j’ai écrit une
lettre sur une copie, au lieu de composer en dissertation…
Aujourd’hui,
on estime qu’internet, c’est de la communication. Mais rien ne vaudra jamais le
bonheur de l’écriture reconnue, l’attente fébrile avant d’ouvrir délicatement
une enveloppe, le bruit du papier frotté contre les doigts
impatients…
Je
ne me vois pas imprimer mes mails ou mes sms, aussi beaux fussent-ils. J’ai
gardé des dizaines de courriers au goût de cannelle dans des boîtes
d’archives.
Parfois,
bien plus rarement qu’autrefois, je me fends de ce qui est un effort au lieu
d’être seulement un plaisir, et j’écris. Une amie a survécu à cela, même si nos
échanges sont de plus en plus sporadiques.
J’écris
pour être lue, pour donner et pour recevoir. Pourtant, je ne descends plus au
courrier juste pour cela. J’allume mon ordinateur…
Mais
ça ne cessera pas, je le sais, malgré mes airs désabusés, mes déceptions, et le
reste.