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Le défi du samedi

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13 février 2010

Défi #94

DSCF4642Cette semaine c'est Tiniak qui nous propose son défi haut en couleurs :

Votre arc-en-ciel

Déclinez votre arc-en-ciel de couleurs
(7 au choix)

en sentiments correspondant

à chacune d'elles (7 du coup).

Adresse habituelle : samedidefi@hotmail.fr

A vos pinceaux et à bientôt !

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13 février 2010

Ciel de cendres (Jaqlin)

jaklin

Et pour les yeux fatigués :

Nous rentrions d’une promenade en mer, promenade qui nous avait menés vers une île lointaine, sous des latitudes hospitalières.

Il avait fait, toute la journée, une chaleur épaisse et nous avions apprécié les quelques heures passées à lézarder sur la plage.

Il avait bien fallu, cependant, se résoudre à rentrer, d’autant plus que, brusquement, le vent s’était levé, les vagues étaient devenues un peu plus fortes et l’eau avait pris une teinte verdâtre peu rassurante.

Nous avions donc regagné le bateau, (ou devrais-je dire le rafiot au moteur assourdissant et nauséabond ?), qui nous avait déposés sur l’île le matin même.

A peine au large, les vagues avaient commencé à heurter bruyamment la coque et les premières gouttes de pluie– larges comme des flaques- nous fouettèrent le visage et les bras. Le ciel était couleur de cendre, le soleil s’était noyé à l’horizon comme un gros poussah malade. Des nuages sombres couraient au –dessus de nos têtes ; la bâche qui recouvrait le bateau s’avéra très vite bien inefficace et nous fûmes bientôt bien en peine de trouver un endroit sec où s’asseoir …

Je m’étais réfugiée dans une petite encoignure, tapie dans mon imper dans lequel je transpirais allègrement. Je regardais avec crainte, et en même temps une sorte d’ébahissement émerveillé, le déchaînement des éléments. J’observai au passage que notre pilote avait bien du mal à maintenir le cap. Je sentis alors une main chercher la mienne, s’y accrocher comme à une bouée, une main potelée et moite, moite de pluie et d’angoisse- je percevais un léger tremblement- une main qui enserra mes doigts et ne bougea plus…

Le ciel était couleur de cendres.

13 février 2010

Roman noir (Joye)

joye

13 février 2010

La main chaude (Tiniak)

La main chaude

La peau de l'air collante et la mienne
imploraient l'orage et sa virulence,
à la nuit tombée d’un jour en peine
d'obtenir jamais sa délivrance

L'obscurité plus dense à chaque heure
transformait chaque chose en son fantôme;
les arbres contenaient la rumeur
d'une terre apeurée sous le grand dôme

Dans ce calme lourd et douloureux
ma poitrine enviait le buste en plomb,
sur la cheminée au manteau bleu
orné d'impossibles compromissions

La clarté fragile des bougeoirs
orchestrait des ombres le lent ballet;
ma silhouette dans le miroir
n'osait tourner la tête et regarder

par dessus l'épaule, droite et morte
un mouvement perçu depuis la porte

Dans ce calme lourd et douloureux
arrimant chaque chose à son fantôme,
je devenais sourd, fermai les yeux
quand une main s'installa dans ma paume

L'orage rompit à l'instant même
je n'en perçus que la ruée du vent;
je me faisais l'effet d'être blême
et serrais la main de mes doigts tremblants

Une chaleur douce et parfumée
caressa d'un souffle ma nuque nue,
livrant à mon oreille apaisée
la voix de la mère aimante et venue

par-dessus l'épaule, droite et ronde
remettre en ordre la marche du monde.

13 février 2010

La reine blanche (Kloelle)

La neige qui tombe, entre opacité confuse et blancheur aveuglante. La sans couleur lumineuse qui absorbe les ombres et altère notre perception des courbes du monde. Ninon aimerait tirer le rideau bleu et se pelotonner sous la lourde couverture de laine. Un jour sans clarté est un jour sans espoir, se dit-elle en préparant son cartable. La marque du froid sur les vitres du salon. Elle se dirige vers l’entrée et dans le tiroir le plus bas du semainier elle soulève et retourne, ses mains perdent patience. Une broche en émail sur cuivre dont elle ne se souvenait plus, le bric et le brac de sa vie désordonnée, des souvenirs à la dérive en attente d’une berge pour accoster, mais de gants de laine point. Plus le temps. Se détourner de l’odeur du thé au jasmin pour affronter la tourmente blanche.

 

Un pied devant l’autre, car espérer porter son regard plus loin serait tomber dans une autre nuit. Les traces de ceux, levés plus tôt, comme autant de signes rassurants. La morsure du vent tremblant. Ninon se recroqueville sous sa capeline. La voilà de glace et de silence, plus tout à fait certaine que ces pas sur le sol l’emmènent bien au centre du village et tout aussi incapable de dire depuis combien de temps elle marche. Elle n’a jamais aimé ces montagnes, ces chemins, le bruit oppressant que fait le vent dans les grands sapins.

 

Son visage est maintenant tout à fait insensible, le froid assiège les chairs. Elle pense à ce conte enfantin d’une fillette et de ses allumettes qu’elle a lu l’autre jour à ses élèves. La petite musique de la peur s’installe doucement en elle. Elle songe à retourner sur ses pas mais son corps lui échappe. Les murmures de la neige contre sa poitrine, le blanc qui mange et s’engouffre, se glisse sous les plis de sa cape. Elle pense à son père, il est debout, souriant au milieu de la plage. Elle n’est pas sur la photo mais se souvient du jour, des murs blancs écrasés de lumière, du sable qui glisse sur ses mains. Elle pourrait ouvrir une à une les fenêtres de son enfance, sentir la brise qui vient de la mer, laisser trainer ses pieds sur les galets brulants de la jetée du port. Elle pourrait… Le bout de ses doigts agrippe le sol glacé. Le cirque blanc, sans trêve. Ninon se relève et ferme les yeux. Mettre de l’ordre dans ses sensations et avancer vers l’ombre brune qui se détache plus haut, sur la droite.

 

Au village, la boulangerie doit déjà être ouverte. Elle ouvre avant l’école. Ninon grelotte. Le bourdonnement incessant de ces ouvrières blanches qui criblent ses joues, la musique étouffante de ses pas qui s’enfoncent et son manteau givré qui lui donne des airs de Reine des neiges.  Elle a rejoint le reflet sombre. C’est un mur. Un mur de pierre contre lequel elle s’appuie, prête à pleurer. Que sont les larmes sans une main pour les essuyer ? Celle qui serre la sienne depuis quelques minutes déjà est chaude, si petite qu’elle niche en creux, cachée sous les doigts bleutés.

 

- «  Tu viens maitresse ? »

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13 février 2010

Guy Léclair dans "L'apoeucalyptusse est pour demain" (Joe Krapov)

- Dans ce mano à la mano, je sens que je perds pied !
- Eh bien, mets les pouces !
- Je ne peux pas. C’est interdit par le règlement.
- T’es pas obligé de lui obéir au doigt et à l’œil, au règlement.
- Bien sûr que si ! Je ne tiens pas à être mis à l'index de la guilde des astro-internautes !
- Tu joues petit bras, je trouve.
- Sans doute mais il faut voir en compagnie de qui je suis : ce sont des géants et des géantes. Et puis ça n’est pas la première fois que je l’annonce, que je vais passer la main.
- Dans le dos ?
- Non, non, je vais le leur dire bien en face, les yeux dans les yeux.
- Ca va prendre quelle forme, ton "paume paume paume paume"à la Ludwig Van ?
- Une question aussi majeure doit faire l’objet d’une contribution, comme il se doigt.
- Houla ! T’as peur de rien, toi ! Pas même des contradictions !


DDS93_guyleclair


La suite se déroule à l’hôtel de Rennes-Métropole, un bâtiment si esthétisant que Joe Krapov lui-même n’en possède aucune photographie. Voici l’église du vieux Saint-Etienne à la place.


dds93_intro


- Mesdames et messieurs, annonce le Président, l’intervention suivante, je préfère vous en avertir tout de suite en y mettant les formes, sera celle de monsieur Guy Léclair.
- Ah non ! Pas encore lui ! soupirent en chœur les conseillers de l’opposition et de la majorité.

Et ce qui doit arriver arrive : au moment ou Guy Léclair s’empare du micro le temps jusque-là clément au-dehors se gâte. A travers les grandes baies vitrées, on voit le ciel s’obscurcir comme si la nuit était tombée tout à coup. Un orage violent frappe le bâtiment flambant neuf d’éclairs, de grêlons, de coups de tonnerre et de rafales de vent.

- Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je serai bref. Après un an et demie d’explorations tous azimuts de la strato-littérature potentielle, après de nombreux voyages dans les galaxies du monde inté-rieur et maints récits d’anti-dissipation des brumes matinales, le temps est venu pour moi de couper le cordon, de lâcher prise. L’effort de 21st century schizoïd-manie que tout cela demande est surhumain et, contrairement à monsieur Hajtyla, je n’ai pas trois cerveaux. L’Enquête Sidérale sur le Grand Barouf Universel que je viens de remplir, ces rapports de réunions que je dois retranscrire afin qu’ils soient archivés aussitôt rendus, tous ces comptes, contes, comptages, recomptages et racontars qui vont emplir des tas de cartons à l’Etat Major Comique ont eu raison de ma santé mentale et de ma vieille carcasse. Je peux vous l’avouer désormais, je suis né en 1933. Je vous prie donc de bien vouloir accepter ma démission.
- Ho ? Enfin ? Euh… je veux dire ? C’est pas vrai ? Vous n’allez pas nous faire ça ? » proteste mollement le Président.

Le président interroge l’astro-internaute avec une grosse lueur d’espoir qui fait trembloter sa voix tandis que des yeux étincelants, scrutateurs et dubitatifs dans toute l’assemblée sont fixés sur l’aventurier de la Marche de Bretagne perdue.

- Surtout, reprend l’apprenti flying-saucier, deux des missions récentes que vous m’avez confiées se sont avérées trop épuisantes pour moi. Il s’agit de la quête du lipogramme en « a » sur la planète Catalpa du centaure : je sortais justement d’une tentative de description de la boucherie Sanzot à base de lipogramme en « O ».
- Sanzeau, je crois, monsieur Léclair !
- Sanzeau, oui, si vous voulez. Comme le whisky du capitaine.
- Et.. l’autre mission ?
- Fabriquer une rue en forme de suppose-histoire afin d’y garer ma fusée à l’horizontale.
- Mais, vous l’avez réussie, celle-là, si j’en crois ce document ?


100117_108bis


- Oui, bien sûr. Je l’ai tellement réussie que mon véhicule interplane-éther s’est mis à empester l’eucalyptus !
- Où est le problème ? Il existe d’efficaces déodoeuphorisants, non, de nos jours  ?
- Certes, mais avec ce suppose-histoire à l’eucalyptus, je suis devenu la risée de toutes nos collègues femmes dans cette docte assemblée.
- Non ? C’est vraiment pas de bol. Vous manquez de cul. Je veux dire, vous n’avez pas de pot !
- Si, un pot d’échappement. Je ne vois plus que la présentation de ma démission pour m’en sortir honorablement.
- Eh bien soit, vous nous mettez vraiment le couteau sous la gorge… Je l’accepte !

Là-dessus, Guy Léclair va se rasseoir. Du coup, l’orage cesse avec un dernier coup de flash*, comme pour immortaliser l’instant, et le professeur Zarkov-Krapov pose son stylo.


Flash_Gordon_D2_015_23

* La marque du flash ? Gordon, bien sûr !


13 février 2010

Effleurements (Virgibri)

Tu m’as tendu la main

Dans un silence

Je l’ai prise

Sans la toucher

Depuis

Nous marchons ensemble

Comme deux oiseaux

Que le vent a portés

13 février 2010

Le rouge qui tache (Stipe)

Je le savais que j'aurais du prendre un taxi. Y'a le vent qui commence à se lever et je sens déjà l'inodore de la pluie. On regrette souvent de prendre un taxi, mais on regrette toujours de ne pas l'avoir pris. A la lueur d'un réverbère, je trouve ma casquette dans mon sac, au milieu des restes de mon quatre heures. Avec elle sur la tête, je me sens aussi armé face aux intempéries qu'un dresseur de fauves avec un cure-dents face aux lions. La nuit, à pied dans le vent et la pluie, on a toujours l'air d'un con.

Plus loin, un type arrive à ma rencontre. Je crâne pas trop, même avec une casquette au pépito je ne crâne jamais trop. J'ai toujours eu la frousse de mon ombre mais j'ai encore plus peur de celle des autres, surtout la nuit. Surtout quand il s'agit de l'ombre d'un putain de clochard. Je déteste les clochards. Faut toujours qu'ils viennent vous parler, vous raconter leur vie et vous faire culpabiliser d'avoir un toit et un frigo rempli. Je regarde droit devant moi, à travers lui, loin, le plus loin possible. Lui en revanche, il semble me voir…

Il s'arrête devant moi, me barrant franchement le passage, et me salue. Je continue à feindre d'ignorer sa minable existence mais déjà il me tend sa main et me souris. Merde, il joue le gentil vagabond, je suis piégé. Je lui tends la mienne, comme un compromis, déjà une négociation. Il la saisit avec l'empressement d'un pirate qui découvre le trésor; je le vois déjà partir en courant dans un rire sardonique, ma main sous le bras, satisfait de son larcin.

La sienne est molle et sale, un frisson de dégoût me parcourt l'échine à l'instant du contact. Il sent le chien mouillé. Le chien galleux et pourri et mouillé. Je tâche de ne pas penser à toutes les saloperies qui habitent sa paume, dieu seul sait ce que ça tripote de dégueulasse, un clochard. Il me l'agite longuement et me dit s'appeler Dédé mais qu'en vrai c'est Denis. Je lui réponds qu'enchanté Dédé et que moi je m'appelle Sébastien alors que je ne m'appelle pas Sébastien. Mais j'imagine qu'il ne va pas me demander mes papiers. Il commence à me dire qu'il habite dehors mais que c'est la belle vie, je sais ? Nan je sais pas, je lui réponds qu'il en a de la chance, que moi j'ai un toit. Et il se marre, ce con. Je tente un subtil retrait de ma main mais me rends compte qu'il me la bloque en appuyant dessus avec son pouce. Je joue la décontraction et nous restons dans cette position ridicule, et déjà quelques gouttes de pluie viennent ajouter au grotesque de la situation.

Son odeur pestilentielle me squatte les narines, je me demande si la pluie va le laver un peu ou au contraire vivifier ses relents nauséabonds. J'opte pour la seconde solution, un clodo ça schlingue en toutes saisons.

 

Si j'habite dans le coin ? Ca dépend. Disons plutôt non. Pas que je craigne qu'il me trace jusqu'à chez moi, mais j'ai pas envie de lui servir un sujet de discussion tout cuit et de philosopher avec lui sur l'urbanisme du treizième arrondissement…

Non, j'ai pas de cigarette Monsieur, j'ai arrêté de fumer il y a trente secondes. Oui on dirait qu'on va se prendre l'orage et oui c'est de saison remarquez. Maintenant retire ta main qui pue. Lâchez-moi, toi et tes odeurs. En effet Dédé il va falloir trouver un endroit à l'abri pour la nuit, mais c'est quand même pas de ma faute s'il pleut et si t'es SDF.

Je n'en peux plus de sa crasse, de son sourire niais, de sa main qui me souille et de sa vie miséreuse. Alors quand il me demande ce que je fais comme boulot, je retire ma main d'un coup sec et la lui colle dans la tronche. Je suis employé de banque. Avant qu'il ne me demande mon âge, je lui fous mon poing sur le nez. Il s'affale sur le trottoir, y crache du sang ou du vin, que sais-je, mais du rouge qui tache. J'ai 38 ans. Je lui balance un coup de pied dans son foie de poivrot. Je suis divorcé depuis plus de 3 ans. Je lui écrase la mâchoire avec mon talon. J'ai un chat. Encore un coup de talon. Je suis verseau. Un autre. J'ai une carte de fidélité Ikea. Je suis O négatif. J'ai un frère et deux sœurs. Je suis allergique aux graminées. J'ai. Je suis.

Je m'arrête quand ses os ne craquent plus et que mon CV est terminé. Et je cours. Vite, loin. Je cours sans m'arrêter. Je cours des heures. Sans me retourner. Je cours des jours. Sans dormir, sans respirer.

Je cours depuis des semaines.

 

Ca fait trois mois que je vis sous les ponts. J'ai un toit, avec des voitures à crédit qui roulent dessus. Le temps tourne à l'orage, les saisons ne connaissent pas la crise.

Un homme s'approche, il ne me voit pas. Je vais à sa rencontre. Je m'arrête devant lui. Il n'a rien à craindre, je suis un gentil, moi. Je lui tends la main.

13 février 2010

Nuit blanche (Zigmund)

Ce jeune homme blond, aux cheveux coupés courts, entièrement vêtu de blanc, m'apparait depuis l'enfance. Il est ma statue du Commandeur perso.Peut être n'est il que le jeune interne qui décidera de mon devenir.

J'ai toujours trouvé étonnant que la plupart des occidentaux décrivent un squelette ou une vielle femme vêtue de noir tenant une faux.
Plusieurs fois, j'ai senti sa main sur mon épaule et supposé qu'il allait dire un truc du style :"je te suis depuis toujours, et maintenant, ton heure est venue... suis moi parce que là, c'est ton tour"

Et je m'imagine,un jour, une nuit, seul,quand  il me tendra sa main glacée, et je n'aurai pas d'autre choix que l'accepter.

Voilà, je m'imagine comme le Don Juan de Molière, ou comme le Don Giovanni de Mozart, voulant faire le fier et(peut être) mourant (déjà) de trouille...

plomb

Bon maintenant que je vous ai bien plombé l'ambiance, je vous propose de regarder ce superbe final de Don Giovanni

ps  : comme je séchais lamentablement sur la consigne un escalator a proposé que je vous raconte une consultation de proctologie...idée que j'ai refusé de creuser

13 février 2010

Étreinte glacée (Anthom)

Le ciel, ce soir,
Est d'un noir d'encre

La nuit est tombée
Sur la lande givrée

La bise hurle ce soir
Sur la lande battue par le noroît

Est-ce un hibou
Dont l'aile, doucement,  m'a frôlée?

Et cette forme plus noire que l'ombre
Sur le sentier soudain dressée,
Est-ce moi qu'elle semble guetter?

Dans l'obscurité glacée
Quelle est cette main
Qui sur mon bras s'est posée?

Mais voilà qu'elle m'étreint
Et soudain m'entraîne
Le vent hurle sur la plaine,
On entend à nouveau la plainte du hibou,
Sur la lande est passé  l'Ankou!

13 février 2010

Ce qui s'appelle en voir de toutes les couleurs au Nain jaune (Sebarjo)

La nuit était tombée et il faisait un sale temps. Une averse de grêle succédait à une pluie neigeuse, rarement rencontrées dans ces contrées armoricaines. Comme abandonné, dans cette chaumière échouée au milieu des champs de maïs, je frissonnais soudain. Non, pas à cause de cette ambiance lugubre mais plutôt au contact de cette main épaisse et énorme.

 

M'ayant défait au nain jaune, le géant vert me serrait la main, scellant ainsi sa victoire. J'étais aussi vert que lui, d'être marron.

Penaud, j'allais m'asseoir au coin de l'âtre, ravalant ainsi ma colère noire. Il faut dire que j'avais tout de suite été dans le rouge et plus d'une fois, je m'étais laissé rouler comme un bleu.

Je ruminais tout en remettant une bûche dans le feu pour me réchauffer alors que le géant vert me chauffait déjà sérieusement ! Il fanfaronnait. Ce grand dadais hulkesque fêtait sa victoire en dansant et en fumant avec deux gitanes (-maïs, évidemment), l'une collée à son bec et l'autre suspendue à son cou et jouant des castagnettes... Et pis zut ! J'eusse tout de même  préféré me faire battre par un éléphant rose ! Cet espèce de concombre masqué ne m'amusait pas du tout .

Ma seule consolation était que j'allais pouvoir tout de même me vanter auprès de mes amis avant qu'ils ne me mettent en boîte...

Sans mentir, je pourrai toujours leur dire que, face au Géant vert, je n'ai pas eu beaucoup les jetons...

13 février 2010

chocolat amer (Poupoune)

Le temps a changé brusquement. Le ciel s’est couvert, on se serait subitement cru en pleine nuit et les premières grosses gouttes ont commencé à tomber.

Les rires des enfants se sont changés en pleurs inquiets et mêlés aux cris des mamans. Le parc s’est vidé en un rien de temps. A l’abri du feuillage dense de l’arbre sous lequel j’avais trouvé refuge, j’observais l’aire de jeu désormais vide et sombre, la balançoire qui grinçait au rythme du vent et le bac à sable qui devenait gadoueux.

J’ai mécaniquement serré la main qui s’est glissée dans la mienne, sans détourner mon attention du spectacle de quasi-désolation qui s’offrait à moi. Au premier coup de tonnerre j’ai resserré ma prise et je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé ainsi, cette main dans la mienne sous un ciel noir et déchaîné. J’ai pris conscience de l’incongruité de la situation quand une petite voix que je ne connaissais pas a dit dans mon dos : « J’ai faim maintenant. »

Je me suis retournée pour découvrir, au bout du bras qui prolongeait la main que je serrais depuis un temps incertain, une toute jeune enfant suçotant un doudou.

Pas d’autre adulte en vue, du moins pas dans le mince rayon que le lourd rideau de pluie permettait de voir. La petite ne semblait pas perturbée, mais elle avait faim et me le fit savoir une nouvelle fois. Je lui ai cédé ma barre de chocolat et, n’écoutant que mon courage et les gargouillis de mon ventre, j’ai couvert sa petite tête de mon blouson, l’ai prise dans mes bras et, bravant la tempête, me suis lancée à la recherche du ou des parents qui l’avaient perdue. Il n’a pas fallu cinq minutes avant que je sois trempée jusqu’à l’os. Il m’a fallu en revanche près de deux heures et un paquet de biscuits au chocolat pour me débarrasser enfin de l’enfant affamée et la remettre à une maman déconfite et reconnaissante. Une demi-heure de plus pour assurer que non, vraiment, ce n’était rien, que ça arrivait à tout le monde et que tout allait bien. Un quart d’heure encore pour enfin regagner mon appartement, me débarrasser de mes fringues détrempées et me préparer un chocolat chaud pour me réchauffer.

C’est en sortant les deux bols pour y verser le breuvage que ça m’est venu d’un coup : qu’est-ce que j’avais bien pu faire de la mienne, de môme ?

13 février 2010

Son grand manteau noir…. (Flamm Du)

J’ai peur, j’ai froid et je suis trempée comme une soupe.
Depuis tout à l’heure, il m’oblige à le suivre, il ne lâche pas  ma main, qu’il  serre fermement.
Baombadaboom baoumbaoum ! 
Mon dieu, je ne sais pas de quoi j’ai le plus peur.
De lui, ou de l’orage. J’aime pas l’orage mais lui, je ne sais pas qui c’est. Je ne sais même pas, si je le connais. En tout cas je ne l’ai pas reconnu. Avec la pluie qui tombe en trombe, je ne l’ai même pas entendu, ni vu arriver.
Depuis le début de l’après-midi, il fait gris, et il pleut. Puis d’un coup, les nuages sont arrivés. De gros, noirs qui viennent des montagnes.  Il faisait presque nuit, en plein jour. Avec ce qui dégringolait, je  n’y  voyais rien du tout. Impossible de rentrer à la maison. Je me suis abritée comme j’ai pu.
D’un coup, j’ai vu devant moi, son grand manteau noir. Juste son manteau, rien d’autre. Une masse noire, c’est tout. J’ai pas eu le temps de voir sa tête. Il m’a pris la main et m’a tirée d’un coup, pour me lever. Et m’a emmenée sous la pluie   
J’ai essayé de lui dire non, de me dégager, rien à faire, il a beaucoup plus de force que moi. J’ai du suivre.
Baombadaboom baoumbaoum ! 
Et voilà l’éclair.
A chaque fois, je sursaute et il resserre un peu plus sa main sur la mienne.
Je ne sais pas où il m’emmène
On ne voit pas à dix pas.
Baombadaboom baoumbaoum ! 
Et ce tonnerre qui n’en finit pas.
L’éclair. Encore un. C’est au moins le dixième depuis tout à l’heure.
Il me fait courir plus vite, j’en peux plus.
Baombadaboom baoumbaoum ! 
Et ça devient presque continuel.
L’éclair ! Tout près, celui-là.
J’ai peur !
Je ne sais pas où on est, je ne peux plus rien voir.
Mes cheveux se plaquent sur  mon visage et dégoulinent, ma capuche est partie.
Il ne veut pas s’arrêter, j’arrive plus à suivre.
Je tooombe !
Mais qu’est-ce…  ?
Nooon !
Il m’a attrapée comme un paquet sous son bras.
Il court encore plus vite.
Je crie et je me débats. Il ne s’en aperçoit même pas.
Je veux descendre.
Baombadaboom baoumbaoum ! 
Vlan ! Vlan !
Qu’est-ce qu’il  fait ?
Deux grands coups de sabots dans la porte pour l’ouvrir.
Vlan !
Un autre pour la refermer.
Il me pose là par terre.
Il fait noir. Je grelotte.
De froid. De peur.
Baombadaboom baoumbaoum !  Scraaaitchh !
Tonnerre et éclair, les deux presque en même temps
Là , il a fait plus clair qu’en plein jour.
Je vois où on est, dans  le casoun de l’Émile
Craaaaacccccck !
Qu’est-ce que c’est ?
Une espèce de  lueur orange envahit la fenêtre
« —Eh ben ! Sacridiou, la pitchoune ! On l’a échappé belle !
Viens voir ! »
Il m’attire à la fenêtre.
Des flammes !
Là-bas, le grand pin sous le quel je m’étais abritée  n’est plus qu’une immense torche géante.
Je me remets à trembler de plus belle.
S’il ne m’avait pas obligée à le suivre….

« — Maintenant, reste plus qu’à attendre la fin.
Et c’est pas pour tout de suite ! »
Il ne lui faut que peu de temps pour allumer un feu.
A la lueur des flammes, je reconnais enfin Jean le plus jeune frère de ma mère.
Il n’a pas compris pourquoi, d’un coup je me suis mise à parler, parler sans pouvoir m’arrêter, à lui donner des nouvelles de tout le village.
J’étais tellement contente que ce soit lui, j’avais eu tellement peur !
Ils nous a fallu attendre jusqu’au matin pour rentrer à la maison.
Et là, c’est moi qui lui ai donné la main.

13 février 2010

Moites (Val)

Si une main serre la mienne « un peu trop longtemps » (sous-entendu, à mon goût ?) c’est probablement qu’elle est moite. Je n’aime pas le contact des mains moites.
J’aime mieux les mains sèches, même très sèches. Les miennes, de mains, sont toujours très sèches, comme ma peau. En ce moment, à cause du froid, j’ai la peau des mains toute craquelée. Ce n’est pas joli. Au toucher, c’est peut-être un peu rugueux, mais moi j’aime bien le contact des mains sèches. Sûrement que ma main aime le contact de ses homologues ?
Alors, si une main serre la mienne un peu trop longtemps à mon goût, il est très probable qu’elle soit moite.

Autrement, une main –non moite- qui serre la mienne, ce ne sera jamais trop longtemps… 

13 février 2010

L’amour est un suave buisson de roses (Papistache)

Le feu de la Saint-Jean avait été annulé à cause des fortes pluies ; ça m’était égal, j’avais dix-sept ans et j’étais amoureux.
— « Tu attends qu’il soit minuit ; tu entres dans le jardin par le portillon ; l’échelle est  accrochée sous la gouttière du cabanon ; ma  chambre est à gauche de la marquise ; je m’allumerai pas ma lampe, mes parents dorment la fenêtre ouverte, mon père est si soupçonneux ; je t’aime, mon Roméo.»
Ah, Giulietta  ! J’aurais pu porter l’échelle sans les mains tant je te désirais.

J’ai décroché mon ascenseur pour le septième ciel ; j’ai traversé le jardin ; je crois bien que j’ai écrasé quelques salades ; il faisait noir comme dans un four et il flottait comme vache qui pisse ; j’ai perdu une espadrille dans la terre détrempée, ça a fait  « plop » ; j’ai pataugé dans les semis et j’ai atteint la terrasse ; j’ai appuyé l’échelle contre le mur ; mon cœur battait la chamade et ma queue la mesure.

Putain, ces vieilles baraques avec des plafonds de cathédrale : l’échelle était trop courte. La pluie tambourinait sur mes épaules ; j’ai risqué : « Giulietta , Giulietta ...» ;  elle s’est penchée par-dessus le garde-corps ; une bouffée de citron vert s’est échappée de son corsage ; elle avait changé de parfum pour me surprendre ; j’ai lancé ma main...

La foudre m’est tombée dessus ; j’ai sursauté ; l’échelle s’est cassé la gueule par terre : ce n’était pas la douce menotte de Giulietta  — nous avions déjà eu l’occasion d’oser quelques explorations réciproques, sa main était chaude, certes, mais menue —  une forte paluche me broyait les os et je pendais, tel un pantin de chiffon, au-dessus du massif de rosiers dont la pluie d’été exacerbait les suaves fragrances entêtantes. Ma flamberge avait fondu, maigre virgule inanimée, mes pauvres boules s’étaient rétractées jusqu’au se nicher au creux de mon estomac. Ma mère n’avait jamais réussi à m’apprendre à distinguer ma droite de ma gauche : « Ça te jouera des tours, tu verras, Roméo !”  Je ne voyais rien, la nuit était opaque.

—  « A qui ai-je l’honneur ? a lancé le propriétaire de la poigne d’acier.
—  R...  Ro... Roméo... Mon... Mon... Montecchi, m’sieur !
— Enchanté d’avoir fait votre connaissance, jeune homme, je ne vous raccompagne pas, vous connaissez le chemin.»
Le doux papa de ma dulcinée a desserré les doigts. Il paraît qu’il existe des rosiers sans épines ; hélas, le père Capuleti en ignorait la culture.
— « Le pauvre pitchoun ! a larmoyé une voix de femme, il faut le dégager de là. »

Madame Capuleti s’est montrée patiente. Moi, nu comme un ver, allongé sur la table de la cuisine, j’ai mordu mon poing pour ne pas crier. A l’étage, Giulietta  virait Madeleine. La pluie continuait à noyer le jardin. A la pince à épiler, une à une, toutes les épines que ma chair tendre avaient soustraites aux branches agressives ont été ôtées. Quand Madame Capuleti a eu fini et après qu’elle m’a eu badigeonné de mercurochrome — à l’époque on affectionnait les désinfectants colorés — elle m’a donné une claque sonore sur la fesse droite (ou gauche, j’ai oublié) et m’a souri :
— « Va te reposer et reviens donc vers 13 heures, Roméo... Je ferai des bécasses farcies ; nous devons avoir une petite conversation à quatre.»

Le jour se levait ; la terre exhalait ses notes forestières ; le grand chef d’orchestre de l’univers avait repris son concert et mon étendard battait de nouveau la mesure.

13 février 2010

Black night (MAP)

Il faisait tellement noir

qu’Albert osa mettre SAMAIN

dans la mienne …

et ce fut tout un poème …


"Je n’ai songé qu’à toi, ma Belle, l’autre soir.
Quelque chose flottait de tendre dans l’air noir,
Qui faisait vaguement fondre l’âme trop pleine.

..........................

L’amour vibrait en moi comme un clavier qu’on frôle
..........................

Et ton ombre au pavé fiancée à mon ombre.
.........................

Extraits d'un poème d'Albert Samain (1858-1900)

13 février 2010

Le bruit de l’acier est glacé sur ma peau. (Caro_Carito)

Sans doute le champagne. Je n’ai rien entendu ; pas même un bruit de pas. J’avais cette gueule de bois d’après les mots de trop. Cela me prenait de plus en plus souvent, ce mal de crâne quand je le voyais. Paul. Il fallait que cela cesse ; seulement après, il me faisait le coup des yeux de chien battu. Je n’ai jamais sur résister à la peine d’un homme. Je revenais, il me demandait pardon et puis…

Pas ce soir. Mes tempes étaient brûlantes et les nuages d’orage avaient, dans leur maraude, avalé lune et étoiles. J’aurais voulu qu’il garde sa jalousie dans sa poche, qu’il ne me suive pas comme si il était le gardien de mon corps. A défaut de régner sur mon âme.

Sans doute le champagne. J’avais trop ri avec les cousins de la mariée. Et son frère dont je gardais encore le souvenir violent d’une peau d’épice. Fine. Paul, en me voyant si gaie, si lointaine, avait eu ce mouvement violent malgré le costume et la cravate de soie. J’oubliais le rire de ce Guillaume qui voulait me raccompagner, et la légèreté de la fête. J’avais lu sur le visage de mon amie, la plus belle ce soir en ivoire et roses pleines, sa peine et sa colère quand il m’avait presque arraché à eex. J’étais lasse. J’avais tourné les talons. Le DJ venait de mettre Nirvana. Je voulais glisser et tourner sur moi-même. Sur la piste, il y avait juste une fille qui dansait.

Après son coup d’éclat et les invectives, il avait disparu dans la nuit. Grand mal lui fasse.

Quelqu’un me tendit une coupe. Je la bus d’un trait et cela me rappela… elle. Isabelle. Nous avions sifflé quelques bières, c’étaient la dernière fois avant que je ne parte pour Londres. Nous avions passé un été de parlottes et de secrets idiots de filles, d’interrogations sans retour. Soudain, elle me montra sa peau blanche ; je ne voyais plus que ses yeux roux, ses boucles cuivrées, ses taches délicates sur son teint clair, cette marque rouge, tailladée : I / L. 

J’aurais voulu toucher sa peau, la serrer contre moi. Ma renarde… Je lui ai souhaité bonne chance. Je n’ai pas voulu me souvenir de son visage.

Sans doute le champagne. Je ne l’ai pas entendue et je l’ai laissée s’accoudée à la barrière juste à côté de moi. J’ai soudain senti sa main sur la mienne. Une main fine, légère. Nue. Je n’ai tourné la tête qu’en sentant le froid du métal de sa montre. J’ai frissonné aussi. C’était elle, la fille mince qui tourbillonnait. Je l‘ai laissée prendre mes lèvres.

L’ivresse, peut-être. J’ai oublié l’homme jaloux. J’ai cru voir un instant ma Renarde, celle d’avant les initiales, le sang séché et les faux-fuyants. Je rêvais d’éclat chaud et velouté sous les paupières. Sauf que le regard était gris acier. Il a soudain pris une teinte liquide quand elle s’est à nouveau approcher de ma bouche ; mes mains ont trouvé sous sa tunique mince la rondeur des mamelons. J’ai senti ses doigts frêles glisser sur moi, le froid des anneaux de métal contre ma hanche. La vieille balancelle de nos jeux d’enfants grinçait non loin de là.

Je ne crois pas au verre de trop. Vers minuit, un rayon de lune s’est échappé et j’ai ouvert les yeux. Le tic tac de sa montre avait ce mordant d’acier qui m’avait fait gémir. J’ai alors saisi que cette vie s’était choisi un autre tempo. Que mon cœur n’avait jamais cessé de battre.

13 février 2010

Songe d'une nuit de l'étrange (rsylvie)


<p>« Songe d’une nuit de l’étrange » par rsylvie</p>

 

 Ya pas de raison que ce soit toujours moi qui cède ! »

Alors, d’un pas bien décidé, je franchis le seuil de la maison.

Faisant claquer violemment la lourde porte de l’entrée.

Il fait sombre. Je ne distingue plus très bien ce qui m’entoure. D’étranges créatures me regardent. Certaines allant jusqu’à se rire de moi. C’est vrai que la situation est assez cocasse. Je suis là dehors, en chaussettes à grelotter de froid dans mon pyjama vichy rose, une brosse ronde à la main, attendant que ma sœur vienne m’aider à retirer le second élastique qui s’est pris dans mes cheveux emmêlés ! 

La nuit, commencée depuis une petite heure, donne au jardinet qui entoure la maison un aspect menaçant et fascinant à la fois. Bien qu’apeurée par le vent qui siffle à mes oreilles, faisant battre mon coeur de plus en plus fort, je m’enfonce d’un pas hésitant dans la tourmente de l’obscurité sans retour. Car c’est bien décidé, puisque ma soeur n’arrive pas, je ne reviendrai pas !

Enfin, pas pour le moment.

Je reste sur mes positions, et compte bien ne pas lui faire d’excuse.

Cette fois, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder son vase…

en inondant la table, sur laquelle était posé le soli fleur que je viens de renverser

(en jouant avec l’élastique, qui retenait une de mes nattes),

tachant de milles gouttelettes bleutées, le joli dessin pour son ami Pierre.

Je suis tellement pétard, que je n’entends les pas furtifs qui se glissent dans l’obscurité et s’approchent de moi.. Un crissement sur les graviers me rappelle à la réalité. Je ne suis pas seule. Une silhouette me contourne puis me frôle. Son souffle froid m’effraie. Sur mes épaules, je sens peser son bras. Nerveusement une main passe à travers mes cheveux pour s’arrêter sur ma joue, et soudain s’accrocher à la mienne. Je reste là, figée, incapable du moindre geste, incapable du moindre cri pour appeler à l’aide. Ce ne peut être que le gardien des morts qui vient me chercher pour me conduire par delà les limites du monde des vivants. Je me vois, devenir jolie statue de pierre décorant le jardin en attendant l’heure de mon jugement, alors qu’au loin la voix de maman résonne étrangement.

-« Marie charlotte et Anne Sophie !

ça suffit de vos enfantillages. 

Allez-vous cesser vos jérémiades,

et enfin vous comporter comme des sœurs » 

L’une se met à hurler, indifférente à mon égard qu’elle me marche presque dessus. Et l’autre prend la porte qu’elle repousse violemment, laissant traîner derrière elle un nuage de poussière.

Comme un flash, je me revois petite fille,

un soir d'hiver

me chamaillant avec ma sœur

13 février 2010

Comme un souvenir de ventouse dans la paume … (Pierreline)

PFFF … Courir à la Garenne Colombes, par un temps pareil, ce qu’il ne faut pas faire pour le boulot !!! Et mon boulot c’est princesse de contes de fée.
Saviez pas que c’était un boulot ? Z’avez jamais mis les pieds chez pôle emploi, vous, c’est pas possible !!!
Tout le monde sait que maintenant que nous vivons aux pays des Bisounours, et que notre roi dit Le Petit a décrété que la crise, le chômage, les patrons voyous,  la violence des djeuns’, la pollution planétaire, tout ça tout ça c’était résolu. Alors depuis, faut bien suivre le mouvement, à pôle emploi, ils ont reçu tout plein d’offres de boulot dans le vent : fée, princesse, prince charmant, enchanteur etc …
Et moi, j’ai été embauchée en CDD chez Bisounours- Télécom, « demandez et vous serez exaucés ! ».
Ma spécialité, c’est les batraciens en tous genres. Enfin, pour être plus exacte, les baisers aux batraciens futurs princes charmants.
Voilà comment ça se passe : Lorsque, lassé de coasser dans le vide sans être entendu, un monsieur crapaud en mal de reconnaissance princière appelle la hot line de « Bisounours- Télécom », on lui refourgue mes coordonnées pour que je puisse en vitesse le rejoindre et, vite fait bien, un petit bisou plaqué sur le museau, le batracien impatient se retrouve transformé en prince charmant.
Ah, j’en entends qui prennent la mouche (hi hi, marrant, dans une histoire de grenouilles, hein, prendre la mouche !), « Est-il bien approprié de parler de museau en matière d’appendice buccal de batracien ? » Euh, et ben j’en sais rien, j’ai pas été embauchée pour la hot line « le petit robert vous écoute », c’est le service d’à côté, je leur demanderai si j’ai le temps, mais pas maintenant, hein, je suis super à la bourre, y’a Monsieur le comte Guillaume de Verdureau, (vingt-cinquième du nom, arrière petit neveu du petit fils de Guillaume le Peureux, celui-là même qui coassait dans la mare de la princesse Raiponce,) qui m’attend au bord de son étang.
Enfin, son étang, je me comprends, hein ! Qui peut se payer des étangs en ces temps de crise du logement ? Même les comtes ont dû réduire leur train de vie ! Alors, le Guillaume de Verdureau, c’est au bord du bassin déversoir des eaux pluviales de la Garenne Colombes qu’il m’attend.
Bon, je consulte les horaires des trains de banlieue, par la gare saint Lazare, en me grouillant un peu, j’y serai vers 19h, 19h30. Ah ben oui, chez Bisounours – Télécoms, y’a pas de véhicule de fonction pour le petit personnel, on a le pass Navigo, et on navigue !
On navigue, on navigue, j’aurais dû dire on galère et on rame ! Parce que, merci bien, il tombe un de ces déluges sur la banlieue ouest ce soir !!! On arrive à peine à lire le nom des gares à travers les vitres détrempées du train. Ah, ça y est, me voilà rendue. Rendue mais pas arrivée : Il est où ce fichu bassin déversoir des eaux pluviales ?
C’est toujours pareil, le gars de la hot line, il est payé à la tâche, alors il ne va perdre du temps à noter les détails des lieux de rendez-vous ! Elle se débrouillera bien la princesse, elle n’a qu’à avoir son tom tom planqué sous sa couronne !!! J’ai eu beau lui expliquer que les couronnes c’était pour les reines patentées et estampillées, celles qui avaient suffisamment de bouteille et d’avancement pour ne plus avoir à se coltiner les petits boulots mal payés du genre du mien, rien à faire, bouché le gars, pour lui je suis de la haute, alors je me débrouille.
En attendant, arrivée sur le quai, j’ai de la chance, j’arrive à chopper le chef de gare : « Le bassin des eaux pluviales ? Juste derrière le super mammouth géant, pouvez pas le manquer, avec un temps pareil, il déborde largement dans le parking … A chaque grosse pluie c’est pareil, si les gens ne viennent pas retirer leurs voitures en vitesse, ils les retrouvent noyées !  Quand vous aurez les pieds dans l’eau, c’est que vous y serez ! » Et le voilà qui part se mettre à l’abri dans sa cahute en se marrant, trop drôle le mec !
Moi, je ne rigole pas trop, c’est vrai que le temps s’est vraiment mis au mauvais, y’a de l’orage qui tonne pas loin, et le parking du super géant mammouth, il n’est pas des masse éclairé. L’endroit est plutôt glauque, sinistre, pas romantique pour un sou. Et vas te retrouver un crapaud, même muni de sa couronne comtale, avec le soir qui tombe et l’orage qui gronde ! « Hep, Monsieur Guillaume ?, Euh, Monsieur  de Verdureau ?, ohé ! Monsieur le comte !!! » Finalement, ça m’arrange qu’il soit plutôt désert ce parking, faut assumer d’appeler comme ça dans le noir un crapaud, même s’il est comte …
Au bout d’un petit moment, j’entends : « par ici ma chère ! Je suis un peu plus loin sur votre droite, le troisième nénuphar après la Clio verte ! ... Ah, bonjour jeune fille, merci d’avoir répondu avec tant de célérité à mon appel désespéré ! ».
Bon, je me dis, celui là, décor glauque ou pas, il n’a  perdu ni sa classe ni son romantisme, ça va le faire, y’aura pas besoin de s’y reprendre plusieurs fois comme avec celui de la semaine dernière qui n’arrivait pas à se concentrer suffisamment ni à rester en place le temps du baiser.
Oh, je vous connais, je sais bien que vous m’attendez tous sur la scène du baiser, vous voudriez tous les détails, «  et comment ça fait ? c’est gluant ? ça colle ? ça bave ? ça sent la vase ?» Rien du tout ! vous ne saurez rien, secret professionnel, j’ai signé un contrat avec un éditeur, le livre s’appellera « la princesse aux mille baisers » Alors, tant que je n’ai pas atteint mon quota, vous ne saurez rien !!!
Bon, tout ça pour dire que mon Verdureau ne s’en est pas trop mal sorti, mais c’est justement pour la sortie qu’il y a eu un problème : Il ne voulait plus me lâcher : « Ah, chère âme, je vous ai trouvée, ma chère moitié, la lumière de mes jours …. Laissez moi rencontrer le roi votre père, que je lui demande votre main ! »
C’est justement leur gros problème à tous ces princes grenouilles, leurs mains. Elles ont un reste de collant, comme un souvenir de ventouse dans la paume, une adhérence qui vous accroche et a du mal à vous lâcher. La première fois, j’avoue que ça m’a soulevé le cœur, j’ai cru que jamais je ne pourrais me décoller de ces mains là. Depuis, j’ai trouvé le truc: un peu de crème hydratante, ça sent bon, et ça fait glisser toutes les mains, même les plus accrocheuses. Mais là ce soir, avec cette pluie en déluge qui tombait, la crème avait dégouliné le long de mes bras, et le comte Verdureau ne semblait plus vouloir me lâcher.
C’est là que je me suis dit que j’avais eu de la chance de tomber sur un crapaud de l’ancienne mode, un de ceux que les bonnes manières retiennent un peu et qui se montrent sensibles à quelques paroles lui rappelant les règles de bienséances auxquelles toute princesse digne de ce nom, même embauchée en CDD chez Bisounours-Télécoms ne saurait déroger. Bref, contre ma carte de visite et la promesse de l’inscrire en priorité sur mon carnet de bal à la prochaine réception organisée au château, le comte m’a laissée repartir.
J’ai pu attraper le dernier train vers la gare Saint Lazare, la pluie s’était calmée, l’orage était allé tonner un peu plus loin.
Ah oui, faut que je pense à passer voir les collègues du service d’à côté demain matin : ça se dit, vous croyez, le museau, pour un crapaud ?

13 février 2010

La gourmandise d’épices et l’alchimiste (Pivoine)

Elle n’avait pas le charme en dentelle grise de Bruges.

Ni la majesté des villes portuaires et commerçantes.

Encore moins la morgue des capitales.

Mais elle tenait, honnêtement assise, ramassée autour de ses canaux couleur de suif, de son castel comtal, de son Palais de Justice et de ses collèges pour filles et garçons, d’où s’égaillaient chaque soir des bandes d’adolescents rimailleurs et bien emmitouflés.

Le veilleur de nuit entamait sa ronde dans Sint Baafs Kathedraal (1), l’Agneau mystique luisait doucement, gardant ses secrets d’atelier, ses souvenirs de guerre, et ses sensations de vernis craquelant…  Les cheminées branlantes du Patershol  (2) crachotaient leurs billes de suif.  Noir de l’anthracite et des boulets. Bloch (3) enfournait ses premières pâtes à brioche, craquelins et couques aux raisins… Le Docteur de Mt-St-Amand saluait la maîtresse du Grand Béguinage…  Et fouette ! Cocher ! Gand, toute repliée sur ses velours gris, ses ouvroirs, ses borborygmes, la bière tiède et les filles à la cuisse moelleuse,  déroulait ses volets, un à un, fracassant des brumes hivernales…

Au 33 de la Parochiestraat (4), les servantes  avaient regagné, qui,  leurs cellules sous les toits, qui, un amant, souvenir de la Brasserie, tandis que dans la grande chambre du premier étage, récurée, cirée de la veille, toute trace de sanie et d’accouchement avait disparu, cédant la place au repos de la mère et aux soupirs vagues du bébé…

Au fur et à mesure qu’il s’éloigne de la bulle translucide et  du tunnel  blanc qui l’a propulsé dans un monde dont il ne mesure rien,  l’être démesuré se refait à la taille d’un enfant vagissant dans son berceau. Son amplitude sans fin se recroqueville. Les cloches des couvents se taisent ; les métairies,  le hurlement des fabriques, le givre sur les champs, les routes et le labeur du passé, toute mémoire  s’incarne dans  l’épaisseur d’une  vie à inventer…

C’est comme une main, inconnue, qui se serait emparée  d’ossements amoncelés là-bas, dans un verrou du temps, pour leur insuffler parole et couleur ici, dans ce coin oublieux, opulent et replié de la Flandre Orientale.

***

      (1) Cathédrale St Bavon, à Gand.
      (2) Le Patershol : quartier ancien de Gand.
      (3) Bloch, pâtisserie et salon de thé à Gand.
      (4) Rue de la Paroisse (adresse imaginaire, bien sûr !)

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