Guy Léclair dans "L'apoeucalyptusse est pour demain" (Joe Krapov)
- Dans ce mano à la mano, je sens que je perds pied !
- Eh bien, mets les pouces !
- Je ne peux pas. C’est interdit par le règlement.
- T’es pas obligé de lui obéir au doigt et à l’œil, au règlement.
- Bien sûr que si ! Je ne tiens pas à être mis à l'index de la guilde des astro-internautes !
- Tu joues petit bras, je trouve.
- Sans doute mais il faut voir en compagnie de qui je suis : ce sont des géants et des géantes. Et puis ça n’est pas la première fois que je l’annonce, que je vais passer la main.
- Dans le dos ?
- Non, non, je vais le leur dire bien en face, les yeux dans les yeux.
- Ca va prendre quelle forme, ton "paume paume paume paume"à la Ludwig Van ?
- Une question aussi majeure doit faire l’objet d’une contribution, comme il se doigt.
- Houla ! T’as peur de rien, toi ! Pas même des contradictions !
La suite se déroule à l’hôtel de Rennes-Métropole, un bâtiment si esthétisant que Joe Krapov lui-même n’en possède aucune photographie. Voici l’église du vieux Saint-Etienne à la place.
- Mesdames et messieurs, annonce le Président, l’intervention suivante, je préfère vous en avertir tout de suite en y mettant les formes, sera celle de monsieur Guy Léclair.
- Ah non ! Pas encore lui ! soupirent en chœur les conseillers de l’opposition et de la majorité.
Et ce qui doit arriver arrive : au moment ou Guy Léclair s’empare du micro le temps jusque-là clément au-dehors se gâte. A travers les grandes baies vitrées, on voit le ciel s’obscurcir comme si la nuit était tombée tout à coup. Un orage violent frappe le bâtiment flambant neuf d’éclairs, de grêlons, de coups de tonnerre et de rafales de vent.
- Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je serai bref. Après un an et demie d’explorations tous azimuts de la strato-littérature potentielle, après de nombreux voyages dans les galaxies du monde inté-rieur et maints récits d’anti-dissipation des brumes matinales, le temps est venu pour moi de couper le cordon, de lâcher prise. L’effort de 21st century schizoïd-manie que tout cela demande est surhumain et, contrairement à monsieur Hajtyla, je n’ai pas trois cerveaux. L’Enquête Sidérale sur le Grand Barouf Universel que je viens de remplir, ces rapports de réunions que je dois retranscrire afin qu’ils soient archivés aussitôt rendus, tous ces comptes, contes, comptages, recomptages et racontars qui vont emplir des tas de cartons à l’Etat Major Comique ont eu raison de ma santé mentale et de ma vieille carcasse. Je peux vous l’avouer désormais, je suis né en 1933. Je vous prie donc de bien vouloir accepter ma démission.
- Ho ? Enfin ? Euh… je veux dire ? C’est pas vrai ? Vous n’allez pas nous faire ça ? » proteste mollement le Président.
Le président interroge l’astro-internaute avec une grosse lueur d’espoir qui fait trembloter sa voix tandis que des yeux étincelants, scrutateurs et dubitatifs dans toute l’assemblée sont fixés sur l’aventurier de la Marche de Bretagne perdue.
- Surtout, reprend l’apprenti flying-saucier, deux des missions récentes que vous m’avez confiées se sont avérées trop épuisantes pour moi. Il s’agit de la quête du lipogramme en « a » sur la planète Catalpa du centaure : je sortais justement d’une tentative de description de la boucherie Sanzot à base de lipogramme en « O ».
- Sanzeau, je crois, monsieur Léclair !
- Sanzeau, oui, si vous voulez. Comme le whisky du capitaine.
- Et.. l’autre mission ?
- Fabriquer une rue en forme de suppose-histoire afin d’y garer ma fusée à l’horizontale.
- Mais, vous l’avez réussie, celle-là, si j’en crois ce document ?
- Oui, bien sûr. Je l’ai tellement réussie que mon véhicule interplane-éther s’est mis à empester l’eucalyptus !
- Où est le problème ? Il existe d’efficaces déodoeuphorisants, non, de nos jours ?
- Certes, mais avec ce suppose-histoire à l’eucalyptus, je suis devenu la risée de toutes nos collègues femmes dans cette docte assemblée.
- Non ? C’est vraiment pas de bol. Vous manquez de cul. Je veux dire, vous n’avez pas de pot !
- Si, un pot d’échappement. Je ne vois plus que la présentation de ma démission pour m’en sortir honorablement.
- Eh bien soit, vous nous mettez vraiment le couteau sous la gorge… Je l’accepte !
Là-dessus, Guy Léclair va se rasseoir. Du coup, l’orage cesse avec un dernier coup de flash*, comme pour immortaliser l’instant, et le professeur Zarkov-Krapov pose son stylo.
* La marque du flash ? Gordon, bien sûr !