consignes 8 - INVISIBLE (rsylvie)
« pour mes filles chéries… ou ce que mère dit »
Je viens juste de croiser son regard, que tout m’est revenu en mémoire. J’avais été ensorcelé !
Ou plutôt non, j’avais été victime des menaces de ma mère !
-«Tu verras un jour, à force de faire des grimaces… un courant d’air et tu resteras ainsi » !
Ce jour-là, avec mon frère nous étions en peine d’idée. C’était un bel après-midi d’été. Tandis que nos parents et voisins étaient aux champs à préparer le matériel pour la journée de moisson du lendemain. Mon cadet d’à peine 2 ans de moins que moi, était venu me chercher, pour qu’ensemble, nous allions passer le temps au bord de l’Orne. Petite rivière qui coule au bas de la location de mes parents. Exploitants agricoles qui travaillaient dure afin de nourrir leur famille et pouvoir payer le fermage de l’humble cabane qui nous servait de logis.
Nos sandalettes en bandoulière autour du coup, assis sur un rocher, nous étions là à regarder passer des bancs de fritures argentées, quand je vis mon reflet dans le miroir bleuté de l’onde fraîche du courant. Mon visage, puis celui d’Arthur qui s’amusait à singer les poissons multicolores. Il avait mis ses mains en forme de nageoires derrière ses oreilles, tout en formant des va et vient rapides, la bouche comme un O, l’œil fixe…. Il mimait la carpe au fil de l’eau.
Je décidais de l’accompagner dans le jeu, et me mis à mimer une mouche. Une bien vivace, qui attirerait le regard du poisson, et l’inciterait, d’un bon, à sortir de l’eau pour l’avaler en plein vol. Accroupi sur le gros cailloux, je me hissais sur la pointe des pieds pour feindre l’envol de l’insecte. Les 2 bras recroquevillés sous les aisselles, je fixais mon frère du regard, caricaturant à merveille l’air absent de l’animal. Quand Eole amusé par nos grimaces, pouffa de rire avec tant de décontraction que les peupliers non loin de là, se mirent à danser sans que je n’y prenne garde.
De retour à la maison, je me dirigeais vers le grand évier blanc qui nous servait tout autant de lavoir que de bac pour la toilette, afin de me nettoyer les mains et rincer le visage avant de passer à table, quand j’eux le sentiment que quelque chose d’étrange était entrain de m’arriver. L’eau glissait au travers de mes doigts, que j’avais pourtant mis en croix les uns sur les autres, afin de faire un petit récipient dans lequel j’aurais trempé ma bouche. Seulement voilà, l’eau ne voulait pas y rester.
Aussi surprenant, quand je me suis approché de la table pour m’y asseoir en essayant d’enjamber la bancelle. Impossible de passer, il n’y avait pas de place sur le banc. Et pire que tout, personne ne bougeait afin de m’aider. Je jouais des coudes, hurlais à qui voulait m’entendre… rien !
… Rien serait mentir, car je sentis comme une violente tape me frôler le ventre que j’en perdis l’équilibre et me retrouvais les 4 fers en l’air, à même la terre battue. Surpris, j’essayais à nouveau de m’approcher de la table, quand j’entendis la grosse voix de mon père vociférer, qu’une fois de plus j’étais en retard pour le souper, mais que cette fois-ci était bien la dernière. Car, j’allais recevoir une telle correction, que jamais plus je ne serais en retard pour le repas du soir !
-« Mais je suis là….. Hé le père, regardes donc par ici, je suis là » ! criais-je. Seulement personne ne semblait entendre mes cris désespérés. Pas un regard vers moi, pas un mouvement en ma direction… l’assistance se comportait comme si je n’existais pas.
Droit comme un I, les deux bras sur les hanches j’hurlais un « nom de dieu, j’suis tout d’même là…. devant vous…. Hé ! regardez-moi » ! Seul le bruit des cuillères dans les bols de soupe faisait résonance à mon appel.
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I N V I S I B L E…. j’étais devenu invisible aux regards des autres. Mais qu’avait-il bien pu
se passer pour que je devienne imperceptible aux yeux des membres de ma famille ?Je me posais encore la question quand je m’aperçus de l’étrangeté d’être en équilibre sur la corniche de l’unique meuble de la pièce. Effectivement, j’avais bel et bien les 4 pattes ventousées sur le vaisselier. Et le plus drôle dans tout cela, c’est que je n’en ressentais aucun désagrément. Comme si cela m’était naturel, j’allais et venais d’un coin de la pièce à l’autre. Tel un funambule, j’avançais gracieusement d’une étagère à l’autre, d’un rabat du meuble à l’anneau du tiroir, avec une aisance qui aurait certainement fait plaisir à notre professeur d’éducation physique. Ce n’est qu’une fois sur pausé sur le revers du col de chemise de mon frère que j’eux un sursaut d’inquiétude. Un coup d’œil dessous, un coup d’œil derrière, j’étais une mouche ! Microscopique, parmi la cohorte d’insectes qui envahissent nos pièces en ces périodes de grande chaleur, je n’étais ni plus ni moins qu’un parasite bon à écraser d’un revers de main !
Il me fallait alors redoubler de prudence et faire preuve d’une grande intelligence pour esquiver toutes tentatives malines n’ayant pour but que la destruction massive de toutes bestioles volantes, quelque soit leurs liens de parenté. Un coup d’aile à gauche, un coup d’aile à droite…. pas si simple tout de même. Surtout l’atterrissage... qui se doit d’être en douceur, si on ne veut pas attirer l’attention du prédateur. Quelques envolées plus tard, je suis devenu excellent au jeu du « manqué… encore raté… »
Je m’amuse tant, à taquiner mes frères d’une caresse d’aile chatouilleuse, que j’en oublie mon peu d’expérience et fonce droit sur le nez de ma mère. Qui, d'un revers de la main, esquive le projectile et me projette vers la fenêtre. Rétablissant la trajectoire après multiples roulés boulés, je viens juste de croiser son regard, que tout m’est revenu en mémoire. J’avais été ensorcelé ! Ou plutôt non, j’avais été victime des menaces de ma mère !
-« tu verras un jour, à force de faire des grimaces.... un courant d'aire, et tu resteras ainsi !