La lourde porte
réputée inviolable avait cédé comme prévu. Il leur restait quinze
bonnes minutes pour achever de boucler leurs trois sacs bourrés de
coupures de dix, de vingt et de cent, puis déguerpir avant que le
brouilleur de codes électroniques ne soit repéré pas la prochaine mise
à jour du système.
Elle avait mis
les petits plats dans les grands, c'était peu de le dire. Elle recevait
quelques collègues et leur chef de département. Parmi ces huit invités,
il y aurait le beau Sean. Tout était fin prêt, des petits encas au
soufflet dans le four qui croûtait gentiment – thermostat six. Elle se
résolut à passer sa dernière acquisition vestimentaire : une folie,
bien sûr.
Ils
s'embrassaient comme s'ils devaient mourir demain et leur baiser, parmi
les tout premiers, leur promettait d'atteindre bientôt le septième
ciel. D'ailleurs, ils s'élevaient en effet vers le cinquième étage,
dans l'ascenseur cossu qui leur offrait enfin un peu d'intimité.
Il avait parié
gros. Obligé. Ces gains lui rapporteraient de quoi se refaire et il
était grand temps. Pour ainsi dire, il avait joué à quitte ou double.
On approchait les toutes dernières minutes du match. Le score lui était
favorable, mais de peu. Il tendit la main vers sa quatrième canette.
Elle refermait
doucement la porte d'entrée en réprimant un gloussement de
satisfaction. Mais le sourire qu'elle avait esquissé retomba devant le
capharnaüm qui l'accueillait dans le couloir. Evidemment, ses mecs,
mari et enfants s'en étaient donnés à cœur joie et lui laissaient le
plaisir de remettre tout ça en ordre. Tenant du bout des doigts le
bracelet que Pierre lui avait offert, elle se demandait si le mettre
parmi ses autres bijoux constituait une cachette valable.
Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce
voyage. Alors je me suis recouché sans avoir fait un seul bagage. Je me
suis dit : "...tout compte fait, pour en profiter davantage autant
rêver y être allé..."
Et, sans plus de remue-ménage, j'ai ronflé sur mon oreiller.
Cette fois, il était vraiment seul. Tout seul. Il le savait, l'avait
souhaité ; il avait tout fait pour et ça y était. Le reste de
l'humanité avait quitté la Terre, sans regret. Le reste de l'humanité,
il s'en foutait. Pas plus ni moins qu'elle s'était foutue de lui, toute
sa vie. Un analyste-programmeur, spécialiste des formules
infralogisticielles séquencées, c'est bien payé, mais c'est invisible.
Pour une fois, cette discrétion forcée l'avait servi au comble de ses
espérances. Célibataire sans enfants, bientôt sexagénaire, stérilisé à
vingt-deux ans conformément à la procédure qui régissait les "boules
noires", il était assis là, dans cette salle où gargouillaient les
nanômes filant le long de leurs vénules derrière les revêtements
muraux. Et il soupirait d'aise. Il se rappelait avoir vaguement lu,
vu ou entendu quelque chose concernant le dernier gardien du phare
d'une côte ouest-européenne. Un propos avait retenu son attention : "... c'est comme dans la chanson que fredonnait ma grand-mère... La solitude, ça n'existe pas..." Il avait souri, il s'en souvenait. Cela correspondait tellement à son sentiment profond. Oh,
il avait bien éprouvé quelque amertume dans sa jeunesse, après le
fiasco d'une ou deux amours fades et molles, à se retrouver seul
encore. Mais ça lui avait vite passé. Assez vite, somme toute. Même le
tatouage sur sa carotide, qui signalait sa stérilisation, lui était
devenu proprement indifférent. On avait peu à peu cessé de le
convier de ci de là, de lui proposer un café, un prochain séminaire. Il
émanait de lui une évidente solitude qui tuait dans l'oeuf toute
compassion, sympathie, instinct grégaire. On l'évitait naturellement,
sans calcul, et l'isolement qui en résultait lui convenait.
Peu de temps avait suffi à le rapprocher de la solution. Il
avait embobiné un technicien du programme Ultima de telle sorte qu'il
fût choisi, comme par hasard, pour être le dernier "gardien du phare".
Le dernier ! Le dernier vaisseau avait quitté la Terre, il y avait
de cela moins de deux heures, emportant son dernier lot d'espérances
humaines. Puisqu'ils étaient tous si certains de refonder leur cirque
de vie ailleurs, grand bien leur fasse ! Lui était persuadé du
contraire. Il demeurerait seul sur Terre. Le dernier de ses congénères.
Il sortit une tablette et s'apprêtait à y inscrire quelques pensées,
quand... mais oui ! on frappa à la porte. Ici ? Au troisième sous-sol ?
Section 26, corridor 9 ? A la porte de cette insignifiante salle de
régulation des flux ? Mais oui, on frappait ! L'incroyable était insupportable ! Il
se leva, s'approcha de la porte vibrant sous les coups. Dans ce
tintamarre, des cris étranglés, désoeuvrés; paniqués s'échappaient
d'une gorge féminine et geignarde. Il y avait des "au secours", des "s'il-vous-plaît", des "répondez, je vous en supplie". Il ouvrit.
La femme, plutôt jolie malgré son regard effaré, se confondait en
excuses et explications diverses qu'il n'écoutait pas. Quand son
interlocutrice marqua un temps d'arrêt dans sa logorrhée, il ne trouva
cependant rien d'autre à dire que "pardon ?". Elle répéta plus sommairement dans un soupir navré : "- J'ai raté la navette !! - C'est bien dommage, rétorqua-t-il, plein d'une morgue désolée."
Mon avion part dans trois heures de Point-à-Pitre. Je regagne la métropole sans l'assurance de pouvoir revenir sous ces tropiques avant longtemps. Je vais retrouver le temps qui court et les gens qui courent après lui. Je vais retrouver cette part de ma vie qui me définit davantage par ce que je fais que pour qui je suis... les "Bonjour, tu fais quoi dans la vie ?", ces passe-ports d'avant le passe-port, qui rassure les tribus, leurs propos "convenus", leurs sourires "entendus" et leurs idées reçues. Je vais retrouver les arbres encerclés, les gazons crottés, les rives bétonnées, les nuages fatigués d'avoir couru le monde, venus se regrouper pour pleurer sur les toits la peine qu'ils ont d'avoir soudain si froid.
Alors, avant de partir, pour finir, je laisserai sur la table de chevet de cet hôtel propret, quelques signes, quelques lignes, pour ce qu'il me faut quitter.
__________________________________________________ jamais quittes
Crête où la terre se fait la dent mollement contre le ciel gourmand de flasques firmaments mon pays dans le vent un pied en mer, l'autre dans l'océan je viens oublier le temps
si ta bouche parle bruyamment et crache du soufre incandescent c'est pour qu'un sable blanc et rose et noir courant tes rives alanguies dessous le vent flatte et caresse tes flancs
Parfois dans la nuit s'élève un chant groka, guitare et le pied dansant l'âme et le rhum aidant un rire éblouissant moque le coq et le counyamaman d'un égal et vif allant
Noirs sont les hommes dans l'ouragan Verte la palme au lent mouvement Rouges sont tous les sangs sous la peau se mêlant qui sous le madras ou le lin flottant marche d'un pas nonchalant
Mon pays tu me prends et, par toi je l'apprends on ne se quitte jamais vraiment.
- Vé, Janine! sais-tu ce que je viens d'apprendre par la poste ? - allez,
raconte, ma belle, que tu me fais languir. - te souviens, Mireille ? -
Mireille ? - Mireille ! - pas Mireille au piano, kémmèmeu ? - naaaan,
tu me fais peine! Mireille des Aiguilles. - ké, elle est encore en vie,
celle-là ? - ébé nan, justement pas. c'est une aide-soignante de où elle
était qui me l'a annoncé dans une lettre. c'teu dame, elle m'a retrouvée
dans un carnet à elle, dis... parmi d'autres ! - tu veux pas dire...
? - ébé, si ! je pense bien. - maaaaa ! ça va pas faire que des heureuses
à réveiller des souvenirs qui fâchent, vé ! - avouiye. bon, pour moi, il
y a prescription, eh : j'ai eu trois maris. mais pour La Fanette, La
Bernadette, La Proserpine Poelpré... ça va faire un joyeux raffût, je te le
dis ! - maaa, peuchère! tu penses, on peut dire qu'elles vont pas être aux
anges. - ébé voilà, tu me souffles ma réponse. - ... ? - ... au
courrier, il faut bien que j'y réponde. - tu vas quoi dire ? - que si elle
le brûle le carnet de l'aiguilleuse, la dame, on sera toutes aux anges. -
abévouyeu, peuchère.
- un
équaliseur d'aigus, ça donne de l'acidité à la piste enregistrée.
- ...
t'es obligé d'en mettre ? ça vrille déjà pas mal la tête ton truc.
-
bon. tu m'as dit vouloir retrouver le son du Revolver des Beatles. eh bien,
c'est ça qu'ils ont mis partout comme effet. les guitares n'en sonnent qu'avec
un meilleur grain acidulé. très pop. on fait pas mieux.
Tôt ou tard un bout de trottoir d'une rue ou d'un boulevard arpenté les yeux hagards le moral dans le brouillard aura des airs de quai de gare pour aucun au revoir
Quelque part au bout du comptoir où finit la tournée des bars à se jouer du hasard la morale s'égare
Malabar au bout du couloir répandu comme un calamar décapité du cigare pour un air de guitare retour à la case départ sans connaître l'histoire
(une paille dans l'oeil de ce cher Edouard)
Tôt ou tard un bout de trottoir d'une rue ou d'un boulevard arpenté les yeux hagards le moral dans le brouillard aura des airs de quai de gare pour aucun au revoir (bis)
Des
frugalités s’ajoutant les unes aux autres avaient fini par constituer
notre copieux repas. Leurs reliquats nous encombraient le bout des
doigts qui les titillaient compulsivement sans plus d’appétit, vraiment
pas. Les fromages et les saucissons eux-mêmes ne prétextaient plus que
nos verres fussent encore si bien remplis. Car nous ne buvions plus
qu’aux fins de parfumer notre haleine bavarde, l’estomac bien assis,
l’œil pétillant, une gauche mollesse au coude nonchalant.
Nous
étions parvenus à ce moment du soir, qui se fait des manières d’alcôve,
de boudoir, dans le frustre éclairage écharpé des bougeoirs, et prête
aux confidences, aux délires, ou à certain espoir.
Et l’océan grognait, pas loin, au bout du long quai des clampins.
- Tu restes au rouge ?
-
Ah, ça ! Je ne m’explique d’ailleurs pas que tes penchants anarchistes
ne te portent davantage à certain intégrisme en la matière : le rouge,
c’est notre affaire, à nous, les réfractaires !
- Ben, j’en bois, hein. Mais ça m’assomme.
- Attends ! Le blanc, sérieux, ça rend fou. C’est laid comme un col blanc, un blanc-seing, une vierge, même une belle…
- Ah, ne commence pas à me railler. J’ai écrit ça comme on chie un bon coup, voilà tout.
- Le saucisson.
- Pardon ?
- C’est le saucisson qui m’a converti au blanc.
- Ah… bon.
- Rouge alors ?
- Allez, verse !... "potache doué pour le canular", tu dis ?
- C’est ce qu’on a dit.
- Ouais… ça me va. C’est mieux que "génie adolescent", en tout cas (il s’esclaffe). Et de Paul ?
- Ah, Paul, c’est autre chose. Le privilège de l’âge, peut-être (nous gloussons) ?
(il s’étire) Ben, tu vois… il me plaît bien moi, ton sous-marin-sous-les-toits. Il a quelque chose qui me ressemble, non ?
- C’est pas un bateau, c’est un sous-marin !
- Oui, mais son capitaine lui aussi est ivre ; lui au moins (nous repartons à rire).
- La mer, c’est le large. C’est l’avantage.
- Ah oui ? Toi aussi t’as baisé ta mère en rêve ?
- Bwaah, t’es vraiment trop con, des fois (nous pouffons).
- Sans rire, t’y es passé aussi, non ? sur la mer dont le sanglot faisait mon roulis doux…
- Oui, je me souviens d’un rêve étrange, mais pas pénétrant, en fin de compte.
- Riquiqui (il sourit) ?
- C’est ça, riquiqui (je souris).
- L’amère…
- Hein ?
- Non, je disais : l’amer-tume…
- Ah.
- Il en sue un peu dans tes vers, c’est ça qui colle bien avec ton optimisme aveugle et chimérique… et bordélique (il glousse) !
- Ouais, un vrai bordel aqueux (je glousse) ! Mais là, tu fais autrement plus bordélique que moi, quand même.
- Quoi ! La morale et la langue (…) réduites à leur plus simple expression, mon credo.
- On avait dit pas de gros mots (nous gloussons) !
Vint l’heure de s’aérer.
Comme lui bon marcheur, je le raccompagnais en faisant maints détours. Avec lui qui voyait très
franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours
faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au
fond d’un lac, la nuit qui désertifie les bourgades, peupla de
monstres et de mystères la petite ville portuaire où nous étions
convenus de nous retrouver chaque fois que se ferait sentir le besoin
de se faire voyant, par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens.
Avant de le quitter, de le rendre à son ombre, j’ai lassé sa chaussure.
- Eh ben, avec ce que tu tiens, à ton arrivée, pour sûr, tu vas te faire appeler Arthur.
- t'as cinq minutes ? - oui, quoi... discute ? - nan nan, viens voir un peu par là ; ramène ta fraise et assieds-toi ; jette donc un coup d'œil là-dessus... - oh non, des lettreux, j'en veux plus ! - attends, pas que... mais si, 'fin bon, c'est farfelu, des fois bidon, des fois coquin, badin - ronron... - ben justement, pauv' branque! ici c'est pas l'humour qui manque - et puis, ça mange pas de pain. - y a des jeux, dis, au moins ? - ...d'écriture oui, c'est l'objet. - ben oui, mais... sans joystick, tu sais... - de stick, euh... point ; mais Joye, ça oui. euh, attends...'gade! - c'est son pseudo ? l'est pas d'ici ? c'est pas celle du journal du hard ? - gniiiin, portnawak! je crois qu'elle vit dans l'Iowa - elle connaît Barack Obama ? - en quelque sorte, on peut dire ça. - bon, et c'est tout ? - non, regarde ça... - ... - ... alors ? - ah ouais, quand même, y a des tarés ! c'est quoi l'barème ? - c'est le plaisir. - hein ? - le plaisir de lire, d'écrire, de dire et aussi d'être lus. - est-ce que des fois ça parle cul ? - ça peut, ça dépend des humeurs. - fais voir un peu.... - t'es qu'un branleur ! - ben quoi, je veux! et si ça m' plaît ? - t'as plus qu'à envoyer ta note. - on est payé ? - en anecdotes ! - Adiii... Bertoise ?... Cartoonita... - qu'est-ce que tu veux ? tu cherches quoi ? - ben, tu sais, c'est comme la colo ; j'essaie de voir dans les pseudos, si y a pas une affaire à faire... - ça veut dire quoi ? - laisse, pépère ! ... Enriquita, Fabeli, Gilgamesh, Janeczka... y a de l'exotisme! maaah, carrément l'autre : J. Valjean ! La pierre Précieuse... ouaip, y a aussi des prétentieuses. - tu dis ça, tu les connais pas. - ah parce que tu les connais, toi ? - certaines, certains, pour leur style, ce qu'on perçoit qui se distille dans les écrits, les commentaires, on finit par avoir du flair et peu à peu on se rapproche. - tu crois qu'on peut s'taper la cloche ? - c'est pas M**tic ! c'est périodique ! - uh ?
« - Oui, bonjour. C’est pour
quoi ? je grogne poliment. »
Un hurluberlu, fagoté à la ridicule
façon stagiaire échappé de Disneyland, les bras en croix sur un thorax digne
d’un péplum des fifties, se tient dans l’encadrement de ma porte d’entrée.
Que voulez-vous, il y a des jours
comme ça…
Quand il a sonné, j’étais à la
bourre dans la salle de bain, la bouche pleine de dentifrice, un mouton de
mousse à raser sous l’oreille gauche en train de gargouiller des
« magnez-vous, les filles » à mes deux écolières. Je suis allé ouvrir
en m’étant vaguement rincé, un peigne dans les cheveux et un pied sans
chaussette.
« - Ordonne Maître, et que ta
parole soit exaucée.
- Hein ?
- Ordonne Maître, et que…
- Oui ? Ben, je souhaite que tu
disparaisses de ma vue, mon vieux. Et plus vite que…
Pouf ! Disparu, aussi
sec !
Oui, non mais, comme je vous le
dis : dans un pouf! nuageux et tintinnabulant, là, sous mes yeux
incrédules.
Que voulez-vous, il y a des jours
comme ça…
Tant que j’y suis, j’ouvre la boîte
aux lettres d’où j’ai omis de relever le courrier de la veille.
Les plis dûment consultés,
rassemblés sur le clavier fermé du piano droit, et repartis distinctement selon
leurs destinataires dans la maisonnée, je remarque les petits billets qui tapissent
le fond de la boîte.
Je suis sûr que vous avez les
mêmes, déposés avec une assiduité déconcertante par un marabout sévissant dans
le voisinage.
Sauf qu’à y regarder de plus près,
il y en a un qui se distingue des autres, par sa couleur d’abord, sa texture
cartonnée ensuite, et enfin par ce qui est écrit dessus en lettres
scintillantes :
Né(e) un vendredi 13 ?
CE BILLET EST
POUR VOUS !
Un génie se présentera bientôt à vous pour réaliser
quatre de vos vœux les plus chers.
que vois-je croustiller, là, juste à la surface de cette déflorée naguère virginale qu'une ombre liquéfiée, coulante et dégueulasse aura bien mise à mal à force de moitir et avant de sécher ?
ma feuille, confidente où j'aime à l'ordinaire imprimer mon carné, seul dans ces sanitaires, tu fais bien triste mine
pour t'ainsi maculer, il faut un cœur de pierre l'âme en acier trempé et l'esprit mortifère que plus rien n'ébousine
j'ai tenté de licher cette croustade abrupte ma langue aurait fini tarmacadamisée pour peu, on m'eût prêté le goût pour la turlute qu'ont d'autres audacieux sur l'aire de Carpiquet
je n'ai pour le goudron vraiment pas d'appétit et ces grossiers boudins à tes bords godronnés n'ont pas l'heur de me plaire, oh! le vilain gâchis tu n'es pas de ces feuilles que l'on peut drageonner!
misère! misère!
je me tue la gamberge à trop me demander quel idiot plaisantin a pu folichonner sur ton pli de la sorte ?
et je n'ai alentour personne à rameuter je ne suis pas de ceux sachant bolchéviser sur le pas de la porte.
l'acte est aussi absurde et vain que le dessin abstrait, obscur, abscons, stérile et hermétique n'évoque rien pour moi que de très pathétique d'où que j'aille fouiller mon cerveau reptilien.
je suis un terre-à-terre et ne sais vétiller comme sur la frontière un ancien cardinal le fit raillant l'armée de Monsieur de Turenne
si je tente un bon mot, on vient me titiller tout au long du repas, du radis au Cantal je ne suis pas au self de ceux qui la ramènent.
je ne suis pas violent, mais pourrais houssiner celui qui s'en est pris à mon très cher feuillet car c'était le dernier qui se puisse oringuer en ce lieu où je suis entré en grande presse
me voici croupionnant les parois rudentées et lustrant cet émail que je fais japonner car je ne puis issir de ces commodités sans m'être proprement warranté l'entre-fesse,
Mon client, pardon, ma cliente… ′fin bon, la personne que
vous vous préparez à juger méhamessieurs les Membes du Jury, Mahame La
Pésidente, a certes commis un crime abominabe, mais je vous demande néanmoins de
l’acquitter nonobstant pour les raisons suivantes… ′ttendez, ah oui :
comment peut-on, méhamessieurs les jurés, Mahame La Pésidente et vous, M’sieur
Avocat Gééral, comment peut-on condamner, dans une démocratie évoluée comme la
nôt’, au sièk où nous vivons, dans ce lieu où nous nous trouvons à l’instant où
je vous parle, cette… nob’ enceinte vouée à établir et rendre justice au nom
des lois de la Hépubique citoyenne, comment peut-on condamner une
victime ?... hein ? déjà… et qui puzé, une victime innocente… donc,
bon.
Car oui… mais, oui… Michel-Line est une victime innocente…
si.
Et mon plaidoy… euh, -rie, je veux dire, -yer… Et mon
propos… n’a d’autre but que d’en faire devant vous, la démonstration claire,
nette et inbue…-dubitable.
Gardons à l’esprit, méhamessieurs les jurés, Mahame La
Pésidente et vous, M’sieur Avocat Gééral, que dehors, de l’aut’ côté de ces
murs qui nous préservent de l’obscuristantrisme fangieux, le recul de nos
valeurs fondamentales avance à grand pas et demeure à l’affût du moindre de nos
faux-… z’erreurs. Et que de la tenure, -neur, de notre jugement dépend la
solidité même de ces murs… sociétales, -taux… ou tard, oui tôt ou tard, il fera
beau voir (′fin, je dis beau voir… vous m’suivez) qu’ayant failli ne sera-ce,
-rait-ce qu’une fois de trop, l’ignominie aura pignon sur gnou… rue. A not’
place même, méhamessieurs les jurés, Mahame La Pésidente et vous, M’sieur
Avocat Gééral.
Michel-Line est une victime innocente.
Il fera beau voir qu’à condamner cette personne, ici
présente en la personne de Michel-Line, pour le meurte sauvage de Simone, son
ex-épouse, on ne fasse le procès du premier en accablant injustement le
deuxième sexe.
Mais j’vais même vous dire mieux, Mahame La Pésidente,
méhamessieurs les jurés : ceci ne sera pas… t’être.
Passeu, kesseu j’vais faire… j’vais mêm’ vous dire
mieux : kesseu nous allons faire, méhamessieurs les jurés, Mahame La
Pésidente et vous, M’sieur Avocat Gééral, en acquittant Michel-Line ? Nous
allons pas loin… pas moins, que rende son honneur à un ête bafoué par la
société sociétale, jusque dans le fort intérieur de son foyer marital.
D’intime, la quession se fait délicate… vous en
conviendrez facilement, méhamessieurs les jurés, Mahame La Pésidente et vous,
M’sieur Avocat Gééral. En matière de mœurs, quand on en vient au meurte, c’est
qu’il y a tekchoz qui a dérapé dans la machine humaine.
En l’occurrence, oui.
Michel-Line a changé de sexe pour des raisons tragiques, vous
vous en doutez. Je n’insisterai pas sur le passé douloureux de Michel, pour me
réjouir davantage de la vie rayonnante et lumineuse de Line, danseuse de revue,
connue du Tout-Paris. Vie, fastueuse et enjouée que vous êtes sur le point de
briser, méhamessieurs les jurés, Mahame La Pésidente et vous, M’sieur Avocat
Gééral.
En l’occurrence, oui, la machine a dérapé quand l’ex-femme
de Michel qui se croyait abandonnée de son époux disparu, l’a finalement
reconnu chez son coiffeur… simplement passeu, bon. Avec le casque et le
tablier, elle l’a reconnu. Et comme lui, n’avait pas reconnu le dernier de ses
cinq enfants… oui, cinq enfants… une belle et généreuse contribution à l’effort
national, avouez, ′fin, soyons-en d’accord, méhamessieurs les jurés, Mahame La
Pésidente et vous, M’sieur Avocat Gééral. Alors vous connaissez la suite :
Simone lui réclame de casquer, il s’y refuse et voulant protester de son
nouveau statut, lève les bras au ciel, entraînant malgré lui le corps de Simone
en s’agrippant par mégarde sous ses aisselles, si bien que, bon, le crâne de
Simone est allé se loger contre les résistances du… euh, casque… où la défunte
a péri dans des conditions atroces, je dis bien atroces, ce que nous ne
contestons pas. Ni lui-elle, ni moi.
Et c’est ici que je conclue, méhamessieurs les jurés,
Mahame La Pésidente et vous, M’sieur Avocat Gééral, en vous posant à nouveau la
quession, que dorénavant vous entendez maintenant désormais d’une oreille toute
autre : comment ?... oui, je vous l’demande, comment peut-on ?...
hein ?
Charles Bourraing, employé zélé des P&T riait sous
cape, seul dans le bureau de poste devant la rangée de casiers d’où il
puiserait sa tournée du lendemain. Le nez penché sur un dernier paquet de
missives de particuliers, il gloussait savourant par avance les commentaires
qu’il recueillerait bientôt en commençant par le bistrot de Dudule, patron
bonasse et franchouillard comme son surnom l’indique.
Eclairé de sa seule lanterne d’appoint, Le Charlot laissa
s’échapper un nuage de vapeur avant de poursuivre son œuvre au moyen du fer à
repasser de sa défunte mère. Il se félicitait intérieurement de sa
dextérité : Charles Bourraing décollait les enveloppes comme pas deux.
Dans deux jours, ce serait la Saint Valentin, patron des cœurs amoureux. Et le
bougre était seul maître à bord, cupidon bardé de bleu et de jaune,
redistribuant les cartes du bonheur courbé sur son pupitre, flottant dans le
secret des dieux.
Enfant malingre, souffre-douleur de ses congénères à la
communale, fils unique d’une fille-mère qu’on disait avoir été engrossée par un
Prussien, jamais marié, soupçonné d’être toujours puceau, Le Charlot n’avait
obtenu le respect forcé de la communauté villageoise qu’en passant brillamment
le concours administratif qui lui valut d’officier en qualité de receveur des
postes, cumulant depuis le remembrement la fonction de facteur local.
Or Charles Bourraing était bel et bien amoureux, depuis
trois ans déjà, de la fille d’une sommité reconnue dans le canton. Il lui avait
fait une cour aussi secrètement assidue que véritable et sincère, et depuis
hier, elle s’était rendue à cette évidence : elle ne trouverait pas mieux.
La moustache du Charlot frémissait encore des douceurs que lui avait naguère accordées
sa dulcinée.
Le lendemain, il acheva sa tournée comme à l’accoutumée à
12h45, au comptoir de Dudule en déposant un paquet pour la patronne.
« - T’es bien sûr que c’est pour Hortense, ce
bidule-là ? inquisita le bistrot, tandis que ses mains ne savaient quelle
position donner au-dit paquet sur son zinc.
« - Adresse, destinataire et cachet de la poste
faisant foi, je réponds : oui, triompha le facteur. »
Le sourcil logé haut dans le front du patron trahissait
son étonnement devant tant d’assurance, un rien goguenarde même, lui avait-il
semblé.
Tout
démarra avec la remarque, lâchée comme un revers de fond de court, par l’Anicet
déjà passablement entamé à l’anis (d’où il tirait pour partie son nom de
baptême populaire) :
« - Eh Dudule ! ′gade voir des fois que ça soye
pas un jambon ou un énoooorme sauciflard… ça ferait bien notre affaire à
c’t’heure, railla l’embrumé en distribuant des œillades à ses partenaires de
coinche. »
Au début de l’été dernier, on avait murmuré que la
Hortense à Dudule et le commis boucher s’étaient éclipsés un joli bout de temps
durant les feux de la Saint-Jean. On murmura un peu fort, d’ailleurs. Le commis
boucher en fut d’une escalope plaquée sur son œil au beurre noir.
Saluant distraitement le coiffeur qui prenait place à son
guéridon habituel, Dudule renifla le paquet et, tournant les talons, fila vers
la cour intérieure au bout de laquelle il avait son meublé. Il claqua la porte
derrière lui en beuglant : « Horteeense ! Horteeen-seu ! »
On s’attendait à ce que le coiffeur, homme précieux,
s’offusquât à sa façon de ce qu’on ne l’ait point accueilli avec son
cognac.
Mais l’homme avait planté son regard juste en dessous de
la toile d’araignée de la baie vitrée. A croire qu’il dévorait des yeux Madame
Veuve Besnière, sextuagénaire qui se chauffait l’arthrite au timide soleil de
mai inondant la chaise longue dépliée au bout de sa terrasse.
L’Anicet ne résista pas longtemps à l’envie de remettre le
couvert et commença par siffloter une mélodie aussi sirupeuse et surannée que
bien connue de tous pour avoir en son temps imprégné nombre d’amours secrètes.
Comme il allait se mettre à railler le doux rêveur, Le Charlot abattit alors sa
dernière carte, son chef-d’œuvre pour ainsi dire :
« - Tenez Bouzigues, pensant bien vous trouver là et
vu le caractère impérieux de ce courrier, je vous le remets en main propre…
C’est un recommandé… ′faut signer là, pérora le préposé. »
L’Anicet s’interrompit aussi sec, craignant un nouveau
courrier d’huissiers, il se dirigea prestement vers le zinc. Quand il découvrit
qu’il s’agissait de tout autre chose.
« - Ben, c’est pas pour moi, c’est pour ma Lolotte !
réproba-t-il.
« - Je le sais bien, dit le facteur ; puis il
ajouta en clignant de l’œil, mais on est entre nous… Je te la remets
donc. »
L’Anicet alla se placer dans la lumière de la baie vitrée,
décacheta l’enveloppe, lut son contenu et réduisit le papier dans son poing, le
regard affolé. Il happait l’air comme un poisson qui suffoque. Soudain, il se
rua au-dehors en jurant et blasphémant tout ce qu’il savait, ponctuant ses
interjections de « salope ! » retentissants.
Les clients du bar en restèrent interdits.
De la cour intérieure, traversant le silence devenu
pesant, parvenait les bruits d’une fameuse dispute entre le Dudule et son
Hortense qui braillait des « méchteujuuure » à fendre l’âme.
C’est le moment que Le Charlot choisit pour faire à rebours
le parcours de sa tournée dévastatrice.
Il croisa d’abord la silhouette soucieuse de Monsieur Le
Maire qui tournait vers le sol poussiéreux sa mine des jours de grande crue. Il
filait vers la Mairie où sa fille occupait le poste de secrétaire-adjointe.
Dans la Montée des Tanneries, il vit atterrir au milieu de
la rue un pot de chambre, suivi d’une paire de bottes, suivie de la veste de
cuir du grand Gégé – lequel ne rentrerait que tard dans la soirée, ce jour-là.
Depuis l’étage d’où provenaient les éléments disparates de ce ballet aérien,
aucun son… une rage sourde était à l’œuvre.
Le facteur faillit pouffer en rendant son salut au
Capitaine (« de mes deux ! ») qui se tenait au portail de
Mademoiselle Jehanne, institutrice retraitée, dame patronnesse et présidente du
comité des Fêtes.
Son œil avisé crut bien reconnaître son ennemi de
toujours, Le Michou, dont la silhouette piétinait nerveusement sous les fenêtres
du Beau Georges, dans l’ombre de la ruelle qui flanquait sa petite maison. La
roue d’un vélo de femme massacré achevait en couinant les derniers tours sur
son axe rompu.
La voiture du docteur Dubonc le dépassa en trombe, filant
vers la sortie du village sur la route de l’est.
Lui-même, Charles Bourraing, parvenu à cette extrémité, chevaucha
enfin sa pétrolette réglementaire et la lança, pétaradante, vers le domaine de
sa dulcinée.
Au Panthéon des hypocrisies, l’Histoire, telle que
l’écrivent les occidentaux a pignon sur rue. L’Histoire… celle écrite avec un
grand ’H’ comme dans La Haine ou La Honte, sauf que le film est souvent
moins bon. Pour preuve…
Le tirailleur sénégalais doit parfois regretter de n’avoir
pas cédé aux tentations cannibales qui le taraudèrent avant de monter la paroi
de sa tranchée au coup de sifflet donné par le plus gradé de ceux-là mêmes qui
lui prêtaient hier encore, à la cantine, ces propriétés « barbares »
(entendez sauvagement inférieures et réfractaires à toute modernité).
Voici qu’en surfant sur le web avec Leuk Le Lièvre,
nous découvrons le portrait tronqué d’un Bashi-bouzouk. Certes, ledit portrait
met en valeur le visage dominant le buste satiné de ce guerrier indomptable, à
la peau d’ébène, au regard aussi noir que son humeur et au port fier comme
Artaban. Un souci pédagogique - travers péremptoire bien connu de qui fréquenta
tant soi peu de ces occidentaux animant leurs discussions de considérations
savantes, un excès de zèle donc, était sans doute à l’origine de cette coupe
franche.
On le sait, le Bashi-bouzouk (orthographié avec un ‘c’
dans toute bonne librairie française) n’est pas un plaisantin. Et la définition
commune qu’a jusqu’ici retenue et reconnue l’Histoire pour donner un sens à ce
terme a toujours accrédité la thèse de la « mauvaise tête » (entendez
tête de Turc) ou de la « tête
cassée » (entendez gros fêlé).
Ce que l’on sait moins, c’est d’abord que le fameux
mercenaire avait ce déhanchement caractéristique du mauvais gars qui vous
dépeuple de leur gent féminine indifféremment, fest-noz, basse-cour ou salon
de thé en moins de deux.
Gégé patron de zinc, au fait de tout ce qui peut concerner
de près ou de loin l’étrange et l’étranger, ne nous disait-il pas du haut de sa
sagesse populiste : « Ces gars-là, ils me foutaient la pétoche. Déjà
qu’ils boivent pas d’bière brune ni blonde, que des ambrée… Et pi quand tu
soutiens leur regard, ça va ! Mais que ta femme pose les yeux sur son cul,
et ça chie ! »
Ensuite, on aura sans doute eu tord de négliger un de ses
principaux attributs : l’arme légère qu’il portait toujours droit devant
lui, tel un Fœderer prêt à servir pour le match.
Sabre, fusil, pistolet, poignard… qu’importe le substitut
phallique, le cavalier sanguinaire aimait à le faire danser sous les yeux de
quiconque se trouvait sur sa route ; hypnotisant ainsi son vis-à-vis dans
une rythmique qui ne manqua pas d’inspirer nombre d’amateurs de danses
exotiques, caraïbes entre autres…
Or, c’est à la lumière de ces deux éléments
incontestablement tirés de l’expérience, sacralisés sur l’autel du Vécu, que
Leuk Le Lièvre et moi-même portons à votre connaissance, le correctif qui suit…
Le Bashi-bouzouk est
un guerrier sans Guiness qui plaît aux femmes précisément parce que chez lui,
le bas chie et le bout zouke.
Je vous remercie de votre attention, votre dévoué tiniak.