- Episode inédit, extrait d’un feuilleton en cours sur ‘poLétiquement vôtre’ -
Exergue : Parce que c’est tous les jours 8 mars, #machoman...
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Renfilant sa vieille gabardine (“toute pourrie, nan mais, wak Bob ?” comme le lui dit souvent sa partenaire), le lieutenant Merle se tourna vers l’agente Ben Lemna qui faisait de même, avec son perfecto rapé à bien des endroits, et lui proposa :
“- Dis-moi, major, ça te dirait-y pas de s’enfiler une bière ou deux avant de rentrer à nos vies misérables de poulets déplumés ? Après tout ça, c’est pas péché, hein ?”
Zounia lui retourna son sourire en coin qui signifiait “Vouiche, mais on s’éternise pas Bob, ok ?”
Du coup, elle répondit :
“ - Alors on y va, mais en scoot, sinon, c’est mort !”
Robert Merle entendit l’avertissement. Il avait pourtant bien envie de bringuer un brin, ce soir. “Mais bon…”
Un quart d’heure plus tard, les deux agents de police, rendus à leur vie civile, étaient attablés à la table que le patron du lieu avait pris soin de leur libérer dès qu’ils avaient pénétré dans son établissement, un bar à l’irlandaise, lui-même étant de (lointaine) origine de “la divine Erie des poètes”, comme il aimait à le faire entendre. Un peu trop souvent, de l’avis même de ses habitués.
Leur deuxième bière à la main (et la troisième en attente, commandée discrètement par Robert au nom de ce vieux principe cher aux piliers de bar : “jamais deux…”), après avoir pris quelques nouvelles l’un de l’autre, concernant leurs vies privées, ils se laissaient bercer par une ballade gaëllique. Parce que l’absence de discussion est souvent la marque d’une amitié véritable. “Et même d’un véritable amour…” songeait, à ce moment, l’homme enfin un peu plus détendu.
Soudain, un type, à l’évidence pas familier de l’endroit, s’adressa directement à Zounia en demandant :
“- Pardon si je dérange, mais ça vous dirait que je vous offre la prochaine, mademoiselle. Si monsieur n’y voit pas d’objection, bien sûr ? ajouta le bougre en envoyant à Merle un clin d'œil des plus malvenus.”
Robert n’eut pas le temps de réagir que déjà Zounia répliquait, avec un sourire calculé :
“- Toi, c’est sûr, t’as tous tes vaccins à jour sauf celui contre la goujaterie. Mauvaise pioche, garçon. Va tenter ta chance ailleurs, j’y serai pas.”
Le type en resta coi quelques secondes durant lesquelles Zounia eut encore cette pensée : “Il se trouvera bien quelque écervelée sur ton passage pour satisfaire tes projets pour la soirée, connard !”. Pensée qu’elle n'extériorisa pas verbalement, mais qui explosait dans son regard dont le brun foncé s’était profondément assombri, peut-être jusque à un noir abyssal.
Le type renvoyé à ses pénates, Robert Merle saisit l’occasion (“pas la première, mais bon… allons-y !”) pour poser une question qu’il n’arrivait pas à s’autoriser à poser à sa partenaire chérie :
“- C’est marrant, commença-t-il comme pour dédramatiser la nature de la question intrusive qui allait suivre, un beau brin de fille, euh… de femme comme toi, intelligente, pas bégueule, fine et cultivée, depuis six ans qu’on se connait, hein ? je ne t’ai jamais vue avec… disons… quelque attache pour quelqu’un. Tu vois ce que je veux dire. T’es pas obligée de répondre, note… Juste note que ça m’étonne, quoi. Pardon, mais… la preuve ! t’es suffisamment bien gaulée… J’ai pas dit, belle hein ? J’ai dit…”
“- Ouais ok ok, Bob… Attends, le coupa Zounia, fermement, mais en douceur.”
Elle l’avait appelé “Bob”, c’était déjà ça, songea Merle. “Elle ne m’en veut pas d’avoir posé c’te foutue question, se consola-t-il d’avoir osé en venir, pour la première fois entre eux, à ce point sur le terrain de l’intimité.”
Voyant combien Zounia se ramassait, il sut qu’elle se préparait à bondir. Il l’avait déjà vue faire. Mais jamais pour aucun des dialogues, publiques ou privés, qu’ils avaient tenus l’un envers l’autre. “Six ans, putain ! ‘Faut pas qu’ ça casse, hein ? ON est d’accord, ma belle ?” se dit en frémissant, à des endroits inconnus de son corps et de ses sentiments, le lieutenant qui ne voulait absolument pas en être un. Pas là. Pas ce soir.
“Juste pas maintenant ! ...Juste Bob…” implora-t-il secrètement.
Alors, Zounia Ben Lemna, négligeant de remarquer qu’une troisième tournée de bière prenait place à leur table, le menton calé dans ses poings serrés à blanc, dit à Robert Merle :
“- Ok, d’acc’… Je vais te le dire à toi, Bob… A TOI… Personne n’en sait rien ici, et personne ne doit jamais savoir, ok ? Parce que la frontière entre le blabla et la trahison, c’est du fifrelin. C’est ok, Bob ? ...JAMAIS !”
Zounia lui avait semblé avoir hurlé en pleine face, mais à voix basse. Robert Merle (homme d’âge mûr, tout de même lieutenant de police, supérieur de la jeune femme, là, devant lui, qui était devenue sa partenaire à compter du jour où elle avait posé “son petit cul de banlieusarde... ou dieu sait d’où !.. sur la banquette passager de ‘son’ véhicule de fonction…”) Robert... Non, “Bob” ! se dit alors qu’il aurait mieux fait de fermer son foutu bec… de poulet ?
“- On se refait pas, en vrai, lâcha Robert, pour lui seul, mais de fait, à haute et distincte voix.
“- Ouais, c’est ça, Bob. C’est tout pile juste ça, abonda Zounia dans un soupir, un sombre magma coulant sous un repli de sa lèvre inférieure et un volcan en éruption à l’orée de ses grands yeux tous ronds. De ses deux yeux si bruns, et cependant si doux, malgré tout.”
***
- Et voici ce que l'épisode suivant développera de la confession de Zounia à Robert -
Robert Merle se racla le gosier avant d’entamer sa troisième binouze. Manifestement, Zounia prenait son temps. A coup sûr, la gravité des propos qu’elle allait lui tenir, comme venait tout juste de l’annoncer sa partenaire de patrouille, nécessitait qu’elle en choisissât avec soin les paroles. Il attendit donc, patiemment, qu’elle se mît à parler.
Le bar se remplissait toujours davantage, de gens de passage, mais surtout des habitués, familiers du lieu et de son placide patron. Robert, ne quittant pas Zounia du regard, en reconnut quelques-uns du coin de l'œil, mais ne les salua ni ne leur rendit leurs saluts.
Zounia Ben Lemna se saisit alors de la bouteille près de son verre à bière et dit en se servant à boire :
“- Jamais deux sans trois, hein ? Ok, Bob… Bon voilà : entre l’âge de treize et quinze ans, j’ai été abusée sexuellement par mon oncle paternel, d’abord, puis par chacun de ses trois fils.”
Le lieutenant Merle se sentit soudain prêt à reprendre du service dans l’instant. Le Robert Merle en civil, de prime abord abasourdi par cette déclaration inattendue, décida cependant de ne pas réagir. De laisser à Zounia le loisir de développer ou non. Ce qu’elle ne manqua pas de faire, puisqu’elle s’était lancée.
Zounia Ben Lemna s’ouvrit donc à son collègue et ami, après lui avoir fait de nouveau l’injonction de ne parler de ce qui allait suivre à personne, “absolument personne !”
Merle réitéra sa promesse d’un hochement pesant de la tête, le regard encore effaré de ce qu’il venait d’entendre.
Et Zounia raconta…
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On finit en chanson, hein ?
https://www.youtube.com/watch?v=8d-blfWHSng&list=RDvBHild0PiTE&index=3