J’ai rêvé d’une pièce de théâtre en un seul
acte. Du jamais lu ! De l’inédit ! Une pièce de théâtre qui ne mettrait pas en
scène des personnage de la vie réelle, mais plutôt les marionnettes qu'ils ont crées pour la toile. Oh, je ne l’ai pas encore écrite. J’aimerais
avoir votre avis avant. Je vous en fait un petit résumé ?
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Le drame se jouerait autour de trois
personnages, que dis-je, trois hologrammes : Papistache, Janeczka et Val, les pantins respectifs de Philippe,
Jessica et Valérie.
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Scène 1 :
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L’hologramme Papistache, un notable de la
blogosphère, entrerait en scène en premier, dans la cabine du bateau virtuel,
accompagné d'un garçon virtuel. Il visiterait, et se renseignerait d’abord sur
l’heure à laquelle est servi le thé, ou si le lieu est équipé d’une connexion
Internet haut débit, qui lui aurait permis de rester en contact régulier avec
Mamoune, qui elle était certainement partie pour le paradis. Le garçon se
moquerait de lui parce qu'un personnage virtuel n’a pas besoin de boire, ni
même d’entretenir des relations sentimentales avec d’autres personnages
virtuels.
Dans la cabine, il y ferait très
chaud, il n'y aurait pas de miroir, pas de fenêtres et pas de lits (un
personnage virtuel ne dort pas) . Seulement trois canapés. Sur le bateau
virtuel, comme sur la toile, les personnages n’ont pas besoin des choses
de la vraie vie.
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Scène 2
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Le garçon aurait quitté le bateau et
l’hologramme Papistache se retrouverait tout seul. Il essaierait de communiquer
avec la radio, en langage htlm, puis en
langage sms, mais elle ne marcherait pas, alors il tenterait de sortir
sur le pont mais les portes de la cabine virtuelle seraient bloquées. Le bateau
virtuel, les marionnettes n’en ressortent jamais…
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Scène 3
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L’hologramme Janeczka entrerait ensuite.
Elle demanderait à Papistache où se trouve sa blogamie Val, qu’elle chercherait
en vain, mais Papistache n’en saurait rien. Janeczka prendrait l’absence de
celle-ci pour une punition et Papistache pour le bourreau virtuel. Papistache rigolerait et
déclinerait sa vraie identité ( le pantin blogesque de Philippe) à Janeczka.
Il lui expliquerait la
situation : ils seraient virtuellement morts, et enfermés là pour l’éternité
certainement. Il affirmerait qu’il n’a pas peur.
Il lui proposerait aussi de conserver entre eux deux une extrême politesse, mais
ça ne fonctionnerait pas très bien, parce que tous les deux auraient très peur
et seraient très nerveux, et que Janeczka serait une vraie chipie avec lui.
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Scène 4
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L’hologramme Val entrerait enfin, et en
tout premier lieu elle prendrait Papistache pour quelqu’un qu'elle connaît.
Papistache lui répondrait que ce n’est qu’illusion… que si leurs créateurs
respectifs se connaissaient, eux, les pantins, n’avaient jamais été réunis dans
une même pièce.
Il se présenterait donc à elle et lui
expliquerait les règles. Val ne voudrait pas entendre parler de ces stupides
règles, s’exclamerait qu’ils ne sont plus à l’école, et préférerait s’inquiéter
des couleurs des canapés.
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Scène 5
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Val prétendrait ignorer la raison de sa
présence sur le bateau. Elle s'interrogerait par ailleurs quant à la raison
pour laquelle les trois personnages y auraient été réunis.
Papistache croirait qu'ils sont ici
tous les trois par pur hasard.
Janeczka, plus lucide, déclarerait que chacun
deviendrait, par la suite, un bourreau pour les autres et les forcerait à
avouer les crimes qu'ils auraient commis.
Les deux autres ne voudraient pas y croire.
Papistache, ne pouvant admettre une
telle hypothèse, préfèrerait s'isoler en espérant ainsi s’épargner et épargner
les autres, mais en vain.
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Scène 6
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Papistache finirait pas se dévoiler :
il expliquerait avoir torturé Michèle, l’épouse de son créateur, par la façon
dont il s’était immiscé entre elle et ce dernier. Se sentant de trop, il s’était lui-même éclipsé en héros,
s’affranchissant de celui qui le fit vivre durant deux années. Un matin, à
6h01, il aurait lâchement déserté le blog de son marionnettiste, sans signe
avant coureur, et sans même un adieu à ses blogamis.
Janeczka avouerait alors que contrairement à
Jessica, elle aimerait les femmes, et elle serait très méchante. Sa créatrice
l’aurait conçue à l’opposé de son propre caractère. Elle conterait la façon
dont elle et sa maîtresse virtuelle, rencontrée sur les blogs, ont réussi à
évincer et à assassiner Crouton et Manu, les marionnettes représentant les
époux de Valérie et Jessica, également crées par ces dernières.
Jessica avait eu des remords quant à son
époux. Elle avait elle-même choisi de tirer un trait et de tuer son propre
personnage virtuel.
En fin de compte Val raconterait, à
contrecœur, que Valérie était devenue dépendante de son blog et que cette
folle passion l’aurait empêché de continuer à s’occuper de ses enfants. La
blogueuse, consciente de sa dépendance, pensait à tirer un trait sur le personnage
qu’elle avait crée.
Val,
jalouse de l’amour que portait Valérie à ses petits, et les trouvant également encombrants pour vivre pleinement sa
passion avec Janeczka, aurait virtuellement noyés les personnages représentant
les enfants de Valérie.
Valérie, peinée d’en arriver là, aurait préféré faire mourir son personnage
d’une pneumonie plutôt que de le tuer elle-même.
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Scène 7
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Val s’éloignerait délibérément de Janeczka,
la pensant en partie responsable de leur mort à toutes les deux, ainsi que de
celle de leurs époux virtuels et de ses enfants virtuels. Elle rechercherait à présent du réconfort dans les bras de Papistache,
qui serait incapable de lui en donner : dans sa lâche désertion, il avait
également entraîné Mamoune dans son sillage, et il s’en voulait beaucoup.
De plus, Janeczka serait jalouse et
n'arrêterait pas de juger les deux autres pantins ironiquement.
Val, d’un geste désespéré, essayerait
d'assassiner Janeczka mais les trois personnages virtuels seraient tous déjà
morts, ensemble sur ce bateau. Pour l’éternité.
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L’enfer virtuel, c’est les autres
marionnettes.
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Epilogue :
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Philippe, Jessica et Valérie, les créateurs
des trois défunts personnages n'apparaîtraient qu'à ce moment là, les uns après
les autres. Ils seraient chacun entourés de leurs proches et de leurs conjoints
respectifs, à rire de bon cœur .
Ils n’auraient pas la moindre idée que les
personnages nés de leurs plumes, qu’ils avaient un jour décidé d’abandonner
sans remords, étaient désormais en enfer. L’enfer des personnages du net.
Il y a ceux qui cherchent la file la plus courte, les
chariots dégarnis ou la caissière la plus leste. Pas moi. A l’heure où tout un
chacun s’installe dans une attente éprouvante, c’est pour ma part avec l’envie
et la curiosité la plus saillante que je laisse mon regard dériver de caisses
en caisses. J’effleure les visages, je surligne les silhouettes, je plonge
prudemment dans le contenu des caddies. Et savez vous ? Invariablement, je
le trouve.
Il gesticule ou il parle fort, elle est belle à couper le
souffle, il est venu avec ses deux enfants en bas âge et a la gaucherie
émouvante des pères dépassés, elle est exubérante et ses vêtements feraient
pâlir de jalousie l’auguste le plus flamboyant.
Une personnalité. Quelqu’un qui par son attitude ou
l’émotion qu’il dégage émerge de cette foule monotone, monocorde, monochrome.
Alors, je pousse mon chariot vers sa file, et,
discrètement, un crayon et un carnet à la main, je laisse les palpitations de cette vie pour un instant offerte,
donner de la lumière à mes doigts d’artiste infécond.
Aventure authentique : le pauvre pépé( un peu sénile quand même) avait été précédemment
heurté par un chariot, heurt qui lui
avait coûté une fracture du fémur. Depuis, dans les files d’attente, quand il
estimait être trop proche de quelqu’un, il se « défendait » à coup de
canne ; j’étais le 3ème agressée de la matinée !
Bruno Martin sort de la banque. 18 h 01. La quarantaine bedonnante, costume gris bien coupé, cheveux courts, joues lisses, le pas assuré. Bruno Martin vit seul dans un petit appartement au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble parisien du VIIe arrondissement. Il est entré à la banque après son BEP et y a fait carrière. Il est sous-chef de l’agence de la Rue des Polonais Sobres.
Ce soir, comme chaque soir, au retour du travail, il descend le petit escalier qui mène à la cave. Les cages sont posées à même le sol. Il y en a trois. Ce sont des pièges. Un sourire illumine le visage poupin du banquier. L’une des cages est occupée. Bruno s’en empare en la tenant éloignée ; il ne tient pas à souiller son costume.
Bruno se déshabille et prend une douche pendant que, sur sa gazinière, chauffe une bassine d’eau. L’eau bout quand il sort de la salle de bains en peignoir éponge. Il se saisit de la cage et la plonge dans l’eau bouillante. Le rat ne se débat pas longtemps. Bruno est content, c’est le second rongeur qu’il capture ce mois-ci et nous sommes le 12. Un vendredi ! Le meilleur jour.
Bruno quitte son peignoir. Nu, il se dirige vers le placard mural de l’entrée et en tire une grosse valise aux motifs écossais. Il en sort une tenue élimée et d’une saleté familière aux désœuvrés des quais de Seine, ceux qui dorment dans des cartons. Un bonnet de laine mité complète l’ensemble ainsi que des godillots éventrés.
D’un geste sûr, Bruno triture, au fond d’un bol, une mixture faite d’eau, de farine et d’argile verte du docteur Hausmann. Il s’en badigeonne le visage, le cou et s’en frotte les mains. Tout à l’heure, quand la pâte aura séché, elle se desquamera en plaques du meilleur effet.
Le rat mort dans sa poche, Bruno quitte son appartement sans allumer la lampe du couloir.
La file d’attente pour “Barry Lyndon” est impressionnante. Carl est en permission ; sa petite amie, étudiante à Jussieu, lui a proposé un ciné. Carl a acquiescé même si la chambre de bonne de la demoiselle lui aurait mieux convenu après ces trois semaines de promiscuité masculine en Alsace.
Sur le large trottoir, un clochard déambule. Il tient sa main droite enfoncée dans sa poche. Un couple, bras-dessous, bras-dessus, déambule. Le clochard, d’une saleté repoussante et visiblement atteint d’une vilaine maladie de peau, psoriasis ou pire, brandit brutalement un immonde rat crevé sous le nez de la jeune femme qui pousse un cri d’horreur. Son compagnon, recule en croisant le regard illuminé du clochard. La file d’attente du cinéma tressaillit légèrement. Le couple s’éloigne.
Une femme seule portant un cabas qu’on devine lourd s’annonce. Le manège du clochard se reproduit. La femme saute littéralement en l’air et pousse un cri. La file d’attente esquisse un sourire. Le guichet n’ouvre pas encore. Le rat crevé est sorti vingt fois de la poche du manteau aux reflets verdâtres. Maintenant, la file d’attente anticipe les réactions des passants accrochés par le jeu du malheureux. Parfois un homme tente de porter un coup à l’ignoble mais renonce quand il aperçoit la peau de son visage.
Le guichet va bientôt ouvrir. Le rat regagne la poche fatiguée du caban malodorant. L’homme s’approche de la tête de la file d’attente et tend la main. Carl calcule que trois cents personnes sont rassemblées sur ce trottoir, si chacun ne donnait qu’un franc même, à ce pauvre hère, il gagnerait en une demi-heure autant que lui en quatre mois de solde. Au fond de sa poche, les pièces jaunes qu’il a économisées pour payer les deux places de cinéma ne pèsent guère. Il refuse l’aumône au piteux amuseur. Le rat jaillit de la poche. L’amie de Carl se blottit dans ses bras. Le clochard hurle en brandissant son hideux trophée : — Quand on n’a pas les moyens, on reste à baiser dans sa piaule ! La tête de la file d’attente s’ébranle. Le montreur de rat poursuit sa quête. Derrière Carl et son amie, personne n’ose refuser sa pièce au vilain.
Le vendredi, en général, Bruno parvient à se faire ainsi jusqu’à cinq files d’attente. Au départ, il voulait économiser pour s’installer à son compte comme conseiller financier dans une ville balnéaire. Il aurait largement de quoi maintenant, mais il n’imagine plus de vivre sans cette montée d’adrénaline que lui procure son petit jeu, et puis, quelle autre ville que Paris peut lui offrir rats, discrétion, et aussi nombreuses et longues files d’attente ?
Je pousse la porte de la clinique,
m’annonce à la réceptionniste et m’assois. Je suis contente qu’Anne-Marie ne
travaille pas cet après-midi, j’aurais été incapable de lui faire face. Au fil
des semaines, une belle complicité s’était installée entre nous mais là, non,
je n’aurais pas pu, pas aujourd’hui, pas encore, il est trop tôt. Je jette un
coup d’œil sur les revues feuilletées par des centaines de mains fébriles pour
éviter de fixer ceux, celles, qui ont pris place dans la salle d’attente. Un
quotidien, Femme d’aujourd’hui, Paris
Match, Clin d’œil, Enfants Québec : mon cœur se serre un instant. Je
fouille dans mon sac pour en extirper un livre. Je l’ouvre un peu trop
rapidement et mon signet s’en échappe. Je passe un instant mon doigt sur le
carton bleu pâle, les fleurs séchées, les lettres tracées de façon légèrement hésitante :
« Maman, tu es plus belle qu’une rose. Je t’aime. » Je le retourne, jette un
coup d’œil sur la date : deux ans déjà. À cette heure-ci, mon petit homme
est en cours de gym, vraisemblablement rouge comme un coquelicot, la sueur
perlant à ses tempes. Mon grand… Cours,
ris, joue! Moi, je ne peux pas, j’ai oublié comment.
Une voix déformée crépite dans le micro.
Une femme sursaute, secoue son amoureux, endormi sur son épaule. Travaille-t-il
de nuit? A-t-il soigné un enfant malade? Il s’éveille d’un coup sec, vaguement désorienté,
puis se lève en souriant, enfouissant la main de sa femme dans la sienne. Elle
marche les jambes légèrement écartées, le dos cambré. Je ferme les yeux pour ne
pas voir la rondeur insolente de ses formes, l’éclat radieux de ses traits, le
tissu tendu sur ses chairs. J’attends quelques secondes avant de les ouvrir à
nouveau. Mon regard s’accroche à ces lignes : « Les gens tiennent à la vie plus qu’à n'importe quoi, c'est même
marrant quand on pense à toutes les belles choses qu’il y a dans le monde. » Je
ne peux pas lire ça, je ne veux pas, je ne sais pas comment.
La sonnette de la porte d’entrée tinte. Une
jeune femme, seule, le regard fuyant, se pose devant moi. Ses ongles rongés
dépassent à peine des manches trop longues d’un chandail de laine noire élimé.
Son corps clame tout haut ce que je hurle tout bas : le désespoir, la
colère, l’incompréhension, la volonté d’arrêter le temps, de changer son cours.
Je passe un instant ma main sur mon ventre plat, creux, vide, vidé de sa
substance. Comme à chaque instant depuis deux semaines, l’absence déchire mes entrailles,
mon souffle se rompt, mes yeux se gorgent de larmes. Je voudrais arrêter le sang
qui, sournoisement, s’écoule de moi, ne pas percevoir son odeur âcre, le parfum
de mort qui s’en dégage. Il ne pouvait pas vivre, il ne voulait pas vivre.
Peut-être a-t-il retrouvé le chemin du paradis? Peut-être se tient-il sur son
pourtour, dans l’attente d’une meilleure mère, de quelqu’un qui aurait pu mieux
l’accueillir? Pourquoi cette histoire d’amour entre nous deux n’a-t-elle pu
être consommée? Mon petit, mon tout-petit, mon si petit, je t’aurais tout
donné, je me serais offerte à toi, j’aurais volé pour toi. Pourquoi en as-tu
douté? Reviens-moi, redeviens moi, viens en moi. Gruge-moi de l’intérieur, fais
du grabuge tant que tu voudras mais comble le vide, remplis-moi, déplie-moi.
Une voix métallique égrène les syllabes de
mon nom. Lentement, je remets mon livre dans mon sac, je ravale mes larmes. Je
chancelle, je chavire, je sombre. Sans toi, je ne peux plus avancer, je ne veux
plus, je ne sais plus comment.
La citation est tirée de La vie devant soi
de Romain Gary (Émile Ajar)
Jeudi, 14 heures, salle d'attente d'un psychanalyste. Je me sens un peu
neveuse, et je crois que les autres patients le sont egalement.
Il y a trois personnes en tout avec moi. Nous sommes dispersees aux quatre
coins de la vaste salle d'attente (ce qui est plutot un exploit pour trois
personnes). Les autres font semblant de compulser un article de Voici ou
Monsieur Cigaro, relevent de temps en temps le nex pour examiner un
detail du papier peint fleuri, croisent mon regard, et baissent la tete
aussitot.
Le tic-tac lugubre d'une horloge suisse egrene les secondes telles des heures, des
annees, des millenaires.
Il ne manquerait plus qu’un corbeau se faufile par la fenetre
entrouverte et se mette a croasser: ‘Jamais plus...’
Mon medecin est en retard – comme depuis le premier jour. Pas de
beaucoup, mais suffisament pour me faire languir.
Ce que je fais la? Vous vous souvenez de cette histoire de drakkar
fantome? J’en suis devenue presque folle. J’etais obsedee par les bateaux
nordiques. Je voyais des Vikings partout – dans les parkings, dans les romans
de Stephen King... je n’en dormais plus!! J’entendais des bruits ou des bribes
de conversations et je m’imaginais des choses insensees... on m’a suggere de
consulter.
Depuis ca va mieux... grace a mon psychanalyste. Ses moustaches blondes
et ses yeux azur lui donnent l’air d’un fier soldat des mers. Je suis sure que sous sa chemise se cachent des
muscles dignes de Thor. Je nous imaginerais bien larguant les amarres et partir
pour Valhalla... un casque a cornes lui irait comme un gant... des cornes d’abondance,
bien sur...
Nous en étions là, sous le panneau :
« enlèvement de la marchandise ».
Enfin !
C’était après avoir longuement comparé les
prix et les caractéristiques des divers ordinateurs portables et autres tours
informatiques, après avoir commandé, puis négocié le prix et payé. Bref, nous
étions devant la dernière ligne droite.
Il n’y avait pas grand monde devant nous, une,
deux personnes ? Je ne m’en souviens plus.
Mais si près du but, de la sortie devrais-je
dire, cela me paru interminable.
Comme toujours dans ce cas-là, je laissais
vagabonder mon regard à l’affût d’une lumière particulière, d’un reflet
significatif ; prête à dégainer mon appareil photo.
Quant tout à coup, mon regard fut fasciné par
un ensemble de pancartes disposées sur une porte.
Mon imagination commença à délirer…
Le logo des toilettes accessibles aux
personnes handicapées était associé à celui de la poubelle. Pire, le lieu était
dit « sans issue ».
Une fois entré dans les lieux, pouvait-on en
sortir ?
Qu’arrivait-il aux personnes osant franchir
cette porte ?
Etait-ce un nouveau moyen de se débarrasser,
sans avoir l’air, d’une minorité encombrante ?
Je commençais à imaginer un scénario de SF,
voire d’anticipation, où des disparitions apparemment inexpliquées ne seraient
pourtant pas dues au hasard, mais à une machination machiavélique d’hommes et
de femmes « bien portants » désirant nettoyer le monde de « ses
nuisibles »…
« Vanina, tu viens, on a
tout ! »
Ces quelques mots prononcé à mon encontre me
réveillèrent.
Bien qu’une vidange de vessie eût été
opportune, j’ignorais cette porte à l’invitation peu engageante…
Mais avant de quitter les lieux, je fis un
cliché, histoire de vérifier le soir même que j’avais bien fait un cauchemar,
éveillée !
72 minutes pour
faire les courses. Les produits les moins chers. Ne rien oublier
Je regarde
devant moi la longue file fatiguée. Un, deux, trois… Ils sont six à me
précéder.
La caissière a
l’air d’être une novice. Elle a le sourire emprunté de ceux qui ont peur de
faire une erreur. Un vendredi à 18h47. Elle a dû déjà subir pas mal de
remarques désobligeantes. Sur sa lenteur. Sur ses gestes peu dégourdis. Mais le
pire c’est sans doute ces mots muets, méprisants, sur ses fines tresses et sa
peau mate. Yvonne, ma copine a une grande sœur Hortense. Elle pleurait le jour
où elle s’est fait renvoyait de l’hyper d’à côté. Pas assez rapide. Ou elle ne
plaisait pas. Je ne m’en souviens plus. De toute façon, l’excuse pour la virer
était bidon.
Je tire de ma
poche le portable de ma mère et un vieux livre. Pas de message. Pas de j’ai oublié le ketchup, le shampoing, les
saucisses…
Sur un fond de
musique pénible, un mec hurle dans les hauts parleurs que là, maintenant, pour
un paquet de jambon acheté, un offert. Je m’en fous.
Je suis seule.
Partie, barrée. N’importe où. Dans les affres distillées par Stephen King,
coincée entre le rouge et le noir de Stendhal. En équilibre sur mon caddy
poussif, je m’envole.
Ca passe vite,
mine de rien, vingt minutes à la caisse.
Plus vite que si
j’étais chez nous. Là-bas, les tout-petits chialent, les grands ne pensent qu’à
me faire tourner en bourrique et ma mère. Elle attend que son dernier mec
revienne pour une nuit ou pour un mois. Ou jamais. Mais ça je ne lui dis pas.
Heureusement elle
déteste les courses. D’abord, elle ne sait pas acheter. L’argent s’évapore de
ses mains grises.
Elle n’aime pas
non plus le regard des autres qui s’attardent sur sa taille épaisse sous ses
vêtements défraîchis.
Et surtout les
files d’attente lui fichent le bourdon.
(Ce texte constitue la suite de : Une salle d’attente intersidérale)
- Qu’est-ce qui vous amène,
Monsieur ? Monsieur… ?
- Joe35, docteur. Je viens de la
planète Mars où je suis scénariste-décorateur.
- Je vois très peu de vos
congénères mais j’ai reconnu votre peau verte, vos quatre mains… Pendant des
siècles vous vous êtes rendus invisibles de nous et maintenant, en tant qu’immortels,
vous désespérez ma profession !
- C’est vrai que nous ne sommes
jamais malades. C’est donc encore plus inquiétant pour nous quand nous
éprouvons un, disons…
- Pet de travers ?
- … des petits soucis, en fait.
- Et quels sont-ils, dites
moi ?
- Ils sont de deux ordres mais
constituent peut-être les symptômes d’un seul et même… désagrément. Tout
d’abord, je n’entends plus les grillons.
- Il y a des grillons sur la
planète Mars ?
- On en met. Ce sont ceux que
nous fabriquons. Vous n’êtes pas sans savoir que la planète a reçu pour mission
d’être le Hollywood de l’univers. Nous mettons à disposition de tous des parcs
de loisirs thématiques reconstitués d’après nos connaissances infinies sur les
civilisations à jamais disparues. Vous n’êtes jamais venu sur Mars, docteur
D. ?
- Si, bien sûr. J’y suis allé en
voyage de noces. Votre reconstituion de Renezia m’a beaucoup plu.
- Venezia !
- Oui, si vous voulez. Je crois
qu’ils voulaient qu’on l’appelle Venise en ancien français. C’était très réussi
mais vous n’aviez aucun mérite !
- Comment cela, aucun
mérite ?
- Des canaux, sur la planète
rouge, il y en a toujours eu ! C’est comme du cassoulet dans la ville
rose !
Le docteur D. commençait à me
plaire. D’habitude les Terriens sont nuls en géographie, ignorants en histoire
et ne se passionnent que pour les combats symboliques les opposant les uns aux
autres : marathon, jeux olympiques, matches de balle au pied, courses de
vachettes, lancer de nains, concours de la plus longue andouille de Vire, etc.
On sait aussi que ces joutes diverses et variées sont l’occasion de libations
et de beuveries alcoolisées à la fin de banquets au cours desquels on sert,
quelle horreur, du sanglier, du cheval ou toutes sortes d’animaux morts. Ce
disciple d’Hippocrate ne roulait donc pas au picrate ?
- Soit ! répondis-je. Il
arrive que les clients ne soient pas satisfaits de nous ou que nous ne soyons
pas à la hauteur de la reconstitution. Eh bien voyez-vous, c’est justement mon
cas. J’étais récemment chargé de redonner à Hollywond-on-Mars un opéra d’Eric
Rohmer intitulé « La Collectionneuse »
- Attendez, qu’est-ce que c’est
déjà, « collectionneuse » ? Ce sont ces dames qui allaient jadis
dans les brocantes, les vide-greniers acheter des sièges pour bébé, des
aspirateurs, des couffins, des tables basses ou des houpert-brone, c’est
ça ?
Je tiquai à l’évocation de ce
dernier article ! Comment donc savait-il ? Que savait-il ?
- Pas exactement, docteur. C’est
une histoire qui se passe dans le Lubéron pendant les vacances. Il y a deux
jeunes hommes qui cohabitent avec une jeune fille du pays dont je dirai qu’elle
est… peu farouche mais ne s’intéresse pas à eux et se moque de leurs théories
sur l’amour. J’étais responsable de ce décor : la villa, les petites
routes de Provence, le port de Saint-Tropez, une potiche rarissime, des siestes
au soleil, l’apéro, les grillons. Tout a très bien marché sauf qu’on
n’entendait pas les grillons !
- C’est un point de détail, vous
ne trouvez pas ?
- C'est-à-dire que tout le monde
autour de moi, Map53, Fabeli12, Tilu44, Brigou62 et Val28 entendaient les
grillons, mais moi, je n’oyais rien !
- Et pourtant vous avez six
paires d’oreilles comme tous vos congénères !
- Absolument ! C’est
absurde, n’est-ce pas ?
- Non, ce n’est pas une
absurdité, c’est peut-être simplement un début de surdité ?
- Ce n’est pas tout,
docteur ! Après, il y a eu le ratage de l’Iowa State Fair.
- Racontez-moi ça ! Je suis
tout ouïe même si je n’en ai que deux comme papa ! Vous savez, je suis
comme tout le monde, je raffole des potins et popotins d’Hollywood-on-Mars !
- C’était un travail à priori
facile. Une reconstitution de la plus grande fête foraine au monde avec
manèges, grandes roues, trains-fantômes etc.
- La fête à Neuneu ! Luna
Park ! La foire du trône avec des chaises percées qui donnent des Louis
d’or !
Ce médecin était sidérant !
- Tout avait très bien commencé
par un discours du gouverneur de l’Etat : « C’est ici la journée que
l’Eternel a fayte, vivons la dans la joye, exultons d’allégresse ! ».
Le public est arrivé nombreux, a admiré la vache en beurre, est monté dans les
manèges, à participé à la staraque, mangé de la barbe à papa et puis soudain tout
s’est mis à foirer. M. Rutie-Tutie-Fwink-Fwink qui faisait une conférence
humoristique sur les tableaux d’Edward Hooper s’est transformé en chat, dans le
cabaret des strip-teaseuses celles-ci ont eu quatre-vingt deux ans d’un seul
coup, on a trouvé un anaconda géant derrière une boîte aux lettres et l’eau du
lac Wapello s’est évaporée !
- C’est peut-être le chat qui a
lapé l’eau du lac Wapello ? Ou maître Capello ?
- Il y a eu pire,
docteur !Une chanteuse de la
staraque s’est pendue avec une corde de guitare et une Martienne anthropophage
a dévoré le gros Rufus ! Alors tout le monde m’est tombé dessus ! On
m’a dit « Las Vargas, c’est pas dans l’Iowa, Joe35 ! »
- Las Vargas ?
- C’est un auteur de romans
policiers oubliés du passé. Vous ne pouvez pas la connaître, vos bibliothèques
ont brûlé et votre réseau a fondu. Je termine, docteur, par l’apothéose avec
l’aventure de Martine27.
- Oui ?
- Elle m’a demandé de lui trouver
un Houpert-Brone !
- Et… Attendez, je crois deviner :
vous ne savez pas ce que c’est !
- Exact ! Je ne sais pas ce
qu’est un Houpert-Brone ! Ca me rend fou ! Je suis censé tout
connaître sur tout et je bute sur ce truc depuis huit jours. Qu’est-ce que vous
pouvez faire pour moi, docteur ? Pour la première fois de ma longue
existence je me sens complètement paniqué, angoissé, j’ai du mal à dormir sur
mes douze oreilles et j’ai comme des nœuds dans la poche ventrale !
- Ah ça, mon vieux, ce sont les
Talleyrand !
- Les Talleyrand ?
- Oui, les Talleyrand. Ecoutez,
Joe35, je ne vais même pas avoir besoin de vous ausculter tant votre problème
est simple ! Prenons d’abord les grillons. Vous savez très bien qu’en cas
de fin de l’Univers, ce sont les insectes qui survivront en dernier à toute autre
espèce. Si vous n’entendez pas les grillons, c’est parce que ceux-ci
représentent la fin du monde à laquelle vous ne voulez pas croire.
- Mais forcément, docteur,
puisque nous les Martiens nous sommes immortels !
- Peut-être ! Mais
l’éternité, c’est long, surtout vers la fin ! Le drakkar viking que vous
avez vu tout à l’heure est venu me voir pour les mêmes raisons. Tout le monde a
droit à des baisses de tension momentanées ou à des traversées du désert. Maintenant,
l’Iowa. Où avez-vous pris vos sources pour votre parc d’attractions ?
- Vous savez bien que c’est top
secret, doc ! Notre mission à nous Martiens c’est d’emmagasiner les
connaissancesgrâce à notre mémoire
prodigieuse et…
- Taratatouille ! Une
centaine de Martiens et Martiennes ne peut pas tout savoir ni tout
retenir ! Je n’ai jamais cru à cette fable ! Par contre j’ai entendu
parler des aventuriers des 3W perdus. Toutes les connaissances mises en réseau
à destination de tous sur des ordinateurs en pire to the pire de
Shakespeare !
- Mais c’est purement et
simplement du délire ! Une utopie jamais réalisée et dangereuse qui plus
est ! Pourquoi pas le communisme au lieu de la géométrique dans l’espace
pendant que vous y êtes ?
- Vous faites comme vous voulez
mais personnellement je ne serais pas étonné si on me disait que l’article IOWA
dans votre Wikipédalopithèque a été remplacé par plaisanterie par l’article
IOWAGIRL qui vient tout de suite après !
- Remplacé ? Iowagirl ?
Qu’est-ce que ce que ça que c’est ?
- Vous voyez que vous ne savez
pas tout ! Cherchez, et vous trouverez. C’est comme le Houpert-Brone. Il
était devant vous et vous ne l’avez pas vu ! Ouvrez donc un des sachets de
votre poche ventrale !
- Ce sont des Louis d’or ?
- Pas du tout ! Regardez-y
de plus près ! Ce sont des pièces en chocolat à l’effigie de Talleyrand
emmaillotées dans une résille ! Vous avez eu un bon réflexe en les
ramassant comme je l’ai fait moi-même tout à l’heure après le départ de la
chaise percée. Voyez-vous, cela ne vaut rien du tout. Pardonnez-moi, mais ce Talleyrand,
c’est de la merde dans un bas de soie ! En sortant d’ici, déposez donc un
sachet sur le trottoir et marchez dedans du pied gauche, ça porte
bonheur ! Vous avez compris l’anagramme, maintenant ? Houpert-Brone,
Porte-bonheur ?
- Ca alors !
Je reconnus intérieurement que ce
type était très fort. Je m’avouai vaincu :
- Et… Pour mes crises d’angoisse,
docteur ?
- Elles devraient sérieusement se
réduire quand vous aurez admis que j’ai raison sur les trois points. Sinon, je
vous prescris du Fludex, comme à tout le monde. Un comprimé chaque matin avec
votre bol de pois cassés et votre menthe à l’eau. La pharmacie Palaiseau est à
50 mètres sur votre gauche en sortant.
En guise de paiement, le docteur
m’a demandé les trois sachets de Talleyrand qui me restaient. Je suis passé à
la pharmacie et je me suis téléporté au siège de notre consortium. Le toubib
avait raison pour Iowa et Iowagirl ! Nous avons rectifié nos fichiers.
Pour les grillons j’ai prévenu Françoise76 qui éprouvait les mêmes symptômes
que moi des possibilités de coup de mou en cas d’hypertension
spatio-temporelle.
Depuis que j’ai raconté cette
entrevue à mes congénères nous nous demandons si nous ne manquerions pas, quelque
part, de ce que les Terriens appelaient autrefois « humour » ou
« fantaisie ». Peut-être tout un pan de la littérature mondiale nous
a-t-il échappé ? En raison de mon coup de fatigue, j’ai été affecté à la
bibliothèque, dans nos sous-sols, là où sont cachés nos ordinateurs. Je suis
chargé d’effectuer des recherches sur ce point dans nos collections. J’ai
commencé par éplucher le Télégramme de Brest de 1869 mais je n’ai rien trouvé
encore.
Il faut peut-être aussi se méfier
des assertions du docteur Olive D. Nous avons entrepris aussi des recherches
sur le suffixe INGO qui figure sur sa plaque. Peut-être cela signifie-t-il,
tout simplement, que ce type est un peu piqué, non ?
Avec l’universalisation et toutes
les délocalisations qu’elle entraîne, il faut aller maintenant jusqu’à Proxima
du Centaurepour trouver un hôpital
correct et sur Terra pour consulter un médecin. Depuis la planète Mars, ça fait
quand même une sacrée trotte, vous ne trouvez pas ?
Mais je suis de très mauvaise
foi. Nous autres, les Martiens, nous sommes immortels, invulnérables,
« toujours verts ! » comme dit mon ami Papistache61.
« Pareils aux Académiciens du beau pays de France ! ». De plus,
nous nous téléportons sans problème en même pas une seconde vers n’importe quel
point de la galaxie Gutenberg. Si vous ajoutez à cela que nous pouvons nous
rendre invisibles et que nous sommes également télépathes, vous vous demanderez
bien pourquoi je m’étais rendu ce jour-là dans la salle d’attente du docteur
Olive D.
Son cabinet était situé sur Terra
Incognita, à Pârhys pour être précis, près de la gare Montparnasse qui n’était
plus qu’une carcasse. Les guerres tribales auxquelles se sont livrés les
Terriens au XXIIe siècle de leur ère ont considérablement modifié et apauvri
leurs paysages urbains. Heureusement que l’Etat-Major Cosmique les a interdits
de délocalisation sur d’autres planètes ! Nous n’aurions pas supporté sur
Mars leur inculture phénoménale, leurs casernes et leurs mœurs très
particulières de pseudo-conquérants arrogants et toujours agressifs.
Lorsque j’entrai dans la salle
d’attente du docteur D., il y avait quatre personnes assises là à attendre leur
tour. Après avoir lancé un « Bonjour » un peu gêné à cette assemblée
hétéroclite, j’allai m’asseoir sur le seul siège resté inoccupé, non sans
m’étonner qu’il fût percé en son milieu d’un cercle parfait à l’endroit où l’on
pose d’habitude son fondement.
Je pris appui, à l’aide d’un de
mes quatre bras sur celui du fauteuil pour poser céans mon séant mais à peine
avais-je touché cette « commodité de la conversation » d’un genre un
peu particulier qu’une voix sépulcrale en sortit et me dit :
- Je vous signale, Messire, que
cet emplacement est déjà occupé par moi-même. Au cas où ne vous l’auriez pas
remarqué, je ne suis pas un siège ordinaire pour les postérieurs de manants de
votre espèce. Je suis d’ailleurs là en tant que client fidèle du docteur D. Je
viens m’allonger régulièrement sur son divan pour qu’il prenne en compte et
soigne mes problèmes. Attendez debout ou comme disait Corneille « Prends un siège, Cinna, et
assieds-toi par terre et prends aussi patience au milieu des mystères ».
Vous voudrez bien considérer que nous sommes six à passer avant vous à la
consultation. »
Je m’exécutai platement et allai
me positionner dans un coin de la pièce. J’observai l’assemblée et tendis mes
antennes. Six ! Il avait dit « six » ! Si cette chaise
percée était le cinquième client, quel était donc le sixième ? Je me fis
le plus discret possible et me mis en état de capter les pensées de chacun des
patients.
Il y avait à ma droite une
superbe Vénusienne à coquilles. Vraiment très jolie, ma foi, malgré ces
oreilles en forme de coquillage dans lesquelles on entend, dit-on, le bruit que
font ou ont fait toutes les mers de l’Univers. Cette citoyenne-ci avait perdu
toutefois de sa tranquillité depuis qu’un ermite parasite était venu loger dans
son oreille gauche. D’habitude, tout ce qui entre dans une oreille de
Vénusienne ressort par l’autre. C’est le fameux théorème de Botticelli qui dit
cela : « l’amour est aveugle et la beauté rend sourd ». Cela est
vérifié sur la planète Vénus où l’on ne trouve que des femmes mannequins
acoquinées avec des gladiateurs de balle au pied, ce sport universel que nous
Martiens, trop intellectuels que nous sommes, ne pratiquons jamais.
J’aurais bien entrepris la belle
car je venais moi aussi questionner le toubib pour des questions d’oreille mais
je me souvins juste à temps que les Vénusiennes ont en général du vent solaire
dans le cerveau et du cuir en pagaille dans la conversation.
A sa droite, bien reconnaissable
à son carénage rutilant et à son air faussement détaché, un robot K2R2 de Bételgeuse
venait consulter pour des problèmes d’huile de coude et de tache au poumon
gauche.
A ma gauche, le dos à la fenêtre,
un livreur de pianos de Saturne s’était démis l’épaule. Bien que nous soyons,
nous, Martiens, très sensibles à la musique et aux arts, le faciès assez
répugnant de ce déménageur me coupa toute envie de nouer conversation avec lui.
Ne restait plus dès lors que
l’androïde guerrier du Manganyka mais ces monstres de plastique en costume de
samouraï ne savent dire que « Banzaï » et se font des entailles dans
le poitrail sans même dire « Aïe ». Celui-là s’était entamé le doigt
en ouvrant une boîte de conserve. Il sortait encore de son index ce fameux sang
bleu des androïdes qui se transforme au contact de l’air en laine de mouton
électrique.
C’était bizarre ! Je ne
percevais pas une seule des pensées émanant du sixième malade. Sans doute
s’agissait-il d’un mutant de Terra, comme cette chaise percée parlante avec qui
je décidai de converser, faute de mieux.
- Excusez-moi pour tout à l’heure !
Je ne vous avais pas reconnue !
- C’est que je ne suis pas un
modèle courant. J’ai appartenu à Louis XIV, savez-vous ?
- Vous fûtes à Versailles au
Grand siècle ? Vous servîtes sous le roi Soleil ?
- Oui et j’y suis restée à
Versailles mais dans de bien piètres conditions. C’est pour cela que je viens
consulter. On m’a confinée dans un cabinet, celui des affaires étrangères. Un
endroit que personne ne visite plus. C’est une injustice qu’il faut à tout prix
réparer. Dans les lieux d’aisance, la vie n’est pas facile !
- Vous croyez que le docteur D.
peut quelque chose pour vous ?
- On dit qu’il fait des miracles,
vous savez !
- Il ne pourra pas faire
cependant que Terra redevienne un lieu de tourisme ! Tout votre patrimoine
historique a disparu lors de la troisième guerre mondiale et à part des
mutants, des chanteuses sans voix et des mercenaires sportifs, il n’y a plus
rien de bien faramineux sur votre planète.
- Je ne m’inquiète pas. J’ai la
foi. Un jour je redeviendrai célèbre grâce au cinéma-life. Hollywood-on-Mars
m’engagera à nouveau !
Je me gardai bien de la
détromper. Il n’était pas question que je lui dévoile la manière dont
fonctionne notre industrie du spectacle sur Mars. Nous n’avons besoin, pour
reconstituer en 3D Versailles, les jardins suspendus de Babylone ou le palais
de Cléopâtre, ni d’accessoires, ni d’acteurs ni même de stuc ou de pierre
taillée. Notre imagination, nos connaissances encyclopédiques et nos pouvoirs
télékinésiques suffisent à projeter des décors grandioses et des scénarios de
tout premier ordre qui permettent à l’Univers entier de venir en masse se
dépayser chez nous.
A ce moment-là, la porte s’ouvrit
de manière énergique. Le docteur Olive D., un grand type énergique portant
moustache et cheveux ondulés tirés en arrière lança : « Au
suivant !»
On vit alors s’élever de la table
basse un petit objet décoratif auquel je n’avais jusque là pas prêté attention.
Il s’agissait d’un drakkar miniature, très joli, manœuvré par une petite armée
de Vikings intemporels. Je compris alors qu’il me fallait changer ma longueur
d’ondes de manière à capter Radio Science Fiction au lieu de RTréel et
j’entendis les fiers guerriers deviser ainsi entre eux :
- Hissez la grand voile !
Mettez le paquet ! Far-Farrer, regarde, nous arrivons enfin dans la
forteresse d’Anksar !
- C’est la nuit des cadeaux,
Ragnar ! Nous allons pouvoir réparer lesavaries que nous ont fait subir les géants de Nordrey et surtout remplir
notre chaudron magique avec… Avec quoi, les gars ?
Et j’entendis l’ensemble des
rameurs clamer en chœur :
- Du Fludex !
La porte une fois refermée, je
songeai que je raconterais à mon retour cette anecdote à Janeczka89. Ca lui
donnerait peut-être une idée de parc de loisirs scandinave à base de dragons
antiques et de fjords en kit.
Ensuite, ce fut au tour de la
chaise percée. Il se passa encore une chose bizarre. A l’endroit où elle était
posée restèrent, une fois qu’elle eut quittée le cabinet médical, quatre petits
sachets ressemblant à des bas de nylon roulés dans lesquels scintillaient des
pièces d’or, sans doute des Louis.
J’hésitai un instant puis,
constatant l’apathie de la Vénus potelée, le silence du robot à retaper,
l’hébétude du déménageur au nez épaté et l’indifférence de l’androïde coagulé,
je ramassai les quatre sachets et les glissai dans ma poche ventrale.
Trois quarts d’heure après ceci,
ce fut mon tour de consulter. J’allais peut-être enfin savoir ce qu’était un
Houpert-Brone et pourquoi je n’entendais plus les grillons.
(Ce texte a pour suite : Une consultation intersidérante)
15 caisses ouvertes, 8 caddies remplis à ras
bord à chacune d’entre elles ….
Grrrrrr, bouhouhouh, grarf, bachibouzouk,
pompe à vélo !!!!
Comme d’hab, je maudis le p’tit bobo de
bidule, les états d’âme de truc, la « manque de professionnalisme »
des animateurs qui me demandent le matériel pour avant-hier……. (heu… Teb,
t’avais qu’à leur demander hier soir, aussi, au lieu d’aller au lit rêver à je
ne sais quoi ;-)) … si, je sais
Bref, je maudis tout ça qui m’a empêchée de
partir faire les courses dès potron-minet (z’avez vu, Papistache, j’l’ai bien
dit ;-))
Vite,
le sucre glace qui manque pour les cornes de
gazelle,
les 120 pains au lait et les 12 barres
bretonnes pour le goûter des affamés,
les 8 bouteilles de coca pour le bar,
une paire de tongs taille 38 pour truc muche
qui a cassé les siennes
des épices à couscous…. Pffff, c’est où, ça….
Y’a un monde fou !!!! Mais Aïcha va me tuer si je ne lui trouve pas SES
épices pour SON couscous…. A-t-on idée de cacher ça au dessus du rayon
viandes !!!
Bon…. Ben…. Quand faut y’aller faut
y’aller !!!!
TOUTES les files d’attente s’étendent jusqu’au
milieu du rayon suivant….
Aie aie
aie…
J’aime PAS attendre !!!!!
Grrr, je m’étais pourtant promis de ne plus
aller à Champion à cette heure… Un samedi en plus, les touristes viennent
d’arriver (hé,
Teb, t’es quoi, toi ???)
Allez, vais en profiter pour faire mon
courrier sms….
Réponse à Marie qui demande des nouvelles….
Envoi d’un petit coquin pour LUI qui va rougir
en lisant (comme je rougis en écrivant)
Oups… j’ai failli rater mon tour !!!!
Ah, ben j’ai encore choisi la bonne caisse… un
tout petit tapis riquiqui…. Pour mon caddie d’ogresse !!!!
Heureusement, je sors un article de chaque
sorte et énonce la quantité……
Quoi ??? le prix des épices ??? J’en
sais fichtre rien, moi !!!! Et voilà, on attend encore…
Petit sourire d’excuses aux suivants…. Pas ma
faute, à moi ;-))
Enfin, c’est presque fini…..
Ben oui, presque, parce que Teb-la-purge… elle
paie en « débit différé ».. procédure complexe qui lui permet de ne
faire qu’une ligne d’écriture dans sa compta, mais qui agace les caissières, et
les clients qui attendent…..
Bon, ben bravo aux courageux qui ont lu
jusqu’au bout, parce que les files d’attente, quand on peut esquiver, n’est ce
pas !!!!!
J’ai le numéro six cent soixante douze. J’suis pas prés de
sortir d’ici ! J’en ai certainement pour la journée ! Et pourtant,
j’suis arrivé aux aurores comme on me l’avait conseillé.
Numéro cent dix ! A vous !
Cent dix ? Pff ! J’vais en avoir pour des
jours ! J’espère au moins que j’ai tous mes papiers, ça serait malheureux
d’être obligé de revenir. C’est que, je sais comment ça se passe, là
dedans ! Il vous manque un formulaire, et ils prennent pas votre
dossier !
Numéro deux cent un ?
J’le crois pas ! C’est super long ! Midi passé…
J’espère que Josiane va pas
s’inquiéter… Encore heureux qu’ils passent avec des sandwichs et des boissons
fraîches aux heures des repas ! J’peux même pas lire un magasine, en plus.
Ils sont tous pris. J’aurais du apporter un bouquin… Je commence à m’ennuyer
ferme, et le pire, c’est que j’suis pas prés de passer !
Numéro deux cent quatre vingt douze !
Ils ont changé d’équipe. Peut-être que les nouveaux seront
plus rapides.
Non, merci, j’veux pas de goûter, ça ira. Comment ça, vous
repassez pas avant vingt heures ? C’est que, j’espère bien ne pas avoir à dîner
là !
Pourquoi il me
rigole au nez, ce con, quand j’dis ça ?
Numéro trois cent cinquante ?
Bon, j’vais quand même appeler Josiane de la cabine pour la
prévenir que je serai certainement pas là pour le dîner, voir pour le coucher.
J’vais même lui dire qu’à ce rythme j’suis même pas certain de sortir d’ici un
jour. Elle va halluciner, la Josiane !
Comment ça, faut prendre un ticket pour la cabine ?
Quel truc de cinglé !
Numéro quatre cent deux… le quatre cent deux, s’il
vous plait ?
Bon, si en plus ils accourent pas, les mecs, on est pas
sortis ! N’empêche, j’ai bon espoir, ça commence un peu à se vider. La
preuve, j’ai enfin une chaise de disponible. C’est pas trop tôt, j’ai super mal
aux pieds, moi ! Cool, y’a même un Voici Paris de juin 2002 qui s’est
libéré.
Hein ? Quoi ? Faut prendre un ticket pour lire les
Voici Paris ? C’est la meilleure, ça !
Hein ?
Ah, non, il plaisantais, le monsieur ? C’est qu’il en
a, de l’humour, ce con !
Le quatre cent soixante dix !
Oui, je vais prendre un Panini au chèvre, une barquette de
frite et une bière, s’il vous plait !
Putain, une journée entière à poireauter ici. J’suis
dégoûté ! J’sais même pas quel temps il a fait aujourd’hui ! Y’a même
pas de fenêtre dans cette putain de salle d’attente ! C’est Josiane qui
doit commencer à râler… Si je me rends compte que je serai pas rentré pour
l’heure du coucher, je la rappellerai !
Numéro cinq cent deux ?
Comment ça, si je souhaite dormir ? Ah, parce que vous
louez des sacs de couchage ? Dites, c’est souvent que les gens dorment
ici ? Tous les soirs ? Ah quand même ! Bon, ben oui, alors…
allons-y pour la sac de couchage ! Vous servez les petits dej’ aussi, le
matin ? Oui ? Pff, j’aurais du éviter de poser la question,
tiens !
Numéro cinq cent cinquante huit !
Allô ? Poussin ? Oui, c’est moi ! Bon, ben
y’en a encore pour plusieurs heures ! Ouais, j’serai pas de retour avant
demain matin, à mon avis ! Non, non t’inquiète, ils m’ont filé un sac de
couchage. Y’a même la télé, ici, le soir ! Oui, j’ai dîné ! A demain,
poussin ! Non non, j’ai tous les papiers ! J’ai vérifié mille
fois ! C’est dire si j’ai eu le temps, aujourd’hui ! J’me suis fait
chier comme un rat mort !
Numéro cinq cent quatre vingt dix neuf !
Bon, l’équipe de nuit est arrivée ! C’est fou,
ça ! Ils tournent en 3X8, la dedans ! Remarque, tant mieux, vu le
monde…
J’en ai mare, ça fait vingt fois que je lis le même Voici
Paris ! J’crois que je vais m’assoupir un peu. Y’en a encore une petite
centaine à passer avant moi…
Numéro six cent cinquante !
Putain, faut que je me réveille ! Mon tour
approche ! Et dire que j’vais bientôt sortir de cette galère. C’est trop
de bonheur ! Purée, ils ont même plus de café !
Faut que je fasse gaffe à pas me rendormir, ça s’rait trop
bête de tout foirer maintenant !
Numéro neuf cent quatre vingt dix neuf ?
Hein ? C’est quoi c’bordel ? Moi j’avais le six
cent soixante douze ! Comment ça on m’a appelé ? J’dormais ?
Putain, fallait me réveiller, bordel !
Bon, j’peux passer, là ?
Non ?
Reprendre un ticket ?
Vous déconnez, là ?
Ils déconnent pas, ces cons ! Faut qu’j’recommence
tout ! Putain !
Numéro vingt huit ?
Bon, j’ai le cent quatre cinq, ça devrait être plus rapide
qu’hier !