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Le défi du samedi
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15 mai 2021

Clin d'œil (Yvanne)


Cloé avance, tête baissée. Elle n'a pas pris le bus après son travail pour rentrer chez elle comme elle le fait la plupart du temps. Il fait beau ce soir et pour une fin avril, presque chaud. Elle se débarrasse d'un geste large de l'épaisse écharpe qui couvre ses épaules et l'enfouit dans son grand sac. Elle ne se presse pas. Personne ne l'attend. Elle respire à pleins poumons l'air printanier porteur d'effluves de glycine et de lilas. Elle aime cette saison où la magie de la renaissance envoûte, où tout est promesse.

Durant ces derniers mois, elle a préféré aller au bureau. Elle aurait pu faire du télétravail comme la plupart de ses collègues mais cela ne lui convient pas. Il lui faut l'environnement habituel  de la boîte pour s'acquitter sereinement de sa tâche.  D'ailleurs, même si maintenant tous les fichiers figurent sur le net, elle continue à aimer compulser des dossiers qu’elle entasse dans ses placards et relire ses notes papier. Elle s'y retrouve mieux dit-elle. Et puis Cloé préfère écrire plutôt que taper sur un clavier. Peut être dépassé, d'un autre temps comme se moquent gentiment ses collègues mais c'est ainsi qu'elle aime travailler.

Ce soir, tout en cheminant Cloé s'interroge. Comment vont se passer les jours à venir quand tout le monde réintégrera l'agence ? Ils ne se sont pas vus depuis de longs mois pour certains. Quelle sera l'ambiance ? Il faudra se réadapter les uns aux autres. Pas facile songe-t-elle.

La jeune femme marche, plongée dans ses pensées. Elle ne s'en rend pas compte mais elle circule au beau milieu du trottoir. Soudain elle aperçoit du coin de l'œil une silhouette s'esquivant pour lui laisser le passage. Elle s'écarte brusquement, relève la tête, s'excuse auprès de l'homme qu'elle vient de croiser puis repart. Après trois pas, elle se retourne, intriguée. L'homme est toujours là. Il la regarde, un sourire aux lèvres. Il lui lance une œillade. Cloé sourit à son tour et chacun reprend son chemin.

Cloé n'a plus jamais utilisé le bus. Depuis qu'elle a croisé Thomas, l'homme aux œillades. Désormais ils font route ensemble. Au propre comme au figuré. Ils s'aiment. Cloé adore le tic de son amoureux. Qui peut se vanter d'avoir un mari qui vous fait constamment de l'œil ? Comme au premier jour.

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8 mai 2021

Clair-obscur. (Yvanne)


La nébuleuse est une fleur.
Une fleur céleste lumineuse.
La nébuleuse est un papillon.
Un papillon ardent né d'une étoile.
La nébuleuse est un parfum.
Un parfum de poussière stellaire.
La nébuleuse est la nuit.
La nuit profonde et sans lune.
La nébuleuse est l'enfance.
L'enfance meurtrie dans le silence.
La nébuleuse est un silence.
Un silence gorgé de ténèbres.
La nébuleuse est une histoire.
Une histoire de secrets enfouis.
La nébuleuse est une violence.
Une violence qui éclate dans un cri.
La nébuleuse est un cri.
Un cri sourd que l'on n'entend pas.
La nébuleuse est l'absence.
L'absence infinie que rien ne comble.
La nébuleuse est un mystère.
Un mystère dont on ne trouve pas la clé.
La nébuleuse est la mort.
La mort à l'horizon de la vie.
La nébuleuse est le chemin.
Le chemin vers l'ultime galaxie.

1 mai 2021

Sexisme et misogynie (Yvanne)

 

- Venez donc voir le tapis que nous avons reçu hier Madame P. Il est installé et on ne peut qu'être béat d'admiration devant la finesse du travail effectué. Tissé entièrement à la main. Venez donc...
Mon chef désirait me montrer la tenture murale offerte par son frère, médecin à New Delhi.

J'étais fraîchement débarquée de la région parisienne et me trouvai flattée que le patron, au demeurant pas très causant, pas très démonstratif, pas très aimable pour tout dire me fasse l'honneur de m'inviter chez lui, dans l'appartement qu'il occupait. Il y a quelques années, en province, les directeurs ou chefs d'établissement vivaient au-dessus des bureaux qu'ils supervisaient.
Certains collègues, qui avaient aidé à mettre le tapis en place vantaient sa beauté et j'étais vraiment curieuse de voir cet objet de décoration que l'on disait exceptionnel. Je ne voyais aucune malice dans cette invite.

J’emboîtai donc le pas à Monsieur C. Il me conduisit dans son salon et me fit asseoir sur le canapé. « Installez-vous là. Vous serez juste en face » Il était débout, fumant tranquillement sa pipe pendant que je regardais, émerveillée la tenture qui couvrait tout un mur.

Bientôt, C. prit place à côté de moi et je commençai à ne plus me sentir très à l'aise, d'autant que je remarquai soudain l'absence de sa femme. Je fis mine de me lever mais il me saisit par l'épaule, m'attira à lui et commença à me faire des propositions indécentes. Avec compensation bien entendu sur le déroulement de ma carrière. Je n'en croyais pas mes oreilles. Comment osait-il ? Je me dégageai en criant : « ça ne va pas, vous. Vous êtes fou. »

Un peu surpris, il tenta de me retenir sans doute pour s'excuser, ayant peur des conséquences. Mais je le repoussai, pris la porte que je refermai derrière moi avec fracas et rejoignis mon bureau, rouge de colère, de honte et de confusion. Mais oui. J'avais honte. Qu'est-ce qui avait pu lui laisser croire que je pouvais donner suite à ses élucubrations ? Qu'est-ce que j'avais fait ? Qu'est-ce qui, dans mon comportement depuis que je travaillais ici, lui donnait à penser que j'étais une femme facile ? Je me posais toutes ces questions en même temps qu'un profond dégoût pour le personnage me submergeait.

Mon arrivée intempestive dans la pièce n'échappa pas à mes collègues, un homme et une femme.
Je ne savais pas comment me comporter. Je baissais le nez, ruminant cette humiliation.
- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? demanda Nadine.
- Rien. Foutez-moi la paix.
- Alors, tu l'as trouvé comment ce tableau ?
Je perçus soudain une certaine ironie dans le propos de Jacques. Je relevai la tête, remarquai un sourire entendu sur son visage. Il sentait qu'il s'était passé quelque chose et, visiblement, s'en délectait. Pas possible ! Qu'est ce qu'il croyait cet imbécile ? Ce fut plus fort que moi. Je débitai, tout à trac :
- L'autre, le porc, m'a fait des avances...Ça ne va pas se passer comme ça.
- Tu veux rire. Je ne te crois pas. Il n'aurait jamais fait ça. Tu inventes.
Là dessus, il s'esclaffa. Le bouquet.

La réaction de ce collègue me fit encore plus de mal que les suggestions indélicates de mon chef. Par la suite, l'attitude de ce dernier fut exemplaire à mon égard. Au fond de moi, cependant, je n'oubliais pas l'affront et me tenais sur mes gardes. Personne ne parlait de l'affaire qui avait pourtant fait – bien entendu - le tour du bureau. Le comportement du collègue ne fit que confirmer à mes yeux ce que j'avais compris : sa supériorité affichée de mâle. Déterminé à écraser toute velléité de prise d'initiative dans le travail par la gent féminine. Toujours prêt à se moquer de tout : coiffure, vêtements, paroles...Je m'interrogeais souvent à son propos : compensait-il par ces démonstrations hostiles vis à vis de toutes les femmes du bureau un mal être dans son foyer où il ne portait peut être pas la culotte ? Justement, en parlant de culotte peut être avait-il des problèmes érectiles ? J'en étais persuadée. Je peux bien me permettre cette insinuation graveleuse quand le défunt Léo Ferré – que par ailleurs j'aime en tant que parolier et chanteur – ne se privait pas d'asséner : « l'intelligence des femmes se trouve dans les ovaires. »

Sans entrer dans les détails et sans vouloir épiloguer, je dirais aujourd'hui que le chef qui avait eu un comportement sexiste, inexcusable certes vis à vis de moi ne détestait pas les femmes. A l'inverse, le collègue, par l'attitude arrogante qu'il manifestait constamment à l'égard de nous toutes faisait preuve d'une misogynie crasse.

 

24 avril 2021

Souris blanche ou souris verte ? (Yvanne)

 

Pas eu le temps d'écrire – vous allez comprendre pourquoi - sur Minnie la petite souris. Non, pas celle d'Henri mais celle à qui nous devons beaucoup, la souris blanche de laboratoire.

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Ben oui, toute la semaine j'ai chanté et mimé - avec bonheur - « La souris verte » à Ernest, mon petit fils de 10 mois.

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 C'est toujours une histoire de souris n'est ce pas ? Il y en a bien d'autres. La souris d'ordinateur par exemple. Et encore ? Je vous vois venir...Cela me permet de participer en tout cas. Même très succintement.

 

Merci pour votre indulgence.

17 avril 2021

Finale mémorable (Yvanne)

 

Je ne suis pas sportive et en règle générale je n'aime pas le sport. Alors, me direz-vous pourquoi vais-je vous parler rugby ? Par chauvinisme sans doute je l'avoue. Et parce que je n'ai jamais entendu un tel concert de klaxons (défi oblige!) que lors de l'accueil réservé par les corréziens à leur équipe fétiche en ce début d'année 1997.

A croire que pas un corrézien, petit ou grand, n'avait voulu rater le retour triomphal des noirs et blancs. Tout le monde se pressait sur la Guierle, grande place située tout à côté du célèbre marché Georges Brassens ( vous vous souvenez des gaillardes et leurs crêpages de chignon à propos de bottes d'oignons!) pour ovationner leurs idoles du jour.

Le 25 janvier 1997, le CAB avait remporté la finale de la coupe d'Europe face aux Tigres de Leicester (28 à 9, quelle déculottée mes amis!) dans ce que tous les fans appellent le temple du rugby, Arms Park. Il fallait fêter cette victoire comme il se doit sur la terre briviste.

On attendait nos héros, massés devant le théâtre et dans les rues tout autour. C'était un ciel de drapeaux noirs et blancs agités fièrement. D'autres avaient choisi de sillonner la ville en criant, chantant et surtout en trompetant à qui mieux mieux. Quel chahut ! Quelle cacophonie ! Mais qu'importe. Une belle fraternité dans la joie et le partage. Incroyable comme soudain on se sent appartenir à une même grande famille ! Et comme le disait le Grand Jacques – à l'époque Président de la République – dans son allocution en hommage aux joueurs : « on est toujours fier d'être corrézien mais il y a des jours où on l'est un peu plus que d'habitude ».

Enfin nos valeureux « guerriers » sont arrivés dans un bus les ramenant de l'aéroport suivis par tous ceux qui étaient allés les attendre à la sortie de l'avion les ramenant de Cardiff. Les klaxons dominaient tout le reste. Assourdissant. Chacun à leur tour, les joueurs brandissaient La Coupe. La liesse fut à son comble. Tout le monde voulait s'approcher, les toucher. Des dieux vous dis-je ! Cela me fait sourire aujourd'hui mais je n'étais cependant pas en reste. Il faut dire que de par mon travail, je côtoyais certains d'entre eux et je voulais aussi les féliciter.

Et bien sûr, a suivi la tournée des bars. Certains consommaient pour trinquer avec les héros. La bière coulait partout à flot. D'autres dansaient, s'embrassaient. Bien chanceux celui ou celle qui arrivait à obtenir un maillot de son joueur préféré. Ou même une signature au bas du drapeau. C'était une cohue invraisemblable. Et non, je n'ai pas réussi à acquérir pour mon fils aîné la cravate de celui que je connaissais le mieux.

Après le feu d'artifice nous sommes rentrés à la maison fourbus mais la fête a duré toute la nuit dans la ville. Et dire que je n'avais même pas vu le match !!!

 

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10 avril 2021

Emotions et sentiments. (Yvanne)

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 Cette vieille photo. En la regardant, l'odeur divine du foin fraîchement ramassé me saisit soudain et avec elle, remontent, envahissants, les souvenirs.

J'ai une dizaine d'années. C'est l'été. Un soir d'été. Je m'installe dans la tiédeur du jour finissant. Mon poste d'observation favori : l'embrasure de la porte de la grange familiale au milieu de l'herbe sèche et parfumée échappée des charrettes.
Je suis venue là chercher le silence, voir descendre le soleil derrière la colline d'en face et regarder, fascinée, mourir ses rayons dans l'eau frémissante de la rivière en contre-bas.

Mais il y a autre chose. Je le guette. Je sais que comme chaque jour il va remonter à flanc de coteau jusqu'au manoir au pas de son cheval roux. Un animal dont la hauteur m'impressionne. Toujours nu-tête. La cravache effleurant sa botte bien cirée. Quelquefois, celle que tout le village nomme, un sourire convenu au coin des lèvres, « sa poule » l'accompagne. La parfaite cavalière. Une anglaise vêtue à l'anglaise  pour la circonstance : jodhpurs, veste ajustée, gants, bottines et bombe.

Mais le plus souvent, il chevauche seul Monsieur le Comte. Quand il apparaît, grand, sec, droit et fier sur sa monture, j'oublie tout de la beauté du paysage, je n'entends plus le cri des hirondelles. Tout mon être se concentre sur ce sentiment inconnu jusqu'alors mais qui a sans doute mûri sournoisement. Il me submerge et déferle en moi comme une houle contre laquelle je ne lutte pas. Je suis des yeux, la gorge nouée, le cavalier. Je le hais.

Ma mère, à 14 ans et jusqu'à son mariage a servi le comte. Elle ne peut se départir à son égard d'une déférence que je trouve exagérée et qui m'exaspère. Malgré mon jeune âge, j'ai conscience de la différence de classe et j'en éprouve une amertume profonde et aussi de façon indéfinissable une certaine honte.

Quand le comte vient à la ferme pour parler entretien de ses terres avec mon père, maman s'affaire au ménage pour que tout soit net. Elle prépare des bugnes que le châtelain adore paraît-il et dispose sur un plateau la bouteille de sirop de cassis maison et deux petits verres. Je voudrais alors m'enfuir. Mais je dois rester. Les enfants doivent, comme les adultes présenter leur respect. Et horreur, il m'incombe souvent d'offrir les pâtisseries. Oh ! Cette envie de renverser l'assiette. De piétiner les beignets.

Au lieu de quoi, je m'avance docilement. J'en pleurerais de rage. Je battrais ma mère. Et l'homme se sert en ne prenant qu'une seule friandise. J'aimerais qu'il mange tout. Au moins, sur ce point, il nous ressemblerait. Dès que possible, je franchis la porte pour aller me blottir dans mon coin de grange. Là, seulement, je trouve l'apaisement.

Il m'est arrivé souvent de croiser le vieux comte sur les chemins qu'il parcourait toujours à cheval. Mes sentiments à son égard avaient quelque peu changé au fil du temps. Je savais que comme moi, il aimait par dessus tout notre village, ses collines boisées, ses ruisseaux perdus. J'avais compris que ma mère ne lui était pas soumise. Simplement, elle éprouvait pour lui une grande reconnaissance, ayant beaucoup appris à son contact, notamment la connaissance du monde, le goût des belles choses. Cependant, une gêne que je n'arrivais pas à juguler me saisissait lors de nos rencontres et je l'évitais. Sa bienveillance affichée me rendait sa superbe encore plus insupportable.

A sa mort, j'avais 15 ans. J'ai accompagné ma mère à l'église où était dressé le catafalque. J'ai éprouvé alors une certaine forme de soulagement et un sentiment de satisfaction. Pour la première fois, j'ai réalisé que la mort aplanit tout et efface les différences et j'ai trouvé que c'était juste.

 

20 mars 2021

Vous avez dit  gargouille ? (Yvanne)

 

- Bonjour Maria. C'est le jour de la grande lessive ?
- M'en parle pas ma pauvre Lucette. T'as vu mes torchons, mes serviettes et même mes draps ?
- Oui. Ça sèche bien aujourd'hui avec ce petit vent...
- C'est pas la question. C'est pas beau du tout.
- Quoi ? Tu te lasses du blanc ? Je savais bien qu'un jour tu y arriverais à acheter des draps en couleur. C'est quand même plus agréable et tu peux assortir à tes housses de couette.
- Housses de couette ? Laisse-moi mes couvertures piquées je te prie. Mais non, c'est pas ça. Je trouve que ça « grise ». Les lessives : toutes de la saloperie.
- Je te le fais pas dire et pour la planète alors, c'est limite dangereux.
- Tu vas pas recommencer à me casser les pieds avec l'état de la planète. Je lui fais pas de mal moi à la terre. Je la connais et elle me connaît. On s'entend bien. Et puis, après tout, après moi le déluge tiens ! C'est pas de ma faute s'ils démolissent tout avec leur progrès.
- Faut pas dire ça Maria. On est tous responsables.
- Peut être. Mais moi ce qui m'occupe aujourd'hui c'est l'état de mon linge. J'ai tout essayé : les poudres, toutes les marques et même Bonus. J'ai essayé les lessives liquide aussi. C'est pas mieux.
- Tu sais quoi Maria : tu devrais faire bouillir dans la lessiveuse de ta grand-mère en ajoutant de la cendre.
- Tu rigoles ? J'ai presque fait ça. Figure-toi qu'à la télé j'ai entendu une recette  qu'ils disent écologique : mélanger savon de Marseille, savon noir et cristaux de soude. J'ai fait chauffer mais l'odeur de cette tambouille est tellement infecte que j'ai tout jeté. Et puis j'avais peur que ça me pète à la figure.
- Et bien Maria tu n'as qu'à acheter une gargouille.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu dis ? Tu es malade ? T'as le ventre qui grouille ? Ah cette jeunesse ! Pour garder la ligne ça crève de faim.
- Mais non Maria, je vais bien je t'assure. La gargouille c'est pour remplacer la lessive.
- Mais qu'est-ce qu'elle me raconte celle-là ?
- J'ai trouvé ça sur internet.
- Et ben nous y sommes : internet...internet... Vous n'avez que ce mot à la bouche ma parole ! C'est quoi encore comme invention  ? T'as pas acheté ce truc quand même ?
- Si et c'est du tonnerre. Tu mets juste la gargouille dans la machine avec le linge et tu fais tourner.
- Et ça sort plus blanc que blanc hein ? Je parie que tu en as à vendre. Me prends pas pour une andouille Lucette. Tu m'as déjà fait le coup pour la météo. Tu m'as fait acheter un machin que j'ai même pas pu régler. Moi, s'il fait soleil ou s'il pleut je le vois le matin en me levant. Et d'ailleurs il suffit de taper sur mon baromètre et il monte ou il descend quand le temps change. Et pour la température, j'ai un thermomètre aussi vieux que moi devant ma porte et un autre dans la cuisine. C'est bien suffisant. Ne va pas encore m'embrouiller avec tes machins à la mode. Si tu es bourrique c'est pas de ma faute. On te ferait croire n'importe quoi ma fille pour te piquer des sous.
- Te fâche pas Maria. Moi, ce que j'en dis c'est pour te rendre service. Je vais t'apporter une gargouille juste pour que tu essaies. Je te demande rien. Si je suis une bourrique, toi t'es têtue comme une mule à refuser d'emblée tout ce qui est nouveau. C'est pas mieux. Allez viens boire un café. Tu sais celui de ma Tassimo que tu adores !

 

13 mars 2021

Affaire non conclue (Yvanne)

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Ma chère cousine.

J'espère que tu n'as pas trop froid dans ton Québec d'adoption. Ici le printemps se manifeste franchement depuis quelques jours et cela met du baume au cœur. Nous tentons d'oublier le plus possible la morosité ambiante, Christelle et moi en faisant de longues promenades dans la campagne.

Cependant je ne t'écris pas, tu le penses bien, pour te parler de la pluie et du beau temps. Venons-en donc aux affaires qui nous occupent.
La tante Geneviève étant décédée en décembre comme tu le sais,  le notaire m'a convoqué dans son étude pour régler la succession de notre parentèle sans enfant. Tu as bien voulu me donner procuration pour régler à ta place cette situation. Je vais te faire un bref résumé des résultats de l'entretien.
Étaient également présents les deux neveux de la tante. Qui n'ont pas daigné m'adresser la parole mais tu les connais...

La tante Geneviève, à qui il manquait toujours – apparemment - cinq sous pour faire un franc possédait en fait un joli magot. L'oncle Jules n'ayant pas laissé de directives quant à l'argent du ménage, elle s'était empressée, la garce, de léguer les disponibilités sur les comptes bancaires, les assurances-vie et autres à ses neveux en propre. Encore heureux qu'ils se soient occupés des frais d'obsèques !

La maison et les terrains appartenaient exclusivement à notre oncle. J'ai appris qu’il avait déposé,  peu avant sa mort il y a cinq ans un testament chez le notaire nous faisant héritiers de ses biens, toi et moi. J'ai fait estimer ces derniers et hélas, nous ne ferons pas fortune avec le produit de la vente. Je joins à ma lettre les diverses expertises effectuées. Tu me diras ce que tu comptes faire.

Les neveux m'ont demandé quelques meubles et je n'ai pas refusé. Comme de toute façon ces derniers ne valaient pas tripette, je les ai laissés prendre ce qu'ils voulaient. Je dois dire que ça m'arrangeait plutôt de les voir débarrasser la maison. Ces profiteurs fouinaient partout tu t'en doutes.
Au moment où ils s'apprêtaient à faire main basse sur la petite bibliothèque de l'oncle je m'y suis fermement opposé. Ils n'ont pas osé aller au-delà et sont partis avec leur butin. Grand bien leur fasse !

Je n'ai pas voulu leur laisser emporter la bibliothèque car elle représente beaucoup pour moi. Et si tu n'y vois pas d'inconvénient, je souhaite la garder. J'imagine que tu penses tout de suite à la magnifique collection de tabatières que possédait l'oncle Jules. Tu te rappelles ? Elles occupaient, au grand dam de la tante, toute une étagère dans le fond, à l'abri des regards. C'était un plaisir de Jules de nous les montrer quand nous allions chez eux en visite étant enfants. Les neveux n'en connaissaient sans doute pas l'existence.
J'ai découvert aussi derrière les trésors de l'oncle une jolie ménagère, très complète, en argent massif. Je pense qu'elle devait appartenir à notre grand-mère maternelle.

Comme je sais que tu n'as guère d'appétence pour les objets et les souvenirs et ne pouvant pas imposer à ma femme ces reliques, j'ai décidé de me présenter à l'émission « affaire conclue » sur France 2 dont je t'ai déjà parlé. Et bien figure-toi que ma candidature a été acceptée et je suis donc allé à Paris avec  mes « merveilles ».

Crois-moi, chère cousine, j'ai eu la honte de ma vie. Je me demande vraiment ce qui m'a pris. Bien entendu – et heureusement – je ne suis pas passé à la télévision, l'expert m'ayant fait comprendre que les tabatières et la ménagère ne valaient pas un fifrelin. Les unes sont en corne, métal doré  ou porcelaine sans valeur alors que je les voyais encore avec mes yeux d'enfant admiratif et les croyais en ivoire, en or ou en porcelaine fine.  Quant à la ménagère, elle est tout simplement en métal argenté...très désargenté.

Je ne viens pas, par la présente t'annoncer un héritage fabuleux tu t'en rends compte. J'espère que tu ne te moqueras pas trop de ton cousin toujours aussi incroyablement naïf et que ma mésaventure te fera quand même sourire.

En attendant une réponse de ta part pour régler les affaires en cours, je t'embrasse chère cousine.

                                                                                                     Paul.


Ps : j'ai donné tabatières et ménagère à Emmaüs. Elles feront peut être le bonheur de quelqu'un. Qui sait ?
 

 

6 mars 2021

Première rentrée à l'école (Yvanne)

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Il arrive parfois qu'une pensée ou un souvenir vous assaille tout à coup et l'on est ébloui par sa fulgurance. Et qu'un mot, un mot tout simple, usuel, ouvre soudain dans votre esprit, dans votre mémoire une porte sur  un moment de vie et l'âge aidant, très souvent sur l'enfance. Encaustique.  S' y associent, pour moi immédiatement une odeur puis tout juste après, un décor.  Ce mot choisi par notre ami Walrus m'a transportée bien des années en arrière, dans les années 50/60.

Un matin de septembre aux couleurs déjà bien présentes de l'automne. Je vais avoir 6 ans dans quelques jours. Je suis réveillée depuis des heures. Ai-je seulement dormi tellement l'impatience me tenaille. Je vais à l'école aujourd'hui. Un événement oui vraiment. J'attends ce moment depuis si longtemps. Un jour nouveau pour une vie nouvelle. D'ailleurs, tout est nouveau, neuf  je veux dire : la jolie blouse à carreaux, la veste de lainage tricotée par ma grand-mère pour l'occasion. Et mon sésame : le cartable marron, une richesse, un bien précieux, solide et qui sent bon le cuir. Ce dernier revêt pour moi une importance particulière : il est à moi et à moi seule avec, à l'intérieur le joli plumier en bois verni et son porte-plume. Je n'aurai pas à partager cette petite fortune avec mes frères et sœur plus jeunes comme je dois le faire habituellement pour tout le reste.

Je suis prête et j'attends avec une certaine fébrilité que la cloche sonne. Je tiens  mon sac d'une main ferme et de l'autre, le livre de lecture – que je n'ai pas voulu placer dans le cartable - acheté par mon père et avec lequel il m'a appris à lire. Il trouvait sans doute comme moi injuste de faire une rentrée à 6 ans parce que j'étais née en fin d'année. Ce livre m'a attiré quelques ennuis avec la maîtresse car elle avait une autre méthode pour apprendre. Et moi, bien entendu je ne voulais pas m'en séparer. Un premier livre, on ne l'abandonne pas. Le premier que j'ai aimé c'est dire. Pour l'écriture également, cela ne s'est pas passé tout seul et tranquillement. Papa m'avait aussi appris à tracer l'alphabet à sa manière qui n'était pas tout à fait celle de l'institutrice. Notamment pour les « i ». Mais c'est une autre histoire.

Enfin, voici le moment de faire les deux cents mètres qui me séparent de l'école. Papa m'accompagne et me laisse au portail à ma demande. Je suis grande n'est-ce pas et je n'ai plus besoin qu'on me tienne la main. Bien sûr, la cour je la connais déjà. J'y suis entrée plusieurs fois en fin de journée pour apporter à la maîtresse la tarte ou le pâté de viande et pommes de terre que l'on cuit dans notre four familial le jour du pain. Mais je ne connais pas la classe – unique - dont la porte est toujours fermée à cette heure et les épais rideaux tirés. A mon grand regret.

Ce matin, je brûle de découvrir enfin ce mystère : une salle de classe. Cela m'impressionne bien plus que d'affronter la maîtresse et les camarades qui me sont tous familiers.
Après quelques bousculades parmi « les grands » la porte s'ouvre enfin et Madame N. nous demande de nous ranger pour pénétrer dans le sanctuaire (pour moi).  L'odeur d'encaustique, très  prégnante me prend quelque peu à la gorge. Mais je ne la crains pas. Je trouve même que ça embaume comme quand maman nettoie la maison au printemps. Le bureau sur l'estrade et les tables bien rangées ont été récurés et cirés. Tout est en bois et tout brille. Même la bibliothèque tout au fond. Cette dernière recèle des trésors que je n'aurai de cesse d'explorer tout au long de mes années de primaire. Et le grand tableau noir triptyque, les cartes géographiques qui ornent les murs, la mappemonde sur une console... des découvertes que je balaie d'un regard attentif.

Voilà ce que furent mes premiers pas dans la salle de classe de l'école de mon village. Ils sont inoubliables et le parfum de la cire, puissant et évocateur  entre pleinement dans ce souvenir. Il en est la quintessence et déclenche en moi chaque fois que je le respire une véritable émotion. En fermant les yeux je revois, l'espace d'un instant fugace, la petite fille curieuse et volontaire qui aborde un monde nouveau pour elle et qu'elle va aimer beaucoup.

20 février 2021

Ah vraiment quel beau métier ! (Yvanne)


- Salut Michou ! Tu t'es fait chic aujourd'hui. T'es allé aux filles ?
- Pfff. Te fous pas de moi Max.
- Mais non. T'es allé en ville ?
- J'étais à la Mairie.
- Ah ! Il fallait se mettre sur son trente et un pour voir le maire ?
- Tu comprends rien. Et tu m'agaces avec tes questions. Si tu veux savoir, je suis allé me présenter pour faire l'entretien.  
- L'entretien de quoi ?
- De la commune pardi. Tu te rends compte si je suis pris ?  ( Michou se frotte les mains. Il en rêve d'être cantonnier ) A la place de ce pauvre Jeannot qui peut plus soulever un outil tellement les douleurs le bouffent.
- Tu vois ce qui t'attend... Et le Jeannot, il s'en est pas beaucoup servi de sa pelle. Ah si, le plus souvent pour s'appuyer dessus. Il a plutôt la maladie du renard oui !
- Mauvaise langue. En plus, le malheureux, il paraît qu'il a attrapé la prostate.  Et puis, tu vas pas comparer ? T'as vu comme je suis costaud.
- Et alors, c'est le maire qui t'as reçu ? Il te connaît bien et il préfère sûrement que tu te lèves le matin pour aller bosser un peu, plutôt que  te planquer sous les fenêtres de la Marie-Jo toutes les nuits. Pour essayer de la voir à poil. Tu l'auras le poste, je te le dis.
- Si tu continues à raconter des racontars de merde, je te fous mon poing dans la figure.
- Allez, te fâche pas.
- Bon. Il était pas tout seul le maire. Y avait un type qui rigolait tout le temps comme si on le chatouillait et une nana qui me regardait de travers,  une grosse qui montrait ses seins.
- T'as pas dû t'ennuyer alors !  Ils t'ont posé beaucoup de questions ? T'es embauché ou quoi  ?
- Doucement pas si vite. Faut que j'y revienne. J'avais pas fait mon spéculum vité.
- Hihihi.
- Qu'est ce que t'as à te foutre de ma gueule ? Tu te crois intelligent ?
- Te fâche pas. T'as pas bien compris je crois.  Le truc dont tu parles c'est les toubibs des femmes qui l'utilisent. Ça servirait à rien que je t 'explique puisque t'as pas de femme. Les autres, là, à la Mairie, ils veulent voir ton curriculum vitae. C'est du latin. Tu sais bien que maintenant ces gens-là peuvent pas parler comme tout le monde. Ça veut dire qu'il faut que tu écrives sur un papier tout ce que tu as fait jusqu'à présent et tout ce que tu sais faire.
- Ah bon ?  Il faut tout ça pour être cantonnier ? Tu pourras m'aider toi ?  T'es plus instruit que moi. Je te paierai un canon, tiens.
- Si tu veux. Pour ce qui est de ce que tu as fait jusqu'à présent, ça ira vite.
- Comment ça ?
- Ben dis-donc Michou, avoue quand même qu'à part glander et te balader sur ton pétarou...
- Oh ça va hein !  Mais j'y pense : ils m'ont demandé si je savais conduire une balayeuse. Tu crois pas qu'ils sont maboules ? Faut pas savoir conduire pour pousser un balai tout de même. Et puis ils veulent pas que je dise « cantonnier ». Ils parlent  d'employé de la voierie. Quelle voierie ? Ils savent même pas qu'on a depuis longtemps fait sauter les rails du transcailladou. Et ils se croient malins ces deux gougnafiers. Je parle pas du maire : bouche cousue. J'avais beau le regarder pour qu'il dise deux mots. Rien. Pourra toujours courir pour que je lui apporte des truites, et des cèpes celui-là !
- A mon avis, tu devrais bien pourtant. A la fin, c'est lui qui décide.
- Tu crois ?
- J'en suis sûr. Tu vas réfléchir pour tes compétences et  ce que tu espères comme paie. On se voit demain.
- Hé Max,  les compé...comme tu dis : pas de problème, ils peuvent compter sur moi. Pour l'argent, ils me donneront ce qu'ils voudront. Pourvu que je puisse payer mes pipes et mettre de l'essence dans ma bécane, moi, ça me va. Mais faudra pas oublier de préciser qu'il me faut mon transistor pour travailler. Et aussi ma mobylette. A demain chez la Jeanne. Tu auras ton verre de blanc servi. Même qu'on demandera la bouteille si tu veux.

Ah ! Ce brave Michou. Le cœur sur la main. Toujours prêt à rendre service. Ce travail lui conviendra j'en suis sûr.  Si on sait le prendre on en fait ce qu'on veut. Il mérite la place allez. C'est pas de sa faute si  les crapauds n'ont pas de queue tout de même !

13 février 2021

Le transcailladou (Yvanne)


Aujourd'hui ma balade s'effectue à Uzerche, dite la perle du Limousin. Elle est intitulée « sur les pas de Simone de Beauvoir. » L'écrivaine passait, enfant, ses vacances en Corrèze chez son grand-père, tout près de la fière petite ville accrochée à ses rochers surplombant la Vézère.  Elle écrit dans  Les mémoires d'une jeune fille rangée : « le foisonnement des couleurs, des odeurs m'exaltait. Partout, dans l'eau verte des pêcheries, dans la houle des prairies, sous les fougères qui coupent, au creux des taillis se cachaient des trésors que je brûlais de découvrir .» Personne n'a su narrer mieux qu'elle tout ce qui fait le charme de la cité et de ses abords.

A mon tour de partir à la découverte de ces richesses dont la nature est prodigue. Et aussi – et surtout - sur la trace de mes souvenirs.
Je commence ma promenade depuis la toute petite gare abandonnée  pour emprunter l'ancien tracé d'un chemin de fer à voie métrique reliant Uzerche à Tulle. Madame de Beauvoir a-t-elle pris elle-même le tacot ? Peut être. Pour ma part, je l'ai utilisé durant tout un été, juste avant qu'il ne s'arrête définitivement. J'avais 19 ans.

La Vézère, gonflée des eaux de pluie qui ne cesse de tomber depuis quelques mois, gronde juste au-dessous du chemin. Je marche sur le ballast depuis longtemps recouvert d'un tapis d 'herbe. Plus de rails. Plus aucune trace du petit train si pittoresque qui désenclavait le cœur du département et rendait tellement service à ses habitants. Cette ligne mise en service en 1904 a cessé de fonctionner en 1968. Un grand dommage : elle serait aujourd'hui un atout précieux pour la Corrèze résolument tournée vers le tourisme vert.

Quel bonheur ce petit train que je prenais le samedi matin pour rejoindre la maison familiale !
Et quel contraste entre lui et son grand frère qui me conduisait de Limoges à la « grande » gare d'Uzerche d'où une navette emmenait les voyageurs jusqu'à la petite gare du tacot !
Dans l'un, personne ne se parlait. Personne ne se regardait. Chacun vaquait à ses affaires tranquillement : lecture, mots croisés, contemplation du paysage,  rêverie..... Non. Pas encore ces horreurs de téléphones portables qui déshumanisent totalement et importunent. Il existait alors un respect mutuel entre les passagers. Dans l'autre, il en allait tout autrement.

Je n'oublierai jamais l'atmosphère bon enfant qui régnait dans le transcailladou. Pas confortable du tout. Ça non ! Des banquettes de bois où s'installaient les fermières des villages alentours en se bousculant sans vergogne pour avoir une place.  Elles se comportaient en maîtresses des lieux et c'était comique de les voir s'apostropher. Cela faisait partie du folklore local et personne n'y trouvait à redire. On s'arrangeait toujours pour avoir un petit coin où s'asseoir. C'était mon cas. Ma valise sous les pieds, je prenais plaisir à observer, amusée,  mes payses.

Elles se connaissaient et faisaient l'inventaire – non dépourvu d'une certaine rivalité -  de tout ce qu'elles allaient vendre sur le marché de la place de la cathédrale à Tulle. L'une ouvrait un cabas où des lapins remuaient leur nez dans le foin, l'autre rabrouait vertement un canard tentant de s'échapper, une troisième renouait précipitamment  les liens  autour des pattes d'un poulet qui ne demandait qu'à sortir de son carton pour prendre l'air.
Dans des caissettes s'entassaient les légumes frais : poireaux, carottes, salades qu'elles avaient juste ramassé le matin très tôt dans les jardins ou les champs. Et des fraises, des framboises, des cassis...
Puis venait le moment où dans un soudain silence religieux, les paysannes, vêtues proprement pour l'occasion d'un tablier noir pour les plus âgées et fleuri pour les autres, soulevaient avec précaution le torchon blanc abritant leurs merveilles. Fièrement, elles exposaient aux yeux de tous des montagnes de tourtous (galette de sarrasin) des beignets largement saupoudrés de sucre, des mottes de beurre au dessus joliment décoré de fleurs grâce aux dessins des moules en bois, des douzaines d'œufs...Et des caillades ! Ah les caillades ! Ces fromages de vache, ronds et crémeux,  au parfum puissant que les bourgeoises de la ville se disputaient. Certaines paysannes en fabriquaient des tartes appétissantes. Et les plus généreuses sortaient un couteau de leur poche pour en couper une part  offerte aux copines.  Les caillades avaient, en quelque sorte, donné leur nom au petit train que l'on appelait familièrement le transcailladou. Mais le summum, c'était lors de poussées de cèpes. Les chanceuses avaient disposé avec amour les têtes brunes dans des paniers d'osier, sur un lit de fougères et lorgnaient d'un œil satisfait les envieuses. L'odeur suave de sous bois des champignons dominait toutes les autres.  

Puis, bien vite reprenaient les conversations animées. On riait, on blaguait, on caquetait mieux que la volaille et le vacarme couvrait jusqu'aux sifflements stridents de la locomotive. A chaque petite gare desservie prenaient place d'autres commères et le manège recommençait. On se parlait en occitan et comme je le comprenais et le parlais aussi, je pouvais suivre les conversations sans que l'on s'en doute. Et je m'amusais follement de tous ces échanges pendant la trentaine de kilomètres parcourus. Je savourais les couleurs, les odeurs, les rires. Que tout cela était vivant et sain !

Vaillant petit transcailladou, tu as dû manquer beaucoup aux villageoises qui n'avaient que toi bien souvent pour les sortir de leurs hameaux et leur faire goûter l'air de la ville. Il ne subsiste plus rien de toi ici et je foule ton ancien ballast en regrettant la truculence et le naturel des gens de la terre il y a une cinquantaine d'années.

6 février 2021

Alors quoi ? (Yvanne)

 

Abalone ! Abalone ! Est-ce que j'ai une gueule d'abalene ?  dit la baleine.

 

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30 janvier 2021

Zut ! Et la guerre de Crimée ? (Yvanne)

 

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Moi qui pensais : la semaine prochaine je vais cogiter à partir de « la main de ma sœur dans la culotte d'un zouave » ! Zouave : intéressant ce mot !
Zut alors, c'est  raté. Va falloir trouver autre chose ma fille. Quoique ! Tu l'as déjà placé le zut de Walrus. Alors continué-je ?
Et encore je me félicite que notre Robert Larousse n'ait pas choisi le dernier mot du dico à savoir : zythum. Que voulez-vous inventer avec ce mot là. Surtout quand on déteste la bière.
Alors revenons à nos moutons et à ma sœur et son zouave.
Ma sœur ? Pas grand chose à dire à part quand même qu'elle est un peu culottée d'aller fourrager dans le pantalon d'un soldat. Quelle éducation ! Heureusement ma frangine dispose toujours de ses deux mains – baladeuses ou pas – alors que cette pauvre Maillan cherche encore dans la Seine, près du pont de l'Alma la menotte de la sienne, frangine.

Mais zut alors, je m'égare. Recentrons-nous. Que vais-je trouver à raconter ? Je sèche là. Tant pis ; « ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine...et de faire le zouave... »
Pourtant faire le zouave pour amuser la galerie c'est marrant et ça décoince les zygomatiques. Mais quand lesdits zouaves zélés qui s’exhibent en costume-cravate – je voudrais bien en voir certains avec la culotte bouffante et le bonnet à gland (tiens tiens !) ce serait distrayant -  en prennent un peu trop à leur aise en haut lieu, ça ne fait rire personne. Passons.

Avez-vous entendu parler de cette histoire étonnante d'un autre zouave ? Enfin je ne sais pas si le Sieur Nicolas Godard comme il se nomme lui-même était un zouave mais il me plaît de le croire.
Or donc, la semaine dernière un ouvrier qui effectuait une saignée dans un mur d'une chapelle à Dijon a fait une étrange découverte. Derrière une pierre il a trouvé une lettre datée du 10 août 1856 où l'ouvrier plâtrier Godard rapporte des anecdotes intéressantes sur la vie dans la capitale bourguignonne  à cette époque : « au moment où ces lettres sont écrites, la plus grande misère règne à Dijon ». Il dit qu'il a participé à la guerre de Crimée sur la frégate à vapeur l'Orénoque à l'âge de 18 ans. Peut être portait-il la culotte garance et les guêtres blanches ?
Curieusement il cite un vers de la tragédie de Racine, Athalie : « celui qui met un frein à la fureur des flots sait aussi des méchants arrêter les complots ». Qu'a-t-il voulu exprimer ? Peut être la colère du peuple face à l'autoritarisme de Badinguet ? En tout cas on ne peut qu'admirer la culture  de cet homme qui a voulu laisser une trace de son passage sur Terre. Il paraît que c'était la coutume à cette époque de placer ou cacher des mots sur les chantiers où l'on travaillait.

Je pourrais évoquer aussi le zouave Jacob, célèbre guérisseur de Ménilmontant et bien entendu le encore plus illustre « baromètre » du pont de l'Alma. Mais vous allez penser : zut et flute , ça suffit comme ça. Alors, ce sera tout pour aujourd'hui.

23 janvier 2021

Je yoyotte ! (Yvanne)


Juju a offert à sa nana un joli joujou
Un yoyo bling bling rose bonbon.
Elle en est zinzin. Elle adore ce doudou
Qui fait cuicui et aussi pouet pouet
Quand on le touche.

Elle ne prête pas son grigri à Fanfan
Tintin ! Fanfan est cucu et gnangnan
Elle fait des chichis et des cancans
Du blabla et en plus elle est cracra.  
C'est le pompon.

Kifkif pour Momo qui fait le kéké
Avec son crincrin et ses flonflons.
Même le chien-chien zozo à sa mémé
Ouaf-ouaf  se sauve dare dare bye bye
Quand il l'entend.

Dans la jungle, terrible jungle
Bubu a mis son boubou sur ses nénés
A pris son coupe-coupe et va chasser
La mouche tsé tsé qui fait ronron.
Quel carnage !

Bubu tape et tape sur son tam-tam
Pour alerter papa dans son bouiboui.
La mouche futefute joue à cache cache
Coucou je suis là. Elle va la rendre neuneu
C'est certain.

Et moi pendant ce temps là mes loulous
Je suis planplan devant mon verre de jaja
Tchin tchin !

16 janvier 2021

Xylophone (Yvanne)

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Oh dis Léon.



Dis Léon joue moi-z-en
Ah joue moi-z-en
De quoi ?  De quoi ?
Du  clairon ? Du mirliton ?
Sois pas bête. Joue moi-z-en
Oui mais de quoi ?
Du bariton ? Du balafon ?
Oh non Léon, t'es trop con.
Ah joue moi-z-en...
Ben quoi ? Du violon ?
Mais non mais non
Je veux pas jouer du basson
Moi je veux jouer de l'hélicon
Pon pon pon pon
Joue moi-z-en, joue moi-z-en
De l'hélicon ? Ah ! De l'hélicon.
Mais non voyons : du xylophone
En bois.

Pardon messieurs Lapointe et Milton
Pour la liberté prise avec vos chansons.

2 janvier 2021

Lise, Lison, Liseron (Yvanne)

 

Elle s'appelle Lise mais on la surnomme Lison ou le plus souvent Liseron depuis sa prime enfance. Et elle porte bien ce dernier surnom je ne dirais pas le contraire. Ah ça non ! Petite fille, elle grimpait dans les arbres pour échapper aux punitions de ses parents ou aux camarades à qui elle avait fait quelques farces dont ils se souviendraient longtemps.

Aujourd'hui, Liseron est une belle jeune femme dont j'ai le bonheur d'être l'époux. Le bonheur, mouais. Au début, tout allait bien. J'avais rencontré Liseron chez des amis. Ce fut un véritable coup de foudre. Au moins pour moi. Comment ne pas tomber en amour pour ce brin de fille élancée et souple comme une liane ? Il émanait d'elle cependant une fragilité d'apparence qui évoquait la Dame aux Camélias. Cela me troublait. Elle, elle ne me voyait pas, trop occupée à aller de l'un à l'autre, avec une aisance remarquable, tel un papillon frivole. Elle portait ce jour-là une jupe corolle couleur lilas qu'elle prenait visiblement plaisir à faire tourbillonner autour d'elle. Elle souriait et ses magnifiques yeux pervenche effleuraient l'un ou l'autre sans vraiment se poser. Dans son sillage, une fragrance aux notes hespéridées subtiles et suaves de jasmin et de violette attirait tous les hommes qui se retournaient sur son passage.

Alors qu'elle évoluait près de moi, je fis un pas en avant et l'abordai. Je n'avais pourtant pas l'habitude de conter fleurette à la première venue. Comment avais-je osé, moi réputé timide ? Je ne sais pas. Elle s'arrêta, intriguée, me tendit un verre tulipe empli de champagne et daigna m'écouter.
- Pardon Mademoiselle. Mademoiselle... ? bafouillai-je, rouge comme une pivoine.
- Lise. Je ne vous connais pas.Vous êtes nouveau dans mon cercle d'amis.
- Oui. Je suis un collègue du maître de maison. Et vous ?
- Suivez-moi.

Je n'hésitai pas une seconde. J'étais déjà à ses pieds. Elle se dirigea vers le jardin où nous nous installâmes sous une petite tonnelle à l'abri des regards. Nous fîmes plus ample connaissance et dès ce jour, nous ne nous sommes plus quittés. Je nageai littéralement dans le bonheur. Elle habitait chacune de mes pensées. Je ne sais comment, je me retrouvai bientôt devant Monsieur le Maire. Époustouflante, ma femme dans sa jolie robe immaculée au buste étroit souligné de boutons de roses. Elle tenait dans sa main gantée un bouquet tout simple de volubilis. Elle avait choisi ces fleurs qui rappelaient son prénom disait-elle à ceux qui s'étonnaient de la singularité de cette gerbe plutôt champêtre.

Je regarde cette photo de notre mariage il y a à peine un an. Quel air idiot dans ce costume sombre, un œillet blanc à la boutonnière ! Cela me donne de l'urticaire aujourd'hui de contempler cet imbécile heureux qui sourit béatement. On m'avait pourtant prévenu : méfie-toi, Liseron est tellement attachante que tu ne pourras plus t'en défaire. J'avais si bien mordu à l'hameçon que je n'imaginais pas une seconde l'emprise que cette femme prendrait sur moi dès qu'elle aurait la bague au doigt. Sous le prétexte fallacieux d'entourer tendrement son petit mari comme elle le laisse entendre, elle m'étouffe m'encombre m'exaspère. Je ne sais comment me débarrasser de cet amour toxique. De plus, elle est sexuellement insatiable. Une nymphomane qui m'épuise. Ça ne peut plus durer.

Liseron, liseron...une plante envahissante pour les jardiniers il me semble. Peut-être que. Allons donc voir comment ces derniers en finissent avec cette herbacée volubile. Utiliser une griffe pour arracher les racines qu'ils nomment boyaux du diable. Elles se propagent profondément dans le sol et c'est l'invasion assurée dans le potager. C'est tout à fait ça. Si je n'y prends garde, Liseron aura bientôt raison de moi tout entier. Y compris de mon esprit.

Ben voilà ! J'ai trouvé. Mon Liseron à moi ne supporte pas la vue du sang. Pendant nos ébats où elle s'enroule autour de moi jusqu'à m'asphyxier, je vais labourer son dos, ses cuisses...enfin sa peau fragile jusqu'à ce qu'elle s'affole et demande grâce, jusqu'à ce qu'elle s'étiole à petit feu.

C'est décidé je vais commencer à semer mes petites graines dès ce soir afin que mon plant euh...mon plan réussisse rapidement. Ça tombe bien, c'est son anniversaire. Un gros bouquet de volubilis en guise de préliminaires.

 

26 décembre 2020

Charivari à la messe de minuit (Yvanne)


- Entre vite toubib. Fait pas chaud ce matin.
- Salut curé ! Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu veux que je t 'aide à accoucher la Vierge ?
- Plaisante pas. J'ai pas envie de rire crois-moi.
- Allons bon. Qu'est-ce qui se passe ?
- Viens par là.

Le curé Tage et le docteur Piquemal se connaissent depuis longtemps. Ils exercent - chacun dans sa partie - en la jolie commune de Chèvrecujol. Et ont bien entendu les mêmes clients. Le secret du confessionnal et celui du cabinet médical subissent parfois quelques entorses quand les deux compères se retrouvent pour aller chasser la bécasse. Surtout après la chasse d'ailleurs quand ils ont éclusé quelques bonnes bouteilles au presbytère ou chez le médecin. La gouvernante de l'abbé lui fait la tête pendant huit jours après ces incartades et ne parlons pas de Madame Piquemal qui menace d'avertir l'évêque.  Il faut dire que les deux femmes ne manquent pas de tendre l'oreille, les hypocrites. Cependant, rien n'y fait. Les deux amis adorent se raconter les petits travers de leurs ouailles. Rien de méchant.

Aujourd'hui, il en va tout autrement. Le curé semble soucieux et ne dit mot. Un ange passe.
- Alors ? demande Piquemal.
- Ben, c'est un peu délicat...
- Dis-donc, tu ne vas pas me faire perdre mon temps. J'ai promis à Madame de la conduire à Limoges cet après midi. Elle veut s'offrir un service de table en porcelaine pour Noël. Ça sera le troisième. Pour épater les copines sûrement. Quand tu l'entendras en confession arrange-toi pour soulever le péché de vanité et ne lésine pas sur la pénitence parce que moi je vais devoir sacrément cracher au bassinet.
- Ah ! Très bien. Vous viendrez à la messe de minuit ?
- Bien sûr. Alors ?
- Eh bien c'est que...ça me gratte.
- Où ça ?
- Là.

Et justement ça le démange tellement rien qu'en en parlant que l'abbé se tourne pour se soulager. Le toubib a compris et rit sous cape, ce qui n'est pas très charitable pense le curé à qui rien n'échappe .  Rougissant, il n'en mène pas large. Il n'a jusqu'à présent enlevé que le haut chez le médecin.  A la demande de ce dernier il pose son pantalon, hésite un moment avec le caleçon mais devant l'œil exaspéré de son ami, il consent à montrer le bas.
Le toubib siffle entre ses dents et ne peut s'empêcher de  s'esclaffer devant  ce qu'il voit : les testicules du prêtre sont rouges et gonflées et son derrière est à l'identique.
- Ma foi, tu fais concurrence aux singes mon pauvre curé. Une belle poussée d'urticaire. T'as bouffé combien de boîtes de chocolat ? Je vais te prescrire une pommade.
- Ce sera passé ce soir ?
- Je ne crois pas. Il faut bien deux ou trois jours avant que cela agisse vraiment.
- Tu n'y penses pas ! Et la messe ? Comment je vais faire pendant la messe ? s'écrie le curé tout affolé.
- Ecoute. Pour ce soir, tu vas suivre les consignes de Rika Zaraï.
- Quoi ? Tu te fous de moi ?
- Pas du tout. Tu n'as jamais entendu parler des bains de siège de Rika Zaraï ? Tu demandes à ta Marcelline de faire chauffer de l'eau. Juste tiède l'eau hein ! Elle la verse dans une bassine et y ajoute un bon verre de bicarbonate de soude. Tu devines la suite. Tu trempes ton cul dedans. Ça devrait te soulager momentanément.

Le curé a gourmandé vertement Marcelline qui se demandait bien à quoi pouvait servir ce remède de grand-mère prescrit par le médecin. Et qui voulait savoir et surtout voir. Le curé s'est isolé dans la salle de bain avec son attirail et a suivi scrupuleusement les instructions de Piquemal.
- Ah, ça va mieux ! Ce diable de toubib a raison pense l'abbé. Rien ne vaut la médecine d'antan. Même lui, l'homme de science comme il aime se nommer parfois y a recours. Mais mieux vaut prévenir toutefois. Si jamais l'envie me reprenait pendant la messe...J'ai une idée.

Ce soir, ce sont Jules et Antoine qui vont officier. Pendant que les deux enfants revêtent la robe rouge et le surplis blanc à dentelles, le curé, songeur, enfile sa plus belle chasuble dorée – celle des fêtes – dans la sacristie. Puis ils rejoignent le chœur.
- Mes enfants, quand je vous ferai un signe comme ça dit le prêtre qui se tourne vers l'autel, et agite sa main gauche derrière lui, vous secouerez la clochette pour la génuflexion.
Les gamins se regardent. Ils savent exactement à quel moment ils doivent agiter la sonnette habituellement. Ce n'est pas ordinaire ce soir  mais le curé sait bien ce qu'il fait sans doute.

Les enfants, ces chenapans, ont vite compris la stratégie du curé. Ils ont remarqué que chaque fois qu'il demande la sonnette – c'est très souvent - et qu'il s'agenouille, il se gratte furieusement les parties en douce. Ils n'en peuvent plus de retenir leurs rires.
Tout va très vite. Le prêtre escamote la belle messe de minuit. Les fidèles, grands amateurs de Minuit Chrétiens, Douce Nuit, Sainte Nuit et Il est né le divin enfant commencent à marmonner  puisqu'ils ne peuvent chanter.

Jules prend la petite corbeille destinée aux offrandes et entreprend de faire la quête. Quand il rencontre dans les travées un camarade il murmure : « le curé a des morpions, le curé a des morpions... » La nouvelle se répand comme une traînée de poudre et l'église retentit soudain de rires étouffés.

Le curé aussi a compris : ces diables de gamins ne perdent rien pour attendre. Il monte en chaire. En lieu et place de la célébration de la Nativité dans son homélie qu'il avait pourtant préparée avec amour,  il entame un prêche sur la charité chrétienne.

Le docteur Piquemal, stoïque, ne bronche pas. Il en a vu d'autres. Mais enfin c'est une drôle de messe. Il se gratte la tête – tiens, lui aussi ? - en se demandant ce qu'il va raconter à sa femme en rentrant. Comme il sait que de lui et aussi d'elle dépend la suite de l'évènement, il pense que, cette fois, la vérité est bonne à dire. Mieux vaut avouer une urticaire pour ce pauvre Tage qu'une invasion de petites bestioles. L'honneur, au moins sera sauf.

19 décembre 2020

De la mode à l'anarchie (Yvanne)

 

Elle s'appelle Anna, Henriette Estorges. Elle est née en août 1887 dans un petit village corrézien situé non loin de Brive la Gaillarde. Elle est issue d'un milieu paysan. En possession du certificat d'étude et du brevet élémentaire, elle se destine au métier d'institutrice et s'apprête à intégrer l'Ecole Normale d'instituteurs à Tulle quand le destin en décide autrement. Son père, dont le métier de maçon fait vivre la famille décède brusquement.
Sa mère ne trouve pas d'autre solution pour subsister que de vouloir la marier comme cela se faisait fréquemment alors. Anna, dite Rirette se cabre, refuse tous les partis qui se présentent nombreux car elle est une fort jolie fille. « Plutôt l'amour sans mariage que le mariage sans amour. »clame-t-elle. Elle vient de prendre là le chemin d'une existence peu banale.

Elle grimpe dans un train pour « monter» à Paris, ce dont elle rêve depuis longtemps, la tête pleine de ses lectures et cherche du travail. Elle est embauchée - peut-être grâce à sa beauté - dans un atelier de couture comme beaucoup de jeunes filles alors, la mode prenant un essor important en ce début de siècle. Est-elle douée pour manier l'aiguille ? Pas si sûr. Sème-t-elle le trouble parmi les cousettes, midinettes et autres petites-mains de l'atelier ? Pas étonnant. Rirette, dotée d'un fort tempérament, milite déjà contre la domination masculine. Ce qui est forcément mal vu par les contremaîtres, souvent des hommes ou par des femmes soucieuses de leur tranquillité, ne voulant pas de vagues qui indisposeraient les patrons.

Pour l'éloigner de ses compagnes, on l'affecte aux livraisons à domicile des robes, chapeaux et autres articles vestimentaires destinés aux plus fortunés. On imagine tout-à-fait la jolie et vive brunette, toujours très bien mise, trottant à bonne allure dans les rues de la capitale, en cheveux – pourquoi s'affubler d'un bibi quand on a une somptueuse chevelure – portant sous le bras cartons, boîtes à chaussures ou à couvre-chef. Mais Rirette enrage d'être un vulgaire trottin, elle qui a fait des études. Arpenter les rues de Paris pour les riches ne la satisfait pas du tout et surtout cela ne nourrit guère son intellect. Elle a d'autres aspirations.

Parallèlement à son gagne-pain, Rirette fréquente la Sorbonne et aussi les Causeries populaires animées par Albert Libertad qui édite le journal l'Anarchie. Elle y rencontre son mari, Louis Petitjean dont elle a deux filles et s'implique avec lui dans le parti anarchiste individualiste. Elle divorce et devient responsable du journal l'Anarchie au côté de son nouveau compagnon d'origine belge, Victor Serge. Elle vit alors dans une communauté libertaire qui prône l'amour libre.

En 1911, venant de Lyon, un certain Jules Bonnot rejoint le groupe. Il entraîne dans son sillage plusieurs membres de l'association dans une escalade sanglante. Rirette est emprisonnée pour recel d'armes à feu. Sa vie bascule dans la tragédie de « la bande à Bonnot » et son procès retentissant d'où elle sort libre.

Plus tard, elle s'éloigne du courant individualiste. Elle travaille comme correctrice de presse à Paris soir, puis au journal Libération, aux éditions Flammarion et en dernier lieu elle écrit dans le journal Liberté fondé par Louis Lecoin. Elle se lie d'amitié avec Albert Camus qu'elle initie à la pensée libertaire et lui fait découvrir les milieux anarchistes.

Elle devient aveugle et meurt en juin 1968 en pleine libération des mœurs. Le dernier clin d'œil de cette anarchiste étonnante qui s'est surtout battue tout comme Louise Michel pour l'indépendance et la liberté des femmes.

 

28 novembre 2020

Couac (Yvanne)

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Couac.


- Tu fais quoi  ?
- Quoi ?
- Tu fais quoi ?
- Une jambe de bois.
- N'importe quoi !
- Tu me crois pas ?
- Quoique...avec toi...
- Je fais une jambe de bois.
- Pourquoi ?
- Tu veux dire pour qui ?
- A quoi bon.
- Pour ma belle-mère.
- Tu racontes dieu sait quoi.
- Si je te le dis...
- Ta belle-mère avec une jambe de bois ?
- Ça sert à quoi que je t'explique ?
- Quoi qu'il en soit, ça me laisse coi.
- Ben quoi ! J'ai pas le droit ?
- De quoi ?
- De faire une jambe de bois.
- En tout cas, c'est pas droit.
- Oh, ça va, avec ton air narquois.
- Ma foi, c'est pourtant de guingois.
- Je ne sais plus quoi te dire.
- Alors, tais-roi.
- Ou quoi ?
- Explique-moi.
- C'est pour son homme debout.
- Quoi ?

21 novembre 2020

Sapins écolos (Yvanne)

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- Il y aura pléthore de sapins pour Noêl. Des vrais. Ceux des sapinières. C'est le ministre de l'agriculture qui l'a dit. Mais moi je n'irai pas à Bordeaux. Tant pis. Tant mieux. Qu'est-ce qu'il croit Monsieur le Maire de Bordeaux ? Que je suis dépité parce que je ne vais pas, comme mes aînés des Noëls précédents, trôner sur la place Pey-Berland de sa belle ville ? Que nenni, cher Monsieur. Vous m'évitez un voyage inconfortable de 300 kilomètres sur une remorque de camion. Et vous n'imaginez pas comme cela me fait chaud au cœur de passer les fêtes  de fin d'année dans ma Corrèze natale. Oui, cher Monsieur, puisque vous m'avez écarté d'un « je ne veux pas d'un arbre mort » sous prétexte de la jouer écolo – ça m'amuse -  je vous répondrais que des fins comme la mienne, tous les arbres de la Terre en souhaiteraient une semblable. Tout d'abord, pourquoi dîtes-vous que je suis un cadavre ? En avez-vous vu souvent des macchabées aussi fringants que moi ? Vous allez me regretter vous et vos administrés foi de sapin.

- Eh oh arrête  le Grand !  Ben oui, tu es vexé toi qui te prends pour le roi de la forêt ! Bien sûr que tu aurais aimé voir du pays et montrer ta belle prestance aux Bordelais. Mais l'édile n'a pas voulu de toi. Tu te souviens de la vieille histoire des vins bordelais vendus dans le Nord de la France et en Belgique par des Corréziens ? Qui avaient osé, il y a plus d'un siècle,  l'appellation « Meymac-près-Bordeaux » sur les étiquettes ? Et ça a marché : nos compatriotes étaient très malins et forts en affaires. Tu vois, à mon avis,  ils n'ont pas encore digéré, les Bordelais. Ils n'ont pas digéré et il fallait que ça se paie un jour. Que veux-tu : tu en fais les frais. Dommage pour toi !

- Tais-toi nabot ! Toi et tes copains de la même espèce,  vous allez finir arrachés, ensachés, entassés, mêlés...pour arriver tout fripés, tout fatigués, tout laids sur les marchés. Ensuite, après votre petite période de gloire, vous serez desséchés, jetés, brûlés, compostés...Vous n'avez pas un sort enviable, ça non mes pauvres gringalets.
- Tu me fais rire !  Ton destin serait-il meilleur que le nôtre, vaniteux ? Toi aussi tu vas mourir.
- Ah mais non ! Je te parie 10 pommes de pin que je vivrai des années encore. Sais-tu que le magistrat qui m'accueille dans sa commune de Malemort fera de mon bois des bancs pour agrémenter les lieux de promenade ? Je m'en réjouis d' avance.
- Taratata ! Cause toujours. Tu te voyais déjà étalant tes branches alourdies de guirlandes enluminées et d'étoiles à ton sommet devant la Mairie de Bordeaux. Je dois en convenir : tu as fière allure avec tes 20 mètres de hauteur et tu aurais fait sensation. Ils ne savent pas ce qu'ils perdent. Ah, bah ! Noël sans nous, ce n'est pas vraiment Noël.
- Mais oui. Ce n'est pas un spectacle éphémère qui va remplacer les traditions. Nous sommes magiques. Moi plus que vous évidemment.
- Tu recommences ? Qui va embaumer les salons ?  Qui va enchanter les marmots tout fiers de nous parer pour la grande fête ? Qui va abriter les petits souliers ? Qui va observer d'un regard attendri les  enfants heureux de déballer leurs cadeaux posés à notre pied ? Certainement pas toi.
- Tu as raison. On ne va se disputer. Mais je t'assure que j'en ai gros sur la patate quand on dit de nous que nous faisons entorse à l'écologie. Qu'ils continuent donc, ces imbéciles à importer leurs sapins en plastique de Chine. C'est certainement mieux – croient-ils - pour l'environnement et la santé des enfants. Après tout, cela nous permettra de vivre longtemps dans nos forêts alors que nous sommes bien obligés actuellement de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

- Le Maire écologiste de Bordeaux a refusé le sapin corrézien prévu cette année pour les fêtes de Noël en le taxant d'arbre mort. Non mais oh !
- L'histoire des vins bordelais portant le label « Meymac-près-Bordeaux » vendus par des Corréziens à partir de 1860 est vraie. Meymac est une petite cité du nord de la Corrèze.  Sont-ils coquins ces Corréziens !

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