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Le défi du samedi
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24 décembre 2022

Un hôte providentiel (Yvanne)

 Dans une chaumière, au cœur de la forêt, cette veille de Noël se déroule, paisible. Un grand feu flambe dans la cheminée. Sous le sapin qui scintille, une multitude de cadeaux s'amoncelle. Les sept nains et Blanche Neige regardent de temps en temps tomber la neige à gros flocons sur les bois alentours et se félicitent d'être ensemble bien au chaud.

Blanche Neige brode, assise devant le foyer, Timide lové contre elle. Dormeur ronfle à ses pieds tandis que Simplet attise inutilement les braises dans l'âtre. Atchoum n'en finit pas de tremper ses mouchoirs. Joyeux chante « Douce Nuit » mais tellement faux qu'il agace Prof et Grincheux. Ces derniers disputent une partie de scrabble.
- Dodécasyllabe claironne le nain érudit. 13 lettres . Mot compte double.
- C'est toujours pareil avec toi grogne son adversaire. Tu inventes pour faire l'intéressant. J'en ai assez. Je ne joue plus.
Les paroles aigres de Grincheux font réagir Blanche Neige.
- Allons allons mes amis. Ne vous chamaillez pas. J'ai une idée. Et si on invitait le Père Noël pour demain ?
- Ah non ! s'écrie Grincheux. Pas ce bonhomme suffisant qui se croit important parce que les enfants l'adorent. Je vois rouge dès qu'on en parle.
- C'est une excellente initiative chère Blanche Neige approuve Prof en replaçant correctement ses lunettes sur son nez. Il est sûrement très cultivé. En parcourant le monde il apprend beaucoup sur les pays qu'il arpente. J'apprécierais s'il accepte ta demande.
- J'aurais bien voulu faire la grasse matinée moi demain s'insurge Dormeur en baillant et s'étirant.
- Oh oui super ! jubile Joyeux. On va bien s'amuser.
- Atchoum et Timide, vous en pensez quoi ?
- Euh...Moi, tu sais, Blanche Neige...répond Timide en croisant et décroisant nerveusement ses doigts.
- Eh bien Atchoum ?
- At...at...choum ! C'est pas la grande forme. Faites comme vous voulez.
- Bon. Tout le monde est d'accord. Sauf Grincheux bien entendu. Mais la majorité l'emporte. Nous allons téléphoner à ce brave homme. Prof, prête-moi ton smartphone s'il te plaît.

Quelques minutes plus tard.

- Parfait les amis. Il a promis d'arriver vers midi. Nous allons décider du menu et du plan de table. Qui s'y colle ? Je précise que je m'occupe du gâteau. J'ai une merveilleuse recette d'omelette norvégienne. Ce dessert lui rappellera son pays.
- Et si on cuisinait du renne ? interroge Simplet tout émoustillé par sa trouvaille. Ce serait original.
- Original ? De l'orignal ? se moque Grincheux en haussant les épaules. Tu ne veux tout de même pas lui faire manger ses précieux compagnons ? Je propose une dinde bien dodue. Farcie aux champignons. Nous n'en manquons pas depuis que Joyeux se promène en forêt pendant que nous nous échinons à couper du bois pendant les week-ends.
- Ben tu vois je n'ai pas perdu mon temps s'insurge Joyeux en clignant de l'œil. Le Père Noël va se régaler avec mes cèpes.
- Ça suffit tous les deux. Atchoum, va donc prendre une grosse bûche dans la remise pendant que nous dressons la table. Il nous faut un bon feu pour réchauffer notre visiteur. Et n'oublie pas de mettre ton cache-nez avant de sortir.
- Blanche Neige, je place le Père Noël tout au bout de la table et toi à sa gauche annonce doctement Prof en posant de jolies cartes naïves dessinées par Simplet devant chaque couvert. Qui allons-nous installer à sa droite ? Pas Atchoum qui lui refilerait ses microbes. Ce n'est pas le moment. Pas Dormeur qui manque d'élégance à bailler à s'en décrocher la mâchoire à longueur de temps. Simplet ? Hum, le pauvre...N'en parlons pas. Grincheux ? Il serait bien capable de critiquer vertement le travail du bonhomme auprès des enfants. Timide serait trop mal à l'aise. Peut être Joyeux ? Non . Il va le fatiguer avec ses blagues de potache qui ne sont pas toujours de bon goût.
- Prof, tu n'es pas tendre avec tes petits camarades. Mais, j'en conviens, tu es sans doute le mieux placé pour t'asseoir à droite de notre invité. Maintenant allons sans plus tarder aux fourneaux.

25 décembre midi. Une cavalcade devant la maison et un grand coup de frein. Le traîneau s'arrête.

- Le voilà ! Le voilà ! s'exclament les sept nains agglutinés derrière les carreaux pendant que Blanche Neige se fait une beauté dans la salle de bain.
Tout le monde se précipite sur le perron pour accueillir le père Noël. Il est très chargé et semble épuisé. Il salue chaleureusement ses hôtes tour à tour en distribuant à chacun un petit cadeau.
Atchoum reçoit une trousse de médicaments – sirop, gouttes pour le nez, pastilles pour la gorge – afin de soigner efficacement ses rhumes chroniques ; Simplet, des crayons de couleur ; Prof, une tablette numérique ; Joyeux, un dvd des Chevaliers du Fiel qu'il adore ; Dormeur, un oreiller en plume d'oie ; Timide, un déguisement de Superman pour s'affirmer ; Grincheux, un traité de philosophie : comment devenir aimable. Ce qui vaut d'ailleurs de sa part un regard noir au bonhomme barbu.

Mais Blanche Neige ? Où est Blanche Neige ? La voilà qui s'avance en souriant et en tendant les mains à son hôte. Que se passe-t-il ? Le Père Noël n'est plus le Père Noël. Le Père Noël n'existe plus. La houppelande rouge, les bottes fourrées, le gros bonnet bordé de fourrure, la longe barbe blanche, tout ceci gît à terre.

Qui est ce magnifique jeune homme qui prend la jeune fille dans ses bras sous les yeux émerveillés des sept nains ? Un cadeau du Père Noël sans doute.

 

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17 décembre 2022

Un âne au Paradis. (Yvanne)

 

Joseph Nicoulin dit « le Nicou » du village de la Buffadière venait de mourir. Nombreux furent ceux qui l'accompagnèrent à l'église puis au cimetière. Joseph, facteur de son état était apprécié de tous. Serviable, ponctuel, aimable, le préposé rendait de nombreux services aux personnes qui ne pouvaient se déplacer. Les ménagères le récompensaient en lui donnant qui deux tourtous (galettes de blé noir salées) qui une portion de civet etc...On supposait que Joseph, tellement maigre qu'il faisait peine à voir, ne s'embarrassait pas avec la cuisine. Il était aussi un homme très secret et ne recevait personne dans sa maisonnette située à l'écart dans la commune. La Buffadière ne comptait qu'un seul habitant : lui.

Le Nicou était célibataire, un célibataire tellement endurci que pas une femme n'avait réussi à mettre le grappin dessus malgré de gros efforts. Joseph avait du bien et on le savait. Certaines femmes ayant coiffé Sainte Catherine n'auraient pas hésité à se perdre pour convoler. C'était peine perdue : il était aveugle à toutes les avances.

Joseph n'aimait que les ânes. Il en eut plusieurs sa vie durant. A son décès tout le monde s'interrogeait pour savoir ce que l'on allait faire de Barbarin, le dernier en date, tellement vieux et décrépi que pas un paroissien n'en voulait. La pauvre bête avait bien compris que sa vie était fichue. Il mourut le lendemain de l'enterrement de son maître. On le trouva raide dans son étable.

L'histoire était finie sur cette terre pour les deux amis. Mais pas au Ciel. Dieu, voyant arriver chez lui Joseph suivi de son fidèle Barbarin convoqua Saint Pierre et le curé de la commune décédé quelques mois plus tôt. Ce dernier se prélassait dans le jardin d'Eden en croquant des pommes, ses fruits préférés. Non, il n'avait pas peur de la tentation. Du moins pas de celle-là.

Le diable, toujours à l’affût d'une bonne affaire s'imposa. Le colloque délibéra. Et ce fut animé. Le curé possédait le testament de Joseph dans lequel ce dernier précisait que Barbarin devait le suivre au Paradis s'il tel était son destin. Ce dont il ne doutait pas.

Un âne au Paradis ? Dieu, l'air dubitatif, caressait sa barbe qu'il avait longue et blanche comme celle du Père Noël. Saint Pierre brandissait sa clé et sa tête en signe de dénégation pour montrer son désaccord. Le curé insistait en mettant sous le nez du Créateur qu'il avait introduit sur la Terre aussi bien des hommes que des animaux. Pourquoi délaisser une partie de ses créatures ? Le curé osa dire que ce n'était pas juste. Le diable piétinait d'impatience, le regard avide. Il avait déjà une idée. Il allait mettre le bourricot au boulot en le faisant tourner autour de son foyer. Attaché à un énorme soufflet, la bête servirait à l'actionner pour alimenter les flammes. Il suggéra que chez lui Barbarin serait très utile.

Dieu posa sur sa balance céleste les arguments des uns et des autres. Il fallait trancher.

- Curé, as-tu béni l'âne chaque année durant ton sacerdoce ?
- Oui, bien sûr Seigneur. Je n'ai jamais manqué mes bénédictions des étables et des écuries.
- Et tu en a profité pour baffrer chez le maire et les riches de ta commune. Ça je sais. Passons. Et Joseph ?
- Quoi Joseph ?
- Il me semble qu'il ne fréquentait guère ton église pour la messe du dimanche ? Il préférait braconner quelques truites dans le ruisseau de la Buffadière. Dont tu as profité quelquefois non ?
- C'est vrai Seigneur. Mais vous savez la bonté du Nicou. Un saint homme...
- Saint ? Pas si vite curé ! Pour qui te prends-tu pour décider à ma place ?
- Oh ! Seigneur, je ne voulais pas vous offenser. Euh... le Nicou me tiendrait compagnie. Je suis bien chez vous mais quelquefois je m'ennuie. - -  - C'est dur ici de demeurer en chasteté avec toutes ces...Et Barbarin alors ? Qu'allez-vous en faire ?
- Ne me fais pas regretter de t'avoir accueilli. Mais cet âne...Avec ce nom...Ça me chiffonne un peu. Barbarin Bar-ba-rin ! Il a des comptes à régler avec moi celui-là. Je ne veux pas entendre prononcer ce nom chez moi. Débrouillez-vous pour nommer l'animal autrement. C'est bon. - - - Saint Pierre, ouvre la porte et filez tous les trois avant que je change d'avis. Un âne au Paradis ? On aura tout vu mais ce brave Francis Jammes me le demande depuis si longtemps...
 

 

10 décembre 2022

Belgissismes : j'en suis bleue ! (Yvanne)

 

Oufti ! Quel brol ici dedans ! Et l'autre qui me prend pour sa femme d'ouvrage. Je ne suis pourtant pas spitante ce matin. Pas du tout du tout. Allez ma vieille il va falloir mordre sur ta chique, arrêter de tchouler et gazer.
Et pendant ce temps, depuis qu'il est pensionné mon Julot se prélasse au caberdouche à lire sa gazette et boire un coup de blanc avec ce frotte-manche de Léon. Il va pas attraper des cloches aux mains c'est sûr. Enfin il n'est jamais bitu c'est déjà çà. Ah ben de temps en temps ils se prennent une douffe à la gueuze tous les deux et alors c'est la bisbrouille. Mais elle ne dure guère.
Bon. Au kot à balais. Voilà mon mop, ma ramacette, mon torchon et ma loque. Tout ce qu'il faut. Zut j'ai filé mon bas-collant et je dois venir avec Françoise tantôt. Je l'aime bien Françoise. Elle est un peu mêle-tout et il faut toujours sucer de son pouce pour savoir exactement ce qu'elle veut dire mais elle sait bien tirer son plan. Elle est dégourdie et généreuse. Pas comme Louise qui fait de son nez et, en plus, a toujours un œuf à peler avec quelqu'un. Quelquefois ça me chatouille de lui dire son fait. Et moi je ne suis qu'une clapette tiens !

Au boulot ! Je vais reloquer rouf-rouf le divan et le tapis-plain du séjour. Pas le temps pour les moumoutches et tant pis pour la berdouille sur le carrelage aujourd'hui. Il drache tous les jours et si ça tombe Jules va rentrer avec ses croquenots sales. S'en fout. Toute façon il ne pense qu'à son boutroule ce goulafre. Et après le dîner il pique son petit niquet.Tranquille ! Il va pas tarder. Je vais brancher ma lessiveuse et sortir ma manne à linge puis voir un peu la cuisine.

Pas possible ! La taque de cuisson est pleine de sauce tomate. Bêke ! Ça a spité partout et ça plèque. L'évier est rempli de jattes. Il a même pas lavé la vaisselle ce matin pendant que je faisais la file et tirais ma charrette au super marché. Quel broleux ! Abîe, un coup d'essuie partout et ça ira. Je vais mettre mes patates à casaque dans la casserole à pression pour le stoemp et préparer la salade de blé.

Voilà Jules qui toque à la porte. Non peut être l'a pas pris ses clefs. Peut toujours me sonner. Klette Mariette. Va attendre le fieu. S'il croit aussi que je vais lui faire la baise et qu'il peut me froucheler, peut toujours courir. Je suis en rote et d'ailleurs, après moi les mouches !

 

3 décembre 2022

Tasseira ou pierre magique. (Yvanne)

 

En Limousin comme ailleurs sans doute, croyances et superstitions étaient choses communes. S'y mêlait en bonne part la religion. On prêtait bien des pouvoirs aux pierres autant pour protéger du mauvais sort que pour guérir de certains maux. Et ceci depuis l'Antiquité. Je ne sais pas quant à moi si elles ont des vertus apotropaïques mais j'aime les pierres, précieuses, semi-précieuses ou simples cailloux. J'en ramène (cailloux) très souvent de mes balades et même de mes voyages. Leur forme, leur couleur m'attire et j'en ramasse beaucoup...trop. Quant aux soins qu'elles sont censées prodiguer – la lithothérapie – j'aimerais m'y intéresser davantage. Pourquoi pas ? Cette « science » est de nos jours très à la mode et beaucoup s'y raccrochent. Les bracelets « œil de tigre » « obsidienne » « amazonite » etc... font fureur en ce moment. On dit de la malachite qu'elle éloigne le mauvais œil, de l'émeraude qu'elle combat les esprits du mal et de l'ambre qu'elle défend des envoûtements. Ce ne sont que quelques exemples.

Dans ma famille on parlait de cette pierre ronde que l'on nommait la tasseira. Beaucoup de foyers la possédaient ou en rêvaient. Elle était sensée guérir les maladies des yeux. On ne devait pas la prêter sous peine de malheur. Les Romains l'utilisaient déjà et l'appelaient « pierre de l'hirondelle . » Pour se la procurer il fallait saisir dans son nid un bébé hirondelle n'ayant pas encore pris son envol. On lui crevait un œil (!) et la légende raconte que la maman oiseau partait au-delà des mers pour chercher et ramener la tasseira. Elle l'introduisait dans l'œil de son oisillon et il guérissait. On démolissait le nid ensuite à l'automne pour récupérer l'objet convoité. Un geste cruel mais il importait alors de trouver des moyens pour se soigner. Et surtout on y croyait fermement. Il fallait bien se rattacher à quelque chose. On pouvait aussi trouver cette pierre dans la nature. On disait qu'elle était minuscule, blanche et finement polie.

Ici, en Corrèze on connaissait surtout « les tesserous » des petites pierres percées et de différentes couleurs que l'on enfilait au nombre de cinq - ou moins ou plus mais toujours un nombre impair - sur un lacet noir. On le suspendait au cou des personnes que l'on pensait envoûtées pour conjurer le mauvais sort. Il existait encore d'autres moyens étranges pour lutter contre l'emprise maléfique d'un sorcier ou des esprits mauvais. Porter un vêtement à l'envers ou un sachet de sel par exemple vous protégeait si vous en rencontriez.

Une autre anecdote me vient à l'esprit : celle du « bézoard ». C'est une concrétion minérale qui se forme dans l'estomac ou l'intestin des ruminants. Certains sorciers limousins la faisaient monter en bague et cette amulette leur donnait beaucoup de pouvoirs notamment ceux de lutter contre le venin de serpent. Notre ami Walrus aurait pu choisir aussi le mot « abraxas » (peut être l'a-t-il déjà fait d'ailleurs auparavant) Il désigne une autre pierre taillée celle-ci et gravée de caractères magiques. Ce talisman fut crée en Egypte au 2ème siècle et on le portait comme amulette protectrice.

J'ai lu récemment une belle légende indienne. Elle raconte que lors d'une attaque surprise de la cavalerie US contre les apaches, les larmes de leurs femmes se sont transformées en pierres apotropaïques. Celles-ci sont ovales, noires et lisses, transparentes à la lumière du jour. Celui ou celle qui trouve cette pierre miraculeuse ne pleurera plus car la femme apache a pleuré pour lui ou pour elle. Peut être Joye, dans sa lointaine Amérique a-t-elle la chance de posséder un tel trésor ! Je le lui souhaite.
 

26 novembre 2022

Grivoiseries enfantines (Yvanne)

 

Zapette, c'est un petit nom charmant. Pas comme Ignace n'est ce pas Monsieur Fernandel ! Oui, zapette ce pourrait être un prénom. Féminin bien sûr et pas plus ridicule que certains qui sonnent bizarrement à l'oreille. Pour moi cependant « zapette » ne signifie pas grand chose pour ce qu'il désigne parce que j'appelle une télécommande tout simplement une télécommande. Et comme la télévision n'est pas ma tasse de thé je ne l'utilise pas beaucoup.

Alors cher Walrus je vais parler d'autre chose. T'inquiète : le mot de mon histoire commence aussi par un « Z » Il s'agit de « zézette ». Non les amis, pas de crainte, je ne vais pas verser dans la pornographie – quoique ! - ni même la pâtisserie en référence aux excellents biscuits sétois parfumés à la vanille. Zézette, c'est moi. Enfin c'était moi. Ben oui. Quand j'étais une minote de 4 ou 5 ans. Et seulement pour deux personnes.

Dans mon village il y avait et il y a toujours d'ailleurs une très grande maison bourgeoise qui était, dans les années 60 divisée en appartements. Au rez de chaussée,venaient de Bordeaux pour passer l'été, deux sœurs célibataires très âgées – pour moi, elles l'étaient en tout cas.
Petite fille un brin délurée, ne supportant aucune entrave, sitôt échappée de la maison familiale, j'allais dans le hangar à bois pour me débarrasser de ma petite culotte. Je me promenais donc nue sous ma robe sans gêne aucune.

Les deux sœurs, des vieilles bigotes, ne supportaient évidemment pas de me voir déambuler cul-nu. Et j'imagine que cela arrangeait mes petites affaires. Assez polissonne pour aller me pavaner devant chez elles et attirer leur attention par quelque ruse. Elles étaient horrifiées. Elles avaient d'abord commencé par des petites menaces genre « nous allons avertir ta maman. » Ce qu'elles s'étaient empressées de faire bien sûr. Mais mes parents avaient d'autres chats à fouetter avec les travaux des champs que de surveiller ma tenue. Je le savais bien. Les frangines en avaient pris leur parti et changé de méthode.

Elles me faisaient ensuite du chantage. Un chantage très profitable pour moi à vrai dire. «  Zézette, si tu mets ta culotte, tu auras un bonbon ». Je courais alors au hangar enfiler le sous vêtement et me précipitais chez elles pour soulever ma robe, toute fière. Chouette, un bonbon !
Je repartais aussi sec vers le hangar et le manège recommençait. Jusqu'à ce que, lassées, elles n'ouvrent plus leur porte et laissent aller la sauvageonne.

Quand elles me donnaient une friandise pour récompenser ma bonne volonté (!) j'étais ravie. Mais quelques fois, elles fouillaient au fond d'un tiroir où elles dénichaient un sou (percé) d'avant guerre qu'elles me tendaient croyant me berner. Je savais bien que les sous – les vrais – n'étaient pas percés. Dans ce cas je quittais le logement un peu contrite et je balançais le sou presque sous leur nez. Bien fait pour elles : je restais sans culotte !

J'ai un prénom qui se termine en « ette » comme beaucoup de filles nées dans les année 50. Les demoiselles m'appelaient « Zézette » je ne sais pas pourquoi. Je n'y prêtais pas attention. Jusqu'au jour où un grand s'est moqué de moi en répétant « Zézette, Zézette » en accompagnant sa raillerie d'un geste obscène. J'ai compris confusément qu'il y avait peut être une relation entre le sobriquet et le fait que j'allais cul-nu. Je ne savais pas encore ce que « zézette » voulait vraiment dire. Toujours est il qu'à partir de là je n'ai plus posé ma culotte. Ce fut tant pis pour les demoiselles qui ne m'intéressaient plus même si je regrettais les bonbons.
 

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19 novembre 2022

Tintignac (Yvanne)

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Youpi ! Je vais faire d'une pierre deux coups comme dit l'autre. Sans le savoir et sans le vouloir l'ami Walrus me donne l'occasion de vous servir ma daube commencée la semaine dernière et laissée en plan pour courir après Ernest, mon espiègle petit fils. Daube, daube, tiens nous y voilà déjà : daube vient, il paraît, de adouber qui signifiait préparer, armer un chevalier.
Tant pis, mes amis si vous êtes déjà passés à des histoires moins guerrières. Avec « youpi » ça devrait le faire il me semble. On verra. Moi j'en suis encore à chercher l'arme qui pourrait concurrencer dans le temps le xyphos. Ah, il pioche le prof, pour nous servir les mots les plus extravagants – j'allais dire les plus tordus ! - les plus abracadabrantesques ( eh oui, celui-là je l'aime bien : on n'est pas corrézien et amateur de pommes et de tête de veau pour rien ! )

Bon. Passons aux choses sérieuses et venez avec moi visiter Tintignac. Vous ne serez pas déçus. Enfin, si vous vous intéressez un tant soit peu à l'archéologie.
Durant mon enfance, j'allais parfois en vacances chez ma marraine qui habitait tout près du site. On parlait communément alors « des arènes de Tintignac » appellation qui s'est révélée impropre à la suite des fouilles entreprises, surtout depuis 2001. Mais il avait suscité l'intérêt bien avant puisqu'il fut classé monument historique en 1840 après la visite de Prosper Mérimée.

Lors de ces vacances, mes pas me conduisaient toujours sur ce lieu pittoresque qui attisait ma curiosité. Des murettes émergeaient du sol et personne autour de moi ne pouvait me donner d'explications quant à ce bâti qui semblait très ancien. L'endroit n'en devenait que plus intrigant et mystérieux. Il y régnait une atmosphère étrange, faite de vide et de silence et en même temps j'y sentais une présence, plutôt des présences multiples et rassurantes. Mon imagination m'emportait loin. J'imaginais une maison, seule rescapée d'un village et j'inventais les vies de ceux qui avaient pu habiter là. J'étais loin de me douter alors de ce qu'il allait advenir par la suite avec les différentes découvertes : Tintignac n'était pas un village mais bien une ville, luxueuse d'ailleurs.

Tintignac se situe en fait sur le territoire du peuple gaulois des Lémovices et renferme des trésors archéologiques de la plus grande importance. Je ne vous parlerai que de ce qui est le sujet principal de mon texte, à savoir l'arsenal guerrier mis à jour en septembre 2004. Plus de 500 fragments d'objets en bronze et en fer ont été trouvés dans une fosse. Parmi eux, pas de xyphos bien sûr – laissons cela à la Grèce antique - mais une dizaine d'épées gauloises, des fourreaux, des fers de lance, des éléments de boucliers, des pièces d'arnachement, des casques ouvragés à tête d'oiseau et sept carnyx (trompettes de guerre) à tête de sanglier ou de serpent, dont un carnyx presque entier. Un trésor inestimable, unique au monde. Les épées étaient initialement longues d'environ un mètre et volontairement brisées en deux. Leurs poignées étaient de bois et les lames en fer arrondies à leur extrémité. Les archéologues supposent que ces mutilations rituelles des armes de guerre déposées là participaient aux offrandes faites à une divinité avant la destruction du sanctuaire.

Tintignac n'a pas encore révélé tous ses secrets. Je me dis, chaque fois qu'il m'arrive de passer devant le site qui ne ressemble plus à ce qu'il était quand j'avais 10 ou 12 ans, tellement il a pris de l'importance, je me dis donc  avec une certaine émotion : je savais bien que ce lieu grouillait de vie et de vies souterraines qui s'avèrent riches en patrimoine socio-culturel.
 

22 octobre 2022

Ufologue et ufologie (Yvanne)

 

y

 U utopique

 F farfelu

 O occulte

 L lunaire

 O obscur

 G grotesque

 U ubuesque

 E ésotérique.

 

 

                                                                       Ovni soit qui mal y pense.

 

15 octobre 2022

Roussel et Corbillat (Yvanne)


Au petit matin Roussel traverse le grand pré pour regagner la forêt. Il chemine, penaud, la langue pendante, la queue basse et le ventre vide. Il n'a rien mangé depuis trois jours. Fini le temps où il lui suffisait de s'approcher de l'élevage de poulets en plein air. C'était gagnant-gagnant à tous les coups. Dans un coin de la clôture il avait creusé un trou presque invisible par lequel il s'infiltrait en se contorsionnant et c'était ensuite un jeu d'enfant de s'emparer d'une volaille peu farouche.

Il n'avait pas besoin d'errer lamentablement – et en vain - comme toute cette nuit dernière pour trouver de quoi se mettre sous les crocs. Ah, il en a fait des festins, nourri sa femelle et ses petits sans peine au printemps dernier. Le fermier a fini par s'apercevoir de ses larcins et a électrifié toute son enclos. Quel ennui ! De plus, il n'y a plus un seul lapin de garenne, tous décimés par la maladie. D'ailleurs, il est tellement fatigué qu'il n'arrive même pas à courir après la moindre proie.

Il se désespère et s'apprête à regagner son terrier pour se reposer. Soudain il aperçoit, juste au-dessus de sa tête, sur la branche basse d'un arbre dégarni par l'hiver, son voisin Corbillat. L'oiseau le regarde fixement de son œil noir et brillant comme une pierre d'onyx. Roussel  note que le volatile tient entre ses pattes un mulot gros et gras. Très intéressant. Sa fatigue disparaît comme par enchantement. Il lui faut cet animal de peu coûte que coûte. C'est une question de survie.

Roussel s'assoit sous le châtaignier où est installé l'oiseau et lève un museau bavant de convoitise.
 - Salut Corbillat  !  Dis, tu es frais comme un gardon et quelle prestance ! Tu n'as pas trop froid là-haut ?
 - Tiens donc ! Roussel. Que fais-tu par ici mon brave ?
 - Je rentre chez moi. Je n'en peux plus mon cher ami. J'ai tellement faim. Tu ne voudrais pas me donner un peu de ta charogne ? Promis. Je te rendrai au centuple quand j'aurai repris quelques forces.
 - Taratata ! On te connaît le rouquin. Passe ton chemin. Et va te refaire le poil que tu ressembles à de la vieille moquette pisseuse.
 - Oh là ! Pas sympa. Mais tu as raison : j'ai mauvaise mine. C'est pour ça que je t'implore, te supplie...
 - Tu ne m'apitoies pas et je n'ai pas du tout envie d'être sympa avec toi. Cesse donc de geindre. Cette fois tu ne me feras pas le coup tordu du fromage. Tu te souviens ?  Et, à propos de cou, à tendre le tien comme tu le fais tu vas attraper un torticolis. Tu n'as pas besoin de ça mon pauvre...Aaaah !

Le mulot n'est pas mort. Profitant d'un mouvement d'inattention de son prédateur pour se dégourdir les pattes, il se laisse tomber au sol et s'enfuit.
Roussel n'a rien perdu de la scène. Il utilise ses dernières forces et d'un coup de griffe récupère le petit rongeur. C'est sans compter sur la promptitude du corbeau qui s'abat d'un coup d'aile sur le renard. S'en suit une bataille rangée qui permet au mulot de sauver sa peau, cette fois pour de bon.

Tapi dans le fossé, le rat observe d'un œil ironique le carnage. Il n'est pas très fier de sa mésaventure mais il se dit avec philosophie :
Je l'ai échappé belle et je m'en sors bien.
« En toute chose il faut considérer la fin. »

16 juillet 2022

Mes antennes.(Yvanne)

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Ah bien sûr ma tour n'est pas aussi rutilante que la tour japonaise de notre ami Walrus !

 

Ne me demandez pas pas à quoi elle a pu servir autrefois (aujourd'hui elle ne sert à rien) je ne le sais pas. Ici on dit « les antennes de Belveyre ». Voilà tout. Belveyre est un joli village Corrèzien - célèbre pour sa foire aux chèvres annuelle très prisée - qui dépend de la commune de Nespouls. C'est de ce village et de cette tour en particulier que partent plusieurs chemins de randonnées sur le Causse Corrèzien en limite du Lot voisin. Je fais très souvent ces balades surtout quand fleurissent les orchidées sauvages au printemps. Les antennes me servent de repère parce qu'on les voit de loin. Très appréciable quand on a, comme moi tendance à s'égarer !

 

 

 

9 juillet 2022

Humeurs de chiens (Yvanne)

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Walrus nous propose de plancher sur l'image ci-dessus.

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Nom d'un chien de nom d'un chien, j'en peux plus moi ! Wouah, tous ces étages à grimper. Ça fait la 4ème fois aujourd'hui. Plus je deviens vieux, plus j'ai envie de pisser. J'y peux rien. Peux quand même pas me soulager dans l'appart ! J'ai de l'éducation moi. Pour descendre ça va encore. En faisant attention de ne pas m'étaler quand même. Ah ça brille, c'est ciré, reciré à croire que c'est une manie chez eux : faut que ça en jette et moi je glisse. Pour monter, c'est infernal. Et l'autre, là haut qu'arrête pas de me siffler. Il a pas des vieilles pattes lui. Cause toujours mon brave ! Il faut que tu comprennes que j'en ai marre.

Bah, ne pas trop montrer que j'ai un mal de chien à me hisser jusqu'au 3ème. Il serait bien capable de me larguer à la MRC (maison de retraite pour chiens) que je sais même pas si ça existe ce machin ou pire de m'abandonner à la SPA. Pas de ça surtout. Je tiens à trépasser dans mon couffin. Allez, courage Max, prends ton élan mon pépère on y va !

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Ben voilà ! Hein, c'est pas mieux comme ça ? Elle a enfin compris que j'ai un peu grossi. Comme elle d'ailleurs. A croire qu'elle prend prétexte de me fourguer des gâteaux à longueur de journée pour pouvoir se goinfrer. « Tiens, mon chéri, encore un ? » Oui, un pour moi, deux pour elle. Ça va de soi : elle a plus à engraisser que moi. Comment voulez-vous que je résiste ? Il faut bien que je lui rende service. Ça lui fait plaisir de me faire plaisir. Et comme je veux pas lui faire de peine...

Bon. Voilà le résultat. Je suis obèse moi qu'avais du chien avant et c'est pas ma faute. Et y a pas que ça ! Le gros problème, c'est l'escalier pour regagner le logis. Je pouvais plus monter ce foutu truc. Trente marches. Plusieurs fois par jour parce qu'il faut que Madame s'aére. Elle me portait jusqu'à présent en ahannant, en suant, en pestant. J'en pouvais plus d'être coincé contre sa poitrine avec les pattes arrières dans le vide. Vous voyez un peu le tableau. Et le parc ! Je veux plus y foutre les pieds au parc. Les copains m'appellent « gras double ». C'est plaisant je vous assure. Sauf que maintenant je m'en fous parce qu'elle ne peut plus marcher donc on n'y va plus et moi je biche depuis qu'elle a opté pour un doggy style. Tout baigne !

25 juin 2022

Pépette (Yvanne)

 

Je vous ai parlé il y a peu de Léontine, vous vous souvenez : la maï capel. Je vous ai dit que son cheptel comptait en plus de quelques poules et lapins, un bouc (Degaule) et trois ou quatre chèvres. Ses mignonnes avaient pour nom : Brunette, Blanchette, Noiraude et Pépette. Cela ne variait jamais. Les chèvres passaient et trépassaient, leurs noms subsistaient.
Léontine ne s'était pas fatiguée pour baptiser ses biquettes quand elle en avait fait l'acquisition tout au début. La couleur de leur poil avait été déterminante en la matière et ensuite qu'importe si cela ne convenait plus. Elle avait juste fait une exception pour Pépette. Un compte à régler.

Comme vous le savez la Léontine avait été très marquée par la perte de son mari Marcel au début de la dernière guerre mondiale. Il lui en restait des séquelles sévères. Et elle n'avait pas besoin de ça pourtant. Bref. Elle avait appelé sa chèvre «   Pépette »  parce que, disait-elle, c'était une cavaleuse. Entendons-nous bien : dans sa bouche ce mot était une injure reflétant la méchanceté de la bonne femme. Et pour cause ! Elle faisait référence, là, à la vraie Pépette, une fille du village qui avait fricoté avec des Allemands. Cette dernière, Simone à l'état civil – mais tout le village l'appelait Pépette - avait d'ailleurs été tondue à la Libération. Personne n'en parlait. Sauf Léontine. Elle ne loupait pas une occasion de mettre la pauvre fille sur le tapis avec haine en faisant mine de parler de sa chèvre.

Curieusement, toutes les « Pépette » qui se succédaient ne faisaient pas mentir la maï capel. Elles s'évadaient très souvent, non pour chercher une aventure amoureuse – elles avaient ce qu'il fallait à l'étable – mais pour jouir d'une vraie liberté comme les petites protégées du père Seguin.
La « Pépette » que j'ai connue était particulièrement hardie et avait une lubie bien précise et récurrente : aller se gorger de chardons bleus d'ornement chaque fois qu'elle en avait l'occasion. Ces plantes poussaient à profusion dans le fond du jardin du presbytère. Et c'est bien sûr là que l'on retrouvait Pépette quand elle avait décidé de fausser compagnie à sa maîtresse. Elle sautait allègrement la haie qui séparait la place du village du jardin de la cure pour aller déguster ses friandises préférées.

Un jeudi après midi, jour de catéchisme, nous étions tous autour de notre vieux curé, sourd et malvoyant, dans la sacristie. Le brave homme tentait de nous apprendre quelques prières et cantiques en prévision de notre communion solennelle. Il avait bien du mérite : personne ne l'écoutait. C'était comme à chaque séance, le chahut. Des cris stridents nous firent soudain dresser l'oreille. Ni une, ni deux, nous faussâmes compagnie au prêtre pour aller voir ce qui se passait tout près.

Quel tableau ! La Léontine et la « curette » - c'est le nom irrévérencieux que nous donnions à la sœur du curé – s'affrontaient sous la charmille. Léontine en avait perdu son éternel galurin. Quant à la curette, qui détestait les animaux, elle s'acharnait à donner du bâton à Pépette pour qu'elle débarrasse le plancher, enfin le terrain. Cette dernière, nullement impressionnée, se déplaçait au fur et à mesure pour esquiver les coups et continuait de se régaler de ses chardons . Léontine hurlait comme une folle pendant que la demoiselle braillait « vade retro satanas ». Elle s'adressait évidemment autant à Léontine qu'à sa chèvre.

Monsieur le curé avait fini par s'apercevoir de notre désertion et nous cherchait pour une punition bien méritée. Comme à chaque fois, trois pater et deux ave à genoux dans le confessionnal après l'acte de contrition. Impuissant en découvrant le spectable, il se mit dérechef à lever les bras pour implorer le Ciel : « mon Dieu, mon Dieu, ces bougresses de femmes et cet animal du diable ! Quelle idée, je vous demande un peu de nous avoir fichu ces créatures ! Pardon Seigneur, voilà que je blasphème mais quelle idée aussi... » Est-ce la soutane noire, l'aide du Créateur, toujours est-il que Pépette, tout à coup prise de peur décampa fissa suivie par la Léontine et ses imprécations. Ce qui se passa ensuite à la cure, Dieu seul le sait...

 

18 juin 2022

Laver son linge sale... (Yvanne)


Suzanne et Colette étaient amies d'enfance. En épousant les frères Brun elles avaient consolidé leurs liens en devenant belles sœurs. Les deux couples avaient repris ensemble l'exploitation agricole familiale après la retraite des parents Brun. Chaque ménage avait construit sa maison sur leurs terres communes. Ces habitations étant très proches, les femmes étaient devenues de surcroît, voisines. Elles avaient coutume de s'acquitter de leurs taches ensemble, qu'elles aient trait aux travaux de la ferme ou bien qu'elles soient ménagères. Par exemple, le lundi matin de chaque semaine elles allaient rincer leurs lessives au lavoir communal. Pas encore de machine à laver le linge dans tous les foyers dans les années 60.

Ce jour là les deux amies et donc parentes avaient déposé leurs corbeilles respectives bien remplies et encore fumantes sur la pierre du bassin. Suzanne, que tout le monde appelait « la belle Suzon » était agréable à regarder et surtout à vivre. Toujours de bonne humeur, un mot aimable pour chacun quand elle rencontrait les gens du village. Une grande fille blonde, bien bâtie, vive et bien en chair qui s'acquittait sans problème de son travail à la ferme sans jamais rechigner, même pour les travaux les plus pénibles.
On dit que les contraires s'attirent et c'était le cas pour ces femmes très différentes et cependant inséparables. Colette était petite, brune, tout en os mais nerveuse, facilement irritable et soupe au lait. Tout comme Suzanne, elle abattait sa besogne, souvent ingrate et peu valorisante sans se plaindre. Une taiseuse, dure à la tache.

Suzanne, comme d'habitude faisait les questions et les réponses sans s'occuper de Colette. Elle ne s'avisa pas tout de suite du mutisme prolongé et de la mine boudeuse de sa compagne. Elle finit quand même par se redresser et lever la tête pour observer Colette qui ne broncha pas.
           - Oh, tu es malade ? Pourquoi fais-tu cette tronche d'enterrement ?
Pas de réponse. Pas un regard . Mais des grands gestes de brassage dans l'eau du lavoir. Suzanne reprit son travail, songeuse. Il fallait qu'elle tire les vers du nez à sa belle sœur. Les cachotteries et la rancœur entre elles, ça n'existait pas. Elle revint à la charge, bien décidée à en savoir un peu plus.
          - Bon Colette, tu ne t'en tireras pas comme ça. Pourquoi tu me fais la gueule ? Qu'est ce qui se passe à la fin ? Tu sais bien que tu peux tout me dire.
Colette lui fit soudain face, rouge de colère.
           - Tu le sais bien ce qui se passe. Je ne t'aurais pas crue capable d'une telle saloperie.
            - Une saloperie ? Une saloperie ? Quelle saloperie ? Allez vide ton sac un peu qu'on trie.
         - Tu crois que je ne vois pas tes manigances ? Qu'est ce que tu faisais samedi derrière une meule de foin ? Et ...en compagnie ?
             - Ah ça, c'est la meilleure. Derrière une meule ? Et avec qui ?
             - Pas avec Joe sûrement !
Joe, un chouette type dont elles étaient toutes les deux tombées amoureuses il fut un temps. Un chouette type qui savait les charmer de sa belle voix et pas que, certainement. Il n'était pas de chez nous. Il me semble qu'il avait de la famille en Belgique.
Suzanne, interloquée et ne comprenant plus, dit en haussant les épaules :
            - Alors va au bout de ton délire. Qui as-tu vu avec moi ?  Je crois que tu ne vas pas bien.
            - Tu étais avec mon homme. Ne fais pas semblant de tomber des nues.
          - Ton homme ? Tu divagues ma pauvre fille. Je faisais pipi et il n'y avait personne avec moi. Tu as dû confondre avec mon ombre. Achète-toi des lunettes.

Alerté par les cris et les invectives, le petit Jeannot qui pêchait un peu plus loin dans le ruisseau, posa précipitamment sa canne et courut jusqu'au village.
           - Venez vite. Y a les femmes Brun qui se battent au lavoir. Venez voir un peu ça ! Je crois que la Colette a mis KO la belle Suzon.
Incrédules, les quelques vieux qui n'étaient pas aux champs se précipitèrent, qui en boitant, qui en traînant la patte, qui en courbant l'échine, pour ne rien louper du spectacle. Vous pensez ! Les Brun, ces arrogants avec leur argent ! Ça leur fera les pieds cette honte.
Arrivés au lavoir, tout le monde s'arrêta net. Les deux belles sœurs avaient sauté dans le bassin et s'éclaboussaient comme des gamines en riant. Les regards se tournèrent vers Jeannot qui baissait la tête, bien marri. Il jura mais un peu tard...

 

11 juin 2022

La maï capel. (Yvanne)


La maï capel – traduisez la mère chapeau – a fait partie des personnages insolites de mon enfance.
C'est ainsi que les gens du village nommaient cette veuve de guerre un peu folle. Nous les enfants  changions le « p » en « m » et l'appelions « la mère chameau » ou bien la sorcière. En toute saison elle portait un galurin informe sur la tête. Elle usait jusqu'à la corde les chapeaux – tout comme les vêtements - qu'on lui donnait ou qu'elle récupérait aux ordures. Je ne vous dis pas la tête de Madame, la femme du Maire le jour où elle découvrit avec stupeur l'un de ses couvre chef hardiment planté sur le chignon sale de la Léontine. En vrai, elle s'appelait Léontine. Quel scandale ! Le Maire en personne vint récupérer le bibi de son épouse chez la bonne femme. Elle pouvait prendre tout ce qu'elle voulait dans les affaires jetées mais surtout pas ce qui avait été porté par Madame. Enfin tout de même ! C'est à cet incident regrettable que Léontine dut son surnom.

Léontine se le tint pour dit. Et la vie reprit comme avant. La maï capel donc, vêtue en toute saison d'un manteau noir – le deuil de son Marcel mort pour la France oblige – qui lui battait les jambes, chaussée de bottes en hiver et de sabots en caoutchouc le reste du temps se trouvait toujours où on ne l'attendait pas. C'est ainsi qu'elle surprenait les conversations, les disputes et les secrets des familles. Elle entendait tout. Et savait en jouer le cas échéant. Elle adorait mettre son nez partout, donner des avis qu'on ne lui demandait pas. Léontine avait l'art d'apparaître brusquement sans que l'on détecte le moins du monde sa venue. On ne pouvait pas dire pourtant qu'elle était transparente. Ça non. Plutôt une rude gaillarde. Et forte en gueule. De plus une vraie poissonnière ! Si certains accueillaient ses grossièretés d'un rire gras d'autres, dont les mères, poussaient  leurs enfants devant elles dans les maisons pour préserver leurs chastes oreilles. Les grands-mères se signaient à la va vite pour conjurer les maléfices quand Léontine s'en prenait au Ciel ou au curé en blasphémant tout son saoul. Sa façon à elle sans doute de dépenser son trop plein d'énergie et de jeter sa hargne.

De fait, Léontine se faisait une joie mauvaise de débiter des cochonneries devant les gamins. Tout simplement parce qu'elle ne les aimait pas. Peut être parce qu'elle n'avait pas eu le temps d'en avoir avec son Marcel décédé peu après leur mariage en 1939. Aigrie sans doute, elle se vengeait de cette façon. Nous les enfants le lui rendions bien. Un coup d'œil rapide pour s'assurer qu'elle était absente et nous voilà à investir son jardin auquel elle donnait tous ses soins. Un jour, elle me surprit à arracher consciencieusement ses poireaux fraîchement repiqués. Vous imaginez la suite...

Bref. La Léontine n'avait pas que des défauts. On pouvait compter sur elle pour rendre service. Comme elle était forte comme un bœuf on lui demandait son aide pour les gros travaux. En échange on laissait ses chèvres pâturer dans les terres en jachère. Ses chèvres. Elle aimait ses animaux plus que tout au monde. Sa petite maison, son jardin et son bétail. Toute sa vie. Elle possédait aussi une vilaine bête vicieuse, bien encornée, mauvaise comme une teigne, un bouc nommé – allez donc savoir pourquoi – Degaule. Nous nous gardions bien de nous en approcher et nous contentions de l'asticoter et l'invectiver de loin. Il nous observait et, vif comme l'éclair fonçait sur nous. Ce qui nous faisait fuir en hurlant. C'était un de nos jeux favoris qui déplaisait bien sûr à sa patronne. Une raison de plus de nous en vouloir.

Degaule était il paraît un excellent reproducteur dont la bonne femme vantait les mérites. Et on venait de loin pour que l'animal honore les biquettes qu'on lui présentait. Ce qu'il faisait sans se faire prier. Bizarrement c'était toujours les hommes qui amenaient les chèvres. Pendant le travail, Léontine et le propriétaire allaient déguster un petit remontant. Ce qui ne trompait personne. La maï capel avait peut être mis son cœur en jachère depuis la perte malheureuse de son Marcel. Pas son berlingot.

 

4 juin 2022

Désillusion. (Yvanne)

 

Elle suit l'étroit sentier qui mène à la rivière. Elle en connaît par cœur toutes les embûches : monticules terreux parsemés de brindilles des fourmilières, cailloux affleurants, racines enchevêtrées, tortueuses et traîtresses. Elle les évite sans même y penser. Les buissons ébouriffés ploient sous leur opulente floraison d'or et s'inclinent sur son passage. Elle les écarte avec impatience. Chèvrefeuille et aubépine s'évertuent à inonder le chemin de leurs senteurs sucrées. Sur le pré, tout à côté, coquelicots, bleuets et marguerites se mêlent dans une magnifique harmonie champêtre. Un vent tiède berce doucement en des vagues océanes les hautes herbes d'où proviennent les stridulations des grillons assoiffés d'amour. Qu'importe. Toutes ces beautés ne la touchent plus. Elle ne les voit pas. Ne perçoit pas les parfums suaves et entêtants qui faisaient pourtant son bonheur. Elle aimait tellement écouter la brise légère taquinant les pins sylvestres et deviner dans les broussailles les oisillons encore au nid. Tout cela est oublié et ne la concerne plus. C'était avant.

Elle se hâte. Les rayons d'un soleil couchant jouent avec sa fragile silhouette et allument dans sa chevelure brune des éclats fuyants. C'est bientôt l'heure. Elle se hâte, tous les sens soudain en éveil.
Elle s'arrête et tend l'oreille. Un sourire se dessine furtivement sur son visage et lui rend une jeunesse lointaine. Elle entend le bruissement de l'eau toute proche. Son cœur bat plus fort. Elle avance alors doucement, longe la berge jusqu'à la minuscule plage de galets. Elle est arrivée. Elle s'assoit et les fougères se couchent pour l'accueillir. Elle respire profondément. Ici et maintenant elle se sent étonnamment vivante.

Elle savoure ce moment. L'attente est délicieuse, elle est promesse. Elle contemple la cascade. Oh juste une cascatelle mais tellement vive et joyeuse ! Elle confie comme toujours son espoir au ruisseau. Elle partage tant de secrets avec lui. Il a emporté dans ses tourbillons les souvenirs tendres et lumineux. Elle désire si fort qu'un jour il les lui rende. Ce sera aujourd'hui. Elle le sait.

Une main douce se pose sur sa joue. Elle reconnaît ce parfum. Elle le reconnaîtrait n'importe où. Il la grise, l'obsède, l'ensorcelle. Soudain une ombre se penche sur elle. Elle ferme les yeux. Comme autrefois quand il caressait son visage en le dessinant. Elle devine son sourire enjôleur. Il murmure  et sa voix l'envoûte. Ses lèvres se posent sur sa bouche et ses mains se font impatientes et coquines. Elle oublie tout alors jusqu'à la déraison, l'âme asservie. Son corps se tend à l'appel du désir. Il ploie, s'abandonne à ses feux et se donne enfin. C'est la plénitude, l'ivresse tant attendues.

Un choc. Une fulgurance. Elle se redresse brusquement. Soudain réapparaît, familière, la douleur de l'absence. Elle tremble. Elle a rêvé mais dans son inconscience n'est ce pas ce qu'elle est venue chercher. C'était une chimère, une illusion, un beau songe éveillé qui la laisse pantelante et inassouvie. La rançon d'un bonheur intense et éphémère . Le cœur en deuil, elle se lève et part à regret, jusqu'au prochain appel de l'amour, une prochaine espérance.

21 mai 2022

Heureux les pauvres ! (Yvanne)

     Alors Père François te voilà enfin !
    - Oh pas de mon plein gré Saint Pierre. Je serais bien resté un peu plus en bas. J'étais bien tranquille l'été assis sur le banc devant ma porte à fumer ma pipe et l'hiver au chaud dans mon cantou.
    - Ah ça, tu te la coulais douce mon bon. Mais tu as coûté assez cher à la sécu et à ta caisse de retraite. Si je fais le calcul, tu as travaillé une quarantaine d'années à peine et tu as profité  40 ans. Et même un peu plus. Bref, à 95 ans il était temps de calancher. Et de rendre des comptes.
    - Rendre des comptes ? A qui ? J'ai pas de compte à rendre.
    - Tu vas te confesser et ne me fais pas le coup de ton homonyme.
    - De qui vous parlez ? Du pape ?
    - Te fous pas de moi. Tu n'améliores pas ton cas. Raconte plutôt ton passage sur Terre.
    - Y a pas grand chose à raconter. Et puisque vous savez tout vous n'ignorez pas que j'ai travaillé dur. Et vous pouvez penser ce que vous voulez, sauf votre respect, ma retraite je l'ai bien méritée.
    - Hum hum tu étais facteur il me semble...
    - Oui et sûrement pas un petit travailleur tranquille. J'aurais voulu vous y voir sur la bécane avec des sacoches pleines de courrier. Sans compter la grosse musette sur le dos. Et dans les Monédières (montagnes corréziennes) ça grimpe je vous dis que ça.
    - Peut être peut être mais on te récompensait bien dans les villages. Le petit canon ou le café sur un coin de table et...la pièce. Surtout la pièce !
    - Oh la pièce la pièce ! Ils sont pas très généreux les paysans. Tous des grippe-sous.
    - Hein ? Quoi ? Tu oses ? Tu ne manques pas d'air François.
    - Pourquoi vous dites ça ?
    - Quand je pense que tu laissais trimer cette pauvre Bernadette sans jamais lui donner un sou ! Pendant que tu amassais, elle tirait la langue. Tu trouves que c'est chrétien ça ?
    - Oh oh comment ça, elle tirait la langue ? Elle avait l'argent du marché avec ses volailles, ses lapins, quelques légumes du jardin. Je lui demandais rien moi. Mais elle, elle me réclamait une partie de ma paye et je lui ai jamais refusé.
    - Encore heureux ! Il fallait bien qu'elle règle les factures et tout le reste. Et qu'est ce que tu faisais de tes pourboires ? Dis-moi un peu. Parle-moi de la boîte à sucre que tu cachais dans ton verger. Elle contenait quoi la boîte à sucre ? Des images pieuses ? Tu peux te gratter la tête. Tout le monde admirait tes pommes d'un jaune... Oui c'est ça d'un beau jaune d'or. Tu ne t'aies jamais demandé pourquoi elles avaient cette jolie couleur ? Non bien sûr tu ne voulais pas savoir. J'avais beau te mettre ton péché sous le nez rien n'y faisait.
    - Vous allez pas me dire que c'est un péché d'être prudent ! Moi les banques, les assurances tout ça j'avais pas confiance. Mon argent c'était mon argent et je le plaçais où ça me faisait plaisir. Vous êtes là à me faire la morale mais nom de d.oh pardon ! J'aimerais bien savoir si vous faîtes de même avec tous ces magouilleurs de politiques. Et même les religieux tiens. Il paraît que le Vatican...
    - Suffit.
    - Oui c'est ça. Je préfère me taire. Mon argent je l'avais pas volé. Et puis hein il fallait bien mettre un peu d'oseille de côté si on voulait en avoir devant soi.
    - Ça va. Laisse les aphorismes à Joe Krapov. Il s'en sort mieux que toi.
    - C'est qui celui là ? Un russe ? Pas un copain à Poutine tout de même ? Vous n'oseriez pas en parler avec tout ce qui se passe. Que d'ailleurs vous pourriez dire à votre patron d'y mettre le holà ! Si c'est pas une honte de laisser faire des choses pareilles.
    - Change pas de sujet. Je te trouve sacrément gonflé François de me dicter ma conduite toi qui as ignoré toute ta vie la misère d'autrui. Pas comme ta femme cette pauvre Bernadette qui faisait la charité comme elle pouvait à ton insu. Morte trop tôt. Usée. Tu te doutes bien que le bon Dieu l'a reçue au Paradis.
    - C'est bien normal. Elle allait à Lourdes souvent . Et d'ailleurs je lui demandais de prier pour moi. Elle peut vous le dire. Vous savez, moi, les bondieuseries...c'est pas trop mon affaire.
    - On va y venir. Alors combien de louis d'or et de napoléons dans ta boîte à sucre ?
    - Faut pas exagérer Saint Pierre. Une dizaine tout au plus.
    - Menteur va ! Tu crois que je ne te voyais pas le dimanche pendant que Bernadette – cette sainte femme - était à la messe ? Tu t’empressais de déterrer ton magot, d'étaler ta fortune sur la table de la cuisine, de compter et recompter. A en attraper le tournis. Tu n'es qu'un pitoyable grigou. Tu n'as pas suivi l'exemple de ton saint patron qui a été heureux sans le sou. Tu es bien avancé.  Tu sais quoi mon brave : c'est Jeantou ton voisin qui a récupéré ton trésor.
    - Le Jeantou ? Pas possible ! Pas lui, pas lui. Comment il a fait ?  C'est pas un honnête ça non ! Vous voulez que je vous raconte ce qu'il a fait pendant la guerre ?
    - N'aggrave pas ton cas. Lui non plus ne l'emportera pas au Paradis. Il ne va tarder à rappliquer d'ailleurs. Tu vas rester au purgatoire jusqu'à ce qu'il arrive. Je suis curieux de voir comment vous allez vous expliquer tous les deux. Le bon Dieu me doit bien une récréation avec tout le travail que je fournis. Et je n'ai pas la pièce moi !

 

14 mai 2022

Flashback. (Yvanne)


Comme un éclair
Une fulfgurance
Elle ressurgit
Cette souffrance
Qui hante mes nuits
Mes insomnies.
Elle frappe avec violence
Brise ma résistance
Elle est là, tapie
Inonde mon esprit
Une lueur, un incendie
Revoilà la peur engloutie
Toujours avec constance
Elle griffe l'innocence.
Dans le vacarme du silence
Revient comme un boomerang
Cette blessure d'enfance.

7 mai 2022

Revanche. (Yvanne)

 
Note de l'éditeur

10000ter

Sauf erreur comptable, ce billet est la dix-millième participation à ce bête jeu !

- - - - - -

 

  • Allo ! Paulo Paulo amène-toi. Vite.

  • Quoi ? Qu'est ce qui se passe encore ? Tu pourrais dire bonjour quand même !

  • Pas le temps. Viens.

  • Où ? Chez toi ?

  • Ben oui. Pas chez le pape.

  • J'ai plein de boulot Jacky et la Josette...

  • On s'en fout de la Josette. Rapplique je te dis.

  • P'tain, explique-toi. Qu'est ce qui te turlupines ?

  • C'est le Louis. Il m'en a fait une. Et ça te fait rire ?

  • Fallait s'y attendre après le coup du bras en plâtre et celui du sanglier.

  • Je te demande pas ton avis. Tu viens m'aider oui ou non ?

  • A faire quoi ?

  • Oh et puis tu m'énerves. Laisse tomber. Je vais me débrouiller tout seul.

  • T'agace pas. C'est bon j'arrive.

 

Jacky est dans une colère noire. Ce matin, en allant à la Vigne Haute travailler sa truffière il a trouvé le chemin qu'il emprunte avec son tracteur complètement bouché. Pas de doute : c'est un mauvais coup de ce chameau de Louis.

- Te voilà quand même ! Grouille. J'ai pas que ça à faire.

- Enfin Jacky, tu vas m'expliquer ?

- On y va. Tu vas comprendre.

 

Les voilà partis vers le champ aux truffes, juchés sur le tracteur. Au bout du chemin de terre, un amoncellement de vieux outils agricoles bloque complètement le passage.

Paulo s'esclaffe.

- Ça va pas non ? Tu te fous de ma gueule ? Ça t'amuse les entourloupes de l'autre abruti ?

- Faut pas exagérer. Une entourloupette tout au plus. C'est de bonne guerre après les vacheries...

- La ferme. Il a pas le droit de m'interdire l'accès à ma parcelle.

- Oh oh ! T'y vas fort là. Pas le droit. Pas le droit. Tu sais très bien que ce n'est pas un chemin. Il est chez lui le Louis. Il t'a autorisé à passer pour t'éviter un grand tour. Mais il n'est pas aussi fou qu'on veut bien le dire. Et si tu continues...

- C'est ça ! Défends le ! Je vais le laisser ramasser toutes mes truffes pardi !

- Je dis pas mais on a peut être poussé le bouchon un peu trop loin.

- M'en fiche ! Et puis je vois pas pourquoi tu pleures maintenant. Il me semble que t'étais d'accord non ? Allez on dégage tout ça.

 

Jacky grimpe sur une charrette en bois pleine de vieux pneus. Alors qu'il s'apprête à les jeter un à un, des cris l'obligent à lever la tête.

- Oh milladiou Paulo ! Quand je te dis que le Louis n'a pas toute sa tête : il s'amène avec sa pétoire. Foutons le camp, il est bien capable de nous canarder.

- Ah mes salauds ! Vous faites moins les kékés là ! Rira bien qui rira le dernier. Parole de Louis. No pasaran mes poulets. Et toi, le fiflo de Jacky, tes truffes, tu peux te boucher le...avec. J'en ai rien à battre puisque je me casse à la maison de retraite à la fin de l'année. Les sous j'en aurai en vendant tout. Mais pas question que ce soit à toi comme tu le crois si fort. Ça non. Et même si tu veux savoir ton copain bien aimé là, le Paulo, me fait les yeux doux pour acheter. Ah ah ! Peut être bien que je vais le choisir. En attendant le notaire, que je vous vois encore ici et je...

 

La suite a été censurée mais je peux vous assurer que Jacky et Paulo n'ont pas demandé leur reste quand Louis leur a déversé une tonne d'insultes en tirant des coups de fusil dans leur direction. Les deux compères ont-ils réglé leurs comptes dans la foulée et leur amitié a-t-elle résisté à l'affaire... ? Il va falloir que j'enquête !

 

Cette histoire est la suite de : « Histoire de truffes » et « Partie de chasse » déjà parues sur le blog de « Samedi Défi ».

 

 

2 avril 2022

Aux Anges etc. (Yvanne)

 

La Brasserie des Anges. Le nom d'une brasserie de bière corrézienne. L'officiante – je la désigne ainsi car il s'agit bien d'un sacerdoce comme pour les prêtres - s'appelle Stéphanie. Elle a commen cé dans la tisane mais c'est une autre histoire. Quoi qu'il en soit, toujours une boisson, chaude il est vrai. Mais Stéphanie ne craint ni le chaud, ni le froid ! On peut aussi employer, pour parler de son second métier le terme savant de zythologue. Une œnologue de la bière quoi. A ceci près que Stéphanie met la main à la pâte de A à Z. Cette jeune femme dynamique n'est pas superstitieuse puisqu'elle utile un triskaidécasyllabe pour évoquer poétiquement le breuvage qu 'elle élabore : « entendez-vous dans nos bières le murmure de l'amer ».

Quand on pénètre dans l'antre de la propriétaire des lieux, une ancienne grange, on est accueilli par des senteurs typiques et de joyeux crépitements de feu de bois. Ça flambe sous les chaudrons de cuivre !
Un regard circulaire informe de suite le visiteur qu'il se trouve aussi dans un atelier d'artiste où règne un bric à brac plein de fantaisie et d'humour. Ainsi vieilles motos, vieux outils voisinent gaiement avec un piano, des tonneaux bien sûr et bien d'autres objets hétéroclites. Tout respire l'authenticité et la joie de vivre.

Mais que l'on ne s'y trompe pas ! Stéphanie est une femme courageuse et volontaire, soucieuse de produire une bière où elle met toute son énergie et sa sincérité. Elle revendique de fabriquer une boisson 100 % artisanale et ancestrale. Le malt et le houblon sont très sérieusement sélectionnés. La brasseuse utilise également du blé noir cultivé en Haute Corrèze pour élaborer l'une de ses productions. Elle brasse à la force des bras avec de l'eau pure émanant du massif des Monédières, montagnes corréziennes. Le brassage s'effectue en tonneau, la cuisson en chaudron de cuivre et la fermentation en fût de chêne. On notera la façon très écologique de procéder. Il n'y a pas non plus de gaspillage chez Stéphanie. Les résidus de malt sont donnés aux agriculteurs du coin pour leur bétail. Ceux du houblon, après ébullition et égouttage entrent dans la fabrication d'un savon de la Savonnerie des Monédières.

Stéphanie a concocté 10 bières très différentes en degré d'alcool et en goût. Les couleurs des breuvages vont du blond à l' ambré en passant par le blanc, le noir, le brun et le rosé. Ce dernier doit sa couleur – et sa saveur – à l’adjonction, lors de la fermentation, de framboises également cultivées exclusivement en Corrèze. La magicienne – mais oui, Stéphanie est une magicienne – a donné à ses créations de jolis noms qui chantent l'occitan comme « « la blancha au blat negre » , « una sason en Correza » « l'occitana dobla » etc...

Pour la petite histoire, l'une des bières - « Cristofora d'Aubazina » - porte le nom de sœur Christophora, une religieuse d'origine irlandaise qui vit seule à la célèbre abbaye d'Aubazine (Coco Chanel) . La gardienne de l'abbaye est une « grande amatrice de bière devant l'Eternel » souligne son amie Stéphanie. D'ailleurs, la moniale, dotée dit-on d'un caractère volcanique cultive dans la ferme adjacente au monastère du houblon sauvage pour Stéphanie. Cette dernière, qui orne ses étiquettes d'anges plutôt dénudés a, pour l'occasion vêtu pudiquement celui qui figure sur les bouteilles dédiées à la nonne, d'une robe et d'un voile. Malicieuse Stéphanie !

Si vous passez par là ne manquez pas de « faire un saut » comme on dit ici à Chamboulive, à la brasserie des Anges où Stéphanie vous accueillera chaleureusement et vous fera découvrir avec fierté ses productions originales, savoureuses et parfumées.

 

26 mars 2022

Ma madeleine (Yvanne)


Carnaval et Mardi Gras étaient fêtés en même temps dans la famille. Généralement le jeudi, jour sans école. Je me souviens d'une seule fois où nous nous étions déguisés mes frères, des voisins de notre âge et moi. Mes réminiscences ne sont pas très précises. Juste que nous étions allés, habillés de vieux vêtements trouvés dans les greniers, visiter deux ou trois villages des environs pour quémander quelques bonbons. L'accueil fait par les gens et la récolte de friandises n'ayant pas été très satisfaisants il faut croire nous n'avons jamais recommencé. Tout simplement, une telle pratique n'entrait pas dans les mœurs campagnardes des années 60.

Cette fête avant Pâques se passait donc sans tralala et personne n'y trouvait à redire. Maman tenait malgré tout à marquer le coup en cuisinant un repas amélioré. Pour le dessert elle préparait ce que nous aimions tous, nous les enfants : du riz au lait accompagné de gelée de groseille maison. C'était de début du festin.

Mais ce n'était pas là le meilleur. Nous attendions le goûter avec une grande impatience. Je don- nerais toutes les pâtisseries des grands chefs pour déguster encore les beignets de Maman, les fameuses cambedouilles (jambes de brebis)  – de l'occitan camba : jambe et oelha : brebis. Elle n'en préparait pas souvent c'est certainement aussi pour cela que j'en garde un souvenir ému et gourmand.
J'en confectionne moi-même et j'en ai mangé beaucoup à droite ou à gauche. Mais jamais d'aussi délicieux. Maman avait, comme on dit le « tour de main » et sans doute un secret qu'elle gardait jalousement. Et puis il y a l'enfance qu'on magnifie un peu.

On appelait aussi le beignet « pet de nonne » ou « bugne ». L'appellation diffère selon les régions. On le désigne par « merveille » « oreillette » « bugnolle » « bottereau » « tourtisseau »  et sûrement possède-t-il d'autres noms encore. J'ai découvert chez Monsieur Wiki qu'en Espagne c'est « resquilla » ou « rosca » et pour en venir enfin au dico-Walrus « youyou » en Tunisie.

J'ai constaté que la recette est partout sensiblement la même  avec à peu près les mêmes ingrédients  dans les mêmes proportions : farine, sucre, sucre vanillé, œufs, lait, levure. Le reste est affaire de la cuisinière et surtout de son talent.
Pas d'huile d'olive chez nous comme pour les youyous tunisiens. Maman utilisait du beurre de la ferme et ajoutait du rhum. Elle les égouttait quand ils sortaient de la friture, les roulait ensuite dans un plat plein de sucre en poudre. Les tunisiennes les enduisent plutôt de miel.

Nous ne perdions pas une miette de la préparation et de la cuisson – surtout de la cuisson. Ce qui n'empêchait pas les disputes pour lécher le récipient en passant un doigt agile tout autour quand ce dernier était vide de pâte. Mais il fallait attendre qu'un énorme monticule doré, bien saupoudré et odorant trône sur la table de la cuisine pour enfin pouvoir déguster les friandises bien gonflées et moelleuses. Un régal inoubliable. Ma madeleine.

 

19 mars 2022

A la chasse (Yvanne)

 

Un dimanche de septembre, jour béni de la chasse pour les amateurs passionnés. Raymond et Louis, deux compères inséparables font partie de ceux là. Ils se sont levés tôt pour rejoindre le reste de l'équipe sur la place du village. Ils ont eu une réunion la veille dans leur cambuse – un vieux mobilhome donné par l'un des chasseurs. Raoul, le président de la société de chasse de la commune a décidé d'une battue au sanglier, précisé le lieu d'intervention et attribué à chacun son rôle à jouer.

Louis vient tout juste de subir une chirurgie de la hanche et Raymond souffre d'une crise de goutte. Mais ils ne louperaient pour rien au monde ce divertissement majeur, dont le plaisir est décuplé quand on pratique entre copains.  Raoul , conciliant, leur a demandé de rester à l’affût à l'orée des bois. Ils suivraient donc la partie de loin sans trop de fatigue.  Les deux amis se sont installés le plus confortablement possible au pied d'un grand chêne et attendent.

Tout en bourrant sa pipe, Raymond observe Louis qui sourit dans sa barbe.
    - Dis-donc, toi, tu es bien réjoui ce matin. Je suis sûr que tu en as une bonne à me raconter.
    - Oh ! Une bonne...
Louis continue cependant à sourire en fixant sans le voir le bosquet d'où proviennent déjà les aboiements des chiens.
    - Ah ! Ils en ont « levé un » (sanglier) Mais ils sont loin. Alors... ?
    - Tu promets que tu ne diras rien à la Jeanine ? Et aux autres non plus d'ailleurs.
Raymond sent qu'il y a du lourd puisqu'il faut garder le secret. Il bout de curiosité même s'il n'en laisse rien paraître.
        - Tu me connais quand même Louis. Allons .
        - Bon. Hier, j'ai suivi mon gendre qui travaille à Tulle. J'avais rendez-vous à 14 heures avec le chirurgien qui m' a opéré. Il fallait que j'attende jusqu'à18 heures pour rentrer et je ne savais pas quoi faire.
Louis ménage le suspense car il sait bien que son acolyte est curieux comme une chatte.
    -     Et alors, tu as fait quoi ? Tu es allé aux filles ?
    - T'es con ! Mais non. Je suis allé au cinéma.
    - Ah bon ! Et c'est ça qui t'amuse ?
    - Ce qui m'amuse ? C'est ce que j'ai vu...
    - Tu as vu un film drôle ?
    - Non. Un film X.
    - Quoi ? De quoi tu parles ? C'est quoi un film X ?
    - T'as jamais entendu parler des films pornos ? Tu te fous de moi ?
    - Ben si mais je savais pas que ça s'appelait X.
Raymond se gratte la tête, songeur. Il voudrait bien dire qu'il connaît le genre mais il reste évasif  par peur des questions qui s'en suivraient certainement. Il aimerait toutefois en savoir davantage et l'air  de rien il poursuit :
        - Eh bien raconte...
        - Quoi ?
        - Le film.
        - Écoute. Imagine Brigitte nue à califourchon sur un lit...
        - Brigitte ? Quelle Brigitte ? Arrête un peu. Si on t'entendait on te taxerait de sexisme.
        - Oui. Je sais. On ne peut plus rien dire sans que certains poussent des cris de vierge effarouchée dès qu'on parle des femmes. Je les aime les femmes tu le sais.
Les aboiements furieux des chiens se rapprochent. Les deux amis se lèvent aussi vite qu'ils le peuvent, arment leurs fusils et voient débouler la bête poursuivie par la meute.
    -    Oh p...la belle femelle ! Tire...tire...

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