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Le défi du samedi
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12 mars 2022

Au feu ! (Yvanne)


Mettre sans sommation
dans un wok téflon
les empêcheurs de tourner en rond
les cons, les cornichons, les poisons
Les donneurs de leçons
les mal baisons, les tatillons
et le feu sous le poëlon.

Mettre à la grande cuillère
dans un wok en terre
ceux qui déblatèrent
les mégères, les rombières
celles qui font braire,
les âmes moutonnières
et le feu dans la cuisinière

Mettre dans un wok en acier
ceux qui cassent les pieds

Mettre dans un wok en fonte
ceux qui n'ont jamais honte.

Bien touiller. Laisser mijoter
Jusqu'à ce que tout soit évaporé.

A noter : une célèbre marque nordique a eu
la flamboyante idée de mettre sur le marché
un wok appelé « tolérant ».

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5 mars 2022

Braguse (Yvanne)

 

Tout commençait par un grand feu dans la cheminée. Une grosse bûche de châtaignier disposée sur les chenets brûlait en craquant. Ses crépitements joyeux inondaient le cantou de gerbes d'étincelles.
Toute la famille se réunissait autour de l'âtre, les femmes de la maison pour tricoter ou ravauder les vêtements, les hommes pour confectionner des paniers d'osier ou réparer les outils de la ferme.
Nous, les enfants quand nous avions la permission de « veiller » nous blottissions sur les coffres en bois qui garnissaient le foyer de part et d'autre.

Très souvent Mémé Toinette – une dame très âgée et seule – et la Demoiselle – une vieille fille qui habitait la gentilhommière délabrée du village - partageaient ces moment avec nous. Et c'était pour moi la fête. Je connaissais déjà les histoires que toutes les deux racontaient pour les avoir entendues maintes fois. Mais peu importait. Je frissonnais de plaisir à l'avance.

Mémé Toinette parlait invariablement du grand loup gris qu'elle avait vu en gardant ses moutons dans les puys alors qu'elle n'avait que quinze ans. Ses brebis affolées s'étaient précipitées vers elle. La bête était là, prête à sévir. Comme on le lui avait appris, la bergère se défit de ses sabots de bois et les tapa de toutes ses forces l'un contre l'autre. L'écho faisant retentir le bruit de toute part, l'animal prit peur et s'enfuit. Toinette ajoutait malicieusement : «  il n'est jamais revenu mais j'ai vu d'autres loups moins méchants par la suite. »

La Demoiselle, tout en brodant des mouchoirs - c'était sa marotte - qu'elle offrait pour faire plaisir, contait, parmi d'autres histoires, celle de la Dame Blanche de Braguse. C'était ma préférée. Celle qui m'emportait loin, qui me faisait frémir d'excitation, de peur et de plaisir aussi.
La Demoiselle – tout le monde l'appelait respectueusement ainsi – savait captiver son auditoire de sa voix douce et profonde. Plus un bruit à part celui du feu qui ronflait dans la cheminée. Je n'ai pas oublié la légende de la Comtesse de Braguse. Voici ce que rapportait notre voisine.

Il y a très longtemps à Gimel, vivait en son château la Comtesse de Braguse. Ce château était en fait une forteresse lugubre, qui se dressait, menaçante, au-dessus des cascades de la Montane. La châtelaine était fort belle et chose extraordinaire les années qui passaient n'avaient pas de prise sur elle. Elle gardait une jeunesse éclatante. C'était, en tout cas ce que rapportaient ses gens et le curé du village qui allait dire la messe dans la chapelle de Braguse. A part eux, personne ne voyait jamais celle que tout le monde nommait la Dame.

Cependant, des choses insolites survenaient à Gimel. Des villageois, de retour de veillées dans les hameaux voisins les nuits de pleine lune, évoquaient une forme humaine, toute de blanc vêtue, qui s'échappait du château pour se rendre au pied des cascades. Fait étrange : le lendemain, on constatait le décès d'un nourrisson dans son berceau. Il portait au cou la trace de deux petites morsures et il était exsangue. Plusieurs mères rapportaient qu'elles avaient vu ces nuits-là une énorme chauve souris sortie d'on ne savait où entrer dans la chambre où dormait leur enfant. Les rumeurs allaient bon train. Il fallait agir. On fit appel au sorcier qui vivait non loin de là. Il pouvait mettre un terme à ces malheurs selon lui mais il exigeait en retour un sac d'écus. Les pauvres villageois se débrouillèrent pour lui remettre la somme. On ne sait pas comment il s'y prit mais on ne déplora plus de décès de bébé les lendemains des nuits de pleine lune. Mystérieusement, dans le même temps, la Dame de Braguse se mit rapidement à dépérir et mourut dans son sinistre château.

La Demoiselle ne manquait pas alors de nous interroger et comme nous connaissions le fin mot de l'histoire nous nous empressions de clamer : la Dame se transformait en chauve souris pour aller boire le sang des petits. C'est pour cela qu'elle ne vieillissait jamais et qu'elle était toujours très belle. C'était un vampire.

 

26 février 2022

Jeanne la Pucelle (Yvanne)



        - Père, je dois vous entretenir d'un sujet grave.
        - Eh bien ma fille je te vois toute transie. Que se passe-t-il ?
        - Père, je vais partir.
        - Mais où veux-tu aller pauvrette ? Tu ne connais pas le monde.
        - Un secret m'étouffe mon Père.
        - Un secret ? Que veux-tu dire ? Parle. Je t'en conjure. Tu n'as pas péché au moins ?
        - Oh non Père. C'est merveilleux. Et terrible à la fois. Je vous en supplie, écoutez-moi et croyez-moi.
        - Mais enfin de quoi s'agit-il ?
        - Je les entends tout le temps. Le jour, la nuit.
        - Qui ? Qui entends-tu ?
        - Les voix. Mon conseil.
        - Foutaises. Seigneur, aies pitié . Ma fille est devenue folle. La guerre dans le village t'a dérangé l'esprit. Tu divagues dangereusement. Nous allons consulter le prêtre.
        - La guerre. Il s'agit bien de cela Père. Point n'est besoin de confesseur. Mon cœur saigne. Il faut que j'aille à Vaucouleurs demander une escorte au seigneur de Baudricourt. Les voix me pressent d'agir.
        - A Vaucouleurs ? Une escorte ? Mais pour te rendre où ?
        - En France Père. Saint Michel, Sainte Catherine et Sainte Marguerite, dépêchés par Dieu me demandent de sauver la France. Je suis chargée d'une mission divine à laquelle je ne puis me soustraire. Je vais aller à Chinon rencontrer le souverain.
        - Toi, pauvre bergère de Domrémy, sauver la France ! Tu déraisonnes.
        - Je dois prendre la tête de l'armée du roi. Je dois lever le siège d'Orléans. Je dois conduire le roi à Reims pour le sacre. Je dois bouter les Anglais hors de France.
        - Comment est-ce possible ? Ma fille blasphème. Elle est habitée par le diable. Je vais envoyer quérir un prêtre pour l'exorciser. En attendant, prends ta quenouille et garde la chambre. Si c'est pas du malheur, une telle pucelle possédée par Satan !

Jeanne a subi maints exorcismes, maints douleurs et supplices. Les voix se sont éteintes.  Désespérée et anéantie, elle est morte à Domrémy dans les bras de sa mère.

Ah uchronie qui peut changer le cours des évènements ! Si cela s'était passé comme décrit, nous serions aujourd'hui, nous, peuple gaulois sous la férule de Bojo à prier pour que vive Elisabeth II.

19 février 2022

Les faiseurs de miracles (Yvanne)


Le plus grand thaumaturge de tous les temps est celui qui a créé le monde. Dieu pour les croyants.  Les autres expliquent l'Origine par la science. La science n'est elle pas elle aussi un thaumaturge ? Quoi qu'il en soit l'une ou l'autre version nous reste encore un mystère hors de portée. Il est plus simple  et peut être rassurant de s'en référer à un Dieu créateur.
Dieu a fait l'Homme et ce n'est pas ce qu'il a fabriqué de mieux. Mais il fallait bien peupler son univers. Et Il a dit « croissez et multipliez et assujettissez la terre. » Pour ce qui est de la dernière injonction, l'obéissance est totale. L'homme, dans sa folie destructrice s'acharne à dominer la nature en un combat qu'il sait inégal. Je crois que Dieu n'a pas été très clairvoyant. Il a déjà envoyé son fils comme messager quand il a vu que ça commençait à dérailler. Ferait bien de l'envoyer à nouveau. Un fils, thaumaturge lui aussi. Et qui a accompli beaucoup de miracles dont celui de ressusciter.

Tout ceci relève du surnaturel, du divin et surtout de la foi. Voyons des choses plus concrètes. Les mages, guérisseurs  et ceux que l'on désigne parfois comme sorciers se réfèrent aussi à la religion cependant.  J'en veux pour preuve l'énigmatique Raspoutine. Ce personnage, issu du peuple, a contribué par ses pouvoirs à accéder à une haute fonction – celle de conseiller particulier - près de la famille impériale de Russie au début du 20ème siècle. Ce paysan sibérien, un mystique errant de monastère en monastère se présente comme un religieux, un prophète. Son prédécesseur  à la cour fut un Français Maître Philippe, un lyonnais, intime des Romanov, qui leur prédit la naissance d'un fils pour hériter de la couronne, alors qu'ils avaient uniquement des filles.

Alexis voit le jour effectivement mais il est hémophile et manque de périr à diverses reprises. C'est là qu'intervient Raspoutine à qui Alexandra a fait appel. Il subjugue l'impératrice, l'ensorcelle par son regard magnétique et elle ne jure que par lui. Il devient son staretz (« celui qui s'empare de l'âme et de la volonté d'une personne pour les faire siennes. ») Raspoutine guérit le tsarévitch à distance alors que l'enfant se blesse lors d'un séjour en Pologne. Pour cela l'homme entre en extase devant l'icône de la Vierge Marie. D'où la corrélation entre le don, le pouvoir et le religieux. Pour la famille impériale cette guérison est un miracle alors que la médecine s'avoue impuissante. On connaît la suite.

De nos jours, il existe encore beaucoup de guérisseurs , curothérapeutes, magnétiseurs, médiums. Même s'il y a des charlatans parmi eux, tous ne le sont pas et certains accomplissent à leur niveau des petits miracles. Je connais une personne qui « enlève le feu » provoqué par des brûlures accidentelles mais aussi celui déclenché par l'eczéma ou la radiothérapie. Il soulage, guérit et ces séances lui occasionnent une grande fatigue.

Mon grand-père maternel avait aussi un don, celui de délivrer les enfants des oxyures. Je ne sais pas si cela se pratique toujours mais dans mon enfance il était courant de faire appel à lui. On lui demandait « un billet pour les vers ». Il s'isolait. Toujours dans la même pièce et devant une fenêtre. Vous pensez bien que ma curiosité étant la plus forte – alors que j'avais ordre de ne pas m'approcher – je le pistais et me cachais pour l'épier. Il prenait dans une armoire, dissimulé sous une pile de draps un tout petit calepin auquel était accroché un crayon à papier. Il traçait des croix d'une certaine façon sur la feuille arrachée au carnet tout en psalmodiant. Je suppose qu'il s'agissait de prières. Il nommait aussi à plusieurs reprises le prénom de l'enfant qu'il avait pris soin de demander. Ensuite il pliait le billet jusqu'à en faire un tout petit carré et de telle façon qu'il ne puisse se défaire. On épinglait « la chose » sur le 1er vêtement de l'enfant, celui directement sur sa peau. Il était précisé aux parents de faire brûler le talisman quand il n'était plus utile.

Vrais ou faux miracles, que croire.  Pour un clin d'œil à Walrus je ne pense pas que  le prochain (ou le même) » roi de France » puisse nous guérir des  écrouelles qui ne cessent de  nous empoisonner la vie.

 

12 février 2022

Comment ? Pain au chocolat ? (Yvanne)

 

y

 

Le schibboleth du Sud Ouest et bien sûr de la Corrèze, le voilà.
Et on ne triche pas puisqu'il vient directement de l'épi de blé !

 

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5 février 2022

Espoir. (Yvanne)


    - Dis Monsieur pourquoi t'es triste ?
    - Je ne suis pas triste.
    - Alors pourquoi tu ne souris pas ?
    - Je ne sais pas sourire.
    - Tout le monde peut sourire.
    - Pas moi.
    - Tu es bizarre toi. Je t'ai déjà vu quand Mine l'infirmière m'amène ici. Tu ne bouges pas et tu me regardes tout le temps.
    - C'est ça, je ne bouge pas et je regarde.
    - Tu es malade ?
    - Non.
    - Alors pourquoi tu restes ici si tu n'es pas malade ?
    - Je travaille.
    - Mais tu n'as pas de blouse blanche comme Jérome. Tu connais Jérome ?
    - Oui.
    - Ça alors ! Tu sais c'est Jérome qui me soigne. Tu ne veux pas savoir pourquoi il me soigne ?
    - Je le sais.
    - Mais non. Tu me racontes des salades. Tu ne peux pas savoir que j'ai une formation cardiaque à mon cœur.
    - Malformation.
    - Tu m'énerves. Tu ne peux pas parler comme tout le monde ?  Et puis d'abord t'es pas drôle comme Pipo le clown qui me fait tout le temps rire.
    - Je ne suis pas drôle.
    - Tu répètes toujours ce que je dis. Comme un robot.
    - Je suis un robot.
    - Ben oui, t'es un robot. J'avais compris figure-toi. T'as un nom ? Moi je m'appelle Lucas.
    - Je sais.
    - Oh tu sais toujours tout. Alors réponds moi c'est quoi ton nom ?
    - Espoir.
    - Mais c'est pas un nom ça ! Pourquoi tu t'appelles comme ça ?
    - Parce que je suis là pour guérir les enfants.
    - Je comprends : tu aides Jérome à opérer les cœurs. C'est ça ?
    - Oui Lucas.
    - Alors je te prête mon cœur. Mais tu me le rends hein ? Et bien réparé ?
    - Promis mon garçon.
   
Lucas n'a pas rêvé : Espoir lui a fait un clin d'œil et un grand sourire.
 

29 janvier 2022

Aux prunes. (Yvanne)


Louise confectionnait des tartes savoureuses. Et toujours avec des fruits de saison, des fruits frais.
Tous les 15 jours Léon allumait son four à pain pour cuire les grosses tourtes. Louise, sa femme en profitait pour y glisser un pâté de pommes de terre, une flognarde ou l'une de ses fameuses tartes.

Léon et Louise, nos voisins, possédaient quelques fruitiers dans leur couderc. Et parmi les pommiers, pêchers, poiriers et cerisiers il y avait deux petits pruniers qui ne payaient pas de mine mais qui donnaient chaque année ou presque beaucoup de prunes. C'était des prunes bleues, de forme allongée et à la couleur violacée. Nous ne nous préoccupions pas du nom des arbres et des espèces de fruits qu'ils portaient, nous les enfants du village. Je ne pense pas cependant qu'il s'agissait de la quetsche, plutôt de la prune dite d'Agen, variété plus commune chez nous dans le Sud Ouest. L'important était que les fruits soient d'un accès facile – et ça l'était – Léon laissant toujours ses barrières ouvertes.

Ces prunes bleues étaient à point juste après la rentrée des classes et nous attiraient en revenant de l'école le soir. Impossible de résister. Nous allions nous gorger de fruits mûrs ou quelquefois encore verts ce qui occasionnait bien sûr de sévères coliques aux gourmands imprudents.    
Ces fruits étaient quand même assez acidulés et nous les préférions cuits bien saupoudrés de sucre comme Louise savait le faire. Les jours du pain chez Léon et Louise nous étions alertés par les odeurs suaves qui envahissaient tout le village : odeur de pain doré et croustillant à laquelle se mêlait le parfum du pâté de pommes et terre surtout celui de la tarte, quelle qu'elle soit.

Nous allions, attirés comme des mouches, nous poster devant le four. Nous posions nos cartables sur l'herbe et attendions. Léon n'était pas un causeux. Il faisait son travail sans paraître nous remarquer. Louise, un peu agacée essayait bien de nous chasser : »  allons, les enfants, rentrez chez vous. Vos parents vont s'inquiéter. «  Peine perdue. Nous ne bougions pas, espérant une suite qui allait arriver indubitablement.

Déjà, les tourtes de pain toutes chaudes avaient regagné leurs corbeilles de paille alignées sur la murette devant le four. Nous nous empressions de proposer notre aide  pour les transporter dans la maison des voisins sachant que Léon nous ferait cadeau du « pompichou » - petit reste de pâte roulée en boule que tout le monde désignait comme étant « le pain du chien ». Nous nous disputions pour l'obtenir et nous brûlions les doigts et la langue dans notre précipitation pour le manger.  

Léon sortait en dernier du fournil ce que nous guettions : la tarte. Puis le voisin allait s'occuper des tisons de la fournaise qu'il entreposait dans le bac en pierre situé juste en dessous. Si Louise était occupée au transport du pain nous nous approchions pour voler un petit bout du fruit cuit. Ce jour-là il s'agissait d'une belle tarte aux prunes bleues caramélisées à point. De trop nombreux doigts s'aventurèrent dans la pâtisserie. Léon nous surprit, se fâcha pour de bon et nous menaça avec la pelle à enfourner.

Les deux ou trois voleurs que nous étions s'éclipsèrent en vitesse. Mais la vengeance de l'un d'entre nous ne se fit pas attendre. Léon avait l'habitude de poser ses sabots de bois à l'entrée du four et de travailler en pantoufles de feutre à l'intérieur du petit bâtiment. L'un des garçons profita du dos tourné du vieil homme pour se saisir d'une grosse braise incandescente à l'aide de pincettes et la placer dans une des galoches. Sitôt dehors il se mit à crier au feu. Léon se précipita et ce qui devait arriver arriva : Léon envoya promener sabot et chausson fumant en hurlant et maudissant la bande de petits polissons que nous étions.

Je me souviens bien de ce jour de septembre : j'avais justement ce jour là 8 ans aux prunes !

22 janvier 2022

Tribulations de polochon (Yvanne)

 

Alors que j'entrai dans ma chambre à coucher un soir, je fus le témoin d'une bataille invraisemblable entre mon traversin, mon polochon et mon oreiller. Enfin, plutôt entre traversin et polochon. Debout au mitant du lit ces deux là s'invectivaient à qui mieux mieux. Habituellement tout se passe bien. Je me demande ce qui leur a pris. Ils ont pourtant leur place  bien définie : le traversin à la tête pour appuyer ma caboche et le polochon au fond pour reposer mes pieds.

Le traversin, blanc ( enveloppe oblige ) de rage esquivait comme il pouvait les coups assénés par un polochon rouge (couleur de sa housse) de colère. Ce dernier hurlait qu'il en avait marre de supporter mes pieds. Il disait « ses pieds » avec un tel mépris que je me demandai ce que mes pauvres petons lui avaient fait. Je comprendrais si j'avais des impatiences mais ce n'est pas le cas. Il apparaissait que le polochon ne voulait plus polochonner. Il voulait traversinner mais il avait fort à faire, l'adversaire n'ayant nullement l'intention de céder.

        - Grand tout mou, tu fais ton kéké parce que tu as la meilleure place. Tu te rengorges parce qu'elle roule sa tête dans tes plumes mais ça ne pas durer je te le jure braillait le polochon.

        - Et toi mon gros joufflu tu crèves de jalousie. Tu voudrais changer hein ? Mais tu es bien trop court et balourd pour occuper ma fonction. Tu penses peut être que je vais me laisser faire ? Que nenni répondait le traversin.

Et voilà que l'oreiller, très carré, d'un naturel calme et faisant preuve habituellement de philosophie – normal : il a des lettres - s'engagea dans l'affrontement. Perdant patience, il se leva du fauteuil où je le place chaque soir après ma lecture et nonchalamment s'adressa à ses congénères :

        - Ça suffit tous les deux ! C'est quoi ce grabuge ? Tu ne vois pas que tu perds tes plumes, l'échalas ? Et toi, là, le cherche-bagarre, même les tripes à l'air tu continues à t'exciter. Il y a quelques jours que je t'entends rognonner dans ta barbe. On ne peut pas avoir un peu de calme avant le boulot ?

Il n'en fallut pas davantage pour que les deux adversaires descendent du lit et d'un commun accord se mettent à taper sur l'oreiller. Ce dernier battit prudemment en retraite et regagna son coin pensivement.

Très occupés à s'injurier les protagonistes n'avaient pas perçu ma présence. Il faut dire que je regardais la scène sans bouger tant j'étais éberluée. Il devenait urgent cependant de mettre un terme au pugilat sinon ma chambre allait ressembler à un paysage de neige. J'attrapai polochon et traversin et les envoyai manu militari à leurs places respectives.

Je n'en avais pas fini pour autant. La pression retombée les deux imbéciles découvrirent, penauds, l'état déplorable de leur anatomie et c'est en pleurnichant qu'ils me demandèrent de jouer à l'infirmière. Je me vengeai en cousant à gros points bien serrés qui sa longue balafre, qui sa bedaine. Plus un bruit. Je dormis cette nuit là d'un sommeil de plomb. Il faut dire que ne n'avais pas oublié de leur couturer le bec !

 

 

15 janvier 2022

Dans la forêt (Yvanne)

 

Des personnages insolites ont donné à mon enfance une saveur particulière. Et inoubliable. Qui croirait que dans un village perdu de la campagne corrézienne abritant quelques 60 âmes, aient pu exister des hommes et des femmes surprenants, au mode vie tellement curieux qu'il a alimenté mon imaginaire d'alors, fantasque et débordant.

C'était les vacances de Pâques. Mon frère et moi plongions du bois dans le hangar attenant à la maison familiale. Elle était – et est toujours - située au bord de la route communale desservant le hameau. Nous vîmes arriver une moto pétaradante qui s'arrêta devant nous. Le conducteur nous demanda où il pourrait trouver un certain Jean vivant au château. Immédiatement je trouvai à cet homme juste entrevu un air bizarre sans pouvoir m'en expliquer la raison.

Nous lui indiquâmes la direction à prendre mais pendant que mon frère courait raconter la nouvelle à nos parents, je m'avançai jusque au pied de la colline où se situait le manoir pour tenter d'apercevoir le bonhomme. Il parlait avec Jean dit Jeantou, le régisseur-gardien-homme à tout faire des lieux. Jeantou, un célibataire original et acariâtre à la botte des châtelains. J'exécrais Jeantou. Mais c'est une autre histoire.

Nous apprîmes que les « bourgeois » avaient embauché un bûcheron pour effectuer une importante coupe de bois. Jeantou gardait jalousement les renseignements qu'il possédait sur le nouvel arrivant au grand dam des villageois. Nous ignorions tout sur le personnage qui débarquait chez nous : son nom, sa provenance etc... Une énigme savamment entretenue par le régisseur qui devait jubiler devant les mines avides des uns et des autres. Ma curiosité n'en fut dès lors que plus exacerbée et je n'eus de cesse d'en apprendre davantage. Je savais où se situaient les forêts du châtelain et je m'y rendis, seule, les jours suivants.

Les coups de cognée me guidèrent et je vis – de loin bien sûr - le bonhomme occupé à construire une grande cabane. Puis Jeantou arriva avec sa vieille guimbarde et ensemble ils déchargèrent un lit, une gazinière, une table, deux chaises et d'autres accessoires nécessaires à l'installation du bûcheron. Pas possible : l'individu allait demeurer là. Et c'est bien ce qu'il fit durant près de deux ans. Il ne venait jamais au bourg et vivait en ermite. Jeantou lui apportait des vivres une fois par semaine et était le seul à le côtoyer. De temps à autres cependant on le voyait passer sur sa moto mais il ne faisait jamais halte dans le village.

J'allais chercher les champignons dans ces bois. Un matin, occupée à ramasser des cèpes je ne vis pas arriver l'homme. Lui non plus ne m'avait pas aperçue. Nous nous fîmes face aussi stupéfaits l'un que l'autre. Je laissai tomber mon panier de saisissement. J'eus très peur en découvrant un personnage hirsute, au visage tout couturé. Avec sa grande taille, sa carrure impressionnante et sa hache à la main, il était tout à fait semblable à l'image que j'avais de l'ogre dans l'histoire du Petit Poucet. Je pris mes jambes à mon cou et déguerpis.

Cet homme n'était sans doute qu'un pauvre bougre qui cachait sa misère au fond des bois. Dans ma tête de gamine de 8/10 ans en quête d'originalité il n'en fallait cependant pas plus pour alimenter un esprit bouillonnant.
Je ne suis pas retournée dans cette forêt par la suite durant de nombreuses années. D'autant plus que le bûcheron s'était suicidé dans sa cabane. Le mystère étant resté entier l'endroit était maudit pour moi.

 

8 janvier 2022

Une amie de passage (Yvanne)

 

C'était juste après la rentrée scolaire de septembre. J'avais huit ans. Dans la classe, la maîtresse dispensait ce matin-là sa leçon de morale journalière. Elle fut interrompue par l'irruption d'un homme et d'une petite fille à peu près de mon âge. Nous regardions tous, bouche bée ces deux personnages insolites qui s'étaient avancés jusqu'au bureau de Madame Briard. Le père, un grand sec, poussait devant lui sa gamine. Elle, les yeux baissés, résistait, semblait clouée sur place.

Après un bref entretien le bonhomme repartit non sans nous avoir jeté, à nous les enfants un coup d'œil qui en disait long. Un coup d'œil que nous avions facilement pris pour un avertissement. Je compris pourquoi plus tard. La petite n'avait toujours pas bougé d'un pouce. La maîtresse tenta vainement de lui enlever une veste informe qu'elle serrait convulsivement sur son ventre. En désespoir de cause, l'institutrice la prit par la main et la guida à travers la salle jusqu'au bureau que j'occupais seule. Elle finit par s'asseoir sur l'insistance de Madame Briard.

C'était un vieux pupitre en bois à plan incliné, de deux places avec un banc accolé. Ma nouvelle voisine se tenait tout au bout, la tête penchée en avant, ses cheveux tombant en mèches raides et noires sur sa poitrine. Je fus immédiatement surprise par l'odeur qu'elle dégageait. Un mélange de sueur, de fumée et surtout d'urine forte.

La maîtresse nous indiqua que notre camarade se nommait Rosalie. Des rires fusèrent. Rosalie ? La chienne du père Nussac portait ce nom. Les garçons se poussaient du coude et on entendait murmurer « baraquaine, c'est une baraquaine » terme péjoratif s'il en était. Mais le calme fut vite rétabli : il suffisait pour cela d'un coup de baguette asséné sur le tableau. Nous eûmes droit à une autre leçon de morale où il était question de tolérance. Et pour couper court la maîtresse décida que Rosalie serait Rosa.

Nous étions curieux et n'avions pas beaucoup de distractions. Aussi, la présence de Rosa nous occupa tous pendant quelques jours. Elle se tenait loin de nous, repliée sur elle-même pendant les récréations. Insidieusement cependant elle s'approcha petit à petit des groupes que nous formions pour nos jeux - sans pour autant participer - quand tout le monde l'eut oubliée un peu.

Quant à moi je m'étais si bien habituée à ma petite camarade que je lui proposai bientôt de l'aider pour ses exercices. Après avoir un temps refusé farouchement mon concours elle accepta sans mot dire. Je la vis se métamorphoser au fil des jours. D'abord physiquement. Elle était maintenant à peu près propre et les cheveux démêlés. Persistait cependant les remugles d'urine. Puis Rosa se mit à me suivre partout à l'école et aussi au dehors, à me parler, à se confier.

J'appris tout de sa vie nomade. Elle et sa famille – le père, la mère et deux autres enfants en bas âge – se déplaçaient au gré de leurs envies ou plutôt pour trouver quelque travail. Ils vivaient dans une roulotte. Elle était tout leur bien avec un cheval de trait. Rosa ne m'invita pas à venir dans la clairière où ils avaient établi leur camp. Mais je l'accompagnais jusqu'au bout du village. C'était la limite qu'elle me fixait. Elle me repoussait ensuite.

J'avais aperçu cependant leur campement et toute étonnée je l'interrogeai sur ce lit incongru posé entre les roues de la roulotte. Rosa m'expliqua que ses parents dormaient là par manque de place à l'intérieur. Elle partageait sa couche avec ses petits frères « qui faisaient tout le temps pipi ». Je compris alors qu'elle m'avouait implicitement d'où venait cette odeur dont elle n'arrivait pas à se débarrasser. Je ne l'en aimais que davantage. Elle me raconta leurs déboires dans les villages où ils n'étaient pas les bienvenus et comment son père devait chasser les enfants qui leur lançaient des pierres et des insultes. D'où le regard appuyé du bonhomme aux élèves le premier jour de classe de Rosa.

Puis un jour, avant Noël, ma petite amie n'est plus venue à l'école. Et la clairière est restée désespérément vide. J'eus beaucoup de chagrin. Chaque année, juste après la rentrée, je l'attendais, je l'espérais mais je ne la revis pas.

 

1 janvier 2022

Frénésie (Yvanne)

 

Chic ! Un mot qui tombe à pic : mastic. Si je pouvais m'en coller sur les yeux et les oreilles pendant les fêtes de fin d'année...

 

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Comme la boule, si je pouvais me casser...au fond des bois...

 

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Je dis non à la fureur (obligatoire) des fêtes de fin d'année.

 

 

26 décembre 2021

Chantal et Génie (Yvanne)

 

  • Roooh ! M'enfin qui sonne encore ? Et à c'te heure. Bientôt je vais avoir un tas de calendriers... Y en marre à la fin ! Est-ce que je vais faire du porte à porte moi ?

Génie, très occupée à se mitonner un réveillon aux petits oignons en cette veille de fête, va ouvrir, agacée, en s'essuyant les mains sur son tablier. Les poings sur les hanches, elle fulmine à la vue de la visiteuse indésirable.

  • Quoi ? C'est encore toi Chantal ! Qu'est ce que tu veux ?

  • Bonsoir Génie. Je veux pas te déranger...

  • Mais si tu me déranges justement.Tu crois que je n'ai que ça à faire à écouter tes jérémiades ?

  • Mes jérémiades ? Tu exagères. Je suis venue te rendre une petite visite d'amitié. C'est comme ça que tu me reçois ? Pas cool. Sois sympa Génie. C'est Noël ce soir. Je te chanterai tous les cantiques...

  • Noël...Noël...Et alors ? Et puis, tu sais, ta musique...Je m'en fous. Je te vois venir avec tes grosses grolles.

Chantal, mine de rien, avance vers la maison et hume les fumets qui s'en échappent.

  • Ça sent bon chez toi.

  • Ben voilà. Nous y sommes. Tu vas pas recommencer. Ma soupe, je l'ai gagnée. Fais-en autant.

  • Allez, sois gentille pour une fois. La nuit de Noël est une nuit de partage.

  • Taratata. Des mots. Tu crois m'embobiner avec tes salades de catho ? Chacun pour soi. Je veux rien savoir. Bonsoir.

Génie rentre chez elle et pousse la porte. Mais Chantal insiste.

  • Génie, je sais que tu as bon cœur au fond. Je n'ai plus rien à manger. Laisse-moi entrer.

  • Elle rêve, elle ! Ah voilà qu'elle veut me prendre par les sentiments ! Manquait plus que ça tiens ! Hypocrite. Ouste. Dégage. Ou je prends le balai.

Soudain Chantal s'effondre devant Génie.

- Comédienne ! Tu me la feras pas.

Mais Chantal ne bouge pas. Génie a quand même un doute. Elle s'approche.

Chantal se relève péniblement. Elle a vraiment l'air mal en point. Génie commence à penser que sa voisine a besoin d'aide. Elle ne peut pas la laisser là comme ça tout de même. En rechignant, elle l'apostrophe sans ménagement :

- Dis-donc, tu n'as pas chopé la covid au moins ? Tu as tes trois doses ? Je ne voudrais pas attraper la saloperie moi. Je fais très attention. Mais toi, j'ai du mal à croire que tu te soucies de quoi que ce soit. Bon, mais c'est la dernière fois que je t'écoute.

A ces mots, Chantal sent que la partie est presque gagnée. Elle se rassérène et affirme  avec empressement :

  • Oui. T'inquiète. Tu veux que je te montre mon QR code ?

  • Foutaises. Tu serais bien capable de tricher. Allez viens. Je suis de bonne humeur ce soir. Je vais te faire une tisane et tu rentreras chez toi.

  • Une tisane ? J'aime pas la tisane. Donne-moi plutôt un morceau de ton rôti qui sent si bon. Ou alors une petite chocolatine tiens. Ça me suffira. Je ne suis pas exigeante.

  • Tu manques pas de culot. J'ai travaillé à l'usine tout l'été pour me le payer ce rôti. Et toi, pendant ce temps, tu chantais. Comme d'habitude. Je t'avais dit d'aller danser...

  • Mais ma Génie, je t'ai obéi pour une fois. C'est ce que j'ai fait. Je suis allée au Cardinal tous les soirs. Même que j'ai attrapé un sacré lumbago.

 

Je demande pardon à La Fontaine pour avoir pris la liberté de m'amuser avec sa fable. Vous avez sûrement reconnu Chantal, la cigale et Génie, la fourmi. Le Cardinal est une boîte de nuit briviste où tous les ans les auteurs présents à la Foire du Livre vont, sans plus de façon, s'encanailler.

18 décembre 2021

Les petits bouchons (Yvanne)

 

Vous ne devez pas savoir mes amis de plume – mais non, vous ne pouvez pas savoir – Voilà : je suis atteinte d'une maladie incurable. Pas très grave mais hélas chronique. Je suis frappée de champignonnite aiguë. Vous connaissez ? Ce trouble obsessionnel affecte particulièrement – allez savoir pourquoi – la plupart des Corréziens. Quitte à paraître vraiment foldingue j'aime ma maladie. Mieux : je l'adore ! Elle se manifeste par des fourmillements dans les jambes et des rêves, voire même des hallucinations. Ils me hantent quand dans l'air, flotte cette sacrée odeur imposante créée par mon imaginerie mentale olfactive. Celle-ci se met alors à fonctionner à plein régime. Je vous le dis : je les sens, je les devine, les champignons. Bien entendu il faut avant tout se référer aux indices précurseurs : les traces blanches appelées joliment fleurs qui apparaissent sur la terre humide. Elles sont le signe infaillible de l'imminence de la poussée. Et puis il y a la lune. Très important la lune. Mais je ne vais pas m'attarder sur ce sujet au risque de vous ennuyer pour de bon !

Quand tout concorde je me prépare pour partir en chasse. Car il s'agit bien de chasse. Sans fusil évidemment. Les champignons ici ce sont les cèpes. Les autres espèces sont nommées par leur nom. Enfin celles que l'on ramasse et il y en a peu : girolles, coulemelles, trompettes, pieds de mouton, chanterelles et les rares et fameuses oronges. Les cèpes, il faut savoir les débusquer tout comme le gibier. Il est primordial de ne rien oublier  pour la traque : bottes en caoutchouc, couteau, panier ou poche, clayettes quand on espère une bonne récolte et surtout le bâton.
Tout comme j'ai un bâton pour les randonnées, j'utilise un bâton bien spécifique pour chercher les champignons. Il faut qu'il soit solide, les bois étant très souvent vallonnés et ça grimpe...Mon « outil » à toute épreuve est taillé pour cela dans le houx.

A l'approche de « mes coins » - chacun les siens – des démangeaisons cryptogamiques commencent à m'envahir et la fièvre monte. La forêt est dominée par des effluves suaves et prégnants. De très bon augure. Je fonce. L'œil rivé au sol, je cherche. En voilà un dans la mousse puis un peu plus loin, deux autres à peine visibles derrière des branches de châtaigner. Mon bâton m'est bien utile pour écarter les ramures. Je m'accroupis pour les cueillir délicatement et tout en enlevant les brindilles qui s'accrochent j'examine attentivement les alentours.

Mon panier, garni de fougères rousses, se remplit petit à petit. Je ne vois pas le temps passer. Et je ne pense à rien, trop occupée à sonder les environs. Le meilleur moment, quand il se produit, c'est la découverte d'une kyrielle de petits bouchons, têtes brunes serrées les unes contre les autres. Ici on dit avoir trouvé un nid. C'est le graal ! Cela n'arrive pas très souvent mais quand je découvre de tels trésors, un sentiment de pure joie me submerge. Je les prends un par un, doucement et je les respire. Posés avec précaution sur le dessus de ma corbeille d'osier ils ont fière allure.

Hélas, leur vie est courte. On ne peut pas garder les cèpes trop longtemps. Les petits mignons vont finir à la casserole mais ils n'ont pas dit leur dernier mot : ils terminent en beauté en embaumant toute la maison et le voisinage en prime.

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11 décembre 2021

Le bug ! (Yvanne)

San Salvador.

 

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Ils sont six. Trois garçons, trois filles. Ils ont une trentaine d'années. Tous musiciens issus de parents amis et musiciens. Leur enfance, dans une petite commune de Corrèze, Saint Salvadour - ma commune d'adoption - a été bercée par la musique folk et les chants anciens en langue occitane. En hommage à leur lieu de naissance ils ont nommé - avec quelque malice - le groupe qu'ils ont formé San Salvador.

Ils chantent à six voix puissantes, deux toms, un tambourin, une basse, des cymbales et douze mains. Cela donne des concerts un peu étranges, souvent très rythmés alliant gaieté et tragique à l'image des chants populaires dont ils se sont nourris. Ils ont participé à de grands festivals, les Vieilles Charrues, le Printemps de Bourges, Suds à Arles et bien d'autres. Ils parcourent le monde et ont eu leur article dans le Times pour des concerts à New York au GlobalFest.

Ma famille et moi-même regardons avec sympathie et fierté ces jeunes gens puisque, à l'origine il y a, parmi d'autres vieux musiciens de la Terre, un très proche, aujourd'hui décédé qui composait, chantait en occitan en s'accompagnant d'un violon. C'est un peu grâce à lui, de part le collectage et des liens très forts établis avec leurs parents que ces jeunes gens font aujourd'hui un chemin remarqué.

Je ne sais pas si l'on peut danser le jitterbug lors de leurs récitals mais leur répertoire est entraînant, hypnotique disent les medias. Ils iront loin et ont déjà obtenu le prix « album du monde » aux victoires du jazz en janvier 2021 à Paris pour leur album « la grande folie ». Bonne route !

 

 

 

 

4 décembre 2021

Oh la vache ! (Yvanne)

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Oh la vache !

Je vous ai parlé il y a quelque temps de l'ouverture d'une maison de retraite pour éléphants en Limousin. Ce qui étonne quand même un peu quand on sait qu'en matière d'animaux, il y a ici plus de bêtes à cornes que de bêtes à trompe. Revenons donc aujourd'hui à nos moutons ou plutôt à nos vaches. Parce que, c'est bien connu, nous sommes un pays d'élevage bovin et nos limousines (les vaches) sont réputées pour leur viande mais très peu pour leur lait (on ne sait pas ce que l'on perd ! Ce lait est peut être peu abondant mais tellement délicieux.)

Quoi qu'il en soit, figurez-vous que dans un village creusois les habitants, à la suite d'un repas festif, ont eu l'idée peu banale d'acheter une vache en commun. Mais pas n'importe quelle vache. Bien sûr, il y en a dans ce hameau . Mais pas des vaches à lait. Et non, ils n'ont pas choisi une bête rouge originaire de la région puisque, justement, ils voulaient avoir du lait. Beaucoup de lait. Ils ont opté pour une demoiselle de 3 ans de race normande de Jersey. Oasis – c'est son nom – a pour mission, outre de donner généreusement du lait, d' établir un lien entre les gens de la localité. Et c'est une réussite. Je ne vais pas faire ici l'éloge d'une payse. Tant pis mais c'est pour la bonne cause.

Oasis n'a pas eu de souci d'intégration. Elle broute tranquillement et même un peu de neige ne la rebute pas. Elle est belle dans sa robe fauve, sa tête fardée de noir. Elle est docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied...Mais je m'égare. Enfin, Oasis est une perle et fait la joie des petits et des grands. Elle fournit allégrement 15 litres de lait riche en protéines par jour et les amis se relaient matin et soir pour la récolte qui se transforme en fromages frais ou secs, beurre, crème onctueuse et savoureuse et yaourts. Il paraît même que tous les enfants ne veulent plus que des « laitages Oasis ».

Les coutumes changent avec les néo-ruraux qui s'installent de plus en plus dans les campagnes, surtout depuis la crise sanitaire que l'on connaît. Ils conservent souvent leur mode de vie urbain, s'intègrent peu, l'entre-soi restant la règle. Ils ne communiquent pratiquement pas avec les « autochtones ». Chacun reste dans son pré carré et l'on s'ignore. Pourtant, en Creuse cela n'a pas été le cas puisque des Parisiens, propriétaires de résidences secondaires ont mis la main au porte-monnaie pour aider à acquérir la petite vache. Ils peuvent se targuer de posséder « un bout de vache » quelque part dans la campagne limousine.

L'initiative des creusois mérite que l'on en parle. Elle induit un impact réel sur la vie de ce village puisque des liens d'amitié se sont crées à partir de cet achat partagé. Chacun bichonne « sa »vache. Elle est le pôle d'attraction et on parle même de la faire participer à tous les événements à venir. Mais le plus précieux, dans ces coins reculés de la campagne c'est la renaissance de la notion d'entraide qui s'est effritée ces dernières décennies. Mais oui, « le bonheur est dans le pré » et aussi dans l'assiette en Creuse grâce à Oasis.

 

27 novembre 2021

Mais il y eut un hic ! (Yvanne)

 

La belle Hacadiane chevauchait sa fringante haquenée pour se rendre au château de Haccourt. Ses acolytes les Hacqueville l'attendaient pour une session de hackathon. Ils étaient tous accros à ces séances marathoniennes et elle avait hâte d'accéder au défi.

Elle accéléra tellement l'allure qu'elle faillit faire de l'accrobranche en traversant la forêt de hacciland. Elle accrocha sa robe et vit s'envoler son précieux pendentif en hackmanite. Elle pleura de rage et tira brusquement sur le hackamore afin de freiner sa monture. Mais soudain un haquet plein de hacquegniens munis de hacquebuses se mit en travers de sa route. Acculée et accablée, elle dut chercher un autre accès.

C'est avec un hoquet persistant qu'elle arriva enfin à destination. Elle héla des gardes portant un hoqueton ocre. Mais ceux-ci, très occupés à jouer au hoc ou au hoca ne levèrent même pas la tête sur son passage. Elle remarqua que certains valets possédaient une hoquette et travaillaient le marbre pendant que d'autres jouaient de l'ocarina ou avec des octodons. Mais le plus surprenant à ses yeux fut qu'ils échangeaient en occitan. Parler occitan en Wallonie était très rare à cette époque.

Quel désastre ! Tous les Hacqueville étaient occis. Hacadiane grimpa dans le donjon et découvrit avec stupeur une douzaine d'iccois iconoclastes et ictériques qui tentaient d'apprivoiser des hicards se cachant dans un icaquier. C''en fut trop. Elle succomba sur le champ à un ictus.

 

Hackmanite : pierre précieuse.
Hackamore : bride sans mors.
Hacquenien : habitant d'Hacquegnies.
Haquet : charrette .
Hacquebuse : arquebuse.
Hoc : jeu de cartes.
Hoca : jeu de hasard se jouant avec des boules.
Hoquette : outil en fer.
Octodon : petit rongeur.
Iccois : bonze japonais.
Hicard : oiseau.
Icaquier : petit arbre.

 

20 novembre 2021

Gallus Maria ou le coq de Maria (Yvanne)

 

En cherchant sur wiki la signification du mot galimatias imposé – oui oui imposé mais il y a eu pire - par Chef Walrus j'ai appris que son origine, contestée il est vrai, pouvait provenir du mot gallus qui signifie coq et Matthias, tout simplement le nom de son possesseur. S'ensuit une sombre histoire de plaidoirie mais ce n'est pas ce qui nous intéresse.

Cette découverte m'a immédiatement fait penser au Caruso, le coq de ma vieille voisine Maria. Pourquoi Caruso ? On serait en droit de penser que le fort bel organe – je peux en témoigner – du gallinacé - justifiait un tel blase. On se trompe. La brave Maria, qui comme moi ne s'y entendait guère en musique, musiciens et chanteurs, prétendait qu'elle avait nommé ainsi son coq parce que Caruso lui avait fait danser le touiste dans sa jeunesse. A qui pensait-elle ? Mystère. Peut être à Alamo. Franck Alamo. Pour elle, du pareil au même.

Ce coq était la fierté de Maria. Il y avait de quoi. Caruso en imposait au poulailler de la brave femme. Fier comme Artaban, bien campé sur ses pattes, gaillard, le poitrail arrogant, paré de plumes multicolores allant du noir-bleuté au doré en passant par un rouille puissant, la crête et les barbillons d'un rouge éclatant. Enfin un coq en or au plumage de soie que beaucoup jalousaient disait la Maria. Elle ramassait en abondance les plus beaux œufs de la commune, les mieux calibrés, au jaune pigmenté orangé foncé. Elle n'en avait jamais assez pour satisfaire ses clientes au marché de Brive la Gaillarde.

Maria assurait que ces bienfaits lui venaient de son cher coq. Elle lui attribuait tous les mérites. Il s'occupait si bien de ses poules. Qui elles, n'avaient qu'à bien se tenir. Et pondre.
Elle le couvait d'un œil attendri et le surveillait. Et pour cause. Elle avait surpris un jour Milou, le vieux garçon du village qui passait le plus clair de son temps à la pêche à la truite, en train d'arracher consciencieusement les plumes du cou du Caruso. Pour en faire des mouches naturellement. Maria avait failli avoir une attaque. Elle avait bichonné le volatile commotionné en lui donnant du vin sucré pour le requinquer. Le Caruso était devenu accro et réclamait tous les jours sa dose à grands renforts de coup de bec dans les mollets de sa patronne. Ce qui la faisait rire.

Brusquement les poules de Maria cessèrent de pondre. Toutes. Plus le moindre petit œuf dans les pondoirs. Ma voisine était aux cent coups. Elle enrageait après ses garces de poules qui avaient le cul cousu. Il est vrai que les pauvrettes avaient triste mine. Elles dépérissaient pendant que le Caruso, lui, continuait de se pavaner. Étrange. Une mauvaise passe. Mais qui durait hélas.

Maria se mit à avoir des doutes. Elle observa mieux son volatile et constata qu'il ne manifestait plus aucun intérêt pour son harem. Ça alors ! L'abus de vin sucré ? L'âge ? « Dis-donc, l'ami lui lança la Maria c'est-y que tu aurais la prostate ? «
Ma voisine réfléchit. Tout de même elle n'allait pas nourrir cet oiseau à ne rien faire. Le tuer pour un coq au vin ? Ah non ! Elle ne pouvait pas tuer son Caruso. Elle résolut de le vendre et le samedi suivant elle le mit dans un grand panier et l'exhiba sous la halle Geoges Brassens, haut lieu de la gastronomie corrézienne.

Tout à côté d'elle s'installa une fermière des environs avec, dans un carton deux magnifiques poulettes de l'année, bien fraîches et bien dodues et un jeune freluquet de coq au cou maigre et pelé. Une horreur. Caruso remua dans son cabas, prit son élan et bondit dans le carton sous les yeux des deux femmes éberluées. Et devinez ce qui se produisit ? Caruso, pris d'un désir fou pour les cocottes les honora à tour de rôle de belle façon.

«  Ben mon cochon s'exclama la Maria ! C'est ça qu'il te fallait ? De la chair tendre ? Et quoi encore ? Mes poules ne sont plus assez bien pour toi ?Tiens, je vais te faire passer tes envies moi. Le Milou va être content : il aura ce qu'il faut sous la main avec toi. Et il me donnera des belles truites.  Pour te remplacer je vais acheter l'autre maigrelet. Je sais comment le retaper. A coup de bon vin chaud et sucré. »

Là-dessus Maria remballa le Caruso, vexé et penaud, n'osant pas regarder l'avorton qui lui faisait face dans le cabas. Ce dernier se rengorgea en fixant d'un œil goguenard son rival et se redressant, lança un « cacaraca » si minable qu'il fit s'esclaffer toutes les paysannes et leurs clientes alentour.

 

13 novembre 2021

Mon sac ou mon sac, c'est selon. (Yvanne)

 

Je ne vais pas être très originale c'est certain mais mis à part mon sac à dos quand je vais en balade, je ne vois pas plus fourre-tout que mon sac dit à main porté d'ailleurs à l'épaule et qui a plutôt l'air d'une besace. Toujours une histoire de sac quoi !

Mon sac me suit partout et même à la maison, je l'ai à l'œil. Je n'en change pas comme de chemise, vous allez comprendre pourquoi. M'en fiche qu'il ne vienne pas de chez...ou de chez...Moi, ce que je lui demande, c'est d'abord de me plaire bien sûr. D'être passe-partout et d'aller avec tout (je parle vêtements et chaussures) aussi il est surtout noir l'hiver et beige l'été. Des couleurs moins classiques m'obligeraient à vider mon sac pour en changer et ça, ça me casse la tête.

Je veux qu'il soit solide ce sac, pratique et peu salissant. Ou bien, dans ce cas, pouvoir être nettoyé facilement, pour le sac d'été notamment. Et puis, il faut des poches, encore des poches dans son ventre - d'ailleurs j'y ajoute fréquemment des petites trousses parce que des pochettes intérieures il n'y en a jamais assez. Et qui ferment avec fermeture éclair. Pour ne rien perdre parce que, le pauvre, il est toujours plein comme un œuf.

Plein de quoi me direz-vous ? D'abord, les indispensables : papiers, porte-monnaie, carte bancaire, chéquier et cartes de fidélité pour les magasins (je ne sais pas vous, mais moi, j'en ai un tas!), trousse à retouche-maquillage bien garnie mais là je ne vous ferai pas l'inventaire.

Puis l'accessoire de la vie moderne dont on ne se sépare plus, le téléphone portable parce qu'un mari, ça ne peut pas rester seul une matinée sans avoir besoin d'un conseil. Et il garde aussi, mon sac, tout au fond, mes trésors : le coquillage rapporté de classe de mer par mon fils aîné (il a 53 ans) un minuscule lapin en peluche de mon cadet, (40 ans) une très petite statue de la Vierge de Lourdes donnée il y a …60 ans par ma grand-mère, mon chapelet en nacre de communiante. Non, non, je ne suis pas une catho acharnée, mais bon ! Fétichiste ? Non plus. Pas trop. Besoin seulement d'avoir avec moi ces objets porte-bonheur, c'est tout.

C'est tout ? Non ce n'est pas tout dans mon sac fourre-tout. Un petit sachet noir fermé par un lacet noir cache, devinez quoi ? Un pendule. Pourquoi un pendule ? Non, non je n'ai rien à voir avec Madame Irma., ou madame Soleil. Mais il fut un temps où la vibration des ondes m'intéressait. Bref, une toquade, une fantaisie idiote. Mais il est très joli ce pendule alors je le garde avec moi. Et puis hein peut être qu'il m'apporte des ondes positives.

J'y place aussi un carnet avec un stylo accroché pour noter une idée, une belle phrase, un mot. Et toujours, un livre. On ne sait jamais : si j'étais coincée quelque part, je pourrais toujours lire un poème, une nouvelle. Il y a tellement de livres à lire qu'il ne faut pas perdre de temps et c'est un tel bonheur !

Tiens j'oubliais : il y a aussi mon appareil photo miniature bien utile quand l'occasion se présente de capter un paysage, un coin de rue, une fleur, un animal etc...qui me plaît. Et tout au fond de mon sac se trouve un autre sac en tissu soigneusement plié qui me dépanne pour une petite course.
S'y logent aussi des lunettes de soleil et un petit parapluie pliant.

Voilà. Je pense avoir fait le tour de ma musette. Un joli mot : musette. On devrait l'employer plus souvent. Maintenant je vous demande : à votre avis, combien pèse ma musette ? Posez la question à mon époux : il lèvera les yeux au ciel ! C'est tout dire.

 

6 novembre 2021

Ehpad en Limousin (Yvanne)

 

Gandhy souffrait. Probablement des douleurs à l'estomac ou au foie, bref à l'épigastre aurait dit un connaisseur qui lui donnaient mauvais caractère. De ce fait la pauvre Gandhy ne pouvait s'entendre avec ses congénères dans son ancien lieu de résidence en Bretagne. Pour ne pas la laisser mourir dans son isolement il fallait faire quelque chose.

Et le croirez-vous ? Au pays des vaches voilà que deux Belges prennent les choses en main et nous amènent, chez nous, Gandhy, l'éléphante de 52 ans. Une éléphante à la retraite notez. Ben oui nous avons maintenant un ehpad – établissement d'hébergement pour pachydermes âgés décatis – le seul du genre en Europe et Gandhy est la première à habiter notre belle région depuis le mois dernier.

Tout le monde ici a cru à une blague, le maire de Bussière-Galant en Haute Vienne surtout quand il a eu connaissance du projet de Tony et Sofie, deux anciens soigneurs du zoo d'Anvers. Des éléphants dans nos prairies verdoyantes. Complètement loufoque ? Pas tant que ça ! Même notre BB nationale a mis son grain de sel, heu des sous au travers de sa fondation pour l'aboutissement du projet. Il paraît que Gandhy s'acclimate bien et observe d'un œil intéressé tout le vert des prairies dont elle dispose.

Pour l'instant elle est seule à « Elephant Haven » mais que se passera-t-il quand vont arriver deux autres pensionnaires ? Gandhy s'isolera-t-elle à nouveau ou bien le bon air limousin et l'herbe grasse dans son estomac accompliront-ils des miracles  en la rendant plus sociable ? Nous l'espérons tous ici.

J'ai bien un truc à suggérer à nos amis belges qui s'y connaissent pourtant bien mieux que moi en éléphants mais en ce mois sans tabac je ne sais pas si j'ose. Tant pis. J'ose. Saviez-vous que les éléphants en liberté fument pour se soigner ? Fernandel, sur l'air de sa chanson « Ignace » faisait jadis la pub pour une marque de cigarettes en assurant qu'elles étaient bonnes pour son estomac. Mais évidemment il ne fumait que du tabac français.

 

12 juin 2021

Orage. Ô désespoir ! (Yvanne)

 

J'ai descendu dans mon jardin...Non. Pas pour cueillir le romarin comme dans la chanson que je fredonne à Ernest, mon petit-fils. Mais pour me faire un bouquet. Un bouquet qui trônera sur la table du salon et embaumera. Je pense que le seringa parmi les roses rouges et roses sera du plus bel effet. Mon sécateur à la main, je m'apprête à couper une ou deux branches de l'arbuste couvert de jolies corolles blanches et parfumées quand mon regard se porte sur le massif de rosiers.

Hélas les fleurs d'Aphrodite ont souffert de l'orage de cette nuit. Ö combien ! Si le seringa s'est abrité sous l'avant toit, les rosiers n'ont pas eu cette chance. Ils ont subi les tourments infligés par la pluie et le vent. Je m'avance pour contempler avec tristesse la jonchée de pétales fripés posés pêle-mêle sur le vert vigoureux de la pelouse, sublimé par l'averse. Il ne reste sur les tiges pendantes des rosiers que les cœurs de rose.

Je secoue doucement un arbrisseau pour tenter de le débarrasser de l'eau qui l'emprisonne encore quand je découvre, bien cachée derrière un amas de feuilles, une jolie rose tout juste éclose, d'un rouge ardent et aux pétales de velours soyeux. Un miracle. Un petit miracle me dis-je soudain ragaillardie. Tant pis pour le bouquet. Ma rescapée ornera avec bonheur le soliflore en porcelaine noire récemment offert par une amie. Une occasion de l'étrenner.

Je saisis délicatement la fleur et vais pour la couper quand soudain une toute petite voix s'élève. C'est elle. C'est bien elle qui s'adresse à moi. Pas de quoi s'étonner : la rose vaniteuse du Petit Prince s'est bien exprimée, elle, pour exiger de lui soins et protection au point de l'agacer infiniment malgré son amour pour elle.

Que murmure donc ma jolie survivante du massacre nocturne ? Je me penche et tends l'oreille. Voici sa supplique. Oui. Une supplique exprimée avec un accent plaintif, même si je perçois malgré tout son orgueil. Les roses ne peuvent pas s'empêcher d'être orgueilleuses.
- Regarde-moi. Je suis belle n'est-ce pas ? Respire mon parfum. Il exhale toutes ses nuances suaves rien que pour toi. Pourquoi voudrais-tu me faire prisonnière d'un vase ? Même s'il est beau. Même si tu penses qu'il m'est destiné puisque je suis seule maintenant. Tu le sais : ma vie est brève. Laisse-moi profiter du soleil qui pointe déjà. Je voudrais oublier ma peur de cette nuit qui a fait mourir toutes mes sœurs. Tu peux m'admirer tout ton saoul depuis ta fenêtre. Venir quand tu le désires t'enivrer de ma senteur. Je ne veux pas être captive et étouffer dans ta maison. Laisse-moi m'épanouir ici, dans ton jardin. Et y mourir quand ce sera l'heure.

Je suis touchée. Mes doigts caressent doucement ma rose. Une goutte – la toute dernière de l'averse  ? tombe soudain sur ma main. Peut-être est-ce une larme ? Oui, je crois que c'est une larme. Une larme de la belle pour m'émouvoir ou plutôt pour me remercier de la laisser vivre à sa guise. Car j'ai bien sûr cédé à sa prière.

J'ai compris. Comme le Petit Prince, je sais maintenant que je suis responsable de ma rose.

 

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