Veix en Monédières (Yvanne)
C'est dans cette toute petite commune corrézienne que mon père naquit et passa son enfance et son adolescence. Il aimait ses collines aux formes usées et arrondies aux pieds desquelles se nichent de minuscules villages bien cachés derrière des bosquets de châtaigniers. Sur cette terre pauvre et sauvage où fleurissent les genets flamboyants et les bruyères mauves, les Monédières - montagnettes culminant à environ 1000 mètres - entourent Veix comme pour le protéger et lui garder calme et sérénité. Veix, dans son écrin de verdure, entre monts, rochers, ruisseaux et cascades ne se révèle pas facilement pour qui ne sait y pénétrer vraiment. Pourtant nul ne peut échapper à son charme quelque peu austère quand on l'a apprivoisé. Fouler son sol jonché de mica scintillant, écouter en flânant ses sources vives, admirer ses divers paysages selon les saisons est un enchantement.
Dès mon plus jeune âge mon père me fit découvrir « chez lui » comme il disait. Je ne sais pourquoi je pris rapidement conscience qu'une partie de moi, de mes racines s'ancraient fortement ici. Je me sentais naturellement de ce pays. Monédières se traduit en celte par « montagnes du Soleil Levant » dit l'écrivaine Marcelle Delpastre. Mon nom de jeune fille vient aussi de là, du mot « montagne ». Ceci explique cela sans doute !
Le nom de Veix fut attribué à cette contrée par les celtes et il est très évocateur pour ce qui nous intéresse aujourd'hui. En effet Veix s'est écrit d'abord Ves, Vesco et viendrait du latin « viscum » qui signifie gui. Les druides cherchaient cette plante sur le chêne, l'arbre par excellence. Une touffe de gui poussée là venait du ciel et servait pour le culte, les sacrifices et aussi de remède pour tout mal. Et Veix a sa pierre de sacrifice que l'on appelle simplement ici la Pierre des Druides. C'est dans un lieu sans doute prédestiné, choisi que s'érige un ensemble bizarre de rochers granitiques sur lesquels repose une table plate orientée à l'est – soleil levant donc - en équilibre sur l'un d'eux.
Mon père m'y conduisait quelquefois. Je pense que le mystère qui plane toujours autour de ces rochers l'attirait confusément. Qu'avait-il appris à l'école du village ? Il ne m'en parlait pas, c'était un taiseux. Pour répondre sans doute à l'une de mes questions sur l'usage et l'utilité d'un tel monument il évoqua rapidement les immolations humaines pratiquées dans les temps anciens. Le soleil se couchait ce jour de notre visite et la couleur vermeille qui baignait la roche-table ne manqua pas d'enflammer mon imagination. J'en étais persuadée : le sang avait coulé ici.
Qu'elle ait pu être pour certaines ethnies une pierre maléfique, qu'elle ait servi au culte païen des dieux, du soleil ou même du feu dispensés par les druides au temps des celtes ou même à d'autres peuplades désireuses de célébrer leurs croyances ne fait aucun doute. Que des sacrifices humains et des rites funéraires s'y soient accomplis beaucoup le pensent. Les gens du pays que la magie des lieux n'atteint pas forcément nomment la pierre tout simplement et assez poétiquement le Rocher de la Bergère. C'est vrai aussi que les gardiennes de troupeaux se rencontraient là pour bavarder ou s'abriter en temps de pluie en des temps moins reculés.
Pour moi l'énigmatique Pierre des Druides baigne toujours dans son mystère et toutes les supputations faites autour d'elle n'entameront jamais ma volonté de conserver sa légende. Qu'elle garde à tout jamais son âme et son silence dans la beauté de son lieu sauvage d'enracinement.