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24 juin 2023

Veix en Monédières (Yvanne)


C'est dans cette toute petite commune corrézienne que mon père naquit et passa son enfance et son adolescence. Il aimait ses collines aux formes usées et arrondies aux pieds desquelles se nichent de minuscules villages bien cachés derrière des bosquets de châtaigniers. Sur cette terre pauvre et sauvage où fleurissent les genets flamboyants et les bruyères mauves, les Monédières  - montagnettes culminant à environ 1000 mètres - entourent Veix comme pour le protéger et lui garder calme et sérénité. Veix, dans son écrin de verdure, entre monts, rochers, ruisseaux et cascades ne se révèle pas facilement pour qui ne sait y pénétrer vraiment. Pourtant nul ne peut échapper à son charme quelque peu austère quand on l'a apprivoisé. Fouler son sol jonché de mica scintillant, écouter en flânant ses sources vives, admirer ses divers paysages selon les saisons est un enchantement.

Dès mon plus jeune âge mon père me fit découvrir « chez lui » comme il disait. Je ne sais pourquoi je pris rapidement conscience qu'une partie de moi, de mes racines s'ancraient fortement ici. Je me sentais naturellement de ce pays. Monédières se traduit en celte par « montagnes du Soleil Levant » dit l'écrivaine Marcelle Delpastre. Mon nom de jeune fille vient aussi de là, du mot « montagne ». Ceci explique cela sans doute !  

Le nom de Veix fut attribué à cette contrée par les celtes et il est très évocateur pour ce qui nous intéresse aujourd'hui. En effet Veix s'est écrit d'abord Ves, Vesco et viendrait du latin « viscum » qui signifie gui. Les druides cherchaient cette plante sur le chêne, l'arbre par excellence. Une touffe de gui poussée là venait du ciel et servait pour le culte, les sacrifices et aussi de remède pour tout mal. Et Veix a sa pierre de sacrifice que l'on appelle simplement ici la Pierre des Druides. C'est dans un lieu sans doute prédestiné, choisi que s'érige un ensemble bizarre de rochers granitiques sur lesquels repose une table plate orientée à l'est – soleil levant donc - en équilibre sur l'un d'eux.

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Mon père m'y conduisait quelquefois. Je pense que le mystère qui plane toujours autour de ces rochers l'attirait confusément. Qu'avait-il appris à l'école du village ? Il ne m'en parlait pas, c'était un taiseux. Pour répondre sans doute à l'une de mes questions sur l'usage et l'utilité d'un tel monument il évoqua rapidement  les immolations humaines pratiquées dans les temps anciens. Le soleil se couchait ce jour de notre visite et la couleur vermeille qui baignait la roche-table ne manqua pas d'enflammer mon imagination. J'en étais persuadée : le sang avait coulé ici.

Qu'elle ait pu être pour certaines ethnies une pierre maléfique, qu'elle ait servi au culte païen des dieux, du soleil ou même du feu dispensés par les druides au temps des celtes ou même à d'autres peuplades désireuses de célébrer leurs croyances ne fait aucun doute. Que des sacrifices humains  et des rites funéraires s'y soient accomplis beaucoup le pensent. Les gens du pays que la magie des lieux n'atteint pas forcément nomment la pierre tout simplement et assez poétiquement le Rocher de la Bergère. C'est vrai aussi que les gardiennes de troupeaux se rencontraient là pour bavarder ou s'abriter en temps de pluie en des temps moins reculés.

Pour moi l'énigmatique Pierre des Druides baigne toujours dans son mystère et toutes les supputations faites autour d'elle n'entameront jamais ma volonté de conserver sa légende. Qu'elle garde à tout jamais son âme et son silence dans la beauté de son lieu sauvage d'enracinement.

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17 juin 2023

Au Clos des Marguerites (Yvanne)


Madeleine Pinson voulait intégrer une maison de retraite. Pas n'importe laquelle : après bien des recherches elle avait jeté son dévolu sur une belle résidence – une maison de maître – nichée au fond d'un parc aux arbres centenaires. Elle s'était procuré toute une documentation qui vantait les qualités d'un établissement luxueux au nom prometteur : « Les Portes du Paradis ». Un peu cher sans doute mais Madeleine songeait qu'après toutes ces années de labeur elle méritait bien de finir sa vie douillettement.

Madeleine Pinson, contrairement à d'autres qui freinent des quatre fers quand on a décidé pour eux de les placer en ehpad, en avait assez de trimer pour tenir son intérieur, faire les courses, cuisiner etc... Elle désirait maintenant qu'on la serve comme elle avait servi les bourgeois toutes ces années.
Madeleine travaillait à Paris comme cuisinière chez des gens de la mode, du cinéma et même à la fin chez des politiques. Elle en avait vu et entendu des vertes et des pas mûres. Mais fidèle à ses engagements elle ne disait mot de tout cela. Motus et bouche cousue ! Le scandale ne passerait pas par elle. Pourtant elle en savait des choses. Et des pas jolies jolies.

Le moment venu pour eux de prendre la retraite, Madeleine et son mari Henri Pinson avaient décidé de revenir à leurs origines : les terres corréziennes sur le plateau de Millevaches, au milieu des bruyères. Ils avaient acheté une jolie maison dont Monsieur Pinson avait peu profité hélas. Au bout de deux années de bonheur simple, le crabe avait fait son œuvre et l'avait emporté laissant sa femme désemparée. Mais elle avait courageusement remonté la pente et vécu vingt ans sereinement. A 82 ans, elle se disait aujourd'hui qu'elle avait besoin de repos.  

Le fils unique des Pinson, retraité depuis peu, s'était rapproché de sa mère au grand dam de son épouse qui ne jurait que par la grande ville. Il avait fallu faire des concessions et pour plaire à sa dame, acquérir un grand camping-car tout confort et vagabonder à droite et à gauche.
C'est bien simple se disait Madeleine, qui jugeait cet achat exorbitant et inutile, Julien n'est jamais là quand j'ai besoin de lui. Toujours par monts et par vaux avec cet engin de malheur. Je vais lui mettre sous le nez cette maison de retraite. On va bien voir...
  - Tu veux aller en ehpad maman ? Toi ? Mais tu es en pleine forme. Tu l'affirmes toi-même.
  - Oui.  Et je sais déjà où je veux aller finir mes jours paisiblement. Tiens, voilà les papiers. J'ai déjà tout préparé. Il faut ta signature je me demande bien pourquoi d'ailleurs.
Après une lecture attentive des brochures provenant des « Portes du Paradis » Julien leva les bras au ciel, horrifié.
 - Tu n'y penses pas maman ! Tu as vu les prix ? Puisque tu veux aller en maison de retraite, j'ai une bien meilleure idée. Près de chez nous à Brive il y a le Clos des Marguerites. C'est très bien je t'assure. Et nous serons juste à côté.
 - Ah ! Je vois je vois hypocrite !  Tu n'attendais que ça pour te débarrasser de moi hein ? Tu avais tout prévu ? Le Clos des Marguerites ! Et pourquoi pas le Clos des Chrysanthèmes ou des Pissenlits pendant qu'on y est ! Bien plus approprié ! C'est trop cher « Les Portes du Paradis » dis-tu ? Vends ma maison et ta roulotte de bohémien et ça fera le compte au moins pour un moment.

Il avait bien fallu en finir et Madeleine  qui avait demandé elle-même à partir de chez elle fit contre mauvaise fortune bon cœur et fut admise rapidement au Clos des Marguerites. Elle logeait là depuis  quelques jours et boudait un peu. Elle s'enfermait dans sa chambre pour de longues siestes ne voulant pas de compagnie pour le moment.

Alors qu'elle somnolait cet après midi là, une petite mouche se mit à la taquiner. Impossible de la chasser même à grands renforts d'éventail. L'impertinente revenait sans cesse à la charge. Marguerite, énervée, se leva, chercha une arme efficace et ce fut la carpette au pied de son lit qui lui tomba sous la main. S'en suivit une course-poursuite effrénée et dévastatrice. Son voisin de chambre qui ne manquait pas d'humour alerta Josy, l'aide-soignante de service.
 - Josy, allez donc faire un tour à côté. Il y a le petit oiseau qui vole partout et va tout écraser.
 - Quoi ? Quel petit oiseau ? Qu'est ce que vous racontez ? Il y a un oiseau chez Madame Pinson ?
En haussant les épaules Josy ouvrit la porte de la chambre de Madeleine et évalua le grabuge, incrédule.
 - Qu'est ce qui se passe ici ? Qu'est ce que vous faîtes Madame Pinson ? Arrêtez ça tout de suite.
 - Oh vous là ! Aidez-moi à tuer cette sale bête au lieu se rester là comme une momie.
 -  Une sale bête ? Quoi ? Une souris ? Un cafard ?
 - Une MOUCHE ! Là. Vous ne la voyez pas sur le rideau ?
 - Oh c'est juste une mouche Madame Pinson . Ce n'est pas grave ça une mouche. Attendez. Vous allez voir. Je vais chercher la bombe de Catch !       

 

10 juin 2023

Ma Fine (Yvanne)


Ne me parlez pas de bourrique pour désigner un âne ou une ânesse !  C'est un gros mot pour moi. Je réserve cette appellation au genre humain. Et des bourriques, ma foi, il y en a. Peut être même que j'en suis une !

Un âne, ça se respecte. C'est intelligent et doux un âne. Qui n'a pas appris à l'école primaire cette jolie poésie de Francis Jammes : « L'âne » ? Je l'ai encore en mémoire parce que je l'aimais particulièrement cette récitation comme on disait alors. Et pour cause !

A la ferme familiale il y avait Fine. Elle était déjà là quand je suis née, Fine. Quand j'atteignis l'âge de cinq ou six ans, elle devint ma copine, mon amie. Je lui parlais et elle me comprenait. Nous utilisions le même langage : quand elle se mettait à braire, je poussais des « hi han » aussi sonores que les siens. Quand elle se roulait sur le pré, j'éprouvais un grand plaisir à la copier. Ce qui me faisait rire aux éclats. Fine riait aussi en montrant ses dents jaunes. Ces parties de plaisir ne passaient pas inaperçues à la maison bien entendu. Parce qu'elles avaient des conséquences. Ma mère se désolait : « regardez-moi cette gamine ! Tu n'as pas honte de brailler plus fort que la Fine ? Et tu es propre à te traîner dans la poussière . »
Cause toujours Maman ! Moi, je veux jouer avec Fine. Elle ne me gronde pas, elle ! Elle s'en moque que sa robe noire devienne grise et sale. Et moi aussi !

Quand j'ouvrais la barrière pour rejoindre Fine dans sa pâture, elle levait la tête à mon approche et me regardait avec ses grands yeux tendres. Elle remuait ses longues oreilles d'une certaine façon pour m'accueillir et semblait dire : « tiens, te voilà toi ? » Puis elle continuait à brouter tranquillement. J'emmenais souvent un livre et je m'asseyais sur l'herbe près d'elle. Je crois que Fine aimait bien les livres. Elle tentait parfois de saisir mon ouvrage. Je lui lisais alors mes histoires. Fine était contente. Enfin c'est ce que je me disais.

Fine ne quittait guère le pré derrière la maison. On ne pouvait pas la mêler aux vaches pour aller vers d'autres pacages. Les rares fois où cela se produisit il prenait à coup sûr à la demoiselle des envies de liberté et elle s'échappait à la moindre occasion. C'était sans compter sur Carlette, notre chienne qui n'attendait que cette opportunité pour s'accrocher à sa queue.  S'en suivaient des ruades et des aboiements frénétiques, ce qui désorganisait le petit troupeau. Je pensais que tout cela était un peu de ma faute : Fine voulait voir du pays sans doute à cause de mes contes.

De temps en temps ma grand-mère attelait Fine à une carriole et nous partions toutes les trois visiter des parents qui habitaient la commune voisine. C'était la fête. Fine était tellement excitée à l'idée de la promenade qu'il fallait tempérer son allure sinon nous aurions versé dans le fossé, les chemins que nous utilisions n'étant pas très praticables parfois. Au retour, ce n'était pas la même chanson. Fine, fatiguée et peu pressée de reprendre sa vie monotone s'arrêtait souvent et mémé Louise devait être très persuasive pour la faire avancer.

Je pense souvent à Fine quand je me rends dans mon village natal. Et comme Francis Jammes « qui voulait aller au Paradis avec les ânes »  je prie le Ciel pour y retrouver ma Fine un jour.


27 mai 2023

Zizim (Yvanne)

 
Notre ami Walrus assure avec malice que j'ai « plus d'une tour dans mon sac ». Qu'à cela ne tienne je m'en voudrais de le décevoir. Pas cette semaine. Mais peut être va t-il avoir une déconvenue car ma ziggourat à moi ne se trouve pas en Irak même si le nom de la capitale de ce pays, Bagdad, sonne délicieusement à mes oreilles m'évoquant les contes des Mille et Une Nuits. Non. La tour dont je veux vous parler s'érige en Limousin. Et si je retrace son histoire c'est bien parce qu'elle a un rapport formel avec l'Orient. De plus – coïncidence heureuse – le nom du personnage ayant marqué cet édifice par son passage commence par un « z » : Zizim.

La tour Zizim – c'est ainsi qu'on la nomme – a abrité au 15ème siècle le prince byzantin Djem le Majestueux (Zizim) fils de Mahomet le Second, le terrible sultan de l'empire ottoman. Marivaux a écrit à son sujet une tragédie en prose vers 1733, tragédie d'ailleurs inachevée.

A la mort du sultan, ses deux fils Bajazet et Djem se disputèrent le pouvoir. Après une guerre sans merci Djem fut contraint de fuir, échappant de peu à la mort. Après diverses péripéties il se rendit en Syrie alors sous l'autorité de l'Egypte. Grâce à l'appui du souverain de ce pays il reprit contact avec son frère. Chose curieuse, les deux protagonistes s'écrivaient en vers persans. Mais rien n'y fit : il fallut malgré tout reprendre les armes.

Pourchassé par Bajazet et ses troupes, Djem entra alors en relation avec Pierre d'Aubusson, le grand maître des chevaliers de Rhodes – plus tard de Malte - et lui demanda asile. Il fut décidé que l'on ne pouvait décemment pas lui refuser cette faveur. Mais les chevaliers y voyaient là une opportunité. Ils avaient compris quel profit ils pouvaient tirer du fugitif. C'était l'occasion rêvée de peser contre Bajazet, ennemi juré des chrétiens qui faisait barrage à toutes leurs missions.

Le grand maître de l'ordre, Pierre d'Aubusson donc, s'employa à tirer les ficelles négociant avec les deux adversaires. Il signa un pacte avec chacun d'eux à l'insu de l'autre et attendit le moment opportun où Bajazet serait mis en difficulté pour agir. Mais il lui fallut mettre Djem à l'abri en espérant une occasion propice pour mettre son protégé sur le trône, ce dernier étant plus malléable que son frère, son ennemi juré.

Il le fit embarquer pour la France où le prince qui vouait une confiance absolue à l'égard des chevaliers passait son temps en composant tranquillement des poèmes. D'aventures en aventures à travers l'Europe et surtout en France Djem arriva à Bourganeuf en Creuse où les chevaliers l'emprisonnèrent dans une tour qui porta plus tard son nom ou plutôt son surnom. Il y demeura deux années.

Mais Djem intéressait le pape Innocent VIII qui en demanda la garde aux chevaliers de Rhodde. Il voulait le mettre à la tête d'une croisade en cours de préparation. Un musulman dirigeant une armée de chrétiens contre des musulmans c'était peu banal. L'idée était étrange mais hautement politique. Djem se débrouilla pour refuser cette proposition. C'était sans compter sur les exigences du roi de France Charles VIII qui venait de conquérir l'Italie et qui voyait bien Djem à ses côtés pour aller guerroyer en Orient. Le nouveau pape Alexandre VI fit semblant d'accepter de lui livrer le prince  mais avec l'accord du frère ennemi Bajazet il fit empoisonner Djem alors prisonnier à Naples.

Ainsi se termina tragiquement la vie de Djem dit Zizim. On raconte qu'il se plaisait dans sa tour de six étages à Bourganeuf où il disposait de tout le confort y compris de bains turcs. Il y écrivit en vers le récit de sa captivité et de ses amours malheureuses pour Philippine de Sassenage. Un autre conte des Mille et Une Nuits...

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20 mai 2023

Extraits de l'ysopet d'Yvanne

 

Pour mes lecteurs du Samedi-Défi : YSOPET étant, il paraît un recueil de fables, souffrez que je vous en soumette trois aujourd'hui. Corgniaud et Ficelle // La chenille et les fourmis // L'âne et le coq. Merci pour votre patience.

 

Corgniaud et Ficelle.


Je déambulais sur le chemin
Accompagnée de mes chiens.
Deux bâtards abandonnés
Sans autre forme de procès.

J'aime le contraste
Dans la taille et la couleur
Pour ce qui est de la caste
Ni eux, ni moi n'accordons valeur.

Ficelle, le plus dégourdi,
Gambadait, filait devant.
Corgniaud, comme moi vieilli,
Pissait, allait se traînant.

Du bois soudain jaillit
Grognant, trottinant,
Une belle laie et ses petits
Derrière elle accourant.

Ficelle, le jeunot, l'intrépide
Trouva sans doute judicieux
De foncer, ce candide
En plein dans le milieu.

La laie, craignant l'infanticide
De rage, se retourna
Et fonçant tel un bolide
Sur Ficelle se déchaîna.

Heureusement, mon Corgniaud
N'écoutant que son bon cœur
Soudain donna l'assaut
De toute sa vigueur.

La laie, croyant à une météorite
Sa marmaille rassembla
Et s'enfuyant très vite
Les fourrés et sa bauge regagna.

Mon brave Corgniaud
Prit alors dans sa gueule
Le petit godelureau
Tremblant comme une feuille.

Que l'on soit mince ou gros
Que l'on soit jeune ou vieux
Pas besoin d'être un héros
Il suffit de faire de son mieux.

Dans ce monde où chacun lutte,
je ne connais qu'un remède
Pour éviter certaines chûtes.
Il  faut surtout qu'on s'entraide.

 
La chenille et les fourmis.

Une petite chenille se hâtait
Sur un chemin fort malaisé.
Écorces, aiguilles,brimborions
Entravaient sa lente progression.

Un soudain coup de vent d'autan
L'avait jetée au sol sans ménagement.
La pauvrette voulait regagner le nid
Afin de se mettre au chaud et à l'abri.

Sa feuille protectrice et nourricière
Ondulait au dessus d'une fourmilière.
Comment grimper là haut, si haut ?
Comment opérer un si grand saut ?

La brave bestiole prit son élan
Pour se hisser sur le monticule.
Il fallait affronter ses habitants
Aux redoutables mandibules.

Un escadron de fourmis téméraires
Craignant d'attraper de l'urticaire
Bouscula, insulta la malheureuse
La traitant de vilaine et paresseuse.

La pauvrette affolée se laissa choir
Refoulant ses larmes et son désespoir.
Une souche l'accueillit dans son creux
La protégea et la nourrit de son mieux.

Un beau matin elle libéra un papillon
Léger, gracieux, mordoré et vermillon.
Il s 'envola au-dessus de la colonie
Qui hier l'avait chassé sans cérémonie.

Les fourmis admiraient le lépidoptère
Oubliant de vaquer à leur tâche ouvrière.
Le papillon les interpella néanmoins
«Hé vous ne me reconnaissez point ?

Je suis la bête impure par vous bannie
Le croiriez-vous mes tendres amies ?
Ma vie va de mues en métamorphoses
Mais je vous pardonne les ecchymoses.

Cependant il ne faut jamais oublier
Que sur la mine l'on ne doit juger.



L'âne et le coq.

Un âne broutait tranquillement
Dans un pré à l'herbe grasse.
Il allait, les mouches le dévorant
Par milliers dessus sa carcasse.

Il vit un coq la mine arrogante
Et sans plus tarder s'en approcha.
La volaille en son allure confiante
Se mit à se moquer, l'invinctiva.

L'âne ayant cru trouver un ami
Baissa la tête surpris par l'accueil.
Il continua à manger tout marri
Dégoûté par ce bouffi d'orgueil.

Le coq alors s'en donna à cœur joie  
Hé baudet les mouches te mangent
Elles sont seules à vouloir de toi
Comme toi elles aiment la fange.

Du matin au soir tu ne sais que braire
En montrant tes vilaines dents jaunes
A ta place j'aimerais mieux me taire
Va donc plus loin gagner ton saune.

L'âne est comme on le sait intelligent
Il préféra s'écarter de ce coq imbécile
Crachant des mots bêtes et méchants
La critique est aisée, l'art est difficile.

Ne nous laissons pas atteindre par les paroles d'un sot.
Faisons la sourde oreille, viendra  son coup de sabot.


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22 avril 2023

La cuisine de Nini (Yvanne)


J'adorais la cuisine de Nini. Elle savait des recettes léguées par sa mère qui les tenait elle-même de sa mère. Pas besoin de cahier. Elle avait tout dans la tête et elle ne se trompait jamais. Ses plats étaient toujours assaisonnés à point. Il n'y manquait pas un grain de sel ou autres épices ou herbes. Et les plats qu'elle préparait tout naturellement, sans même y penser semblait-il puisqu'elle vaquait à d'autres occupations tout en faisant sa cuisine, étaient toujours excellents.

Elle avait l'art de vous mitonner par exemple un civet de lapin - de sa basse cour  - aux cèpes auquel  nul ne pouvait résister. Elle faisait revenir la viande coupée en morceaux dans sa cocotte en fonte noircie par les flammes, les ans et l'usage, sur un trépied posé sur le feu de bois du cantou. Après avoir préparé la sauce, ajouté les champignons cuits à part et d'autres ingrédients, elle mettait le récipient sur un lit de braises. La préparation chantonnait là doucement une bonne partie de la matinée. Elle accompagnait le mets de tourtous – galettes de sarrasin – et sans honte vous vous resserviez tellement c'était irrésistible.

A la campagne, il y a encore peu, toutes les femmes cuisaient dans le cantou ou sur la cuisinière à bois. Les plats avaient un goût spécial que je n'ai jamais retrouvé depuis. Même en m'appliquant à copier exactement les recettes. La cuisson sur le gaz ou les plaques électriques ne donne pas ce parfum et ces saveurs si particulières. Très loin de là.

Dans la souillarde de Nini tout un mur était occupé par un tableau porte ustensiles. Y étaient accrochés casseroles, poêles, passoires, louches, passe purée etc...Il y avait aussi sa planche à découper en bois. Elle était très épaisse avec une sorte de manche percé au bout pour la suspendre. Elle était légèrement creusée en son milieu certainement par l'usure mais cela facilitait le travail et évitait le gaspillage. Elle avait tellement servi qu'elle était entaillée partout sur son dessus.

Il est un autre plat préparé par Nini qui ronronnait aussi tout le matin sur la braise : le lapin farci aux carottes. Celles -ci étaient confites, légèrement caramélisées et fondaient dans la bouche mais la farce...Ah, les farces de Nini, inimitables ! Le pâté de pommes de terre limousin contenait également ce farci. Pas de chair à saucisse. Ça non, hérésie ! Mais du lard, du bon lard de son cochon.

Je ne perdais pas une miette de l'opération quand j'étais présente lors de l'élaboration dudit farci.  Nini coupait en petits morceaux du lard gras de son saloir – tout le monde dans les villages tuait son cochon – ainsi que du lard de poitrine fumé dans le cantou. Elle posait le tout dans le creux de sa planche et à l'aide d'une hache minuscule – pas de hachoir électrique – là aussi une hérésie ! délicatement elle émiettait la viande à laquelle étaient ajoutés oignons, échalotes et ail finement hachés eux  aussi.  Elle versait ensuite tout cela dans un saladier, y ajoutait du pain trempé dans du lait, un œuf ou deux, de la crème, du poivre et du persil, beaucoup de persil. Pas de sel, le lard étant déjà salé.  Elle mélangeait bien. Ça sentait bon. Même cru c'était un délice. On était tenté de lécher le plat comme pour les gâteaux avant de le laver. Une fois cuit, encore un mets pour lequel on se serait damné.

Nini, âme généreuse et simple, a ainsi gâté sa famille tout au long de sa vie laborieuse.  Elle a quitté ce monde depuis plus de dix ans. C'était une sainte femme et elle a mérité le Paradis.  Prépare-t-elle des farcis Là-Haut ?

15 avril 2023

Pâques d'antan (Yvanne)


En ce matin ensoleillé de Pâques une joyeuse envolée de cloches réveille le village de Beyssac.
Angèle sourit. Elle pense à elle, petite fille, qui surveillait, mine de rien, le ciel pour voir si les cloches au retour de Rome regagnaient bien leur clocher. Elle trouvait cela bizarre mais on lui avait assuré que l'Angélus ne sonnait plus parce que les campanes étaient en voyage au Vatican durant la fin de la semaine sainte. Elles revenaient le jour de Pâques. Elles ramenaient avec elles le printemps, la fête parce que le Christ était ressuscité et annonçaient une journée particulière où tout le monde était heureux. Pour Angèle, religieux et profane se mêlaient étroitement et naturellement.

Évidemment ses parents respectaient les rites de la semaine sainte qui commençait le jour de Rameaux. Chacun se rendait à la messe avec son bouquet de buis afin de le faire bénir par le prêtre. Il représentait l'olivier de l’évangile, gage de foi et d'espérance. Oh les parfums dans cette église : verdure, fleurs, sucreries, encens ! Angèle les perçoit encore. Tout avait un air de renouveau.
On  accrochait ensuite une petite branche de buis sur les différents crucifix de la maison familiale, une aussi à la porte des étables et écuries. On n'oubliait pas ses morts et les tombes également étaient parées de buis béni. On en gardait un peu pour un deuil éventuel que l'on conservait discrètement dans une armoire. Il était d'usage d'en jeter un brin dans l'âtre pour éloigner la foudre de la maison les jours d'orage.

Quel bonheur ce jour de Rameaux pour Angèle et ses frères ! Maman avait acheté des papillotes, divers bonbons aux  emballages colorés qu'elle accrochait à leurs beaux branchages bien ronds choisis spécialement dans son jardin par leur grand-père. Celui d'Angèle portait aussi de jolis rubans roses et blancs. Mais elle n'oubliera jamais les cornues à deux pointes, dorées et parfumées à la fleur d'oranger que préparait adroitement sa grand-mère. Elles étaient destinées à garnir les rameaux. Maman plantait la tige de bois au milieu de leur chair rebondie ce qui exacerbait les délicieuses senteurs sucrées des brioches.
On avait beau saliver, passer les doigts subrepticement sur les gâteaux et les lécher en cachette pendant la cérémonie, on tenait bon. Pas question de toucher aux friandises avant la fin de l'office. Angèle se revoit, brandissant très haut comme un trophée sa ramure de buis lors de la bénédiction. Il arrivait à ce moment précis que tombent des gâteries mal attachées. On les ramassait prestement et les fourrait dans sa bouche ni vu ni connu.

Il est une autre coutume ancienne liée à ces fêtes qu'Angèle aimait beaucoup. Celle des « cacarous » - des œufs. Dans la nuit du vendredi au samedi des jeunes gens du village venaient chanter devant les  maisons une étrange mélopée évoquant la Passion de Jésus. C'était lugubre et donnait des frissons à la petite fille qui se pelotonnait dans son lit. Mais bien vite les chants, accompagnés à la vielle et l'accordéon devenaient joyeux. Ses grands-parents, restés debout, ouvraient aux « Réveillés » qui s'engouffraient dans la vaste cuisine où les attendaient du vin chaud et une panière d'œufs.  Angèle se levait alors pour profiter de la soirée. Elle adorait et enviait un peu cette bande de gais lurons toujours prêts pour la bamboche. Ils feraient plus tard une énorme omelette qu'ils dégusteraient tous ensemble.

Angèle est vieille aujourd'hui. Il y a deux jours cependant elle a veillé une partie de la nuit pour ne pas manquer « les Réveillés ». La tradition, un peu perdue jusqu'ici a été reprise cette année par quelques jeunes sensibles aux rites du passé. Angèle a pleuré en ouvrant sa porte. Elle a offert le vin chaud parfumé à la cannelle qui attendait sur un coin de sa cuisinière à bois. Elle a chanté et bu un peu. Elle a embrassé, très émue chacun de ses visiteurs. Puis elle les a regardés avec un peu de nostalgie s'enfoncer dans la nuit pour aller psalmodier leur complainte dans d'autres villages et recueillir des œufs par dizaine.

Les cloches carillonnent encore. Angèle se prépare pour la grand'messe. Elle étrenne un joli manteau tout neuf pour se rendre à l'église. Elle respecte la tradition de sa mère qui, chaque année pour les fêtes de Pâques, faisait confectionner par la couturière du village un vêtement pour  tous les membres de la famille. Elle se dit, un peu tristement, que c'est peut être la dernière fois qu'elle honore ces coutumes venues du fond des âges et qu'elle a toujours aimées.

 

8 avril 2023

Désaccord tenace (Yvanne)


À la campagne les querelles entre voisins perdurent souvent pendant des générations . Querelles  pour des histoires de bornage, de prise d'eau, de partage aussi entre héritiers d'une même famille. Elles occasionnent des brouilles coriaces et des rancœurs larvées qui ne demandent qu'à éclater au moindre prétexte.
Point n'est besoin d'aller bien loin pour qu'existât un mur de la discorde dans mon village comme celui voulu par un certain personnage entre les USA et le Mexique. Oh bien sûr un tout petit mur, à l'échelle du hameau !

Vous connaissez Fernand et sa couardise. Oui, Fernand, le mari de la Guite. Peureux mais rusé comme une fouine et surtout rancunier comme la mule du pape. Il en voulait à sa sœur qui avait hérité d'une parcelle de terrain en bordure de route et proche de sa maison. Il lorgnait depuis toujours ce lopin de terre pour en faire son jardin mais on ne discutait pas alors le choix des parents lors de la répartition des parts.

Du vivant de son aînée il avait fait profil bas et s'était accommodé de la chose. En apparence tout allait bien dans la fratrie. Mais Fernand n'oubliait pas. Il était persuadé qu'il avait été floué et ça le mettait en rage chaque fois qu'il passait devant le jardin de sa sœur. Il se trouve que son beau frère Henri avait construit un mur en pierres sèches pour isoler son lot de la route et aussi de la maison de Fernand. Ce qui ne fit qu'aggraver le ressentiment de ce dernier. Il passait de plus en plus souvent par là depuis que la faucheuse avait emporté sa « pauvre parente. » Il voulait absolument prendre sa revanche en démolissant ce mur. C'était devenu une obsession mais il n'osait quand même pas le faire lui-même.

Il chercha comment mettre son plan à exécution et une idée germa dans son esprit. Il allait utiliser la petite troupe de gamins qui empruntait chaque soir ce trajet en rentrant de l'école. Il se posta un jour devant la muraille et attendit. Il avait pris soin auparavant de glisser quelques pièces entre les pierres disjointes. Pièces des années 1920  trouvées dans le grenier de la maison familiale.  

Les enfants l'aimaient bien car le bonhomme n'hésitait pas à taper dans le ballon avec eux. Ils s'approchèrent pour le saluer comme d'habitude. Fernand leur montra alors une pièce bien astiquée, brillante comme un soleil. Il expliqua qu'il venait de la ramasser là, tout près du mur d'Henri. Il ajouta perfidement qu'elle avait sûrement beaucoup de valeur. Il n'en fallut pas davantage pour que les garnements commencent à enlever des pierres et tombent, bien entendu sur quelque monnaie. Fernand avait réussi son coup : tous les soirs, les écoliers s'appliquaient à faire dégringoler la murette. Il surveillait l'opération de loin et jubilait.

Henri ne tarda pas à s'apercevoir du larcin. Il courut après les gosses et manqua de s'étouffer en hurlant : « sacripants, vous allez me payer ça. » Je dis « sacripant » pour faire plaisir à Walrus mais Henri avait un autre mot ! La maîtresse d'école le vit arriver le lendemain. Les enfants, tout penauds dirent qu'ils cherchaient un trésor dans le mur d'Henri et d'ailleurs ils avaient déjà trouvé des pièces en or. Innocemment ils claironnèrent que Fernand, le premier, avait découvert le filon. Tout s'expliquait. Surtout pour Henri.

En guise de punition la maîtresse ordonna aux enfants d'aider Henri à reconstruire son mur. Quant à Fernand, son beau frère s'en occupa et ça se passa mal pour lui. Très mal. Même la Guite s'en mêla et tança vertement son homme en lui disant qu'il était plus bête que les gosses et qu'il lui faisait honte.
Qui fut chocolat dans l'histoire ? Au fait : joyeuses Pâques à tous et n'en mangez pas trop...de chocolat !


1 avril 2023

Ça devait arriver (Yvanne)


- Guite, lève toi. Le chien aboie, les vaches meuglent, les moutons bêlent et les poules...
- Et toi tu brais mon âne !
- Guite, je te dis qu'il faut aller voir. Y a du bruit dans la cour.
- Froussard ! C'est rien. Laisse moi dormir.
- Guite...
- Arrête de me secouer comme un prunier. Enfile tes brages (pantalon en occitan) et sors. L'air te rafraîchira les idées.
- Guite, tu sais bien...
- Quoi ? Que tu as peur ? Ah oui ça je le sais.
- Mais Guite avec ma patte folle je peux pas courir et si c'est...
- Tu me bassines Fernand. Y a rien je te dis. Dors.
-  Justement Guite. La bassine...
- Quoi la bassine ? Celle où tu te laves les pieds ? Qu'est ce qu'il me parle de bassine ?
- Peuh ! T'as pas entendu parler de la bassine à la télé peut être?
- Et alors ?
- Alors alors tu crois pas que Jeantou va en creuser une dans son champ de Plumozel ?
Je l'ai vu tourner avec son tracteur hier. Il lorgnait vers ici.
- Et même ? Qu'est ce que ça peut te faire ?
- Mais...On aura plus d'eau au puits pour arroser les légumes.
- Ah ! C'est vrai. L'est bien capable de faire dévier notre source le Jeantou pour faire pousser ses raves.
- Qu'est ce qu'on va faire ? En attendant il faut regarder dehors. Pari que c'est lui qui rôde !
- Attends. J'y vais. Je prends le fusil.
- Oh non malheureuse ! Laisse ça tranquille. Ouvre juste la porte. Si c'est lui il va filer.
- Y a personne. Juste un chien. Ou le renard peut être qui passait par là. Je vais aller voir le maire tout à l'heure.
- Pourquoi faire ?
- Pour lui parler de Jeantou et de la bassine.
- Tu veux que je vienne avec toi ?
- Pas la peine. Ça me gonfle cette histoire. Il faudrait pas que tout le monde se mette à avoir sa bassine. Comme si les piscines ça suffisait pas hein pour emmerder le monde avec l'eau qui manque !
Et deux heures plus tard la Guite arrive à la mairie remontée comme un coucou suisse.
- Eh là Madame. Où allez vous ?
- Voir le maire. Et ça presse.
- Mais il faut prendre rendez vous Madame.
- Pour parler à Marcelin ? Moi ? Tu te fous de moi jeunesse ! T'as encore le lait qui te sort par les trous de nez et tu voudrais m'empêcher...
- Qu'est ce que c'est que ce raffut ? C'est vous Marguerite qui faites tout ce bruit ? Entrez ici et dites moi ce qui vous amène et dans cet état.
- Tu me vouvoies maintenant Marcelin ? Tu te rappelles peut être pas quand on cherchait les œufs dans les fourrés tous les deux au printemps ?
- Il ne s'agit pas de ça aujourd'hui Guite.
- Non. Il s'agit pas de ça. Y a le Jeantou qui veut semer des raves à Plumozel. On pense qu'il a dans l'idée de creuser une bassine et de prendre notre eau. Celle qui arrive dans notre puits.
- Mais tu racontes n'importe quoi. Rentre chez toi et repose toi que tu vas nous faire une attaque. Je m'en occupes.
Le maire accompagne la Guite à la porte et s'adressant à son secrétaire tout ébahi :
- C'est pas de sa faute si les crapauds n'ont pas de queue à cette pauvre femme. Elle croit que son voisin a besoin d'une cuvette pour arroser son champ.
Et levant les yeux au ciel en se rengorgeant :
- Ah le général avait raison : c'est difficile de représenter la France !

25 mars 2023

Chère Marquise (Yvanne)

 

Oserais-je m'entretenir avec vous comme avec une amie ? J'ai trop de respect pour votre personne pour avoir cette audace. J'aimerais simplement que ma lettre vous soit un mince divertissement dans l'ailleurs où vous êtes aujourd'hui. Ailleurs où, je présume vous étourdissez les anges par votre esprit et votre talent.

Je n'affûterai pas ma plus belle plume d'oie pour vous écrire. Me croirez vous ? Ces volatiles ne sont plus plumés par de diligentes mains et de plume d'oie il n'y a point. Des machines barbares dépouillent ces volailles en un rien de temps. Ah ! Je vous devine : vous étouffez un petit rire discret derrière votre main joliment gantée de blanc. Je ne vous ferai cependant pas l'offense d'utiliser ce moyen moderne que l'on nomme informatique pour m'adresser à vous. Il reste encore, fort heureusement un peu d'encre au fond de mon encrier, non à vrai dire, de mon stylo.

Madame, si vous voyez le monde depuis le Paradis où vraisemblablement Dieu vous garde près de lui, vous ne cessez sans doute d'être étonnée. Horrifiée même certainement tant notre planète va à vau-l'eau. Mais quand vous tournez votre regard pour ne plus voir ce qui se passe ici bas, comment occupez vous votre temps ?
Vous écrivez encore et encore à votre fille et à tous vos amis, épistoliers fervents tout comme vous. Je vous imagine, penchée sur votre écritoire, tantôt sereine, tantôt triste ou amusée laissant « trotter votre plume la bride sur le cou » pour narrer avec spiritualité et impertinence les potins du jour.

Avez vous retrouvé votre livre du carrousel que vous aviez prêté ? Il me semble que vous l'avez finalement reçu. Il y figurait, je crois la quadrille que votre fille Madame de Grignan destinait à son frère Charles. Je comprends l'importance de cette brochure pour vous. Ne détaillait-elle pas les divers participants présentés par des madrigaux qui commentaient les devises choisies. On y retraçait n'est-ce pas la composition des diverses quadrilles commandées par le Roi avec leurs emblèmes. Ceci pour la fête grandiose, le Grand Carrousel, donnée dans la cour des Tuileries les 5 et 6 juin en l'honneur de la naissance du Dauphin Louis.

Vous dirais-je Madame que « quadrille » - enfin le mot - s'est masculinisé ? Il ne désigne plus un tournoi ou autre spectacle équestre comme vous aviez l'habitude de les vivre. Il est devenu plus tard une danse de salon avec quatre couples formant un carré. Aujourd'hui on parle de quadrille plutôt pour une danse folklorique. Mais je suis sûre que vous poufferiez encore comme alors quand vous contempliez les bourrées paysannes en vous exclamant : « ce sont des postures à pâmer de rire ». Je n'ose concevoir ce que vous penseriez des sauteries d'aujourd'hui !

Mais brisons là Madame. D'aucuns comme Monsieur Proust se moquerait en clamant que j'ai assez « fait ma Sévigné. » Ah ! Une dernière chose cependant. Voyez vous, malgré nos technologies modernes et sophistiquées nous n'avons pas encore réussi à communiquer avec l'au-delà. Et cela me chagrine quelque peu. Je n'ai pas peur de mourir, non, mais j'aimerais savoir ce qui se passe là haut et surtout comment l'on s'y distrait et s'amuse. Un petit billet de votre plume serait le bienvenu. Je vous laisse le soin de choisir votre messager.

Adieu donc, Marquise.
 

18 mars 2023

Printemps (Yvanne)

 

y

Pâquerettes aux corolles nacrées

Iris d'eau au cœur de velours

Scille aux clochettes bleues étoilées

Trèfle champêtre rouge incarnat

Aubépine symphonie en rose et blanc

Campanule mauve ou bleu de nuit

Hellébore vénéneuse aimée des poètes

Eglantine timide rose des fossés,

 modestes fleurs sauvages, discrètes et fragiles, vous parsemez les haies, les prés, les sous bois, vous courez le long des chemins creux pour égayer tous les verts du printemps. Ce printemps de toutes les promesses qui m'entraîne dans son sillage sur les sentes parfumées. Bonheur !

 

 

11 mars 2023

Dame Brunehilde de Comborn (Yvanne)


L'ancienne forteresse de Comborn s'érige en majesté sur un éperon rocheux. Elle surplombe une boucle de la Vézère, rivière aux eaux sauvages et tumultueuses. Ici, vécurent durant des siècles les seigneurs de Comborn, race féodale à l'esprit guerrier, tyranniques et puissants.

Archambault, vicomte de Comborn reçoit le droit de justice sur d'immenses territoires. Il chasse et sème la terreur partout où il passe. Toutefois il est pieux et distribue de somptueux dons aux abbayes voisines. Sans doute pour que les moines prient pour lui. Il pense ainsi racheter ses fautes et méfaits. Il choisit, à 20 ans de prendre pour épouse dame Brunehilde de Turenne qui lui apporte dans sa corbeille de noces une fortune conséquente et de nombreux biens mobiliers et immobiliers.

Dame Brunehilde, dont les longues nattes blondes encadrent un visage pâle et mélancolique, aux yeux bleus immenses, semble accepter le sort qui est le sien : être la compagne d'un homme au caractère ombrageux qui la néglige en prenant d'innombrables maîtresses. Et ce jusque parmi les dames de compagnie de la malheureuse vicomtesse. Elle s'ennuie mortellement surtout au cœur de l'hiver où elle reste prostrée près de la grande cheminée de sa chambre. Les douceurs de son château d'enfance dans le bas pays lui manquent. De plus, elle semble bréhaigne ce qui la disqualifie aux yeux de son époux qui souhaite ardemment un héritier.

Archambault consent, à la demande de sa femme, dont il constate subitement le déclin, à organiser de grandes fêtes au château. L'on y rencontre de fameux troubadours tels que Bertran de Born, Gaucelm Faidit et bien sûr Bernard de Ventadour. Tous vantent les beautés éthérées de la jeune femme et composent pour elle chansons et poèmes.

Brunehilde revit, s'épanouit et l'on voit bientôt son ventre s'arrondir. Un miracle ! Le vicomte la couvre de cadeaux. Cependant des rumeurs ne tardent pas à circuler parmi ses hommes : on aurait vu à maintes reprises Bernard de Ventadour sortir furtivement des appartements de la dame. Soupçonneux, Archambault ordonne un jugement par ordalie à la naissance de l'enfant. On emmène le nouveau né au bord de la Vézère, le pose sur un bouclier qui va dérivant sur les eaux tourmentées de la rivière. Bientôt le modeste batelet est englouti : l'enfant est donc un bâtard. Le vicomte, fou de rage, convoque Brunehilde et pour la punir de son adultère présumé - il a droit de châtiment - lui tranche la main droite. La jeune femme réussit à s'échapper et plus personne ne la revoit jamais.

Peu de temps après, les villageois des alentours demandent audience au vicomte. Ils sont effrayés et  sollicitent son aide. Une bête, sans doute une louve, rôde dans les environs le jour et la nuit. Ils affirment que c'est une créature du Diable à la puissance infernale qui s'en prend surtout aux petits bergers et bergères gardant leurs troupeaux. Elle ne les tue pas mais les enfants apeurés hurlent tant qu'ils font fuir l'animal sans qu'elle ne puisse jamais les approcher. Le vicomte convie tous les seigneurs du voisinage et organise une battue. L'animal traqué ne peut s'échapper. L'un des chasseurs plonge sa dague dans son poitrail. C'en est fini. Il lui coupe la patte droite qu'il conserve dans le sac en cuir qu'il porte à la ceinture. Ce sera un trophée à exhiber à Comborn.

Lors du banquet qui suit la chasse fructueuse, le chasseur victorieux sort soudain de sa besace la patte de la louve. Le silence se fait dans la grande salle suivi d'exclamations de surprise et d'horreur.  Une main humaine apparaît et Archambault, très pâle, reconnaît l'anneau de mariage qui ornait le doigt de son épouse. C'est Dieu qui le frappe à son tour. Il s'enferme dans sa forteresse et meurt peu après de démence. Il n'a pas d'héritier. Ainsi s'éteint la race des seigneurs de Comborn en Corrèze.

4 mars 2023

Au fil de l'eau (Yvanne)


Gamine, à l'école primaire de mon village, je fouillais dans la modeste bibliothèque à la découverte de romans ou d'ouvrages se rapportant à l'histoire de ma région. Cela me tenait à cœur étant profondément enracinée à mon lieu de naissance. C'est ainsi que j'ai appris que les Gaulois qui peuplaient ma Corrèze natale et au-delà tout le Limousin à qui ils ont laissé leur nom, se nommaient les Lémovices. J'avais des ancêtres riches et puissants. Il n'en fallait pas plus pour enflammer mon imagination et chercher par tous les moyens à connaître ce que fut leur existence.

Oui, ils étaient riches comme en témoigne le site de Tintignac, tout près de chez moi où d'importantes découvertes  d'objets mythiques et uniques dans le monde ont été mises à jour. J'ai déjà évoqué ici Tintignac, haut lieu de commerce et de culte. D'où venaient leur richesse ? De mines d'or qui étaient multiples sur le territoire. On estime que les Lémovices ont extrait entre 80 et 160 tonnes d'or ici. Il se trouve que l'une de ces mines était proche d'un ruisseau courant dans un pré de mes parents.

Pendant que mes vaches paissaient tranquillement sous la garde vigilante de Carlette, ma chienne, je parcourais la rivière aux multiples méandres en quête du précieux métal. J'étais orpailleuse sans matériel aucun. Simplement, je scrutais attentivement le fond de l'eau transparente, prenais à poignée un petit tas de gravier que j'examinais un à un et rejetais ensuite. Mais ceci en vain. Tout ce qui y brillait hélas n'était pas d'or. Juste quelques petites feuilles de mica dit « or de chat » assez abondantes et scintillantes pour me faire croire un instant que j'avais trouvé le graal. Déçue, j'abandonnais ma prospection pour m'intéresser à des choses moins utopiques et tout aussi passionnantes dont je ne me lassais jamais.

Rêver en regardant glisser l'eau sur les galets colorés et polis, façonnés par des siècles d'érosion. S’abîmer dans la contemplation de la rivière qui chante et danse, libre et pressée. Imaginer sa course interrompue quand elle rencontre l'océan qui l'engloutit. Respirer à pleins poumons son odeur si particulière d'humidité mêlée du parfum des herbes qui s'y inclinent et aussi celle que l'on perçoit et que l'on n'oublie jamais de la truite qui s'y abrite.

Se pencher pour admirer la lente progression de l'écrevisse autochtone, à la carapace d'un beau vert  bronze qui file en reculant si on tend la main, pour se cacher dans les replis de la berge en bougeant avec frénésie ses antennes sensorielles. S'émerveiller du vol souple et combien délicat d'un papillon qui batifole d'une feuille à l'autre. Ces papillons dits « de jour » aux couleurs chatoyantes, exubérantes même, je jouais à les poursuivre mais ils m'échappaient sans cesse. Rien à voir avec leurs cousines les noctuelles qui vivaient dans les aulnes. Ces insectes lourdauds, ternes et trapus qui, au crépuscule se manifestaient et parfois s'abattaient de façon inopinée sur votre tête. Ceux-là personne ne les aimait car leurs chenilles étaient la terreur des jardiniers de la famille.

Apprendre les dures lois de la Nature quand brusquement surgissait la libellule aux ailes de dentelle et au corps vitrail mordoré ou bleu métal qui fondait sur l'insouciant papillon pour le dévorer en vol. Mais le prédateur de la demoiselle filiforme n'était jamais très loin et à son tour, le bec acéré et victorieux d'un martin-pêcheur criard ou d'une vive hirondelle emportait pour son festin l'élégante éphémère.

Je ne trouvais pas d'or mais qu'importe, j'étais riche des beautés de la Nature. Je me nourrissais de la vie qui palpitait autour de moi et, étourdie de soleil, de silence, de sérénité j'allais m'asseoir à l'ombre des aulnes. Je lisais tranquillement jusqu'à ce que mes bêtes me rappellent à l'ordre pour m'inciter à revenir à la ferme : c'était l'heure de la traite. Je quittais à regret mon petit paradis mais je savais que le lendemain ou plus tard je reviendrai profiter de son calme et surtout de ma solitude, source de ma liberté, propice aussi à l'éveil de mes sens et de mes émotions enfantines et adolescentes.

18 février 2023

A la pêche (suite). Voir défi 750. (Yvanne)


Après son bain forcé  Jacky met à sécher ses vêtements sur l'herbe ne conservant sur lui que son caleçon. Guère gênant : ils sont seuls et il fait chaud.
Paulo a pendant ce temps déployé une petite table pliante et déjà servi l'apéritif.
- Encore un jaune Jacky ?
- Non. Merci. Ça ira mais j'ai faim. Qu'est ce que t'as de bon dans ta musette ?
Paulo sort de sa glacière un pâté de chevreuil, du saucisson, un joli lot de cabécous et du pain de campagne. Jacky se penche sur l'étang  - prudemment cette fois - pour récupérer une bouteille de rosé qu'il a tenue au frais dans l'eau depuis le matin.
Les deux amis mangent avec appétit tout en devisant sans pour autant perdre de vue leurs cannes.
- Dis-donc Paulo, ils sont fameux ces fromages de chèvre. D'où les sors-tu ?
- Ah, je ne t'ai pas dit : c'est une fabrication de la Lucette. Elle me les a donnés pour que je les goûte.
- Tiens ! Tu es dans les petits papiers de la Lucette ? Tu fais concurrence au Parisien ?
- T'es bête ! Figure toi qu'elle s'est mis dans la tête de vendre des cabécous.
- Ah bon ? Mais il faut des chèvres pour ça !
- Elle a tellement cassé les pieds au Léon qu'il a fini par céder à son caprice et à cracher quelques sous. On a vu débarquer un matin une bétaillère avec une douzaine de biquettes et un bouc.   
- Un bouc ?
- Oui. Un bouc. Et bien encorné je peux t'assurer. Peut être pas autant que le Léon mais je te prie de croire qu'il en impose l'animal. Et il pue je te dis que ça !
- Ben, la Lucette va être occupée. Elle ira moins courir le guilledou. C'est peut être aussi pour ça que le Léon a donné son accord. Elle va donc faire des fromages.
- Oui. Et avec label s'il te plaît.
- Quoi ? Quelle belle ? C'est un nom de chèvre ?
- LABEL ! Tu sais bien ce qu'est un label tout de même ? Label rouge, label AOC comme pour les cabécous de  Rocamadour et bien d'autres exemples sans doute. La Lucette parle de label AB...
- J'y connais rien. Elle m'épate la Lucette ! Se lancer comme ça !
- Ah mais elle a fait des formations.
- Tu es bien au courant Paulo. Elle t'a fait ses confidences ?
- Pas à moi si tu veux tout savoir. Mais à ma femme. Et la Denise me tanne pour que j'achète des chèvres moi aussi. Elles veulent s'associer Lucette et elle. Elles ont même trouvé un nom pour leur futur fromage : « le bon biquet » C'est mignon hein ? Elles iront vendre sur les marchés et elles ciblent aussi les maisons de retraite. Comme il y en a beaucoup par ici elles ont décidé de leur logo   en fonction : « se déguste sans faim et sans dent. » Sympa je trouve. Pas toi ?
- J'y crois pas. Ne me dis pas que tu vas élever des chèvres ? Comme un baba cool soixante huitard ?
- Et bien si. Je trouve finalement que c'est une bonne idée. Réfléchis et raconte tout ça à Josette. Ce serait super si on pouvait créer une petite coopérative tous ensemble.
- Tu rêves mon pauvre Paulo...
Qui rêve ? Le regard de Jacky se porte au loin. Des chèvres ! Des cabecous !  Et pourquoi pas ?  Perrette sur sa tête...

4 février 2023

Des nèfles ! (Yvanne)

y           Comment ça jujube ?                                         Des nèfles oui !

 

La nèfle est un fruit oublié mais le mot apparaît dans l'expression « ça ne vaut pas une nèfle » ou bien « ça compte pour une nèfle » ou encore « des nèfles ». Je ne vous fais pas un dessin pour la signification !

 

28 janvier 2023

Désenchantée (Yvanne)

  

Est-ce si irrationnel de chanter à tue-tête « septembre semble vide, vide et désespéré » en plein mois de janvier quand on conduit, pied au plancher sur une route qui peut être verglacée ?
Oui, vide et désespérée Cloé l'est comme septembre pour Bernard Lavilliers. Elle réalise soudain qu'elle se comporte comme une folle. Un coup d'œil dans son rétroviseur le confirme. Bastien, son fils de 6 ans, installé à l'arrière de la voiture, la scrute avec dans les yeux des interrogations et aussi de l'incompréhension. Cloé culpabilise. Comme toujours maintenant. Elle a bousculé son petit bonhomme ce matin parce qu'elle s'est réveillée en retard, assommée par les somnifères et les anxiolytiques. A peine une toilette de chat pour elle et lui, un petit déjeuner vite expédié alors qu'elle sait qu'il mange mal à la cantine. Il fallait partir vite pour ne pas être à la bourre à l'école et au bureau.

Cloé sourit bravement à son fils qui semble se détendre. Elle ralentit. Tant pis pour le retard. Elle mettra en avant l'état de la chaussée en guise d'excuse. Elle sait que Bastien se demande pourquoi sa maman passe ainsi sans cesse de la mauvaise humeur à l'exubérance , pourquoi son papa est parti ? Il comprend confusément que tout vient de là si ça va mal à la maison. Mais qu'y peut-il ?
Encouragé par le sourire de Cloé il entonne « le petit bonhomme en mousse » chanson qui les fait rire tous les deux.

Les voici devant l'école. L'enfant embrasse sa mère qui le serre très fort contre elle. Il se dégage bien vite pour rejoindre ses petits camarades. Au moins en classe il ne pense plus à rien. Il ne veut plus penser à ce qui le chagrine.
Cloé essuie rageusement les larmes qui coulent malgré elle sur ses joues. Elle a le cœur hérissé de tessons, en miettes. Le plus difficile est à venir. Il faut affronter les collègues et leur gêne et parmi eux, Anaïs. Surtout Anaïs. Elle arrête sa voiture et se demande si elle aura le courage d'aller jusqu'à sa boîte.

Anaïs. Est-ce si irrationnel d'avoir envie de casser sa petite gueule de femme comblée ? Cloé s'interroge : comment fait l'autre pour se comporter avec autant de naturel ? Comme si rien ne s'était passé ? Anaïs a volé son mari et pour elle tout semble normal. Comment a-t-elle pu lui faire ça ? Comment ont-ils pu l'écraser ces deux là sans se soucier des conséquences ? Quel désenchantement ! Quel déchirement ! Elle avait cru à cet amour : ils étaient si heureux. Tout a basculé en quelques semaines. Comment surmonter une telle épreuve ?

Brusquement une idée saugrenue traverse l'esprit de Cloé. Plus qu'une idée, une petite voix spontanée murmure au fond d'elle : « t'en fais pas. La vie continue. Tu es forte et tu dois le prouver, pour toi et surtout pour ton fils. » Cloé s'affale sur son volant et réfléchit. Elle ne peut pas perdre son travail. Elle doit faire front. Et puis elle espère que tout finira par s'arranger. Elle pardonnera...La petite voix insiste : « relève la tête, va de l'avant. Fonce. »

Est-ce si irrationnel d'écouter cette injonction intérieure qui l'aide à prendre le dessus sur ses émotions, son chagrin, qui la guide et la réconforte ? Cloé veut croire à ce message de sagesse venant du fond d'elle même. Qu'à t-elle à perdre ?

 

21 janvier 2023

Hurlu et Berlu, les inséparables (Yvanne)

 

Hurlu, fraîchement émoulu d'un collège d'Honolulu s'est finalement résolu à habiter à St Jean de Chevelu plutôt qu'à St Martin la Pallu où il avait beaucoup plu.
Il a fallu que Lulu, un garçon goulu, joufflu et dodu jette son dévolu sur Hurlu.
Lulu est dissolu. Il est superflu et même tout à fait exclu pour Hurlu de s'attacher à Lulu.
Hurlu a élu le barbu et velu – mais grelu - Berlu qui aime aussi le merlu.
Ce qui lui a valu de la part de Lulu de la glu sur un livre qu'il n'avait pas lu.
Cela a fort déplu à Hurlu qui lui en a voulu.
Il a conclu qu'il pouvait dans l'absolu et en accord avec son ami poilu Berlu utiliser un truc révolu – peut être en alu moulu ou en bois vermoulu – pour narguer le farfelu Lulu.
Pêté comme un petit Lu, Lulu s'est complu à être titillé par les soudés HurluBerlu.
Lanturlu !

 

14 janvier 2023

A la pêche (Yvanne)

 

Suite des aventures de mes deux copains trufficulteurs Jacky et Paulo.

- Hé Jacky. Salut. Qu'est ce qui t'amène ?
- Rien de spécial. Salut Paulo. Tu fais quoi demain ?
- Demain ? C'est dimanche demain non ? Je sais pas trop...
- Tu vas pas à la messe si ? Alors t'es libre ?
- Si tu veux. Tu prévois quelque chose ?
- Je voudrais aller faire un tour à la pêche sur l'étang de Lascaux. Ça te dit ?
- Et pourquoi pas ? Je passe te prendre à 6 heures ? J'apporte le casse-croûte.
- D'accord. Je me charge de l'apéro et du pinard. Du rouge ou du rosé ?
- Comme tu veux. A demain.

Il fait un temps superbe. Les deux amis laissent leur voiture sur le chemin. Se munissent de tout leur barda et s'approchent tranquillement de leur coin de pêche préféré. Ils s'installent et attendent patiemment que ça morde. Les carpes sont paresseuses ce matin. Le petit bateau amorceur a beau faire sans cesse des allées-venues sur la pièce d'eau pour lâcher des appâts, ça ne marche guère. Il y a des jours comme ça. Mais ils s'en moquent. Ils apprécient surtout de passer un bon moment ensemble. La conversation s'engage.

- Paulo, tu sais ce que j'ai vu en début de semaine alors que je travaillais à la truffière de la Vigne Haute ?
- Oh je crois que je devine. Le Parisien ?
- Oui. Mais tu n'imagines même pas.
- Quoi ? Qu'est ce que t'as à te gondoler comme ça ? Le Parisien traîne souvent par là. Tu n'ignores pas qu'il rejoint la Lucette dans ta gariotte ? (cabane de berger du Sud Ouest en pierres sèches)
- On s'en fout. Ils se cachent même pas. La Lucette a la cuisse hospitalière et son homme s'en tape. Alors hein si ça leur fait du bien comme dit l'autre...Non, c'est mieux que ça.
- La Lucette aime bien b. dans la nature parce que le lit c'est fait pour dormir d'après elle. Tandis que sa moitié, lui, c'est l'inverse « question de principe «  selon lui. Alors ils s'arrangent comme ça. Et t'as raison : on s'en fiche. Mais raconte. Qu'est ce qui est arrivé au Parisien ?
- Comme d'habitude en short genre moule b..., il s'amenait en sifflotant avec un panier dans une main et un bâton dans l'autre. Sans doute pour faire croire qu'il allait aux champignons. Dans cette tenue ça ne trompe personne ici. Mais il faut bien se donner une contenance. Il a voulu passer par dessus la clôture électrique pour aller dans le pré à côté de la truffière. Je ne sais pas comment il s'y est pris mais encombré par son gourdin il est resté à califourchon sur le fil. Il hurlait à chaque impulsion dans ses r... Quand il a pu se dépêtrer il a fait une galipette je te dis que ça. J'étais mort de rire. Même les vaches n'en revenaient pas. Quand il m'a vu il est parti la queue entre les jambes sans demander son reste.
- Oh oh Jacky ça mord. Elle est énorme ! Mouline. Mouline. Attention attention...Plouf !
- Tu diras pas à la Josette que je suis tombé à l'eau. Elle se foutrait de ma gueule.
- Ah je me demande ! Tiens un jaune. Ça va te remettre d'aplomb. M'en veux pas mais j'ai bien ri à te voir barboter. Heureusement que le Parisien n'était pas là...
Double éclat de rire !

  

7 janvier 2023

Noces à Bagatelle (Yvanne)

 

Mon grand-oncle Henri, le frère de mon grand-père paternel, convola en justes noces avec demoiselle Marie-Adélaïde C. dite Adi en janvier 1909.
Ce n'était pas une période faste question météo mais les mariages étaient la plupart du temps célébrés durant le calme de la saison froide. Ceci pour ne pas empiéter sur les travaux domestiques dans les fermes quand les invités étaient paysans. Ce qui n'était pourtant pas là forcément le cas mais sans doute d'autres raisons impératives avait conduit à choisir ce mois plutôt qu'un autre. Toutefois, on ne s'unissait pas en novembre puisque c'était sensé porter malheur au jeune couple. Cela en partie pour respecter les morts mais aussi parce que la superstition occupait une grande place dans les campagnes.

Il faisait donc très froid en ce jour d'hiver et un vent mauvais balayait le plateau de Millevaches. Les invités grelottaient dans leurs habits du dimanche à la mairie et à l'église et il tardait à tout un chacun de rejoindre au plus vite l'auberge Bagatelle où devait se dérouler le repas. Les mariés avaient fière allure et semblaient très heureux comme on peut le voir sur la photo sépia prise ce jour là. Ce n'était pas un mariage « arrangé » comme c'était souvent le cas à l'époque. L 'oncle avait rencontré sa promise lors de son apprentissage au métier de maçon chez le père d'Adi, entrepreneur. Ils étaient immédiatement tombés amoureux.

Henri avait une trentaine d'années. N'étant pas l'aîné de sa fratrie, il avait dû partir pour gagner sa vie, la ferme familiale ne lui revenant pas. Maçon accompli, il était « monté » à Paris comme beaucoup de Limousins et d'Auvergnats pour travailler à la construction du métro. Les parents de la tante, assez aisés, avaient tenté de s'opposer à cette union, voyant d'un mauvais œil le départ de leur fille pour suivre un mari désargenté à la capitale. Mais craignant un événement qui apporterait le déshonneur sur leur famille, ils avaient fini par céder. Leur inquiétude était cependant infondée puisque le couple n'eut pas d'enfant mais la prudence les guidait. On ne sait jamais.

Ce fut un beau mariage. C'est du moins ce que racontait mon grand-père. Quand il en parlait il ne manquait pas d'évoquer le repas pantagruélique qui fut servi à Bagatelle. D'abord c'était la première fois pour lui qu'un banquet de noce avait lieu dans une auberge. Habituellement on aménageait une grange, la plus grande du village, que l'on décorait de verdure et de bouquets. On y servait les plats des jours de fête : charcuteries, rôtis de porc ou d'agneau, volailles de la ferme, fromages, clafoutis, flognardes et autres pâtisseries limousines, principalement des tartes aux fruits. Le tout arrosé de vin du pays sans oublier le café et la goutte ! On dansait, on chantait et on s'amusait beaucoup.

A Bagatelle, ce fut tout autre chose mais pour lui cela resta un éblouissement. La salle était magnifiquement agencée. La vaisselle était de porcelaine de Limoges, les couverts en argent et les verres en cristal. Un véritable luxe qui avait mis quelques invités mal à l'aise. Les parents C. n'avaient pas lésiné sur la qualité de l'accueil. Pour épater la galerie assurait mon grand-père. Mais surtout, surtout ils avaient établi un menu, selon lui, digne d'un prince. On parle de nos jours de farandole de desserts quand au restaurant on amène un chariot rempli de mignardises et autres gâteaux. A l'auberge Bagatelle, ce jour là il s'agissait plutôt d'une farandole de plats tous plus originaux (pour la majorité des convives) et fastueux les uns que les autres. Mon grand-père citait avec gourmandise le saumon, les vol-au-vent, la poularde, les croquembouches et les glaces mais aussi des fruits exotiques qu'il dégustait pour la première fois, tels ananas et mandarines et bien d'autres mets encore dont il ne se souvenait plus. Tout ceci arrosé d'excellents vins et de champagne. Ce qui avait manqué à tous les jeunes c'est de pouvoir danser mais les mariés regagnaient Paris en train le lendemain.

J'ai peu connu cet oncle et cette tante même s'ils avaient acheté pour leur retraite une maison dans une commune assez proche. Cependant quand la famille leur rendait visite je ne manquais pas de les interroger sur leur vie à la capitale, lui travaillant à la construction du métro et elle, chez Marie Curie ce qui bien entendu m'épatait. J'aimais l'entendre évoquer les filles de Madame Curie et me parler d'Irène surtout qu'elle adorait.

 

31 décembre 2022

Une petite goutte ? (Yvanne)


A l'entrée de l'hiver, Fernand, le forgeron /maréchal-ferrant du village délaissait un peu sa forge pour s'occuper de son alambic. Ce dernier lui venait de son père et de son grand-père avant lui qui avaient tous deux exercé le métier de distillateur ambulant. Ce privilège – car c'en était un – avait été accordé par Napoléon et s'est réduit au fil des années. Fernand était fier de pouvoir encore en profiter.  Il sortait sa vieille machine du hangar attenant à la maison familiale où elle était remisée pendant des mois. Il la nettoyait avec soin et amour. La cuve en cuivre était astiquée jusqu'à ce qu'elle étincelle. Il montait ensuite sa drôle de mécanique à tuyaux, sommairement recouverte de tôles pour la protéger de la pluie, sur une remorque. Ceci afin de pouvoir la déplacer dans d'autres hameaux, attelée à un tracteur.

Fernand commençait par traiter ses propres fruits provenant d'un grand verger où il passait ses rares moments de répit. Il s'assurait ainsi du bon fonctionnement de l'alambic avant d'entreprendre ses tournées. Pruniers, poiriers, pommiers s'alignaient, impeccablement taillés et fournissaient quantité d'agrumes. Je passais devant sa maison quand j'emmenais mes vaches à paître. Portes et fenêtres grandes ouvertes l'été laissaient échapper de délicieux parfums de tartes ou de confitures qu'Adèle, la femme de Fernand confectionnait presque journellement en période de production.

Fernand ne laissait rien perdre. Il ramassait sous les arbres les fruits tombés et peu abimés, cueillait les plus mûrs qu'il jetait dans de gros bidons, un ou plus pour les prunes, idem pour les poires. Les pommes, plus aptes à être conservées étaient entreposées dans un cellier où l'on puiserait presque  jusqu'à l'été. Il ne manquait pas de s'appliquer à lui-même les consignes qu'il dispensait toujours à ses pratiques : «  fermez hermétiquement vos barriques. Il faut des fruits bien fermentés n'ayant pas pris l'air pour avoir une bonne eau de vie ». Fernand prononçait « eau de vie » religieusement. Il avait la réputation de produire la meilleure de la région.

Tout commençait par la chauffe de la chaudière au bois qu'il alimentait régulièrement sans trop la forcer. Ensuite il renversait dans la cuve le contenu de ses fûts, fermait et attendait que l'alchimie se produise. Une vapeur blanche s'élevait alors dans l'air, chargée d'effluves enivrants. Mélangés à l'odeur du feu de bois qui flambait dans le foyer de la machine, cela donnait des senteurs subtiles qui vous montaient à la tête. Quand le précieux liquide sortait du bec, Fernand le goûtait et ajustait la température indiquée par un thermomètre jusqu'à ce qu'il soit satisfait.

Mais ce que Fernand aimait surtout c'était parcourir la campagne avec sa machine,  s'installer pour la journée au cœur d'un village et profiter. Profiter des rencontres, de bons casse-croûtes et ...boire sans être perpétuellement surveillé par sa femme. Et pour boire, on buvait. A force de goûter et regoûter la gnôle, Fernand, d'ordinaire taiseux devenait prolixe et même quelque peu vantard. « Jamais vous ne trouverez meilleur produit. Regardez sa pureté, humez son parfum. C'est un nectar, que dis-je : un élixir. Les moines dans les abbayes ne faisaient pas mieux je vous le certifie. Et les rats-de-cave peuvent toujours chercher : pas de trafic chez moi, je suis réglo.» Tout le monde approuvait.

La goutte était alors symbole de convivialité. On n'oubliait jamais de sortir sa bouteille de derrière les fagots lors d'un bon repas en famille ou avec des amis et à en verser dans la tasse à café. Les ménagères s'en servaient pour élaborer leurs liqueurs. On attribuait aussi à la boisson des vertus médicinales : soulager les maux de dents, « tuer les vers intestinaux » des enfants etc …Bref, un alcool indispensable. Aussi précieux que l'eau bénite !
Pendant que les adultes discutaient,  quelques garnements en profitaient pour aller récolter subrepticement quelques gouttes au robinet. Ils s'enfuyaient promptement en suçant leurs doigts quand on les surprenait. Même s'ils faisaient la grimace, ils recommençaient. C'était un jeu sans véritable danger.

Fernand est parti distiller au Paradis depuis des années.  Si les anges n'ont pas exagéré en prélevant leur part, je suis sûre qu'il reste encore dans les chaumières de ma commune d'enfance quelques fonds de bouteille d'eau de vie du bouilleur ambulant, de quoi faire quelques canards revigorants.

 

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