Ma noctuelle (Vegas sur sarthe)
Elle n'apprécie pas que je l'appelle ma noctuelle.
Pourtant je trouve que ça lui colle à la peau.
Toute petite, Germaine était parait-il vorace voire boulimique, la terreur du jardin d'enfants et des jardinières qui en avaient la garde et qui la surnommaient Vers gris.
Il fallait la voir grignoter le goûter de ses congénères en se cachant au pied des plantes ornementales.
Quand je l'ai connue elle était nymphe et désirable.
Aujourd'hui c'est encore un beau papillon inoffensif au corps massif, dodue et souvent grise … en résumé c'est ma noctuelle.
Jules Renard disait que le papillon est un billet doux plié qui cherche une adresse de fleur.
Germaine m'a trouvé; je suis sa fleur bien qu'elle affirme le contraire et qu'elle prétende que je l'ai sournoisement capturée dans mes filets.
Ça n'est pas ma faute si Germaine est insensible à la poésie de Jules Renard.
Je dis qu'un type qui a eu le courage d'écrire que la femme est un roseau dépensant ne peut pas être foncièrement mauvais.
A propos de dépenses il faut dire que Germaine a des mœurs nocturnes, dans la famille des noctuelles c'est une méticuleuse comme disent d'éminents lépidoptéristes.
J'ai découvert qu'à la tombée de la nuit elle pratiquait le vol furtif.
Ça peut être ma carte bancaire ou mon meilleur whisky, toutes ces choses que je retrouve au matin au pied du lit alors qu'elle dort du sommeil du juste.
Je regarde dormir ma noctuelle enroulée sur elle-même... et dire qu'au stade larvaire on dit qu'elle grignotait de jeunes tiges.
Ça laisse rêveur, alors je rêve.
On dit qu'un papillon sur cinq est une noctuelle, et il a fallu que ça tombe dans mes filets !