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Le défi du samedi
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10 septembre 2022

Pâques aux tisons (Vegas sur sarthe)

 

Ce fameux matin de Pâques j'avais fait revenir tout spécialement de Bacon de fines tranches de lard salé à feu doux dans une poêle dont j'ai peiné à trouver l'accent circonflexe depuis la récente réforme de l'orthographe.
J'ai fini par le dénicher pêle-mêle dans un placard, du coup j'en avais trois!
Comme un idiot j'avais commandé mon lard sur Amazon.uk, persuadé que Bacon se situait en Grande-Bretagne, comme si le jambon d'York venait des States ou la salade romaine d'Italie.
Finalement j'en ai trouvé chez Ducoin, le petit arabe Ducoin en bas de l'immeuble et que les voisins appellent Oussama parce que ça fait plus épicier.
Ne me demandez pas comment il a trouvé du lard salé celui-là, toujours est-il qu'il m'en a proposé sous le manteau... enfin, sous le boubou.
C'est lui qui m'a appris que Bacon est un bled du sud de la Côte d'Ivoire.
Comme je lui demandais où il avait appris ça, il m'a répondu: “J'y suis peut-être ivoirien mais j'y m'appelle Konan mais on dit Le Barbare dans mon village” ,comme quoi on a tôt fait de se fourvoyer sur les origines de son épicier.
Quand il a ajouté que son grand-père était entré en résistance aux côtés de De Gaulle en 40, je me suis dit que je n'allais plus pouvoir le regarder comme on regarde son épicier en bas de l'immeuble.
Du coup on s'est embrassés – surtout lui – et il m'a offert le bacon qui revient actuellement à feu doux et sans matière grasse parce que je n'en ai pas sous la main... j'ai du gras sous la main mais pas pour la cuisine.
Pendant que ça rissole je casse un à un les oeufs de chez mon épicier nouvellement ivoirien dans un des ramequins de tante Yvonne, parce que je n'ai jamais eu de bol et que les cadeaux de mariage c'est fait pour ça... pas pour avoir du bol mais pour avoir de la vaisselle.
Je la revois encore nous offrant ce duo de ramequins en porcelaine décorée de petits amours ailés et joufflus – la porcelaine, pas Yvonne – qu'elle avait ramené d'un voyage au Népal ou d'Arcopal enfin, un bled en Pal... bref, pas de quoi en faire un plat d'autant que ce jour-là Germaine et moi étions fourbus d'une nuit de noce folkloriquement éreintante et peu branchés sur la dînette.
 

Je passe les détails de nos acrobaties car j'entends mon lard salé qui revient et il est grand temps que j'y verse mes oeufs avant qu'il ne reparte.
“Faire cuire 3 minutes en arrosant avec la graisse du bacon jusqu'à ce que le blanc soit pris alors que le jaune est encore liquide”!

J'ai toujours eu horreur des contraintes et encore plus des ordres – Germaine pourrait vous le dire – alors je sens que ces trois minutes vont me courir sur le haricot.
Je touille dans la poêle avec le dos de la cuillère, cherchant désespérément la graisse du Bacon de Côte d'ivoire que m'a donné Konan Le Barbare... ce charlatan m'aurait cédé du lard sans graisse de lard?
L'image me revient de ces porcelets noirs courant au milieu de villages noirs dans cette Afrique noire qu'on nous impose le soir en couleurs et en 16/9ème Haute Définition à trois mètres du canapé et aux caprices du zapping.
Il est vrai que ceux que j'ai vus n'étaient pas gras et d'abord le zapping, ça devrait être interdit.
Alors d'accord Konan m'en a fait cadeau mais comment je fais moi pour arroser mes oeufs? 
D'habitude j'appelle Germaine à la rescousse mais ces oeufs au bacon c'est une surprise que je veux lui faire, la surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage depuis qu'on est mariés, depuis les fameux ramequins en Pal de tante Yvonne, depuis... combien d'années déjà?
Le temps passe si vite, aussi vite qu'un jaune d'oeuf pour se figer quand on ne l'arrose pas.
On devrait vendre la graisse de lard en tube, comme le dentifrice ou le ketchup: une pression et hop, le tour est joué. Y a un truc à trouver avec ça.
Tant pis, je sale et je poivre copieusement, Germaine aime bien quand je l'assaisonne.
 

Pour des œufs miroir, mettre un couvercle sur la poêle en fin de cuisson”.
J'ai pas envie de faire des oeufs miroir, avec mon manque de bol je serais fichu de casser les oeufs miroir et ça doit sûrement porter malheur.
De toute manière et si je peux user d'une métaphore, la seule fois où j'ai essayé d'ajuster un couvercle sur une poêle c'est quand j'ai rencontré Germaine et c'était pas pour son goût du rangement.
Je regarde ma surprise d'un dimanche matin d'anniversaire de mariage et je me dis qu'une fois par an c'est encore de trop quand on pense à tout ce gâchis: une poule et un cochon pour un tel résultat.
 

Cramponné au plateau repas, je pousse sans bruit la porte de la chambre; inutile car ça ronfle sec, ça vrombit, ça rugit, ça mugit, comment dire ?
Germaine est inscrite au club des Ronfleurs Inspiratoires Dominants, c'est du soixante décibels au bas mot et du trois cent Hertz au plus aigu !
Je pose ma création au bord du lit pour retirer mon pyjama et repousse la couette histoire de réveiller ma locomotive.
Un rugissement me répond; Germaine ouvre un phare.
Je lui glisserais bien un “T'as d'bio oeufs, tu sais” mais depuis le temps que je la pratique, je sais qu'il faut y aller doucement quand son chant frise les trois cent Hertz.
Voilà quarante jours que je fais carême – Germaine a des principes indéboulonnables – et je me sens d'attaque à célébrer la Pâque, avant ou après les oeufs au bacon ou peut-être les deux à la fois.


Il faut dire que chez nous, Carême c'est jeûne et abstinence pendant plus d'un mois. J'ai beau essayer d'expliquer à Germaine que l'abstinence d'absorption d'aliments carnés ne s'applique pas à tous les organes, elle fait mine de ne pas comprendre.
Raconter ça à mon épicier arabo-sénégalais qui fornique à tout va reviendrait à le faire mourir de rire... et je me sens tellement ridicule à poil devant mes oeufs.
Germaine remonte la couette en jetant un oeil vide sur mon plateau repas:  Oeuf au bacon, Pâques aux tisons” bougonne t-elle en grelottant.

Je n'ai plus qu'à me rhabiller en songeant qu'il faudra que je révise mes dictons.

 

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Commentaires
J
Quel style, mais quel style !<br /> <br /> <br /> <br /> Parfois je me prends à rêver d'un recueil façon Pléiade des Vegasseries d'ici et de partout et de journées passées au lit à re-lire cette oeuvre magistrale !
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N
La pauvre, elle se gelait les miches, elle ne pouvait pas avoir le feu aux fesses ! Contente de te relire par ici !
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L
Quelle précision dans tes talents culinaires !
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W
Y a pas à dire, elle est amène cette Germaine ! ;-)
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J
:-D<br /> <br /> <br /> <br /> Pour Bacon, faut aller voir à Des Moines (au Art Center). C'est un de mes préférés...<br /> <br /> <br /> <br /> http://www.artnet.com/magazineus/reviews/davis/francis-bacon-gilles-deleuze7-28-09_detail.asp?picnum=9
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