Mademoiselle Yvonne entra dans la boutique du chapelier, bien déterminée à obtenir ce qu’elle voulait. Elle aperçut un jeune homme affairé dans l’arrière-boutique qui vint vers elle.
- Bonjour. Comment puis-je vous être utile, mademoiselle?
- Mademoiselle Yvonne, lui répondit-elle.
- Comment puis-je vous être utile, mademoiselle Yvonne?
- J’aimerais parler au propriétaire de la boutique.
- La chapellerie m’appartient.
- N’êtes-vous pas un peu jeune, monsieur…
- Monsieur Jacques, dit-il. Les apparences peuvent être trompeuses. J’aurai 25 ans la semaine prochaine.
- Comme c’est drôle. Nous avons presque le même âge. J’aimerais vous poser une question indiscrète. Êtes-vous marié?
- Votre question est indiscrète en effet. Disons que la boutique ne me laisse pas beaucoup de temps pour ces choses-là.
- Vous êtes pourtant plutôt bel homme.
Monsieur Jacques rougit et lui demanda :
- Et en quoi mon état civil vous intéresse-t-il?
- En fait je prévois me marier le printemps prochain. J’aimerais faire fabriquer un chapeau pour mon futur mari et pour moi-même. J’imagine que si vous aviez vécu personnellement le mariage, vous seriez davantage en mesure…
- Je suis chapelier, mademoiselle! Un très bon chapelier. Je confectionne régulièrement des chapeaux pour des mariages. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’être marié pour cela. Il n’est pas besoin d’être vignoble pour apprécier le bon vin.
- Pardonnez-moi, monsieur Jacques. Je ne voulais pas vous fâcher. C’est probablement l’énervement du mariage qui m’a poussée à commettre cette indiscrétion.
- Je ne suis pas fâché. Je voulais simplement préciser que vous pouvez me faire confiance. Je me porte garant de votre entière satisfaction.
- S’il en est ainsi, c’est une affaire conclue, déclara-t-elle.
Le chapelier lui fit quelques propositions et ils s’entendirent facilement sur le modèle que monsieur Jacques fabriquerait.
- Ce modèle mettra en valeur la couleur de vos yeux et la beauté de votre visage.
- C’est à votre tour de me faire rougir.
- Je ne fais que souligner l’évidence, mademoiselle. Pour ce qui est de votre futur mari, celuici devra passer à la boutique.
- J’ai bien peur que cela soit tout à fait impossible, monsieur Jacques. Mon futur mari est un homme très important et n’a nullement le temps de s’occuper de ces détails. J’ai déjà pris la mesure de son tour de tête. Et je ne serais pas surprise qu’il soit identique au vôtre. Laissez-moi vérifier, ce qu’elle fit sur-le-champ. En effet, comme c’est drôle, vous avez le même tour de tête.
- J’ai l’habitude de mesurer moi-même la tête de mes clients. Comme il s’agit d’une procédure un peu particulière, vous comprendrez que vous serez la seule à blâmer si le chapeau ne convenait pas à monsieur.
- C’est tout à fait normal dans les circonstances et j’en assume toute la responsabilité.
Après avoir convenu d’un modèle pour l’époux et de la date où madame Yvonne reviendrait pour procéder à l’essayage, celle-ci prit congé.
Un mois plus tard, madame Yvonne se présenta de nouveau à la boutique du chapelier. Celui-ci lui présenta le chapeau qu’il avait créé pour sa cliente.
- Monsieur Jacques, vous êtes un véritable artiste. Les mots me manquent pour vous
exprimer ma satisfaction.
Sans plus attendre, elle l’embrassa sur la joue.
- Pardonnez-moi, monsieur. C’est l’excitation. Vous avez fait une telle merveille.
- Je suis en effet très fier de mon travail. Je suis flatté qu’il en soit ainsi pour vous. Je peux donc passer à l’étape finale de la confection?
- Bien sûr! Et le chapeau de mon futur?
- Le voici!
- Il est très réussi. Si vous le placiez sur votre tête, cela me donnerait une meilleure idée.
Le chapelier s’exécuta.
- Vous allez être magnifique. Pardon, mon mari sera magnifique.
Un dernier rendez-vous fut fixé pour le mois suivant. Revoilà donc mademoiselle Yvonne qui se présente à la boutique.
- Mais que se passe-t-il mademoiselle Yvonne? Vous semblez si triste.
- Ah! monsieur Jacques. Si vous saviez, vous ne le croiriez pas.
- Dites-moi ce qui vous afflige de cette façon.
Mademoiselle Yvonne se mit à sangloter pendant de longues minutes. Monsieur Jacques lui offrit des papiers mouchoirs et un verre d’eau. Puis il lui tapota doucement l’épaule, jusqu’à ce qu’elle se décide à parler.
- Mon futur mari m’a laissée, monsieur Jacques.
- Ah! Quelle tristesse! Quelle désolation, mademoiselle Yvonne. Votre mariage qui est annulé!
- Annulé? Il n’est aucunement question d’annuler, monsieur Jacques. J’ai déjà le chapeau du marié. Il ne reste qu’à trouver un homme à qui il fera. Mais j’y pense, monsieur Jacques, il vous va à ravir ce chapeau. Qu’en pensez-vous?