Bobby retourna soudain Pamela sur le
billard et la regarda droit dans les yeux.
- Au fait Pam, je me demandais, pour un aldéhyde de
formule : R-CH2-CO-H… Je sais que le H en alpha du carbonyle est acide car
l’attraction du carbonyle affaiblit la liaison C-H et l'ion énolate formé est
stabilisé par résonance. Mais quand même… Si c'est le cas du H en alpha, alors
pourquoi donc le H qui se trouve sur le C du carbonyle n'est pas acide vu que
l’oxygène est électronégatif et décharge le C et donc affaiblit la liaison
C-H ?
Bobby se défit vivement de l’étreinte
de Pamela pour aller saisir sa citronnade givrée.
Il but deux gorgées pensivement… Pam ne
disait rien… Il reprit alors :
- J'ai regardé dans mes bouquins, Pam,
et à chaque fois ils parlent du H en alpha qui est acide , jamais du H sur le C
du carbonyle, ça me laisse profondément perplexe... Dans un acide carboxylique,
le H du OH est acide car le O très électronégatif affaiblit la liaison O-H donc…
Est-ce que cette propriété acide dans l’aldéhyde n'est due qu’à la stabilité de
l'anion formé et se peut-il que l'affaiblissement de liaison ne puisse avoir
lieu que pour un H collé à l'hétéroatome?
Pamela rejeta sa longue crinière auburn
sur son épaule soyeuse et dit d’un air las :
- En fait Bobby, c'est très simple, les
stabilisations par effet mésomère sont beaucoup plus importantes que les stabilisations
par effet inductif… Si je me souviens bien, on appelle ce genre de cas un
équilibre céto-énolique. La forme déprotonnée est beaucoup plus stable sous la
forme énolate mais cette forme n'est accessible que si un H en alpha part.
Bobby se rapprocha, intéressé.
- Donc, si je comprends bien, le proton
en alpha est arraché plus facilement car l'anion formé est plus stable que
celui qu’on obtiendrait si on arrachait le proton sur le C carbonyle? Mais ce
dernier est quand même un peu acide non, ma Pam?
Pamela vit le trouble qui se reflétait
dans l’œil de son compagnon. Elle prit une pose lascive et, dévoilant
discrètement son voluptueux nid d’amour, elle poursuivit :
- Mon chou, il faut se dire qu'en
chimie TOUTES les réactions sont des équilibres plus ou moins déplacés !
Cela veut dire que le proton du carbonyle pourra être également arraché mais la
majeure partie des protons qui seront arrachés sur cette molécule seront ceux
en alpha du carbonyle !
Bobby, dans un état second, rapprocha
alors fougueusement son bassin de la bouche pulpeuse de Pamela et débita d’un
ton saccadé :
- Pam… L'arrachement d'un proton… sur
le C du carbonyle… conduirait… Ah… à un anion … dont la charge… négatiiiiive…
serait sur le car….bone du carbonyle… donc… sur un ah… sur un ah…tome voisin…
d'un ah… d’un atome électronégatif…ce qui est impossiiiiiiible !
Il explosa en elle et haleta :
- L'atome H du carbonyle d'un aldéhyde
n'est absolument pas acide…
Pamela bougonna quelque chose
d'inaudible et prit soudainement congé.
Si seulement j’étais né dans un autre
quartier… Si j’avais connu la soie plutôt que la merde, Si ma mère avait collectionné autre chose que
ses foutus amants, des tortues ou des porte-clefs, n’importe quoi d’autre... Si je savais lequel l’a engrossée... Si j’avais pas cru que c’était le père
O’Malley, Si je lui avais pas foutu mon poing dans la
tronche, Si on m’avait pas renvoyé de l’école… Si j’étais pas tombé raide dingue de Cindy, Si elle était pas tombée en cloques, Si son père l’avait pas tabassée en l’apprenant… Si elle avait pas perdu le gosse… Si j’avais pas pété les plombs. Si j’avais pas commencé à boire. Si j’avais pas perdu mon boulot. Si y’avait eu quelqu’un pour m’écouter… Si j’avais eu quelqu’un à qui parler… Si je savais comment faire autrement pour tuer
le temps que d’aller chez Phillies, Si je pouvais le tuer dans les bras d’une
femme Robe rouge… Si c’était pour moi, S’il n’y avait que moi. Si y’avait pas les autres oiseaux de nuit… Si j’avais les moyens de m’acheter un autre
chapeau, un autre costume… Si mes poches n’étaient pas vides, C’est moi qu’elle regarderait. C’est avec moi qu’elle finirait la nuit… Sa main touche presque celle de l’autre… Celui qui a le bon chapeau, le bon costume, la
bonne attitude, La bonne vie. Si seulement j’étais né dans un autre
quartier… Si seulement j’avais eu une autre…- Patron ! - La même chose ? - Non. Une autre…
Le pitch de Val : Antoine est un petit garçon dont le
grand-père perd progressivement la mémoire. Nous le suivons pas à pas dans sa
découverte de la maladie de celui qu’il aime.
L’avis de Papistache : On ne peut qu’être séduit par un
jeune homme qui non seulement maîtrise l’usage de la négation mais en plus
connaît le sens du mot « conscience »…
Le point de vue de Janeczka : Le travail d’illustration
me semble particulièrement symbolique. Comment ne pas être sensible à ce
qu’évoquent les confettis, sorte de trame figurative de tout l’ouvrage ?
Et que dire du halo grisâtre qui entoure le vieillard et qui semble diminuer
pour finir par disparaître à la dernière page ? Le lecteur lui-même est
comme plongé dans une certaine amnésie puisque l’auteur joue avec sa mémoire
visuelle en introduisant à chaque nouvelle illustration une référence plus ou
moins marquée à des artistes tels Van Gogh ou Modigliani… Encore faut il retrouver les
huit ! Vous êtes déstabilisé ? Alors laissez-moi vous poser encore deux
questions : pourquoi la chambre bleue n’est-elle pas bleue ? Pourquoi
le grand-père a-t-il des vêtements différents et ne porte-t-il pas de barbe sur
la dernière illustration ? Ce dont vous pouvez être sûrs, c’est qu’il y a
une réponse… Mais saurez-vous la trouver ? !
Le conseil de Papirate : Quoi ? Il vous plaît pas
mon nouveau pseudo ? Vous croyez qu’il n’y a que Papistache ici à être
Papy ? Vous croyez que ça m’amuse, moi, vos plaisanteries douteuses du
genre « ouah le russe » ? ! Pas du tout ! Quoi ?
Vous voulez que je vous parle du livre ? Vous n’avez pas un truc plus
intelligent à me demander ?
Tout le monde n’a pas la chance d’avoir
un écrivain dans sa famille.
Moi, j’ai cette chance.
Et cette malchance aussi.
J’ai grandi dans un monde de mots
et de livres.
C’est beau les mots, c’est beau
les livres…
Je peux louer ou inviter un
écrivain le temps d’un dîner ?
C’est bien vrai ? !
Alors j’invite papa.
J’invite papa.
Je ne le loue pas.
Papa ne se loue pas. Il ne sait
pas se louer.
Je le loue moi, pourtant…
J’aime ses mots. Sans ses mots je
ne serais pas.
Ses mots m’ont faite.
Ceux qu’il a écrits, et ceux qu’il
n’a pas dits aussi.
J’invite papa.
Il est assis en face de moi. Il est intimidé je crois. Il
regarde son assiette d’un air qu’il doit vouloir détaché. D’habitude, il lui
suffit d’opiner à tout ce que je dis, il me sait bavarde…
Au téléphone, mon jeu c’est d’essayer
de dépasser la minute de conversation avec lui. Rarissime. En général, j’ai
droit à trente secondes au mieux. « Je te passe ta mère. Bisous. »
En voiture, je parle, je parle, et
il répond parfois. Tant que nous abordons des sujets culturels, la conversation
roule toute seule, comme la petite auto. Nous ne nous sommes jamais fait
flascher. Aucun danger. C’est ce qui n’est pas dit qui illumine, qui irradie…
Sur la photo que nous enverrait
la gendarmerie, on verrait un père et sa fille derrière un pare-brise. Bouches
fermées. On pourrait croire que nous ne disons rien.
C’est faux.
J’invite papa.
Il regarde son assiette. Il
sourit parfois parce que j’essaie de le faire rire, j’aime bien quand il rit. Y’a
son sourire qui s’échappe soudain de sa barbe…
Quand je pense à lui je vois un
immense bureau en bazar, des feuilles griffonnées partout, une équerre en
plastique sur laquelle il a inscrit « papa », un stylo relié à un fil parce
qu’il en a assez qu’on le prive de ses outils…
Je me suis emparée du stylo qu’il
ne voulait pas me donner.
J’écris pour qu’il sache que je
l’aime puisque les mots qui sortent de ma bouche sont trop violents pour lui.
J’invite papa.Il ne partira pas avant
que je le lui dise en face :
Je t’aime papa.
Il est gêné. Il se retire
derrière sa barbe. Il finit par parler, quand même :
-Il ne faut pas trop dire ces mots là, sinon, ils s’usent…
Non, papa, certains mots ne s’usent
que si l’on ne s’en sert pas…
Il était une fois quatre amis
qui vivaient en harmonie dans une maisonnette au cœur de la forêt des Cartes
Oubliées. Quiconque passait par là remarquait immédiatement l’impressionnant
toit qui était couvert de tuiles décorées aux quatre couleurs. La petite porte
d’entrée était surmontée d’une plaque en céramique qui indiquait à l’éventuel
visiteur les formalités à accomplir pour en franchir l’accès :
Maison des As, Règlement :
1. Enlever
son chapeau,
2. Ne
parler que quand on y est invité,
3. Déposer
armes et parapluies sous le paillasson,
4. Jokers,
s’abstenir.
Les quatre As
n’aimaient pas les visites imprévues et souhaitaient se prémunir à tout prix
des bouleversements dont ils n’étaient guère coutumiers.
Un beau jour,
en réalité, nous pouvons bien vous le dire, il faisait toujours beau dans la
forêt des Cartes Oubliées mais c’est une sorte de convention littéraire que
nous nous devons d’appliquer… Un beau jour, un étrange personnage apparut au
bout du sentier. Un drôle de bonhomme, qui avait l’air d’hésiter à chaque pas
et paraissait même parfois sur le point de rebrousser chemin. Bon gré, mal gré,
il arriva enfin sur le seuil du logis et lut la pancarte avec une
application touchante. Il enleva son
béret rouge et son épée puis les déposa comme convenu, sous le paillasson.
Débarrassé de ses attributs, il semblait encore plus intimidé…
Après quelques
minutes, il se décida enfin à frapper. La porte s’ouvrit et l’individu sus non
nommé pénétra dans un salon au milieu duquel une chaise avait été placée
probablement à l’intention du visiteur. Il marqua un temps d’arrêt et son
visage montra tous les signes d’un intense questionnement. Tandis qu’il se
perdait en tergiversations, une voix l’interpella soudain en l’enjoignant
de décliner identité et motif de la visite.
Il s’exécuta
fébrilement en expliquant qu’il avait pour nom Tudinaire et qu’il était le
valet de la Reine Denim (fort connue pour ses djinns mais là n’est pas la
question). Cette dernière priait les quatre As de bien vouloir déterminer
rapidement lequel d’entre eux était l’As des As car la forêt des Cartes
Oubliées souffrait de plus en plus d’un cruel manque d’organisation. Il lui
fallait un chef, d’urgence…
Dans la pièce
voisine, planqués derrière un miroir sans tain, les quatre As regardaient leurs
reflets en chiens de faïence… L’heure était grave… L’instant tant redouté
venait de se produire… Il leur fallait élire un chef…
Le plus petit
d’entre eux prit alors la parole :
- Tudinaire , voilà ce que tu diras à ta maîtresse. Il nous est impossible de choisir, nous avons
déjà retourné la question plusieurs fois depuis plus de mille ans, chacun
d’entre nous a l’étoffe d’un manageur de première main, c’est le peuple de la
forêt des Cartes Oubliées qui devra trancher par l’intermédiaire d’un vote. Il
aura lieu dans huit jours, sous le grand chêne, à midi pile…
La voix se tut
subitement. Le Valet Tudinaire attendit un moment. En vain. La porte s’ouvrit
et il crut comprendre que c’était là la réponse qu’il attendait. Il finit donc
par partir, non sans avoir hésité à de nombreuses reprises…
Huit jours
plus tard, les habitants de la forêt se réunirent au lieu convenu. Ce n’étaient
que bruissements inquiets et frôlements de papiers à mesure que la rumeur
enflait et que l’heure du vote arrivait... Placardée sur l’immense tronc, une
affiche indiquait aux électeurs les quatre programmes des quatre candidats.
Pour mettre
fin au suspense qui vous étreint indubitablement, nous vous livrons sans
attendre les slogans tels qu’ils étaient accrochés sur les quatre branches du
grand chêne.
- Votez pour l’As Ticot ! Vous serez dans le dico !
- Avec l’As Sassin, plus besoin de médecin !
- Avec l’As Pirine, vous aurez bonne mine !
- Votez pour l’As Oif ! Ouaf ! Ouaf ! Ouaf !
Les habitants
de la forêt des Cartes Oubliées n’étant pas cabots, ils votèrent en masse pour
Oif, son slogan ayant fait mouche.
C’est ainsi,
chers amis des défis, que l’As Oif devint l’As des As ce qui illustre
parfaitement le vieil aphorisme pékinois que d’aucuns attribuent à Confucius
lui-même :
Elle est allongée sur le lit, elle téléphone. Le narrateur ne précise pas à qui. Le lecteur est obligé d’imaginer.
Tu savais pas ?…. Ouais, c’est vrai… tu es partie trois mois !… Bon, j’te résume ! Y'a un fournisseur et un (rires) et un client (re rires) qui sont arrivés chez moi en même temps !… Y’a deux semaines… J’te jure !… Le fournisseur, il me passe un coup de fil pour me dire qu’il sera en retard parce qu’il doit galérer 2 heures avec un foutu programme informatique, « faut valider valider valider » qu’il me dit, il arrêtait pas de répéter ça, il m'a tuée de rire au moins 4 heures, alors moi j’me suis dit que la voie était libre, que j’avais le temps de recevoir mon client, enfin, ma cliente, il veut que je fasse comme si (rires)…, bref, du coup j’l’appelle la cliente et c’est là qu’il me dit qu’il est parti au cinéma avec sa copine… Ah oui, l'excuse… « Ah ben c'est ça ! » que j’lui réponds au client, prends-moi pas pour une conne, c'est des choses auxquelles il faut penser quand même quand on a rendez-vous avec une dame, nan ? … Ben nan genre ya ça tu vois… J’te l’dis moi, j'étais choquée aussi…
Ouais, alors j’te raconte la suite, ça a foiré parce que le fournisseur il a fini plus tard que prévu, alors il arrive, comme d’hab, il fait sa livraison de capotes et de lubrifiants et moi j’ lui fais un ptit extra, rapide quoi… Putain ? ça va pas quoi ? … Ah oui effectivement je pensais que c'était plus clair que ça… Y’a d’autres mots quand même… Va à l'école ! ... Nan, moi j’dis «dame de compagnie», faut pas confondre…
Bon, tu me laisses parler ou quoi ? J’lui dis que j’suis pressée, « vas-y bébé, vite ! », le truc habituel, quand soudain je remarque qu’il s’est fait tatouer son lutin chauve… (rires) Devine !… Tu trouveras jamais !… « c'est mieux qu'aux répétitions la déesse? », (re rires) j’te jure, c’est ça qu’était marqué !… Attends c’est pas fini ! Là-dessus arrive mon client qu’est soit disant une cliente, avec une heure d’avance, elle tombe sur le fournisseur avec l’asperge tatouée et elle crie : « C'est quoi ces trucs ? ! » Excédée !… Comme si j’étais sa seule copine genre ! Ah ouais t’as raison, faut pas l'inviter celle-là…(rires)…
Et puis v’là que la cliente elle se précipite sur la bête au long cou de mon fournisseur, elle zyeute ses roubignolles, enfin, je sais pas si elle les a regardées ou si elle les a juste broyées dans sa main, mais en tous cas le gars il hurlait comme un goret… « Oh ça y est bon ben j'm'en vais » qu’il disait le pauvre, alors il s’est barré mais il a repris ses lubrifiants et il m’a laissé que trois capotes… Nan !… Même pas ! Elles avaient déjà servi ! Je suis vénère parce que je croyais que c'était neuf moi, j’vais pas pouvoir les réutiliser… T’abuses là… on peut pas faire ça… Je maîtrise pas mais je maîtrise mieux que la finance… Ouais… Tu m’appelais pour quoi au fait ?… Ce soir ?… Ben ça tombe mal… Mon sèche cheveux m'a lâchée ce matin, je sais pas comment je vais faire… Et puis il fait sec là, il fait froid, j’vais me geler… Ouais… On fait comme ça… De toute façon on se voit là-bas !… Ah nan ! Recommence pas ! maman moi... enfin tu sais bien… J’ai pas le temps…
C’est la nuit et je suis dans ma voiture. Les roues
avalent les kilomètres, doucement. C’est curieux cette impression d’aller
lentement quand on est lancé à plus de cent sur une route… Le vroum-vroum a
endormi depuis longtemps mes lutins. Dans le rétroviseur, j’aperçois leurs
têtes d’anges. Ils sont beaux quand ils dorment, on croirait qu’ils flottent
dans le bonheur… Un sourire sur le visage de mon fils, un rêve de
chocolat ? Ma fille suce son doigt, j’aime tellement le petit bruit qu’elle
fait, elle le perd soudain, son petit corps s’agite dans son sommeil, puis elle
le retrouve et s’apaise immédiatement.
Les roues avalent les kilomètres
et la nuit tandis que la radio chante un air nostalgique dont je ne retiendrai
pas les paroles. J’ai mes propres mots.
« Dormez petits lutins de
mon cœur, maman est là qui veille, dors mon homme chéri, je sais le
chemin »…
Ma 206 ronronne, un lapin là-bas,
dans les phares… Il me regarde surpris et détale aussi vite qu'il était apparu.
Sur lui aussi, je veille…
J’aime ce moment, au cœur de la
nuit. J’aime être celle qui veille. Mon petit monde dort, à l’abri du froid du
dehors, bercé tendrement par les vibrations de ma voiture grise.
Et moi, je ne sais rien de plus
doux que leurs sourires confiants, je ne sais rien de plus beau que ces nuits
de veille…
Tout à l’heure, ils ouvriront les
yeux, ils auront de petites têtes ensommeillées, tout étonnés d’être arrivés,
déjà. Tout à l’heure…
« Dormez petits lutins de
mon cœur, maman est là qui veille, dors mon homme chéri, je sais le
chemin »…
Encore une
sale journée… Le téléphone vient de sonner, six heures du matin, c’est pas une
heure pour réveiller les honnêtes gens… Un minet avec une voix tonitruante me
demande quelle est ma radio préférée. Je sais bien qu’il attend Skyrock, ce
con… Avec ma gueule enfarinée, je grommelle : « France-Inter ».
« Oh ! Quel dommage madame ! Vous venez de perdre 10 000
euros ! Bonne journée ! ». Et il raccroche avec un rire
infernal… Connard… Si tu crois que je vais vendre mon âme pour ta radio de
merde, tu te trompes… Tiens, ça me rappelle les patients de la clinique, quand
j’étais internée. Tous les soirs, ils regardaient la roue de la fortune. Ils
avaient décidé qu’il fallait m’inscrire d’urgence parce que je sais jouer
beaucoup plus vite que la plupart des candidats. Hors de question que j’ai
répondu ! J’irai pas m’protistuer à la télé ! Et eux
d’insister : « Mais vas-y, tu pourrais te faire plein de blé… ».
J’irai quand ce sera José Bové
qui présentera. Et Arlette Laguiller qui tournera les lettres.
Encore une
sale journée…
Je me lève, puisque je suis
réveillée… Faut bien… Je me demande bien pourquoi, quand même… A quoi ça sert ?
Je suis en arrêt maladie depuis plus de six mois. Pas de boulot. Plus d’enfants.
Plus de mari. A quoi ça sert de faire le lit puisque je vais le défaire ce soir ?
A quoi ça sert de me laver puisque je vais me salir ? J’ai jamais compris
ça… On s’essuie dans des serviettes, elles deviennent sales, on continue quand
même à s’en servir, non ? Elles sont pas censées être propres vu qu’on s’est
lavé avant ? Déjà que je comprends pas ça, je vois pas comment je pourrais
comprendre le reste.
Ce monde est
trop compliqué pour moi…
Pas le temps d’y réfléchir, dans
une heure j’ai rendez-vous avec mon psy…
Je vais sous la douche. C’est mon
quart d’heure quotidien de gloire. Mon pommeau, c’est mon micro. Je suis belle,
je suis aimée et ma voix les subjugue…
Bordel de
merde ! Qu’est ce que c’est que ce truc qui sort de la cuvette des
toilettes ?
-Bonjour belle madame ! Je suis Colog, le génie des eaux, pour
vous servir !
-Ouais… c’est ça… Casse-toi génie des zoos, tu trouves pas que
je suis assez cintrée comme ça sans avoir besoin de subir ces hallucinations ?
-Permettez-moi d’insister, gente dame, vous n’hallucinez point !
Voilà-t-y pas que l’apparition s’approche
de moi… Dis-donc… c’est fort quand même… Je peux toucher, ça sent, ça bouge, ça
parle, c’est super crédible…
Je vais de plus en plus mal moi…
-Ma chère, que diriez-vous de commencer par votre premier vœu ?
Demandez ce qu’il vous plaira, je suis à votre service !
Je vais lui répondre, peut-être
qu’il me foutra la paix après ça… Qu’est-ce que je pourrais bien vouloir moi
qui ne veux plus rien ? C’est pénible ces foutues déprimes, ça vous enlève
le goût à tout…
-Tiens le génie ! Voyons voir si tu peux faire ça ! Voilà
six mois que je me traîne une dépression sévère, ras-le bol, je voudrais vivre dans
l’euphorie !
-Vos désirs sont des ordres ma tendre amie ! répond le
Colog des lavabos.
Putain c’est pas vrai ! Qu’est-ce
qui m’arrive ? !
-Hé ? Le génie ! C’est quoi ce bordel dans ma salle d’eau,
tu veux me noyer ou quoi ? Mais… c’est du riz… et ces trucs là ? C’est
de l’œuf ! J’y crois pas…
Tu sais que t’as un problème, toi ?
que je lui dis, au génie.
-Madame, je vous prie de m’excuser mais nous sommes pressés par
le temps, auriez-vous l’amabilité de passer à votre second vœu je vous prie ?
M’est avis qu’il a un grain, le
génie, en même temps, si c’est une hallucination tout droit issue de mon
cerveau débile, ça devrait pas m’étonner plus que ça…
-Ouais… Voyons… Tiens, je voudrais bien avoir du blé, ça me
ferait pas de mal !
-Rien de plus facile ma belle ! Et voilà le travail !
Bordel de merde ! Mais
pourquoi je n’ai pas réfléchi avant de parler ?… Comiquele gars…
-Hé ! Le génie ! Tu portes bien mal ton nom ! Qu’est-ce
que tu crois que je vais faire avec tout ce blé ? A ce rythme là je vais
pouvoir ouvrir une épicerie ! Le riz et l’œuf, ça suffisait pas peut-être ?
-Ma douce, ne me gratifiez pas de votre courroux, il est
parfaitement injustifié, je ne fais qu’accomplir vos désirs à la lettre !
Me feriez-vous l’extrême honneur de m’indiquer votre troisième souhait ?
Là, faut faire gaffe… De l’or ?
Ouais… Il est capable de faire apparaître Jacques Delors dans ma baignoire, c’est
pas une bonne idée…Un corps beau ? Non, pas envie de me transformer en
volatile… Voyons… qu’est-ce qui me manque ?…
-Bon, le génie, tu déconnes pas cette fois-ci. Je voudrais
juste un petit ami, je me sens trop seule…
-Délicieuse damoiselle, je m’exécute avec grand plaisir, vous
avez des désirs si simples !
O.K…. J’ai pas l’air con, moi,
avec mon petit tamis… Je sens que je vais craquer…
-Tiens le génie ! ça fait quoi un tamis dans la gueule ?
ça fait mal ?
-Ne vous emportez pas belle enfant ! Je suis déçu que mes
services n’aient pas l’air de vous convenir, je fais pourtant tout mon possible
pour vous être agréable, je ne comprends guère votre hostilité !
Auriez-vous l’obligeance de prononcer votre dernier vœu, que je puisse regagner
mon univers aqueux ?
La génie Colog veut regagner son
univers à queues… Mon esprit est drôlement pervers ce matin … Quand je
vais raconter ça à mon psy, il va vouloir m’interner à nouveau… Mauvaise idée,
faut pas que je lui en parle… Cette hallucination est tout bonnement incroyable…
On dirait un vrai, quand même… Et puis ce tamis dans mes mains, je ne l’avais
pas avant… Je ne peux tout de même pas…. Non, j’peux pas… Qu’est-ce qui m’arrive ?…
Je crois bien que je suis en train de perdre complètement la boule…
-Je vous prie de m’excuser mon cher ange, je m’en voudrais d’insister
mais il est temps de vous décider !
-Si je te le dis, ce dernier vœu, tu vas t’en aller, tu vas me
laisser tranquille, hein ?
-Hélas oui ! C’est le cruel destin des génies que de s’évaporer
après avoir apporté joie et bonheur dans les demeures qu’ils visitent… Jamais
nous ne récoltons de lauriers, toujours nous agissons dans la discrétion… Mais,
revenons à vous, ma jolie fleur des villes, que souhaitez-vous ?
Vite… Trouver un vœu que ce
sagouin ne va pas mal interpréter… Si je me débrouille bien, j’en serai
débarrassée et je n’arriverai pas en retard à mon rendez-vous…Tiens, un super
pouvoir, en v’là une idée qu’elle est bonne !
-Génie, y’a un truc dont j’ai toujours rêvé… Je voudrais
voyager à travers le temps !
-Votre choix est original, je n’en attendais pas moins de vous !
Adieu ! Soyez heureuse !
Pfiout ! Il est parti ! Hé merde… Il a pas
rembarqué son tamis et sa bouffe… Y’a quelque chose qui cloche… Mais…. Qu’est-ce
qui se passe ? Mon dieu ! Je suis en train de rétrécir ! Haaaaaa !
Au-secours ! Je… Je suis minuscule… Je… Bordel de merde ! Qu’est ce
que c’est que ce truc ? On dirait une grosse mouche grise ! Mais… ça
vient vers moi ! A l’aide ! C’est en train de me bouffer ! Ce
truc vient de m’avaler !
…
Il fait noir…
Cette bestiole doit avoir un estomac
d’au moins douze kilomètres, à l’allure où je vais, j’suis pas prête d’en voir
le bout…
…
Il fait noir…J’crois bien que j’suis
dans une veine maintenant… c’est mon jour de chance…
…
Je savais bien que c’était une
sale journée…
…
Pourquoi j’ai pas dit Skyrock ?
Mais pourquoi j’ai pas dit Skyrock ? ! ! !
Thème : La peinture n'avait qu'un défaut Genre : un quatrain
On dirait qu’elle nous regarde la Joconde Mais faudrait pas nous prendre pour des idiots C’est rien qu’une peinture, elle est même pas blonde C’est pas elle en vrai, c’est rien que des zoripeaux
Genre : un poème de forme libre Thème: Elle écrit tôt
Dans le ciel de ses mots Elle dessine des ombres folles. D’indolents voyageurs Juchés sur des nuages d’opale Lui soufflent doucement… … les chants emprisonnées de l’ambre. Elle écrit tôt : Le ciel n’attend pas.
Thème : Rideaux pour fenêtres arrondies Genre : une nouvelle en cinq lignes
Monsieur Tautavel était en nage, il suait à grosses gouttes. Il avançait à une allure escargoline dans les rayons du supermarché. Les clients le dévisageaient avec effroi, il faisait peine à voir. Les enfants se reculaient avec dégoût, certains, même, pleuraient à chaudes larmes… Monsieur Tautavel avait déjà passé plus de dix heures d’affilée au milieu des rideaux, il n’y arriverait jamais, c’était sans espoir… Il allait enfin renoncer quand une jolie caissière lui remit l’objet de sa quête. C’est Simone qui allait être contente…
Thème : Femme avec poil sur le ventre Genre : une nouvelle en cinq lignes
Elle s’était réveillée nauséeuse, elle avait pris une douche rapide et s’était ensuite regardée dans la glace. Horreur ! Là, au beau milieu de son ventre, un poil hideux avait poussé pendant la nuit. Armée d’une pince à épiler, elle avait tenté d’arracher l’odieux mais plus elle s’acharnait, moins elle y arrivait. Quand les ambulanciers arrivèrent, il ne restait déjà plus d’elle qu’une main tremblante au bout de laquelle un gros ventre tombait…
- Monsieur le Ju..., Monsieur le
ju..., Monsieur le juge, Mesda..., Mesda..., Mesdames et Messe et Messe et
Messieurs les ju..., les ju..., les ju..., les ju....
Tout à coup le silence se fait
dans la salle, je dois être très très vieux, tout le monde me regarde avec de
gros yeux en fronçant les sourcils. Je dois avoir fait quelque chose de très
très mal. Je ne sais pas quoi.
Grondement de stupeur dans
l’auditoire. Les jurés osent même quelques sifflets. Il me semble que ces gens
ont été très mal choisis. Mon avocat a dit que c’étaient des humbles, que c’était
bon pour nous, pour mon image, ce type est un incapable, je vais me faire
laminer...
Il reprend péniblement et
explique que le crime dont je suis accusé n’est pas abominable et qu’il demande
mon acquittement. C’est si long. J’entends quelques ricanements, mais qui donc
a pu inventer cette loi sur la discrimination positive ?, quelle connerie,
un avocat bègue pour MOI, mais quelle connerie...
- Monsieur Sark..., Monsieur Sark...,
Monsieur Sark..., mon CLIENT n’est pas un dicta..., dicta..., dictateur.
Certes, il s’est peu à peu à peu à peu imposé comme... comme... comme empereur
par la force MAIS il n’a pas zob..., zob..., zob..., zobligé qui que ce soit à
à à à ...
Ce salopard va me flinguer, il
faut que je l’oblige à se taire. Je me lève soudain et je hurle :
- Casse-toi pauvre con !
L’avocat et lacour me fusillent du regard, le juge
appelle la garde impériale à son secours, ils veulent me ramener dans ma
cellule à coup de Kärcher, je pisse dans mon froc, je crie, je hurle :
- Mère ! Mère ! Ils ne
savent pas ce qu’ils font !
.
Dans le lit de ses parents, le
petit surdoué est en larmes.
Sa mère le caresse tendrement :
- Ce n’est rien mon petit, c’est
juste un vilain cauchemar...
Son père voudrait bien se
rendormir :
- Ne t’inquiète pas, fils, plus
tard, tu seras PDG comme papa .
L’enfant s’interroge à voix haute :
- Ça veut dire quoi, PDG ?
« Président Directeur
Général », répond le père avec une pointe de fierté dans la voix.
Le petit sèche ses larmes d’un
geste nerveux et retourne dans sa chambre.
La nuit est calme. Il aligne ses
peluches autour de son lit, en rang. Il leur murmure des ordres invisibles, il
les déplace ou les renverse en éclatant soudain de rire.
Je
ne sais pas si vous connaissez la petite ville de Forges-Les-Os. Elle n’est pas
très connue, à vrai dire. Quelconque est l’adjectif qui me vient à l’esprit.
Une église qui n’a rien de particulier, une petite supérette à côté de la
mairie, il y eut une poste avant l’époque de la décentralisation à outrance
mais c’était il y a bien longtemps… Aujourd’hui, il ne reste guère que quelques
rues sans âme véritable et une petite centaine de personnes qui attendent que
le temps passe. Essentiellement des personnes âgées, les jeunes sont partis
depuis longtemps à la capitale dans l’espoir parfois illusoire de trouver
là-bas qui un travail, qui un amour, qui un semblant de vie. Forges-Les-Os
végète et seuls quelques historiens se souviennent qu’elle fut la ville natale
d’un inventeur de génie qui exporta sa science dans les contrées reculées de l’ancien
empire Ottoman. Aucune plaque ne le signale d’ailleurs, Forges-Les-Os n’a ni
passé ni futur. A peine un présent.
Que
vous dire d’autre sur cet endroit oublié des dépliants touristiques ? Le
maire est un homme sans histoire, depuis des générations on exerce ici cette
fonction de père en fils et personne ne trouve rien à y redire. C’est dans l’ordre
des choses. Le curé ? Cela fait bien longtemps qu’il n’y en a plus, les
âmes ferventes prennent leur auto chaque dimanche pour la grande ville voisine.
Le docteur ? Quel docteur ?
Non,
Forges-Les-Os est une petite ville quelconque sans grand intérêt ni personnage particulièrement
saillant.
A
la réflexion, il y aurait peut-être bien ce Valentin Noli…
Valentin Noli n’est
pas un facteur comme les autres. Non, ce n’est vraiment pas un facteur comme
les autres… Pour commencer, c’est le seul facteur. Ah ! Vous devriez voir
son vélo, vraiment ! Il est rose, comme son cœur. Valentin Noli est un
doux rêveur comme on n’en fait plus. C’est miracle s’il fait une tournée sans
une seule erreur de distribution. Mais Valentin est un gentil garçon, personne
ne s’en est jamais plaint à la direction générale. Il faut dire que c’est le
chéri de ces dames, plus d’une pense à lui en s’apprêtant le matin, choisissant
avec soin le délicat déshabillé qui la mettra le mieux en valeur quand elle ira
d’un pas négligent à sa rencontre. Ensuite, il ne leur reste plus qu’à entendre
avec impatience que midi arrive enfin. Mais Valentin n’a jamais le temps de
glisser ses délicates mains dans la moindre boîte aux lettres, ses admiratrices,
dès « poltron miné », guettent sa silhouette gracile derrière les
rideaux légers des maisons. Seuls quelques grincheux demeurent insensibles à
son charme. Jean-Pierre Bachi-Bouzouk en est un. Réfractaire au plus haut
point. A peine entend-il la joyeuse sonnette du vélo rose qu’il se précipite sur
sa zapette et monte le son de sa télévision…
Mais Valentin ne s’en
chagrine pas. Il est d’un naturel heureux et confiant. Son voisin ne peut pas
avoir un cœur de pierre, il est juste un peu… bougon. Un ours grognon à qui la
vie n’a pas encore offert la chance d’être touché par la grâce de l’amour. D’ailleurs,
il est un signe qui ne trompe pas, c’est un « bis » qui sépare leurs
maisons et, chaque fois qu’il fait sa tournée, Valentin sourit tendrement en
espérant qu’un jour ce bis se transformera en bise… et c’est avec entrain qu’il
appuie allégrement sur les pédales de son engin, songeant avec délice comme il
est bon d’aimer.
Car Valentin est amoureux.
Amoureux fou. Ah ! La belle Pépita, la délicate, la mignonnette, la
pucinette coquette de son cœur… Chaque jour, il lui conte fleurette et les yeux
de la demoiselle s’allument, toute la rue des Mimosas s’embrase soudain de son
sourire à couper le souffle. Et les dames de Forges-Les-Os se pâment d’envie
derrière leurs fenêtres fleuries…
14
février. Aujourd’hui, c’est la saint Valentin. Notre facteur, comme tous les
matins, se rend à la ville voisine pour chercher le courrier qu’il doit
distribuer. 78 missives l’attendent avec impatience. Notre Valentin constate
avec surprise que 77 lui sont adressées. La 78ème, il la connaît
bien, c’est celle qu’il a adressée lui-même à la belle Pépita.
Enfer et stupéfaction !
Valentin revient à vive allure chez lui, étale brusquement son butin sur le
petit bureau et l’examine avec un peu plus d’attention. 24 cartes, la plupart
signées, envoyées par les quelques veuves et célibataires de la ville. Au
hasard, il ouvre quelques lettres, les mêmes tournures enflammées reviennent,
les cœurs brisés, les espoirs, les je t’aime absolus… Celles-là ne sont pas
toujours signées, elles portent parfois un petit prénom féminin ou un indice
sensé guidé notre facteur vers l’élue de son cœur. Les « je t’attendrai à
minuit rue des Capucines » côtoient les « j’aurai ma petite robe
bleue » et plus rarement les « je serai entièrement nue ».
Valentin
n’en revient pas. Fébrilement, il recherche l’éventuelle lettre que sa dulcinée
pourrait lui avoir adressée. Il trouve enfin. Elle ne l’a pas oublié. Juste
trois petits mots au dos d’une carte. Il respire enfin. Il reprend ses esprits.
Il est bientôt dix heures,
Valentin devrait déjà avoir entamé sa tournée. A quoi bon se presser,
pense-t-il soudain. Il n’a qu’une seule maison à visiter.
Il entend soudain
le son d’une télévision dans la maison voisine. C’est alors qu’une idée lumineuse
traverse le cerveau du gentil facteur.
Puisque tout le
monde s’accorde à dire qu’il est un étourdi notoire, pourquoi ne pas profiter
de l’occasion ? Elle est si belle ! Il suffirait qu’il dise qu’il a
égaré la tournée du jour, tout simplement…
Dans la salle à
manger de monsieur Bachi-Bouzouk, le générique d’Amour Gloire et beauté
retentit à tue-tête.
Il y a mieux à
faire, songe Valentin Noli en regardant toutes ces lettres éparpillées devant
lui, bien mieux… Il commence par faire le tri des adresses et ne retient
que celles qui pourront convenir à la réalisation de son plan. Par chance,
toute la ville l’appelle Valentin, très peu de personnes connaissent son nom de
famille et 69 missives contiennent simplement l’adresse « A mon Valentin, 38
bis rue Saint-Eusèbe, Forges-Les-Os ». Décidément, la chance est avec lui
ce matin. Il s’empare ensuite d’un blanco et d’un effaceur et, scrupuleusement,
il élimine tous les « bis ».
Il
est presque midi. Valentin enfourche son vélo rose et fait retentir sa sonnerie
joyeuse. Aussitôt, son voisin se précipite sur sa télécommande et, les yeux
rivés sur l’écran, il ne sait rien des 69 lettres que le facteur dépose dans sa
boîte.
A midi 5, la rue
des Mimosas s’enflamme et les dames de Forges-Les-Os enragent derrière leurs
fenêtres fleuries.
A
ses supérieurs, le lundi suivant, Valentin déclare le rouge aux joues : « Je
suis vraiment désolé, je n’avais pas la tête à mon travail ce samedi... Quelques
erreurs ont peut-être été commises... Quelques lettres égarées ? ».
Aucune réclamation n’a pourtant jamais été faite depuis, pas la moindre plainte
et Valentin est toujours le facteur bien aimé de sa ville.
A chaque saint
Valentin, les dames de Forges Les Os rivalisent d’imagination, elles espèrent
en secret être celle qui détournera le gentil facteur des bras de l’odieuse
Pépita. En vain.
Cette
année, Valentin et Pépita ont décidé de se marier, les hommes de la ville se
réjouissent.
En secret.
Et
monsieur Bachi-Bouzouk, me direz-vous ?
On murmure qu’il
est amoureux et que, chaque nuit, une demoiselle l’attend « entièrement
nue »…
BACHI-BOUZOUKFrançois :
1301 Forges les Os, 1346 Izmir
Chirurgien célèbre de l’empire
Ottoman, il est l’inventeur du premier casse-crâne à ne pas confondre avec le
casse-tête chinois et le kass- kouï ouzbek.Le casse-crâne, comme son nom l’indique, est une arme constituée d'une
masse lourde et sphérique accrochée au bout d'un pieu plus ou moins long et
destinée à briser les os du crâne qu’il soit casqué ou non.
Cette arme, à laquelle il donna son propre nom,
connut un succès fracassant, de nombreux soldats têtus et criminels crâneurs
l'adoptèrent avec enthousiasme