Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 282
Derniers commentaires
Archives
18 avril 2009

Les mots ne s’usent (Tiphaine)

Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un écrivain dans sa famille.

Moi, j’ai cette chance.

Et cette malchance aussi.

J’ai grandi dans un monde de mots et de livres.

C’est beau les mots, c’est beau les livres…

Je peux louer ou inviter un écrivain le temps d’un dîner ?

C’est bien vrai ? !

Alors j’invite papa.

J’invite papa.

Je ne le loue pas.

Papa ne se loue pas. Il ne sait pas se louer.

Je le loue moi, pourtant…

J’aime ses mots. Sans ses mots je ne serais pas.

Ses mots m’ont faite.

Ceux qu’il a écrits, et ceux qu’il n’a pas dits aussi.

J’invite papa.

Il est assis en face de moi. Il est intimidé je crois. Il regarde son assiette d’un air qu’il doit vouloir détaché. D’habitude, il lui suffit d’opiner à tout ce que je dis, il me sait bavarde…

Au téléphone, mon jeu c’est d’essayer de dépasser la minute de conversation avec lui. Rarissime. En général, j’ai droit à trente secondes au mieux. « Je te passe ta mère. Bisous. »

En voiture, je parle, je parle, et il répond parfois. Tant que nous abordons des sujets culturels, la conversation roule toute seule, comme la petite auto. Nous ne nous sommes jamais fait flascher. Aucun danger. C’est ce qui n’est pas dit qui illumine, qui irradie…

Sur la photo que nous enverrait la gendarmerie, on verrait un père et sa fille derrière un pare-brise. Bouches fermées. On pourrait croire que nous ne disons rien.

C’est faux.

J’invite papa.

Il regarde son assiette. Il sourit parfois parce que j’essaie de le faire rire, j’aime bien quand il rit. Y’a son sourire qui s’échappe soudain de sa barbe…

Quand je pense à lui je vois un immense bureau en bazar, des feuilles griffonnées partout, une équerre en plastique sur laquelle il a inscrit « papa », un stylo relié à un fil parce qu’il en a assez qu’on le prive de ses outils…

Je me suis emparée du stylo qu’il ne voulait pas me donner.

J’écris pour qu’il sache que je l’aime puisque les mots qui sortent de ma bouche sont trop violents pour lui.

J’invite papa.Il ne partira pas avant que je le lui dise en face :

Je t’aime papa.

Il est gêné. Il se retire derrière sa barbe. Il finit par parler, quand même :

- Il ne faut pas trop dire ces mots là, sinon, ils s’usent…

Non, papa, certains mots ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas…

Je t’aime papa.

Publicité
Commentaires
J
C'est vraiment touchant, comme la plupart de tes texte, si ce n'est tous, Tiphaine.
Répondre
J
J'ai commencé par lire ce texte samedi matin et je n'ai pas voulu commenter en premier. Maintenant que j'ai lu ceux qui le précédaient chronologiquement (ceux qui le suivent géographiquement, donc) je trouve qu'il exprime quelque chose qui transparaît dans tous les textes : les écrivains invités ont tous de la dignité et de la pudeur, celui-ci bien plus que les autres. <br /> Ton rapport particulier avec cet écrivain fait de ta contribution quelque chose d'émotionnellement très fort. Bravo et merci de ce partage d'intimité.<br /> PS Je pense aussi que beaucoup d'entre nous cachons derrière des masques de plaisanterie ou un ton de badinage un amour tout aussi réel pour les écrivains que nous évoquons.
Répondre
V
Je découvre ton texte, Tiphaine, qui résonne beaucoup en moi.<br /> C'est étrange, hier soir, au milieu des convives, je pensais fort au mien...
Répondre
M
Tes mots résonnent dans mon coeur. Mon papa n'est pas écrivain, il n'est pas facile. Si on sait attendre (mon dieu, il en met, des années), il sait venir sans ma mère à la maternité avec un range-pyjama ou dire "tiens, je peux venir manger tel jour, je suis en stage dans votre ville ?" Il vient. On croit que le repas va durer une heure et qu'après il partira. Après deux heures en famille et 1/2 heure sans trop parler, on cause, on cause, de son boulot, de celui de mon amoureux... jusqu'à 1h du matin ! On rit, même... les souris qui écoutent pourraient croire qu'on parle d'élèves, de bac en 3 ans ou d'engins agricoles. Mais on parle juste pour le plaisir d'être ensemble. Et c'est bien. Il est comme ça, papa.
Répondre
U
Je souris de la même manière que Julie Depardieu dans podium, lorsque Benoît Poelvoorde chante Julien Clerc. Pas un grand film, mais une belle performance.<br /> D'aucun savent comme j'estime le minimalisme.<br /> Tu sais que je salue ta performance.
Répondre
T
zigmund : L'équerre c'est un mystère, c'est pour ça que c'est beau...<br /> MAP : Merci à toi.<br /> Papistache : un parfait samedi, c'est vrai (imparfait ça me dit?)<br /> tilleul: moi aussi ça me fait sourire.<br /> valérie : Je recopierai celui de mon fils!<br /> Vegas sur sarthe : C'est le problème avec les barbes "à papa"...<br /> joye : Ce qui est sur ton cœur est sans doute infiniment précieux, garde-le bien au chaud.<br /> pandora et captaine lili : Merci beaucoup.<br /> tiniak : ça prendrait, c'est sûr, surtout si c'est une cuvée du chapitre qui mène à tout même au salon!<br /> poupoune : Merci à toi.<br /> Claudio : Tu peux te permette, on a les dieux qu'on mérite. ;-)<br /> shivayawarduspor : Ah c'est pénible, à chaque fois que je vois ton pseudo je me mets à chanter !:-)
Répondre
S
très touchant!
Répondre
C
Nom de Dieu, si je peux me permettre, c'est époustouflant. La force du minimalisme.
Répondre
P
une très belle déclaration...
Répondre
T
et si l'on devait s'en Gewürztraminer ? ça prendrait quand même ?
Répondre
C
Magnifique et émouvant...
Répondre
P
Très beau et très fort,<br /> Je suis toute zémue merci ;-)
Répondre
J
Mademoiselle Hemingway, c'est un texte super bien fait. Mais j'ai les larmes aux yeux, j'aimerais bien souper avec mon papa à moi. Mais lui n'a rien écrit sauf ce qui est sur mon coeur. Beaucoup plus éloquent que l'autre.<br /> <br /> Bravo.<br /> <br /> Merci.
Répondre
V
De nous deux, c'est moi qui portais la barbe... c'est peut-être pour ça que je ne lui ai pas assez dit "je t'aime papa"
Répondre
V
C'est un beau texte. Tu pourrais en faire un poème comme ceux que les enfants récitent pour la fête des papas.
Répondre
T
Magnifique! Ca me fait sourire l'équerre avec son nom et le stylo avec une ficelle...
Répondre
P
Mais, alors, c'est également la fête des pères, Tiphaine. C'est un samedi parfait, donc !<br /> <br /> En forêt, certains arbres majestueux empêchent la lumière du soleil de parvenir jusqu'au sol.
Répondre
M
J'en suis toute émue ! Comme c'est bien dit Tiphaine !
Répondre
Z
beau et émouvant <br /> que fait une equerre dans le bureau d'un écrivain ?
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité