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Le défi du samedi
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9 avril 2011

La dernière image (Poupoune)

Derrière mes paupières closes, c’est son joli visage d’ange que je vois. Ses petits cheveux fins toujours emmêlés, ses yeux moqueurs, son sourire édenté d’avoir payé son tribut à la petite souris, son petit menton en triangle, ses sourcils si nettement dessinés qu’on les croirait tracés au feutre. Je la vois avec toujours exactement la même expression. Fraîche, innocente, magnifique. Figée.

Elle a dû changer. Je n’ai aucune idée du temps qui s’est écoulé. Ses dents ont dû repousser. Ses cheveux épaissir. Son regard se durcir un peu. Je donnerais mon dernier souffle pour la revoir. Rien qu’une fois. Voir quelle adolescente, ou peut-être déjà quelle femme elle est devenue. Au lieu de ça je ne vois encore et toujours que cette même image de ce qu’elle était à cet instant précis où mes yeux se sont fermés, pour ne plus se rouvrir, quand cette voiture sortie de nulle part m’a fauchée sur le trottoir. Et je donnerai probablement bientôt mon dernier souffle pour rien.

 

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26 mars 2011

Sang d'encre (Poupoune)

Au fond de l’encrier, un peu de sang séché. Seule trace de l’hypothétique victime d’un éventuel crime qui aurait peut-être été commis ici.

La disparition de la jeune-femme nous avait été signalée quelques heures plus tôt. Ses proches étaient sans nouvelles depuis une semaine. Tous s’accordaient à dire que ce n’était pas normal. Son domicile ne présentait aucune trace de lutte, aucun désordre inhabituel. Si je n’étais pas tombé par hasard sur ces quelques gouttes de sang, on n’aurait sans doute pas poussé plus avant la recherche d’indices.

On a relevé des tas d’empreintes. Et un poème.

Le poème était d’une platitude à pleurer, un genre de déclaration d’amour torturé aussi pauvre dans le vocabulaire que dans la rime, mais il était joliment écrit sur du beau papier épais qui ne semblait venir d’aucun bloc ou cahier trouvé sur place. L’écriture soignée ne ressemblait à rien de ce que notre disparue avait écrit d’autre. Ce que le graphologue a confirmé : non seulement ça n’avait rien à voir avec l’écriture de la jeune femme, mais en plus le poème avait été écrit à la plume d’oie. Et il n’y avait rien dans l’appartement qui ressemblait à une plume, d’oie ou de n’importe quel autre volatile.

On a fait défiler tous les propriétaires des empreintes qu’on avait relevées, pour les interroger et les éliminer de la liste des suspects. Même si on ne savait pas exactement de quoi on aurait pu les suspecter. Restait un jeu d’empreintes qui ne correspondait à aucune relation connue de la jeune femme. On a interrogé tous ses parents et amis au sujet d’un éventuel amoureux romantique et potentiellement transi, mais personne n’avait entendu parler d’un quelconque prétendant. On a donc confié le poème et l’encrier aux scientifiques en espérant qu’ils sauraient en tirer des pistes à explorer et, de mon côté, j’ai poursuivi mes recherches auprès du plus grand spécialiste en poésie que je connaissais : notre médecin légiste. Il était féru de belles lettres et versifiait lui-même à ses heures perdues. Je ne sais pas s’il était bon ou mauvais, mais je suis presque sûr qu’il était le seul à faire rimer « romantique » avec « rigidité cadavérique ».

Quoi qu’il en soit, à la lecture des quelques vers de notre poète inconnu et suspect, quand il a demandé s’ils avaient été écrits à la plume sur papier vélin, j’ai senti qu’on tenait quelque chose.

-          Il y a ce type… un jeunot qui se prend pour Rimbaud parce qu’il a la même coupe de cheveux... c’est son style. Et toute la richesse de ses œuvres tient dans la qualité du papier et la calligraphie. Ça pourrait être ton gars.

-          Et tu le connais comment ?

-          On fréquente les mêmes lieux de perdition.

-          Tiens donc ?

-          Des cafés littéraires où les rimailleurs de mon genre peuvent déclamer leur poésie devant d’autres rimailleurs.

J’aime quand le hasard et la chance font de leur mieux pour m’être favorables. J’ai demandé au légiste de m’emmener dans ces cafés et de me dire en chemin ce qu’il savait du bonhomme.

-          Je dirais qu’il est encore plus mauvais poète que moi.

-          Tu es mauvais ?

-          Ce n’est sans doute pas à moi de le dire. Disons que lui a reçu en plusieurs occasions des critiques plus sévères que moi.

-          Ah… et il prenait ça comment ?

-          Mal. Mais sans doute pas au point de tuer ses détracteurs, si c’est le sens de ta question. Il m’avait demandé conseil une fois…

La chance a continué de nous sourire et dès le premier café, le patron a su nous dire où trouver notre poète suspect : il logeait dans l’appartement à l’étage, alors on est montés le voir.

-          Comme ça, tu donnes des conseils aux aspirants poètes ? Tu dois pas être si mauvais alors…

-          Moi j’ai surtout une matière première originale. Lui… Un type lui avait dit qu’il devrait arrêter un peu les mièvreries et tremper sa plume dans ses tripes plutôt que dans l’eau de rose. Il voulait savoir ce que j’en pensais.

Mon téléphone a sonné en même temps que nous frappions à la porte du poète. Elle n’était pas fermée et des bruits étranges provenaient de l’intérieur. J’ai répondu à l’appel tout en poussant la porte. C’était un gars du labo.

-          On a analysé l’encre du poème.

J’apercevais notre poète, apparemment en train d’écrire. Une jeune femme était assise près de son bureau et…

-          Et ben en fait, c’est pas de l’encre !

… il trempait régulièrement une plume dans…

-          Et vous ne devinerez jamais ce que c’est !

… la fille ? Le ventre de la… Bon sang ! Je n’étais pas bien sûr de ce que je voyais. C’est la voix du légiste qui a confirmé mon impression :

-          Merde. Je lui avais dit que moi, ma plume, je la trempais plutôt dans les tripes de mes victimes, mais… enfin… c’était une image !

J’ai complètement gâché l’effet du type du labo en concluant ses révélations à sa place :

-          C’est du sang.

 

 

1 janvier 2011

Les douze petits soulards en colère (Poupoune)

On était douze. Comme les douze doigts de la main, comme on aimait plaisanter entre nous, rapport aux sixièmes doigts de Gégé. Enfin, comme on plaisantait entre nous sauf Gégé, parce que lui il trouvait pas ça drôle et vu qu’il était taillé comme une armoire lorraine, on préférait pas trop le taquiner. Et puis dans les douze, y avait le futur beauf à Gégé et son pote, alors en fait on était plutôt douze comme les dix doigts de la main plus deux.

Gégé avait largement l’âge d’être le père de sa future femme qui serait sa troisième si on comptait Monette même si elle était pas restée longtemps, alors on n’avait pas vraiment trop prévu d’enterrer encore une fois sa vie de garçon, mais comme son mariage tombait un samedi et que le vendredi c’est apéro et qu’on était tous là plus le futur beauf et son pote, ben au final c’est quand même bien un peu à la santé du futur remarié qu’on a trinqué. Douze fois. Une tournée chacun. Dans le premier bistrot.

Dans le deuxième, y a le pote au futur beauf à Gégé qu’a arrêté de boire parce qu’il a dit qu’il devait conduire. Il en a profité pour pas payer sa tournée. Faudra pas qu’il s’étonne si on l’invite pas le prochain coup, lui. On a arrêté de lui parler et le futur beauf à Gégé a dû vouloir être solidaire parce qu’il nous a lâchés aussi.

Après on a décidé d’aller en boîte se trémousser un peu et suer notre bibine histoire de pouvoir re-trinquer un coup ou douze après. Y avait un costaud à l’entrée qui faisait des histoires et même Gégé il était moins haut et moins large, alors on n’a rien dit quand il a pas voulu laissé entrer Titi qui s’était un peu vomi dessus. De toute façon Titi il a pas vraiment le vin gai et quand il a trop bu comme ça il devient chiant à nous reparler toujours de son ex comme si c’était de notre faute si on lui est tous passés dessus, alors finalement c’était pas plus mal que le gros le refoule.

Y avait pas mal de monde dans la boîte et du bruit et des filles qui se regardaient danser dans des miroirs et y en avait une, mon vieux, elle avait le décolleté si profond et la jupe si courte qu’on n’était pas trop sûr que les deux se rejoignaient pas. Frankie ça l’a comme hypnotisé, toute cette chair qui frétillait sous si peu de tissu, si bien qu’on l’a plus revu après qu’il a suivi la fille aux toilettes. Nous on est allés s’agiter un peu au milieu des minets qui mataient les filles qui se regardaient dans les glaces, mais Riton il a dû s’agiter un peu trop parce qu’à un moment y a un mastard au moins aussi balaize que celui de l’entrée qu’est venu le foutre dehors et qui nous a fait les gros yeux comme à des gosses. Ça nous a pas trop plu, surtout qu’en plus on devait avoir chacun dix ans de plus que lui, ou douze, ou vingt, même, alors on s’est recomptés pour voir si on était encore assez nombreux pour lui coller une rouste, mais Paul a dit qu’il voulait pas se battre ce soir pour pas salir sa chemise qu’il devait remettre pour le mariage le lendemain et il est rentré. Comme c’est lui le plus teigneux on s’est dit qu’on reviendrait une autre fois pour la baston et on est parti. On a laissé Norbert qui s’était endormi sur une banquette.

Une fois sur le trottoir, pendant qu’on réfléchissait à ce qu’on allait faire ensuite, Loulou est allé pisser contre un poteau, sauf qu’il s’est trompé de poteau et il a pissé sur les pompes d’un flic, le con. Du coup il a fini la nuit au poste, mais nous ça nous disait trop rien alors on s’est retenu de rire et on a filé continuer la fête ailleurs. C’est Jeannot qu’a eu l’idée de la boîte de strip-tease. C’était pas trop dans nos habitudes, mais vu qu’on avait un futur jeune remarié à arroser, on s’est dit que c’était l’occasion, quand même, mais en chemin Jeannot a regardé l’heure et il s’est barré en courant parce qu’il devait être rentré avant sa femme sinon elle allait encore l’obliger à dormir sur le tapis au pied du lit et il supportait plus ça, rapport à son lumbago. Une sacrée drôle de bonne femme, la femme à Jeannot. Du coup on a hésité un peu, mais comme on était déjà presque devant la boîte, on y est allés quand même. A peine rentrés, on est tombés nez à nichons avec une rombière opulente et Marco a piqué un fard quand elle l’a appelé « mon joli » et il est reparti direct.

Et c’est là qu’on l’a vue. Dans toute la fraîcheur et la légèreté de ses vingt ans, et pas grand-chose de plus pour habiller sa nudité. Ah ça, il avait pas menti, le Gégé, une vraie beauté, la donzelle ! Mais à la voir comme ça secouer son joli fessier sous les yeux brillants de tout ce que la ville comptait de vieux vicelards, on avait du mal à l’imaginer en blanc à l’église le lendemain matin au bras de Gégé. J’essayais de deviner comment serait la robe de mariée qui cacherait – du moins je l’espérais – ses petits seins fermes et arrogants aux types qui pour l’heure s’en pourléchaient avec envie, mais c’est à ce moment là que je me suis aperçu que Gégé fondait sur elle comme une tornade, en plus gros et plus énervé. Il était trop tard pour que j’intervienne et de toute façon, le Gégé, quand il est comme ça, autant essayer d’arrêter un TGV en soufflant dessus. Alors j’ai regardé la bouche de sa promise s’arrondir sous l’effet de la surprise puis éclater sous l’effet du premier coup avant que commence une bagarre générale.

Moi je suis resté tranquille au bar et j’ai pris un verre en attendant que la police finisse d’embarquer tout le monde, Gégé compris, et maintenant je me retrouve tout seul comme un con alors que les douze coups de minuit ont même pas encore sonné et que j’ai plus vraiment besoin d’être raisonnable pour être en forme demain vu que la noce, à mon avis, y en aura plus.

18 décembre 2010

Une riche idée (Poupoune)

Si j’étais riche, je me ferais prescrire légalement de la méthadone. Et je m’offrirais de nouvelles dents à la place de mes chicots pourris. Et j’essaierais au moins une fois de baiser sans me faire payer. Juste pour le plaisir. Voire par amour.

11 décembre 2010

Le trapéziste (Poupoune)

Il était tout le temps rond comme une queue de pelle et me faisait monter la moutarde aux sinus. Quand il a demandé si j’étais plutôt fractale ou euclidienne, juste avant de me proposer un triangle amoureux, j’ai flairé le cercle vicieux et je lui ai mis la tête au carré.

Il a pris la tangente et il est Thalès faire voir chez les grecs.


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4 décembre 2010

Enfance pressée (Poupoune)

Si j’avais le temps, je voudrais bien aller avec Nadia au nouveau centre commercial. J’aimerais bien aussi pouvoir faire un bisou à Vasile, parce qu’il est joli et Ileana dit qu’il est d’accord. Je voudrais aussi aller à l’école. Nadia va y aller peut-être, si sa grand-mère revient la chercher comme elle avait promis. Si j’avais le temps, j’apprendrais à faire du vélo. Le grand frère d’Ileana en a un et il a dit qu’il voudra bien qu’on en fasse quand on sera plus grandes. Je voudrais aussi voir la télé. Monsieur Radescu en a une et Nadia dit que si on lui embrasse le kiki il nous laisse la regarder. J’aimerais bien aussi goûter les nouveaux bonbons au cola, mais on n’a pas encore réussi à en chiper chez la vieille Emilia. Et puis je voudrais avoir le temps de jouer avec le ballon que Ion a ramené, quand il en aura marre avec ses copains. Mais j’aurai jamais le temps. Maman dit que je pars demain.

Elle a dit qu’il faudra pas pleurer et être gentille avec les monsieurs. Je croyais que c’était des instituteurs, mais l’ami de monsieur Radescu a donné plein d’argent à maman et on reçoit pas d’argent, pour aller l’école, ça c’est sûr, sinon tous les pauvres ils iraient ! Maman dit qu’elle est désolée et que c’est pour que la famille puisse être heureuse, mais elle pleure comme si elle était pas heureuse du tout et ça me fait de la peine. Elle dit que je vais faire un beau voyage et que peut-être un jour je pourrai revenir. Je sais pas pourquoi l’ami de monsieur Radescu veut m’emmener avec lui en voyage. Il a l’air gentil. On dirait qu’il m’aime bien, il veut tout le temps me faire des caresses et des bisous, mais moi je le connais même pas. Peut-être qu’il a une télé lui aussi.

En tout cas, c’est sûr, j’aurai pas le temps de dire au revoir à Ileana et à Nadia avant de partir.

20 novembre 2010

Le rêve de Jason (Poupoune)

J’ai su très tôt que je détenais un véritable trésor. Je n’avais pas dix ans qu’il m’avait déjà permis d’obtenir un poney et des diamants sur presque tous mes bijoux.

C’est Papa qui a été le premier à mettre le doigt dessus et à me montrer toutes les possibilités que ça m’offrait. J’ai longtemps cru qu’il n’y avait que l’amour d’un père pour gratifier pareillement ce qui me paraissait, au fond, très naturel, mais j’ai grandi et j’ai compris qu’il n’était pas le seul dont je pouvais tout obtenir.

J’ai eu les meilleurs bulletins de notes du collège et je n’ai pour ainsi dire jamais eu besoin de porter mon cartable ou de faire mes devoirs. Je n’ai jamais manqué de bonbons, plus tard de cigarettes, ou de quoi que ce soit qui puisse s’échanger dans les cours d’école ou de lycée. J’aurais pu obtenir avec la même facilité de beaux diplômes dont je n’aurais su que faire, mais j’ai préféré rapidement gagner de l’argent. Beaucoup d’argent. J’étais assez entreprenante pour très vite décoller et engranger des sommes folles.

Le premier Noël qui a suivi le lancement de ma carrière, j’ai offert à maman une vidéo de mes exploits, elle qui avait toujours si bien fermé les yeux sur mes talents… A papa, j’avais offert la poupée en silicone à mon effigie, celle avec ce qu’il avait toujours appelé son trésor plus vrai que nature. Maman en est morte. De chagrin ont dit les voisins. Papa s’est pendu trois mois plus tard quand il a reçu la première visite de la police. Les voisins m’ont trouvée bien ingrate. Pourtant je lui avais quand même offert cette poupée et j’ai pu constater qu’il l’avait vraiment beaucoup aimée pendant ces quelques semaines…

Pour ma part, je continue d’exploiter mon trésor tant qu’il est encore monnayable, mais grâce à l’héritage je n’aurai bientôt plus besoin d’écarter les cuisses.

 

13 novembre 2010

Carpe et dilemme (Poupoune)

Il est chaud comme la braise. Il a envie tout le temps.

Elle est muette. Elle ne dit jamais non.

Ils se marient demain.

Est-ce bien raisonnable ?

 

6 novembre 2010

on ze road (Poupoune)

On n’en était qu’à la deuxième heure de route et le gosse demandait déjà pour la huitième fois à jouer aux nuages. Même sa mère commençait à sentir qu’il allait pas falloir que la plaisanterie dure trop longtemps. Surtout qu’en pleine savane à cette époque de l’année, c’était pas tant les formes rigolotes, mais surtout les nuages, qu’étaient durs à trouver.

Je l’avais dit, moi… Les gosses, c’est chiant, et ceux des autres c’est toujours pire. Alors cinq d’un coup… Bon : on a quand même eu de la chance, on n’a eu qu’un seul vomi et y en a quatre qui dorment. Y a que celui-là, là, avec ses nuages… mais il est au moins chiant comme six ou sept. Quand c’est pas les nuages, il veut jouer à trouver quelque chose qui commence par une lettre, alors que ça va faire une heure qu’à part quelques arbustes maigrichons, y a rien à voir. Et ce con de môme n’a toujours pas dit « le premier qui trouve un truc qui commence par a »… Autant dire qu’il entame sérieusement la patience et le sang froid de tout le monde. Sans compter qu’il reste au bas mot quatre à cinq heures de routes défoncées et de pistes poussiéreuses, ce qui est amplement suffisant pour nous mettre sur les nerfs sans que ce foutu marmot n’en rajoute.

Les autres parents sont stoïques, j’admire. Je suis sûr qu’ils ont tous envie de lui coller une baffe, au môme, mais y en a pas un qui moufte, ils regardent chacun leurs gosses somnolents et se félicitent sans doute de ne pas avoir à assumer l’emmerdeur. Même le père de la petite qu’a vomi a l’air plus à l’aise que la mère du boulet.

Il faudrait vraiment qu’il se calme rapidement… Surtout qu’à force de pas en trouver, des nuages, il en invente : « Là-bas, là-bas ! Un nuage en forme de cheeseburger ! T’as vu, T’as vu ?... Ah non. C’est du sable. » Avec son cheeseburger, ce con a réveillé deux gamins qui se sont mis à pleurnicher qu’ils avaient faim. S’en est fallu de peu que je lui en colle une, là. Entre les deux yeux. Mais j’étais déjà pas d’accord pour les enlever, alors c’était sûrement pas pour en buter un à la première contrariété.

Entre deux jeux foireux avec ses nuages, le môme gigotait sans cesse, commentait tout ce qu’il voyait et comme il n’y avait rien à voir… Non, vraiment, je sais bien que les enfants sont pleins de vie et de cette spontanéité gnagnagna, mais y en a quand même qui méritent juste de finir bâillonnés sur le toit des camions. Enfin si ça avait été mon gosse plutôt qu’un otage, c’est ce que j’aurais fait. Mais là, je pouvais pas. Déjà que j’étais sûr qu’enlever des mômes nuirait au capital sympathie du mouvement, si en plus on le traitait pas comme il fallait… Alors j’ai pris sur moi. J’ai compté mes cartouches en imaginant ce que chacune pourrait faire dans le petit corps agité du chiard. Ça m’a drôlement calmé. Je l’entendais pour ainsi dire plus. En plus quelqu’un lui a proposé de jouer au roi du silence. Une bonne idée. Pendant environ quarante-deux secondes, jusqu’à ce qu’il hurle « Et si on jouait plutôt à trouver des nuages en forme de trucs qui commencent par a ? ».

Là, j’ai pas tout de suite compris ce qui se passait, mais quand je me suis retourné j’ai vu sa mère lui écraser à plusieurs reprises le visage contre la vitre, qui a fini par exploser sous l’impact. Le môme pissait le sang et sa mère l’a carrément balancé par la fenêtre, le livrant dans un nuage de poussière en pâture aux hyènes et aux vautours.

La fin du voyage a été beaucoup plus tranquille.

Mais j’étais sûr que d’une manière ou d’une autre ça nous retomberait dessus et qu’on nous reprocherait la mort du gosse. Ça n’allait pas du tout, du tout servir la cause.

 

18 septembre 2010

Doudou tabou (Poupoune)

Que deviennent donc tous les doudous que perdent les marmots aux roses joues ? Exilés au pays des joujoux ? Recueillis par la fée des nounous ? Dévorés par le grand méchant loup ? Non, non, non, vous n’y êtes point du tout !

A la vérité, je vous le dis - et ce n’est pas un scoop, mais une histoire sans entourloupe qu’on se raconte après la soupe - la seconde vie des doudous n’est pas rose du tout… Si par malheur ils tombent entre les mains maousses d’un grand fou qui fout la frousse, ils sont transformés d’un coup en appât à douces frimousses...

On a vu souvent agir ainsi de vieux fous, moches comme des poux, pédophiles et bande-mou : les précieux doudous attirent à eux nos petits bouts d’chou et, sans esbroufe, leurs cris ils étouffent.

C’est pourquoi je m’adresse à vous, les petits canaillous : aux filous qui fourguent des doudous préférez toujours les grigous à roudoudous.

11 septembre 2010

Patrimoine ni trisomique mais presque (Poupoune)

Il avait le cheveu rare et d’une couleur indéfinissable. Les quelques mèches éparses qui ornaient le dessus de son crâne étaient d’un genre de blond-roux pâlichon. Les longs poils raides qui lui chatouillaient la nuque étaient plutôt bruns, mais tiraient sur quelque chose d’un peu verdâtre selon l’éclairage.

Il avait les yeux vairons : le gauche était marron et le droit était de verre. Et vert. Parce qu’il était aussi daltonien. Le regard bicolore peut dégager parfois un charme troublant, mais rarement quand s’y ajoutent un strabisme aigu et des lunettes à foyers multiples, posées sur une excroissance nasale croche et disproportionnée.

Sa bouche aux lèvres trop minces s’étirait bizarrement sur toute la largeur de son visage, comme pour souligner l’incongruité disharmonieuse de l’ensemble. Son menton sur lequel poussait une verrue à trois poils se perdait dans un cou trop large posé sur des épaules trop étroites et de guingois.

Il avait la poitrine glabre et le dos velu. Ses bras étaient d’une longueur totale normale à eux deux, mais le gauche était trop court et le droit trop long. Tous deux en revanche se terminaient par une main épaisse aux doigts boudinés. Ses jambes étaient arquées et il avait un pied-bot.

Par chance la nature l’avait également doté d’un esprit simple et il n’avait commencé à prendre conscience de sa disgrâce et à en souffrir que tardivement. Ce n’est qu’à l’approche de la trentaine qu’il commença à se sentir un peu seul et se mit en quête de compagnie. Et c’est tout naturellement qu’après cinq ans d’échecs et de déceptions il décida d’avoir recours aux petites annonces et sites de rencontres.

Hélas, les rares femmes qui ne lui avaient pas demandé de photo et n’avaient pas été rebutées par sa bêtise singulière avaient fait semblant de ne pas le reconnaître avant de fuir le lieu du rendez-vous qu’elles avaient par mégarde accepté. Il sentait poindre le désespoir et commençait à envisager l’adoption d’un animal de compagnie quand il était enfin tombé sur LA petite annonce faite pour lui. Il était sûr d’être exactement l’homme de la situation et avait apporté un soin tout particulier à la rédaction de sa réponse : il n’était pas question de rater cette occasion. Et il ne l’avait pas ratée. Il avait obtenu un rendez-vous deux jours plus tard.

Quand elle était entrée dans le bar, il avait tout de suite senti que c’était elle et son ventre s’était noué à l’idée de la voir détourner le regard et prendre ses jambes à son cou sitôt qu’elle l’aurait reconnu, mais elle n’en fit rien. Au contraire son visage s’éclaira dès qu’elle le vit. Il se dit que quelles que soient les motivations de cette femme, il était heureux d’avoir bien précisé dans sa lettre « très gros patrimoine ». La généticienne était radieuse en s’asseyant à sa table.


14 août 2010

Y a des matins comme ça (Poupoune)

Ah ! C’est quoi ce bruit ? Un réveil, oui… Bon… où il est ? Ah… et comment ça s’arrête… ? Voilà. Bon. Merde. Je suis où là ? Il fait sombre, je vois pas grand-chose… C’est une chambre. Bon. Un lit. Un chevet. Une armoire. C’est joli. Bien. Je ne sais pas chez qui je suis. En fait… Putain, je sais pas qui je suis ! Merde. Merde, merde ! Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ?!

… Bon. Calme… Respire. Pas la peine de s’énerver. Allez. Je me lève, déjà. Bon. Je ne reconnais rien ici. Je vais voir les autres pièces… Couloir. Une porte. Voyons… Ah. Une chambre d’enfants. Deux lits. Des formes sous les couvertures. Je referme vite, sans bruit. Il y des photos au mur. Où est la… voilà. Lumière… Un monsieur et une dame. Des enfants. Deux. Ceux de la chambre ? Les visages ne me disent rien. Je regarde mieux… Non. Je continue. Nouvelle porte. Salle de bain. Miroir. Mon reflet dans la pénombre. Je ressemble à… oui. Lumière. Ah, oui. Je suis la dame des photos. Putain de merde. Je suis chez moi ? Et les enfants, là, alors… ? Instinctivement, je porte la main à mon ventre. Instinct de quoi ? Tout juste si je suis sûre d’être une fille, alors une mère ? Putain c’est quoi ce merdier ? Et le type, il est où ? Il y a des affaires d’homme, là. Il doit vivre ici aussi… Bon. Je vais le chercher. Il pourra sûrement m’expliquer… J’éteins la lumière et je retourne sur mes pas. Nouvelle porte. Toilettes. Je continue… Encore une porte… J’hésite. C’est… bizarre, ces portes qui ouvrent sur un inconnu qui… qui devrait m’être familier, non ? C’est… angoissant. Je ne comprends pas. Je ne sais même pas comment je m’appelle et ce que je fais là et… Stop ! Calme… Respire. Allez. J’ouvre. Vestibule. Placard. Deux portes ouvertes. Cuisine et… Salon. Je vois le dos d’un fauteuil. Quelqu’un dedans. Avec un journal ouvert. Bon. Il ne m’a pas entendue, on dirait. Je toussote. Pas de réaction. Peut-être qu’il s’est endormi sur son journal. J’approche. Oui. Il dort. Non, il… Non. Je recule. Je cherche la lumière. J’allume. Je reviens vers lui. Il est… Le journal est taché. Rouge. Il ne dort pas. Il est… Je suffoque. C’est le type des photos dans le couloir. Je crois. Je ne veux plus le regarder pour vérifier. Il a un trait rouge à la gorge. Un trait de… Un… Je ne veux pas revoir ça. Et mon regard est… mon regard est attiré par l’image tachée du journal. Un dessin. Un visage. Un portrait… Un por… Je lève les yeux et vois mon reflet dans la vitre. Le dessin… un portrait. Mon portrait. Portrait-robot. Un avis de… je prends le journal taché… Ça fait bouger la tête du type qui penche vers l’arrière et… oh ! ce trait sur sa gorge qui se… ça… oh… j’ai un haut-le-cœur. Je ferme les yeux. Je reporte mon attention sur le journal et ses taches et… merde.

Les enfants ? Je retourne dans leur chambre. Je soulève la couverture du premier lit et… Oh !... J’hésite à regarder le second, mais… il faut… je dois… Putain de bordel de merde ! Cette fois j’ai tout l’estomac qui se vide sur le joli tapis moelleux. Salle de bain. Reprendre mes esprits. Je fais couler longuement l’eau fraîche sur ce corps qui est le mien. Je regarde ces mains qui sont… qui ont… qui... Un peu de rouge s’écoule avec l’eau au fond de la baignoire.

Calme… Respire.

Bien.

Peu importe qui je suis.

Je sais ce que je dois faire.

Fuir.

7 août 2010

lieu commun des mortels (Poupoune)

Alors par là c’est joli, mais c’est plein soleil et là, ça va qu’il fait pas très beau, mais je te garantis que quand ça cogne c’est l’enfer ! Ha ha… L’enfer… Ouais, plutôt à l’ombre, hein ? C’est toi qui choisis, c’est ton cadeau, mais à ta place… Allez, oui, viens de ce côté. Bon… On va s’éloigner un peu des grandes allées, ce sera plus tranquille… Alors, t’es plutôt quel genre, toi ? Discret, hein ? C’est pas trop ton truc le clinquant et le démesuré, j’me trompe ? Ha ha… ben t’es pas bavard, hein ?... Mais va falloir choisir, quand même, c’est important, non ?... Ah ! Ça, qu’est-ce que t’en penses ? A mon avis, ça doit être un peu au soleil le matin, bien abrité aux heures chaudes… et c’est joli, non ? Sobre, élégant… Hm ?... T’aimes pas, c’est ça ? Trop sombre ? Mais le coin est bien, hein ? Ça te va par ici ? Oui ?... Ecoute, moi c’est pour être agréable que je fais ça, mais si vraiment t’en as rien à foutre je perds plus mon temps !... Bon. On va quand même pas se fâcher, hein… Allez. Tiens, là, regarde ! C’est bien ça, non ? Simple, mais mignon… clair. Le voisinage a l’air calme… apparemment y a pas trop de monde qui vient jusque là… Alors, qu’est-ce t’en dis ? C’est bien, non ? T’as qu’à dire et c’est à toi, hein ?... Et puis fais voir le nom… Cool ! C’est pas un nom de fille, Ha ha ! C’est aussi bien, hein ?... Bon, t’as décidé de faire la gueule jusqu’au bout ?... Ah tu m’emmerdes, tiens ! Tu mérites pas le mal que j’me donne pour te faire plaisir ! Allez, c’est cadeau, va. C’est ici chez toi, pauvre type. Ta dernière demeure. Creuse, qu’on en finisse.

17 juillet 2010

trichette (Poupoune)

J’ai essayé de sous-traiter un peu, cette semaine, en soumettant à ma fille une consigne qui me paraissait à sa portée. « Chérie, dis-moi… qu’est-ce que tu ferais, si tu étais invisible ? ». Sa réponse a été immédiate : « Je ferais comme d’habitude, mais sauf invisible ».

Voilà.

Autant dire que ce soir, elle dort à la cave.

10 juillet 2010

L'oiseuse (Poupoune)

Il était une fois une fille qui parlait aux oies. Avec cette manie de cancaner au bord de la mare, elle ne s’était pas exactement fait la réputation d’être une lumière. Pour tout dire, elle était même franchement considérée comme une idiote. Les plus gentils l’appelaient l’Oie blanche, les autres l’appelaient Simplette. Moi, je ne l’appelais pas. Je n’aime pas les attardés.

Elle n’avait pas longtemps fréquenté les bancs de l’école, parce que c’était sans espoir et elle se perdait environ trois fois sur quatre en voulant y aller, alors au lieu de la voir dans la cour de récréation jouer avec les autres enfants, on la retrouvait la plupart du temps au bord de l’eau en train de jacasser avec les oies. Il a bien été un temps question d’essayer d’exploiter le filon en se lançant dans le foie gras, mais impossible de mettre la main sur une seule de ces satanées bestioles ! A croire qu’elles ne venaient que quand la gosse leur faisait la causette… Cette bizarrerie a alimenté les conversations au bistrot et à l’église pendant quelques temps, et puis tout le monde s’est désintéressé de la gamine autant que de ses oies. Tout juste si je me souvenais de son existence, d’ailleurs, quand je l’ai vue débarquer, l’air de ne pas toucher terre, au milieu d’une véritable armada de volatiles silencieux qui avançaient vers moi en me regardant d’un air menaçant.

J’ai bien eu le temps de penser que c’était irrationnel d’imaginer qu’une armée de volailles stupides me menaçait, mais c’est pourtant bien à ça que ça ressemblait. Et quand la môme s’est mise à leur parler… Bon sang ! Ces saloperies de bestioles m’ont foncé dessus et m’ont fait reculer jusqu’à me faire tomber dans cette foutue mare où j’avais toujours pensé que la gamine finirait par se noyer ! Et voilà que c’est moi qui vais y mourir, noyée dans vingt centimètres d’eau et des centaines de litres de fientes dont ces putain d’oies, je vous le jure, me bombardent sans relâche ! Sous le regard amusé de la gosse, qui les encourage. Ma propre fille ! Tu parles d’une oie blanche…

 

3 juillet 2010

bucolique ta mère (Poupoune)

Ah ça ! Ils les connaissaient, toutes les histoires sordides et terrifiantes des monstres de la forêt ! La vieille folle anthropophage, le bûcheron incestueux, les nabots lubriques… pas un seul de ces personnages farfelus autant qu’effrayants ne manquait à l’appel de leurs pires cauchemars de gosses ! Mais ils étaient grands maintenant, et ce n’était que des histoires… alors ils n’avaient pas peur de couper par les bois : ça allait tellement plus vite !

Ils n’ont pas eu peur non plus ce soir-là quand ils se sont retrouvés empêtrés dans un grand filet : ils ont pensé qu’il s’agissait d’un piège du père Mourelet. Ils n’ont toujours pas eu peur en voyant s’approcher d’eux ce bonhomme qu’ils n’avaient jamais vu : ils ont pensé qu’il s’agissait d’un cousin ou d’un ami de quelqu’un du village. Ou du village d’à côté. C’est sans hésiter qu’ils l’ont suivi dans la jolie chaumière de la clairière derrière le bois, où il leur a proposé de leur faire découvrir enfin le seul vrai mystère de la forêt. Ils n’ont évidemment pas eu peur, dans la maisonnette, en reconnaissant leur copain Antoine, dont on leur avait dit qu’il était parti à la ville chez ses cousins. Ils ont encore moins eu peur en retrouvant la petite Agnès, la sœur de Louis, qui était elle aussi partie à la ville pour ses leçons de piano.

Ils ont seulement commencé à se poser des questions en s’apercevant que leurs copains ne réagissaient pas en les voyant. Et ils ont commencé à avoir peur en remarquant de paille qui sortait du cou de la petite Agnès, que je n’avais pas tout à fait fini de recoudre. Quand ils m’ont vu approcher avec mon grand couteau, ils ont compris qu’eux aussi allaient bientôt partir à la ville. Et je crois que là, ils ont eu peur.

Les enfants sont tellement prévisibles… Pas un qui ait assez de jugeote pour se dire que si ses parents essaient de l’effrayer, ce n’est pas que par cruauté. Et les parents… les parents ! Pas un qui cessera de raconter ces fables idiotes aux enfants, pour leur apprendre enfin les vrais dangers de la vie…

Je ne m’en plains pas, hein… mais qu’ils ne viennent pas se plaindre non plus.

 

26 juin 2010

tourisme low cost (Poupoune)

Poupoune

Après avoir parcouru des milliers de kilomètres hors des sentiers battus dans le monde entier, j’étais prêt à tout pour un peu de sensations nouvelles. L’accroche était laconique, mais tentante et vu que je connaissais la ville comme ma poche j’étais curieux de voir ce que cette agence proposait. J’en ai parlé à ma femme et on s’est inscrits dans la foulée, pressés de découvrir ce « tourisme d’un nouveau genre », comme l’annonçait la brochure.

Le jour du départ du safari, une douzaine de personnes était là quand on est arrivés. Le guide nous a accueillis d’un « Ah, voilà les basiques ! » et j’ai supposé qu’il parlait de la formule que nous avions souscrite. Les « conforts » ont fait volte-face pour nous dévisager, ce que j’ai trouvé limite inconvenant, mais ils ont rapidement été distraits par le guide qui leur a distribué leur équipement : jumelles, lunettes à vision nocturne, cartes et boussoles, couvertures de survie, fusils et balles. Tout ce petit monde faisait des essais et rangeait son barda dans des sacs. Comme personne ne s’occupait de nous j’ai fini par appeler le guide pour lui demander ce qu’on avait, nous, pour nos 100 € forfaitaires. Il m’a répondu « Une heure d’avance ». J’ai ri. Il a regardé sa montre et a dit « Ça commence dans 5, 4, 3, 2, 1… go ! ». On a mis un moment à réagir. Le temps de comprendre qu’il ne déconnait pas.


On est très bien planqués dans cette cave. On y est depuis deux jours. Mais je vais bien devoir sortir tôt ou tard : ma femme perd beaucoup de sang et il va falloir de quoi la panser et nous nourrir très vite. Si on s’en sort, on s’est jurés de plus jamais mégoter sur le budget « loisirs ».

 

19 juin 2010

La cabane du vieux (Poupoune)

Pour autant que je sache, le vieux Jourdin avait toujours été surnommé le vieux Jourdin. Il avait fait vieux très jeune. Je lui avais toujours connu les cheveux gris, la démarche pesante et voutée et le geste lent.

Le vieux Jourdin habitait la maison du marais, qu’on appelait comme ça même si personne n’avait connu le marais avant qu’il soit asséché. Et quand on venait par le chemin des lilas en allant vers chez les Puche, on apercevait derrière la maison du marais du vieux Jourdin ce qu’on appelait la cabane du vieux : une remise en bordure du bois, toute de planches branlantes et disjointes, qu’entourait un vrai mystère.

Personne ne savait trop bien de quoi vivait le vieux Jourdin. C’était un taiseux solitaire qui n’aimait pas le monde et que le monde n’aimait pas. Il ne quittait que rarement sa bicoque, s’affairait à l’abri des regards dans son jardin et traversait parfois son terrain pour gagner sa cabane près du bois et s’y enfermer pendant des heures.

Il ne venait presque jamais au village et quand il s’y aventurait, c’était aux heures où il savait qu’il ne risquait pas de rencontrer trop de monde. Ceux qui croisaient son chemin s’en écartaient prudemment tout en l’observant attentivement et racontaient ensuite pendant des jours ses moindres faits et gestes.

Le vieux Jourdin faisait office de Croquemitaine. Gamine, mes parents me faisaient manger mes brocolis en me menaçant de m’enfermer dans la cabane du vieux si je rechignais. Son nom avait fait trembler des générations d’enfants et sa cabane avait nourri les fantasmes horrifiques des petits et des grands. Au bistrot, les ivrognes inventaient des histoires toutes plus extravagantes les unes que les autres mettant en scène le vieux Jourdin dans sa cabane et leurs épouses en secret se rêvaient amantes aventureuses en son antre.

Mais pour finir, personne ne savait quoi que ce soit du vieux.

 

Quand il est mort, personne ne s’en est aperçu et c’est le facteur d’été, le remplaçant de Gilot, qui a découvert son corps longtemps après en voulant lui apporter son courrier.

Le village entier a fondu sur la maison du marais pour tenter d’y découvrir des bribes de la vie du vieux Jourdin, mais cet homme semblait être une abstraction tant il ne possédait rien de personnel. Pendant que les adultes fouillaient la maison, les enfants, eux, s’étaient agglutinés autour de la cabane. Certains tentaient d’apercevoir quelque chose à l’intérieur par la serrure ou les interstices entre deux planches, mais il y faisait un noir d’encre et on ne distinguait rien. Etant la plus grande du groupe, c’est moi qui ai finalement pris mon courage à deux mains et ouvert la porte grinçante de la cabane mystérieuse. Je n’ai d’abord pas bien compris ce que je voyais, le temps que mes yeux s’accommodent à la pénombre du lieu. Les petits derrière moi trépignaient sans oser passer la porte. La pièce était plus vaste qu’elle ne paraissait de l’extérieur et ses murs étaient entièrement tapissés de photos. J’ai immédiatement imaginé toutes les horreurs dont j’avais déjà entendu parler ici et là au détour des conversations d’adultes : enfants nus, corps mutilés, victimes martyrisées… mais quelque chose clochait. Une petite table sur laquelle était posée une lampe à gaz occupait le centre de la cabane. J’ai allumé la lampe et l’ai approchée des photos, m’attendant à défaillir devant l’horreur, mais incapable de ne pas regarder.

En fait de monstruosités, il s’agissait de photos des gens du village. Habillés. Et vivants. Presque quatre générations d’habitants, photographiés pendant tous les événements, petits ou grands, qui avaient rythmé la vie du village depuis… combien de temps ? Quel âge pouvait-il bien avoir, le vieux ? Des tas de gens m’étaient inconnus, j’étais trop jeune, mais j’en reconnaissais que j’avais vus en photo ailleurs : des grands-parents et même quelques arrière-grands-parents. Les miens notamment. Je reconnaissais les lieux également. La fête de l’école l’année juste avant que j’y entre. L’enterrement de la fille Monier qui s’était noyée une semaine avant l’anniversaire de sa mère. La fanfare le jour de la victoire de l’équipe de pétanque au tournoi intercommunal. Le mariage des parents de Pascaline. La fête pour la retraite du père Puche. Des centaines de photos punaisées dans le désordre sur ces murs branlants. Et au sol et sur la table des tas de feuilles noircies d’une écriture fine et élégante.

 

Les adultes ont fini par nous virer de la cabane et ont farfouillé dans les photos et la paperasse. Il s’est avéré que le vieux Jourdin, sous ses airs d’ermite, était un observateur incroyable. Ses liasses de feuilles griffonnées, mieux qu’un journal, étaient un véritable roman, une saga de la vie du village pendant presqu’un siècle. Tout le monde y avait sa place. Pas un minot, pas un alcoolo, pas une mégère ne manquait.

Sous sa plume, nos vies, qui nous semblaient être au mieux d’un ennui mortel, au pire pathétiques, devenaient de véritables contes pleins de tendresse et touchants de simplicité et d’authenticité. Dans ses pages nous étions beaux. Nos histoires étaient jolies. Nous n’étions plus des culs-terreux oubliés et oublieux, mais les véritables symboles d’un mode de vie érigé en art. Le mythe terrifiant de la cabane du vieux était tombé d’un coup : point de cadavre sous les lattes du plancher. Cet homme à qui personne n’avait jamais parlé nous avait tous aimés au point de consacrer tout son temps au récit enchanteur de nos existences. Comme il n’avait aucune famille, c’est la commune qui a hérité de ses biens et il a été décidé en conseil de proposer l’œuvre du vieux Jourdin à un éditeur. Le projet a mobilisé tout le village pendant des semaines et une fois prêt, le précieux manuscrit a été soumis à plusieurs maisons d’édition qui se sont presque battues pour le publier. Autant dire que le contrat signé par la commune a été des plus juteux. Le roman, publié en trois tomes, a rencontré un succès tout-à-fait stupéfiant et les droits ont été vendus à la télévision pour une petite fortune supplémentaire.

Cinq ans après la mort du vieux Jourdin, l’argent engrangé a permis au maire de mener à bien un projet qui lui tenait à cœur : la maison du marais et la cabane du vieux ont enfin pu être rasées pour permettre le passage de l’autoroute et l’aménagement d’un péage, devenu une véritable manne pour la commune.

 

Le vieux Jourdin ne doit même pas pouvoir se retourner dans sa tombe, ensevelie sous les tonnes de béton de la rampe d’accès.

 

5 juin 2010

mon rêve bleu à l’âme (Poupoune)

Dans mes rêves les plus fous, je collectionne les scalps des hommes qui m’ont fait souffrir. Et je dis scalps pour être polie, parce que très sincèrement ce que j’aimerais leur prélever se situe beaucoup plus bas dans leur anatomie.

Dans mes rêves de femme forte et vengeresse, c’est avec les dents que je leur arrache ce trophée, pour me consoler des peines qu’ils m’ont infligées.

Dans mes rêves de Gorgone irascible, d’un regard je paralyse d’effroi ces monstres d’égoïsme et de suffisance et d’un coup je les prive de cette virilité qui leur est si chère.

Dans mes rêves de succube insatiable, je les envoûte de mes charmes démoniaques avant de leur crever les yeux et de leur dévorer le cœur.

Dans la vie, je n’arrive pas à ne pas les aimer et je ne collectionne que les bleus, les plaies et les bosses.

     
29 mai 2010

brûlot (Poupoune)

J’ai brûlé une première bougie en me disant que ça me ferait sûrement penser à l’amour qui a consumé mon cœur jusqu’à n’en laisser plus que des cendres. Ça n’a pas marché, j’ai seulement pensé que ça mettait drôlement longtemps à se consumer, une bougie.

J’ai essayé avec une deuxième, dont un peu de paraffine m’est tombé sur le doigt. Alors j’ai pensé que c’était étonnant que ça ne m’ait pas fait mal et j’ai joué avec les gouttelettes qui coulaient le long de la bougie jusqu’à me brûler. A partir de là, j’ai essentiellement pensé « putain de merde mais quelle conne ». Approximativement.

A la troisième bougie, je me suis souvenue de la question de ma fille deux jours plus tôt, qui me demandait pourquoi il y avait du bleu dans les flammes. J’ai pensé que je n’en savais foutre rien, mais que j’aurais pu lui répondre un truc bête comme « parce que ce sont les fleurs bleues qui brûlent d’amour ».

En allumant la quatrième bougie, j’ai pensé qu’il fallait absolument que je reste bien concentrée sur cette flamme et rien d’autre, pour que ça fasse naître de belles pensées. En la regardant brûler, j’ai pensé qu’il fallait absolument que je reste bien concentrée sur cette flamme et rien d’autre, pour que ça fasse naître de belles pensées.

Je ne vous ferai pas l’énoncé complet des pensées qui m’ont traversé l’esprit pendant la combustion des bougies 5 à 9, sachez simplement que la plus con était « tiens, mon frigo respire comme un ogre » et la plus profonde… non, oublions la plus profonde. Autant que vous puissiez croire que je suis effectivement capable de profondeur.

A la dixième, j’ai pensé que j’avais un sacré stock de bougies. Il faut dire qu’outre les « restes » traditionnels de l’anniversaire pas rond qui ne tombe pas sur un multiple de nombre de bougies dans une boîte, j’avais également un paquet neuf de bougies « princesses », acheté sans doute en trop lors des dernières festivités pour ma descendance. J’ai pensé aussi qu’il faudrait donc que j’en rachète pour son prochain anniversaire.

L’atmosphère commençait à devenir un peu étouffante. La fumée s’élevait, en volutes que je devinais élégantes à la faible lueur de mes bougies, mais mes pensées toujours pas.

J’ai fini par tricher en allumant deux bougies à la fois et j’ai essentiellement passé le temps qu’elles ont mis à fondre à me demander laquelle s’éteindrait la première. Mon incapacité absolue et très inattendue à me sentir inspirée par ces saloperies de flammes a commencé à me miner un peu.

Pour finir, il ne m’est venu aucune pensée digne de vous être donnée à lire ce soir. Aussi ai-je décidé, puisque je n’ai plus de bougies, mais qu’il me reste des allumettes, de m’immoler par le feu et d’essayer de vous envoyer mes pensées de l’au-delà.

Si ça marche, la prochaine fois, brûlez un cierge.

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Le défi du samedi
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