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Le défi du samedi
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26 mars 2011

Sang d'encre (Poupoune)

Au fond de l’encrier, un peu de sang séché. Seule trace de l’hypothétique victime d’un éventuel crime qui aurait peut-être été commis ici.

La disparition de la jeune-femme nous avait été signalée quelques heures plus tôt. Ses proches étaient sans nouvelles depuis une semaine. Tous s’accordaient à dire que ce n’était pas normal. Son domicile ne présentait aucune trace de lutte, aucun désordre inhabituel. Si je n’étais pas tombé par hasard sur ces quelques gouttes de sang, on n’aurait sans doute pas poussé plus avant la recherche d’indices.

On a relevé des tas d’empreintes. Et un poème.

Le poème était d’une platitude à pleurer, un genre de déclaration d’amour torturé aussi pauvre dans le vocabulaire que dans la rime, mais il était joliment écrit sur du beau papier épais qui ne semblait venir d’aucun bloc ou cahier trouvé sur place. L’écriture soignée ne ressemblait à rien de ce que notre disparue avait écrit d’autre. Ce que le graphologue a confirmé : non seulement ça n’avait rien à voir avec l’écriture de la jeune femme, mais en plus le poème avait été écrit à la plume d’oie. Et il n’y avait rien dans l’appartement qui ressemblait à une plume, d’oie ou de n’importe quel autre volatile.

On a fait défiler tous les propriétaires des empreintes qu’on avait relevées, pour les interroger et les éliminer de la liste des suspects. Même si on ne savait pas exactement de quoi on aurait pu les suspecter. Restait un jeu d’empreintes qui ne correspondait à aucune relation connue de la jeune femme. On a interrogé tous ses parents et amis au sujet d’un éventuel amoureux romantique et potentiellement transi, mais personne n’avait entendu parler d’un quelconque prétendant. On a donc confié le poème et l’encrier aux scientifiques en espérant qu’ils sauraient en tirer des pistes à explorer et, de mon côté, j’ai poursuivi mes recherches auprès du plus grand spécialiste en poésie que je connaissais : notre médecin légiste. Il était féru de belles lettres et versifiait lui-même à ses heures perdues. Je ne sais pas s’il était bon ou mauvais, mais je suis presque sûr qu’il était le seul à faire rimer « romantique » avec « rigidité cadavérique ».

Quoi qu’il en soit, à la lecture des quelques vers de notre poète inconnu et suspect, quand il a demandé s’ils avaient été écrits à la plume sur papier vélin, j’ai senti qu’on tenait quelque chose.

-          Il y a ce type… un jeunot qui se prend pour Rimbaud parce qu’il a la même coupe de cheveux... c’est son style. Et toute la richesse de ses œuvres tient dans la qualité du papier et la calligraphie. Ça pourrait être ton gars.

-          Et tu le connais comment ?

-          On fréquente les mêmes lieux de perdition.

-          Tiens donc ?

-          Des cafés littéraires où les rimailleurs de mon genre peuvent déclamer leur poésie devant d’autres rimailleurs.

J’aime quand le hasard et la chance font de leur mieux pour m’être favorables. J’ai demandé au légiste de m’emmener dans ces cafés et de me dire en chemin ce qu’il savait du bonhomme.

-          Je dirais qu’il est encore plus mauvais poète que moi.

-          Tu es mauvais ?

-          Ce n’est sans doute pas à moi de le dire. Disons que lui a reçu en plusieurs occasions des critiques plus sévères que moi.

-          Ah… et il prenait ça comment ?

-          Mal. Mais sans doute pas au point de tuer ses détracteurs, si c’est le sens de ta question. Il m’avait demandé conseil une fois…

La chance a continué de nous sourire et dès le premier café, le patron a su nous dire où trouver notre poète suspect : il logeait dans l’appartement à l’étage, alors on est montés le voir.

-          Comme ça, tu donnes des conseils aux aspirants poètes ? Tu dois pas être si mauvais alors…

-          Moi j’ai surtout une matière première originale. Lui… Un type lui avait dit qu’il devrait arrêter un peu les mièvreries et tremper sa plume dans ses tripes plutôt que dans l’eau de rose. Il voulait savoir ce que j’en pensais.

Mon téléphone a sonné en même temps que nous frappions à la porte du poète. Elle n’était pas fermée et des bruits étranges provenaient de l’intérieur. J’ai répondu à l’appel tout en poussant la porte. C’était un gars du labo.

-          On a analysé l’encre du poème.

J’apercevais notre poète, apparemment en train d’écrire. Une jeune femme était assise près de son bureau et…

-          Et ben en fait, c’est pas de l’encre !

… il trempait régulièrement une plume dans…

-          Et vous ne devinerez jamais ce que c’est !

… la fille ? Le ventre de la… Bon sang ! Je n’étais pas bien sûr de ce que je voyais. C’est la voix du légiste qui a confirmé mon impression :

-          Merde. Je lui avais dit que moi, ma plume, je la trempais plutôt dans les tripes de mes victimes, mais… enfin… c’était une image !

J’ai complètement gâché l’effet du type du labo en concluant ses révélations à sa place :

-          C’est du sang.

 

 

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Commentaires
C
On ne dira jamais assez la dangerosité des mauvais poètes ! :-))
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V
Doux rhésus! J'en tremble encore. M... une tache!
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T
De l'encre pas très sympathique !
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B
Une histoire a vous glacer le sang !!
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V
un vrai polar ce sang dans l'encrier !!<br /> il faut se saigner aux quatre veine pour pondre un tel récit
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M
Du Poupoune sang pour sang !
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W
Poupoune, sa plume me fout les f'oies !
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T
Il faut avoir les tripes bien accrochees.De vieux rêves non assouvis.Remarques le tatouage ce n est que de l encre dans le sang. Merci pour cette histoire, je prends mon tripe Grace a ta plume
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J
Ca sent le règlement de comptes entre littératueurs !
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B
Si les mauvais poètes se mettent à tuer pour trouver l'inspiration il va falloir faire gaffe. Enfin, les autres, parce que "jeune femm"e, ça y est, j'ai passé l'âge.<br /> Bravo Poupoune.
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S
Poupoune, le retour! toute en hémoglobine et en poésie. Un classique, quoi!
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J
Ah, ah, s'il avait été peintre, il aura pu commettre un tripe-tique ! ;-)<br /> <br /> Ravie de te relire ici, Poupoune ! ♥
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