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Le défi du samedi
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12 septembre 2009

La nuit s‘avance (Virgibri)

Sous un soleil de plomb Sur les marches glacées Mes pas résonnent Ma bouche est sèche J’ai mis mon habit d’oiseau noir Sans ailes Celui qui me ceint Les larmes se retiennent Et puis tout se restreint Regards portés vers les Autres Que je veux plein d’amour Mais tout est aveugle Tout est assourdi Il n’y a rien sur mes lèvres Juste le silence Parfois l’ébauche d’un sourire Je me retourne Tout le monde est là Les assis Les debout Les vivants Qui voudraient le rejoindre Et le mort Tellement vivant Que l’on entend son rire Taper contre les vitraux Ma voix s’élève Je dis des mots Auxquels je ne crois pas Je ne retiens que l’Amour C’est déjà trop Et pas assez Ma voix s’élève Et se fait plus sûre Ma voix assène Ma voix martèle Il faut aimer Nous devons aimer Face à la bière C’est dérisoire Et puis si vrai Ma voix s’arrête Les larmes coulent La gorge sèche J’enveloppe d’un regard Tous ceux qui l’aiment Tous ceux qu’il aime Le savent déjà trop C’est le manque qui est insupportable C’est l’absence Qui devient présence Et que l’on hait Quelques gouttes bénies Sur son corps meurtri Sur son corps éteint Au-dessus du portrait Au sourire immense Un défilé sans fin Un amour sans fin Une douleur sans fin La fin la fin Je ne veux pas achever Il le faut bien A-t-on le choix?

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5 septembre 2009

Avant la sonnerie (Virgibri)

Ohlalala, j’espère que j’vais être dans la classe à Chloé ! Kevin est là. Il est trop beau ! En plus il a bronzé. J’adoooore son t-shirt !

Bon, voyons un peu les gagnants de cette année. Pourvu que je n’aie pas encore Kevin en cours. Il a l’air toujours aussi… kévinesque. Les minettes sont drôles avec leur sac au creux du bras. Tiens, lui, il va arrêter de faire l’amour à son chewing-gum dès que nous serons en classe.

Vas-y, c’est quoi ces profs ? I’ sortent d’où ? Non, mais t’as vu sa tronche à c’ui-là ? Pourquoi elle m’regarde comme ça, la prof ? P’tain, j’la sens mal, c’te année ! Qu’est-ce que j’fous là ?

Je vais faire avec eux l’argumentation, d’abord. En lecture intégrale, Candide. Ou bien Orwell. Cela dépendra de leur  niveau. En même temps, la méthode du commentaire composé pour leur faire faire l’Eldorado en lecture analytique personnelle. Plusieurs apologues pour varier les plaisirs, et j’en mettrai quatre sur leur liste de Bac. Après, en lecture complémentaire…

Wouah, l’beau gosse ! Tes darons t’ont acheté les nouvelles Nike ? Trop cool.

Il ne faut pas qu’ils devinent que je suis néo-tit. Ne pas sourire. Oui, c’est ça, je ne vais pas sourire. Et puis faire de la discipline de suite. A l’IUFM, ils ne savent pas ce que c’est, eux, d’être en ZEP. Je crois n’avoir rien oublié ce matin. Je vais vérifier encore mon cartable. Ne pas sourire.

Pffff, ce qu’ils sont nuls ! Ils se la pètent mais c’est tout ce qu’ils savent faire. Moi je veux mon Bac. Mes parents ont raison.

Non seulement je dois gérer la rentrée, mais aussi les profs. Je sens bien qu’ils ne m’ont pas trop écouté hier, à la réunion. Pourtant, je trouvais mes efforts payants. Il y en a déjà trop qui viennent se plaindre. J’en ai pour des heures de boulot à tout refaire…

Si je garde ces heures de cours du vendredi matin, je ne vais pas pouvoir tenir. C’est effroyable. Je n’ai qu’un tiers-temps et ils me mettent tout le matin. Oh, que je suis mal ! Je sens les angoisses revenir. Il faut absolument que j’en reparle au proviseur.

Elle a l’air jeune la prof d’espagnol ! T’as vu ? Tu crois que c’est sa première année ? A ton avis, notre prof principal, il enseigne quelle matière ? Il est trop mignon !

Allez, c’est ma classe maintenant. On va pouvoir monter après l’appel. Ils ont de bonnes têtes. Je vais juste leur faire un peu peur au début. Après, je relâcherai la pression. Quelle angoisse, quand j’avais leur âge…

On m'a appelée ! Chloééééééééééééééé !

Installez-vous dans le calme. Je vais faire l’appel…

 

20 juillet 2009

Coup de soleil (Virgibri)

Nous étions allongées dans l’herbe, protégées du sol par un mince plaid. Nous discutions de choses et d’autres, à l’abri de l’ombre majestueuse du cerisier de son jardin. Parfois, le soleil s’immisçait entre les feuilles, et je devais fermer les yeux pour éviter ses rayons.

Je portais une robe légère, fleurie, aux pans assez longs. J’avais retiré mes sandales, et mes pieds frôlaient l’herbe fraîche. Au détour d’un silence, je fermai les yeux, en souriant. J’étais bien.

Dans une demi-somnolence, je sentis qu’elle bougeait. Je crus entendre sa respiration près de mon oreille, et je frissonnai, en cet après-midi estival. Je pensai m’endormir.

Je crus que le vent se levait et faisait bruire les feuilles. Un souffle passa sur mon décolleté. Mes cheveux recouvrirent mon visage, pendant que mes seins pointaient, à cause de la brise fraîche et légère.

J’avais chaud, pourtant. De petites bêtes grimpèrent dans mon cou, puis le long de mes jambes. Je ne cherchai pas à les pousser ni à les faire disparaître, trop abandonnée au sommeil, nonchalante.

Le vent souleva soudain ma robe et laissa mes jambes à l’air libre, enfin. Je voulus les resserrer pour garder une certaine dignité, mais, malgré mon état, je me dis qu’elle dormait elle aussi, et que personne n’entrerait dans son immense jardin isolé. Je restai donc ainsi.

Les bêtes continuaient de grimper et de descendre le long de mes mollets, de mes cuisses, de mes hanches, parfois. C’était des allées et venues incessantes et discrètes, des frôlements d’insectes, doux comme des caresses.

Je plongeai dans ses sensations délicieuses et m’abandonnai. Les mille pattes vinrent jouer le long des dentelles de mes dessous, de façon insidieuse. Je crois que je gémis légèrement. Les pattes restèrent longtemps là, à chercher leur chemin, leur route perdue vers on ne sait quel trésor, vers on ne sait quelle nourriture.

Puis tout s’activa.

Je rêvai, je crois.

Au moment où je me réveillai en criant, je me relevai, cambrée, les mains au sol, les yeux fermés : le soleil était en moi.

14 juillet 2009

Cours de géographie (Virgibri)

Dans les vallées

Dans les monts

De son corps

Je m’endors

Et me fonds

Dans les rebonds

Et les soupirs

J’atteins alors

Le frémissement

Et les délices

Ses seins de neige

Mes îles flottantes

Mes oasis

Et elle soupire

Et demande grâce

Dans les grottes

Dans les cavernes

Où je me cache

Il y a une femme

Qui s’endort

En souriant

13 juillet 2009

La féline dort (Virgibri)

_F_e

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10 juillet 2009

Une fenêtre ouverte (Virgibri)

_Dali


Tu avais tout ouvert

En grand les fenêtres

Un entrebaillement de porte

Les cadenas ont sauté

Plus de limites

Plus de sanctions

Pas de punitions

Tu avais la clef

Celle que personne n’avait trouvée

Tu avais effacé le F

De la serrure

La clef était clé

Clé de sol

Clé de ciel

Clé de soi

Aujourd’hui j’ai tout jeté

Tout fermé

Il y avait trop

De courants d’air

Dans mon cœur ouvert

J’ai fermé les fenêtres

La porte

Ma bouche

Et j’ai remis le F

Qui saura

A nouveau

Le décrocher ?

1 juillet 2009

Dallas (Virgibri)

Chapitre LXVII


Pamela était allongée sur sa natte en osier. Elle demanda à John de lui remettre de la crème solaire. Lui, ne sachant s’il devait faire de ce geste une banalité ou bien le tourner en moment sensuel, hésita un instant.

_ Johhhhhn ?, roucoula-t-elle.

_ Oui, oui, j’attrape la bouteille au fond de votre sac, Pamela.

_ Merci…, et elle soupira d’aise, replongeant son visage au ras du col.

Il faisait si chaud que des gouttes de sueur perlaient à leur front, le long du dos, sur le nez, et au-dessus des lèvres… Il mourait d’envie de les lui sécher.

Mais il étala un peu de crème dans ses mains, et, au moment où il pensa à retirer sa chevalière pour glisser langoureusement sur la peau de Pam, entendit une voix perçante :

_ Oh my God ! John, c’est toi ?

Ses mains pleines de crème solaire se suspendirent en plein élan. Il avait toujours détesté sa façon sèche d’attaquer les dentales.

Pamela releva la tête et abaissa ses lunettes noires sur le bout de son nez aquilin.

23 juin 2009

Le côté obscur du jour (Virgibri)

 

J’en compte seulement cinq, ce soir. Les autres ont dû se planquer, encore. Je sais bien qu’ils m’observent. Ce qui me perturbe, c’est que je m’étais préparé à en voir au moins huit. Je les avais invités pour baisser leur garde.

J’ai tout bien pensé, ça, c’est sûr : les boissons, les gâteaux apéros, les petits fours. Mais comme j’ignore ce qu’ils mangent vraiment, j’ai ajouté des saucisses, des légumes, des brochettes de bœuf et du fromage. Je n’ai pas encore tout sorti, mais je suis dans les starting-blocks depuis trop longtemps pour être surpris.

Quoique.

Deux d’entre eux-les chefs de la meute, je suppose- semblent renifler : leurs nez s’agitent. Ce n’était pas arrivé jusque-là.

Je me ressaisis : mon plan est bien ourdi, pas de panique. Ils s’avancent un peu. Leur odeur faisandée m’a toujours donné envie de vomir. Je dois me retenir. Pas maintenant. Ne pas tout gâcher pour un simple haut-le-cœur.

Je dois attendre que les trois autres débarquent. Ils ne vont pas résister cette fois, je le sens. Ils aiment l’odeur de ma sueur quand il fait chaud. Je l’ai compris il y a environ dix ans : j’étais au bord d’une plage, en train de flemmarder au soleil avec ma femme, quand je les ai vus pour la première fois. On ne me la fait pas : j’ai donc choisi une journée estivale pour les exterminer. Même la météo pouvait contrarier mes plans. Mais là, il fait vraiment chaud, presque lourd. Le temps va tourner à l’orage, à n’en pas douter. Pas grave : ça couvrira le bruit…

Je reste toujours face à eux. Ne jamais leur tourner le dos est une règle d’or. J’ai commis l’erreur une fois, pas deux. La femelle avait alors voulu me mordre au sang. Le mâle s’était ensuite jeté sur elle, non pas pour me sauver, mais pour défendre son bon de gras : il ne supporte pas que l’on touche à son garde-manger ni à ses jouets. Je m’en étais sorti cette fois encore, grâce à l’apparition de la nuit : ils ne vivent que le jour. Je me demande si ces deux-là s’étaient accouplés après leur dispute…

Je vois leurs babines frétiller. J’ai lentement sorti le plateau qui contient la viande, sans geste brusque. J’aurais pu parier sur leurs préférences culinaires. Je jette environ dix morceaux de viande un peu au hasard devant eux. Ils se ruent dessus. Et ils se sont encore rapprochés. Une fois qu’ils auront passé la ligne fatidique que je me suis tracée mentalement, j’appuierai sur le détonateur. Mais ils sont encore un peu trop loin…

J’espère avoir assez de viande.

L’atmosphère est étouffante. Une goutte de sueur perle à mon front. Le ciel commence vaguement à s’assombrir et j’entends au loin le tonnerre de façon assourdie.

Leurs yeux rouges ne me quittent pas du regard, même lorsqu’ils dévorent la chair. Je vérifie une énième fois que le détonateur est bien dans ma poche de veste. Je jette encore de la nourriture, plus près de moi, cette fois.

Le mâle dominant arrête les autres d’un mouvement de tête. Il me défie. J’essaye de sourire et de montrer mes paumes retournées, vides. Il renifle. Grogne un peu. Vas-y, grogne, je suis habitué, depuis le temps.

Il donne le feu vert aux autres. Ils avancent lentement quand même. Je n’en peux plus, l’air est si moite ! Le tonnerre se rapproche. Allez, avancez, bon sang ! Qu’on en finisse ! Que vous me foutiez enfin la paix…

Ça y est, ils y sont. Là, j’ai une chance de les avoir. Je savoure l’instant. J’entends le clapotis de quelques premières gouttes dehors. Je souris vaguement. Je n’ai pas souri depuis des années, je crois. Ma main est au-dessus de ma poche. Je suis prêt. Je suis si prêt de la libération…

Mais non ! NON ! C’est le noir ! Les plombs ont sauté ! Non ! J’allais enfin vous tuer ! NON !

 

 


_ P’tain, j’en ai marre de c’lui-là ! Il n’a qu’une piqûre par jour, mais quel bastringue à chaque fois !

_ Ouais, je sais : les autres tarés de l’étage sont plus faciles à gérer. Tu les bourres de quelques cachets, et hop, i’s’tiennent à carreau.

_ Va encore falloir que je lui mettre deux baffes pour l’calmer.

_ Vas-y mollo quand même : on sait pas c’qu’i’ raconte aux psy’…

_ Allez, c’est bon, il a eu sa piquouze : éteins la lumière. On est tranquille jusqu’à demain.

 

16 juin 2009

Hors ligne (Virgibri)

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. J’aurais dû dire non à ce énième trajet, mais le capitaine 47 était cloué au lit. J’étais le seul pilote disponible. J’en ai pourtant plein les pattes, et le décalage horaire me tue. Je n’ai même pas eu le temps de me remettre de l’aller-retour en Argentine.

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. Encore une énième conférence sur l’œuvre de Proust à donner. Mais qu’est-ce qui m’a pris de me spécialiser sur un auteur aussi célèbre et couru ? J’aurais dû en choisir un quasi inconnu du grand public. Mais bon, Marcel et moi, ça date d’il y a si longtemps… Je me souviens de cette première lecture Du côté de chez Swann, difficile et inaccessible, tant et si bien que je me devais de recommencer par plusieurs fois les phrases aux tournures alambiquées, aux sujets rejetés, aux propositions emboitées – et la merveille, la révélation à mon cerveau lorsque ce puzzle devenait une image nette et splendide, un tableau de maître auquel j’avais enfin accès, comme un pirate découvrant par miracle la malle aux trésors ardemment cherchée pendant des années !

Au moment où le réveil a sonné, j'ai r’gretté d'avoir accepté ce voyage. Bobonne qui réclamait un cadeau pour nos trente ans de mariage, et patati et patata. On verra le carnaval, blabla. Ouais, ben moi, tout ce qui m’intéresse dans c’t’histoire, c’est de voir des minettes rouler des hanches gratos devant moi, avec leurs gros lolos qui s’agitent, sans que mémère vienne râler !

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. Je n’avais pas envie de laisser les enfants à mes beaux-parents, ces gens sans goût et sans tendresse, qui nous avaient reproché tant de fois « d’avoir fait des mômes en toute indécence », puisque nous n’étions pas mariés. Le reproche changera dorénavant, puisqu’on nous parlera d’avoir tant tardé, d’avoir jeté l’opprobre sur la famille, tout ça. Mais au moins, nous sommes unis officiellement maintenant. Je me moquais de ce que nos familles pouvaient penser. Mais protéger les enfants, c’est tout ce qui m’importe. Et voilà qui est fait. Sébastien voulait absolument que nous partions loin pour notre voyage de noces, et seuls pour que l’on se retrouve vraiment, a-t-il dit. Moi, je me retrouve quand ma tribu est là : mon amour, ma petite princesse et mon petit homme … Un voyage en France m’aurait suffi, et les enfants, ce sont mes rayons de soleil. Pas besoin de partir de l’autre côté de l’Atlantique pour être heureuse.

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. Je n’ai plus l’âge de faire des orgies, je crois. Le nouveau petit steward était pourtant à croquer, et je ne regrette pas cette nuit passée à le dévorer. Je pense qu’il a été surpris de découvrir que le mythe de l’hôtesse de l’air n’est pas mort… Si je le retrouve sur un prochain vol, je lui ferai danser la capoiera à deux sous les draps ! Oh punaise, ma tête… Mes amis aspirine et fond de teint vont encore me sauver. Allez, je vais appeler un taxi pour ne pas être en retard cette fois-ci.

Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage. Mon psy m’avait dit : « Prouvez-vous que vous êtes acteur de votre vie ! » Le seul truc que j’ai trouvé à faire, puisque je passais des heures sur le net, ça a été de surfer sur des sites de voyages de dernière minute. Une offre irrésistible, hors saison, au soleil, avec l’excuse culturelle du carnaval. J’ai été un bon danseur, autrefois. Enfin, surtout avec Michèle. Bien avant qu’elle ne me quitte. Je me suis dit qu’aller là-bas, en terre de la samba, me redonnerait peut-être l’envie de danser, et que je pourrais reconquérir Michèle…

 

 

Au moment où le téléphone a sonné, j’ai regretté d’avoir accepté ce poste de dirigeant d’une compagnie aérienne…

8 juin 2009

Le dernier homme (Virgibri)

Le dernier homme sur la Terre était assis tout seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte...

Dans un premier temps, il crut avoir mal entendu. S’être trompé. D’un geste lent, il se tourna, sans un bruit.

Le coup recommença.

Stupéfié, l’homme s’approcha d’un pas lourd et tremblant. Il fut si lent encore, que, pour la troisième fois, on frappa à nouveau. Les coups étaient secs, rapides, nets. Aucune hésitation dans le geste.

Enfin parvenu à la porte, la main sur la poignée, l’homme sentit une goutte de sueur s’insinuer dans son dos et glisser le long de sa colonne vertébrale. Pourtant, il se sentait glacé.

Il tourna la poignée. Sa main moite collait à celle-ci.

Il entrouvrit la porte.

Personne.

Personne n’était visible.

En revanche, ce que l’homme laissa perplexe, ce fut la pluie. Il pleuvait de grosses gouttes abondantes et irrégulières. Il se retourna avec précaution, et vit dehors, par la fenêtre, un soleil éclatant…


 


Comme il est stupide, celui-là ! Quel spécimen !

D’un autre côté, il est drôle. J’adore lui faire des farces. Certes, j’y suis allé un peu fort avec la fin de son monde… Mais le coup de la porte ! Qu’est-ce que ça me fait rire ! J’en pleure à chaque fois…

Au moins, maintenant, les Hommes ne me font plus pleurer de désespoir…

3 juin 2009

City trotteuse (Virgibri)

Affiche_oeil

Je suis de tous les voyages, quand je le désire. Je vogue dans l’espace et dans le temps.

Ce matin, j’ai commencé par l’Espagne avec un jus d’orange, puis saut de puce vers les Caraïbes, avec un yaourt citron vert coco. Et l’Italie, comme tous les jours, avec mes deux espresso.

Puis direction la ville lumière en scooter.

Quand j’enfourche mon fidèle destrier à moteur, je me sens comme une jeune femme outrancière du XIXème siècle qui osait monter à cheval à la cavalière. Une fois mon casque mis, je deviens pilote d’une 500cc, ou encore spationaute, peu importe.

Ma galaxie est vaste.

Place Péreire, Villiers, Malsherbes, Saint Sulpice, Madeleine, Opéra, le Louvre : quartiers chics, mais leurs pavés tape-cul qui fanfaronnent tout du long, me projettent en Inde ou en Afrique.

Le long des quais, j’ai droit à ma petite madeleine proustienne, qui me ramène des années en arrière, quand je me baladais là, à pied…. Mais quand était-ce ? Un été parmi tant d’autres, sans doute.

Le bazar de l’hôtel de ville, empli de bourgeois bohème, de vieilles dames qui cherchent un tapis d’évier, mais surtout de touristes, me rappelle où je suis. Des housses de coussins splendides m’emmènent encore en Inde, et le thé Kusmi en Russie…

L’hôtel de ville en lui-même, d’où je ressors armée de paquets, sous ce ciel divinement parfait, me fait penser à la piazza Navona, à Rome...

Je prends le temps de tout admirer avant de repartir. La tour Saint Jacques, sur le trottoir gauche de la rue de Rivoli (encore l’Italie), et c’est Breton avec sa clique. Desnos. Soupault.

Auber, Place de Clichy, boulevard du même nom : me voilà au Moyen-Orient, avec le roi du poulet hallal, les odeurs de merguez, Tati qui m’appelle. Ben J, le roi de la frite, fait ses livraisons.

Tout est parfait… Jusqu’au moment où une berline blanche se réinsère sans prévenir. Paris. Les voitures qui déboîtent, les deux roues qui défilent, qui défient la ville, qui finissent en boîte…

Tati m’offre une huile de lotus qui m’envoie en Egypte, des maillots de bain bariolés dignes de Miami, des marshmallows américains, des t-shirts faussement punks qui me ramènent à Londres, alors que je suis au milieu du quartier musulman…

Je repars, toujours chargée, avec un sac posé tant bien que mal sur le siège arrière et tenu par un tendeur : je suis sherpa à moteur.

Le temps est parfait. Ni trop chaud, ni trop frais. A peine une brise pour de temps en temps me caresser le visage. Je pourrais être à Madrid, Rome ou ailleurs. J'aurais presque envie de pleurer devant tant de beauté.

Je finis mon voyage sous le soleil de mon balcon, devant une assiette italienne. Mon petit New-York me fait face, sans un nuage pour lui donner de l’ombre. Je termine sur deux ou trois gâteaux que ma mère a rapportés d’Algérie : cornes de gazelle, pâte d’amande, fleur d’oranger… Et sur un verre de menthe et de citron, qui pourrait être un mojito… sans alcool.

Je suis en France. Je suis partout. Je suis bien : je ne vivrais nulle part ailleurs.

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26 mai 2009

Ceci n'est pas un texte (Virgibri)

Ceci n'est pas un texte. 

J’avais quinze ans environ. J’avais choisi une colonie de vacances de trois semaines avec des activités artistiques : photographie, calligraphie, danse.

Danse… Rien qu’à l’idée, j’avais peur. Mal dans mon corps, timide à l’excès, pas encore assez vieille pour comprendre ce que j’aimais dans le corps de l’Autre, complexée. Une adolescente, quoi. Et puis je détestais danser.

Pourtant l’approche de la prof fut aussi déroutante pour moi que géniale. Il s’agissait de danse contemporaine, un peu dans le style de Carolyn Carlson, que je ne connaissais évidemment pas. La première année de cette colo, je me suis tout pris en pleine tête. Tous mes sens étaient en alerte, bouleversés de tant d’émotions. Je le vivais même mal, cet excès.

J’ai décidé l’été suivant de réitérer. J’avais seize ans. J’étais prête, enfin. J’ai pu utiliser mon corps à des fins artistiques, sans être morte de honte. J’ai même fait alors mes premiers autoportraits, genre photographique que je n’ai jamais lâché depuis… Et puis il y avait la danse. J’acceptais enfin les conseils, les directions que mes pas allaient suivre : je recevais, et donc je donnais.

autoportrait

Je comprenais que mon corps pouvait être beau, en lui-même. Qu’il avait son propre langage, et que je pouvais créer sa grammaire, ma grammaire. Depuis, j’ai beaucoup occulté tout cela…

Pour les cours de danse, C. avait un gros poste à cassettes (oui, c’est d’un autre âge, je sais) qu’elle transportait partout. J’y ai entendu mille choses. Mais cet été-là, j’ai pris deux baffes musicales : La Callas, et René Aubry.

C., pour le spectacle de fin de séjour, faisait un solo sur « Casta diva », évidemment interprété par Maria Callas. Je n’avais jamais rien entendu d’aussi beau. J’en ai pleuré, lors de la première répétition. Je m’y revois encore…

Et puis il y a eu René Aubry. Musique instrumentale qui m’a accompagné les années suivantes, dans mon quotidien. On avait du mal à trouver ses albums dans le commerce, et ceux-ci valaient chers, à l’époque. Je les ai toujours.

L’écoute unique des morceaux de la consigne m’a ramenée à lui et à ces souvenirs d’adolescence. Mais si je suis honnête avec moi-même, je n’ai pas pu les réécouter parce qu’à la fin du film que j’ai déroulé de mon passé, j’ai accroché un wagon supplémentaire : vers la fin du deuxième séjour, j’ai poussé ma mère à me dire au téléphone ce qui n’allait pas. Je sentais à sa voix, à chaque fois que nous parlions, elle à la maison, moi dans une cabine, qu’une faille se faufilait. Et je n’avais pas mon père en ligne, lui, le silencieux gourmand de téléphone.

On lui avait découvert des ganglions et il devait se faire opérer. On mettrait en culture pour voir s’il n’y avait rien de malin ; mais lui, le sportif, non fumeur, buveur d’eau, ne craignait rien, n’est-ce pas ?

Nous étions en août 1992.

Il est mort en octobre 1993.



René Aubry. Après La Pluie 2
envoyé par RENEAUBRY. - Clip, interview et concert.

18 mai 2009

Une chanson douce (Virgibri)

16 mai 2009

Perrier (Virgibri)

_ T’as le temps de boire un verre ?

_ Ouais, y’a rien qui presse.

_ Mouarf !

_ Passe-moi le lait, tiens.

_ Il va tourner, mais bon... Moi j’ai plutôt envie de Pepsi.

_ T’as vu la nouvelle ?

_ Laquelle ? La grosse ?

_ Nan, la moche.

_ Mouarf !

_ Ah c’est sûr, on n’est pas gâtés ! Voir leurs tronches aplaties tous les jours, y’a mieux.

_ Et t’as entendu leurs voix ?

_ M’en parle pas ! Tiens, quand j’y pense, je suis vert…

_ Mouarf !

_ Elles sont bizarrement sapées, aussi.

_ Moi j’dis, les donzelles qui se changent au moins deux fois par jour, c’est qu’elles ont pas grand-chose dans le ciboulot.

_ T’as raison. Elles manquent de goût.

_ Mouarf !

_ Bon, allez, faut reconnaître que la petite dernière, elle a beau être ronde comme une pomme, elle est plutôt pas mal.

_ Nan ? Tu le penses vraiment ?!

_ Mais nan, j’ris jaune !

_ Mouarf ! On s’en paye toujours une tranche, avec toi !

_ Mouarf ! Faut bien : la vie est courte, hélas… Un zeste d’humour ne fait pas de mal.

_ Tu m’redonnes du jus pour la journée, quand même !

_ Mouarf ! N’en fais pas trop…

_ Allez, j’vais m’couper en quatre encore pour la petite Cerise du premier…

_ Lâche-lui la grappe, un peu !

_ Oh ça va, hein ! Sois pas amer ! C’est pas parce que t’as pas de gonzesse que tu dois priver les autres d’un peu de douceur.

_ Tu m’fais trop rire jaune, là. J’me casse. J’vais boire un verre.

_ Ouais, paye-toi une limonade !

_ Ah ah, très drôle. Me prends pas pas le citron !

_ Mouarf… Ceriiiiiiiiiiiiiiiiiiiise ?

Perrier

9 mai 2009

L'au-delà de la toile (Virgibri)

 

Phil s’affairait alors que nous n’étions que trois oiseaux de nuit, en plein cœur de cette nuit estivale, à humecter nos lèvres sur les tasses ou à faire semblant. Les cafés refroidissaient souvent trop, mais Phil en resservait toujours du chaud de bon cœur.

Je finissais ma cigarette alors que John et lui parlaient base-ball. Imaginant la tête que j’avais à cette heure tardive, j’ai envisagé de me repoudrer le nez. Tout était lent. Je manquais d’énergie pour aller jusqu’à la porte des toilettes, sur ma gauche. Je savais aussi qu’elle menait aux cuisines, et à l’idée de nager dans des relents de friture, mon cœur se soulevait déjà.

John avait maintenant les yeux dans le vide. Je savais que l’on ne rentrerait pas de sitôt pour autant. Mollement, je me dirigeai vers la porte de toilettes. J’entendis John parler au troisième client, un type que l’on connaissait de vue et qui lisait son journal en mangeant une part de cheesecake.

Etonnamment, je ne plongeai pas dans des odeurs de graillon ou de cuisine : cela sentait presque le propre. Un parfum citronné émergea puis disparut aussi vite qu’il était apparu subrepticement. La porte des toilettes était à gauche. Au fond, celle des cuisines. A droite, une autre porte sur laquelle était inscrit « Staff only » et à laquelle je n’avais jamais porté vraiment attention. Mais là, elle était légèrement entrouverte. J’entendis quelques bruits lointains. Sans savoir pourquoi, prise d’une certaine curiosité, je m’approchai de la porte et penchai la tête.

Il s’agissait des vestiaires pour les employés. La pièce était sombre, à peine éclairée. Mes yeux se sont habitués pourtant assez rapidement. Une employée, celle à qui je devais sans doute la délicate odeur citronnée, me faisait dos. J’aurais dû m’éloigner discrètement, car je devinai qu’elle allait se changer. Mais non. Je restai là, immobile, incapable de bouger.

Elle portait une robe légère surmontée d’une grande blouse blanche aux rayures roses. Au mouvement de ses bras, je devinai qu’elle déboutonnait celle-ci. Sans comprendre, je me mis à frissonner dans ce couloir étouffant. Je suspendis mon souffle. J’aurais presque pu entendre le bruit des boutons pression se décapsulant tour à tour, lentement. On sentait la fatigue de cette femme. Elle soupira en ôtant sa blouse. La robe qu’elle portait était de couleur crème, aussi discrète que la mienne était voyante. Pourtant, je crus deviner ses dessous…

Il fallait que je quitte cet endroit, il était encore temps. Mais non. Aucun mouvement n’était possible. Si je bougeais maintenant, la jeune femme serait surprise et je ne saurais me justifier. Je sentis mon pouls s’accélérer d’un battement d’aile imperceptible. Sa main droite alla masser sa nuque, doucement. J’étais suspendue à cette longue main fine…

Elle s’assit sur le petit banc derrière elle, toujours sans tourner la tête. Elle se pencha. Retira ses chaussures. Et elle massa alors ses pieds délicatement. Je la vis relever ses jambes l’une après l’autre, les appuyer contre les casiers des vestiaires, et ôter ses bas. J’étais suspendue à ces jambes tendues comme un fil…

Les bas pendaient sur le banc, pauvres voiles de tissu morts de n’être plus accrochés à ses cuisses. Elle était toujours assise et ne bougeait maintenant plus. Sa tête était penchée en avant. Elle refit les mêmes gestes que pour ôter sa blouse, mais cette fois-ci avec la robe crème. Le bruit que fit la robe en tombant était splendide. A peine un froissement d’ailes. J’étais suspendue au papillon…

Pourquoi ne bougeai-je toujours pas ? Que m’arrivait-il ? J’étais hypnotisée par les gestes simples de cette femme sans visage. Elle était en dessous et j’eus soudain très chaud. Elle se leva, ouvrit un plus la porte de son casier, et en sortit une robe… rouge. Elle l’enfila presque trop rapidement. J’étais suspendue aux courbes du dos, à la cambrure délicieuse, aux fesses insolentes…

Elle tordit ses bras pour faire remonter la fermeture éclair dans le dos, et noua la ceinture qui fit ressortir sa taille. Je la vis ranger ses affaires, replier les bas, glisser la robe crème et la blouse dans un sac. J’aurais eu largement le temps de m’éclipser. Mais non. J’étais suspendue à la paire de chaussures rouges qu’elle allait enfiler…

Elle glissa ses pieds fins dans les escarpins carmin, ferma la porte de son casier, et fit ce geste renversant d’enfin libérer ses cheveux qui étaient jusque-là attachés. Elle passa ses doigts dans sa chevelure en agitant la tête sur les côtés, comme pour les gonfler. J’étais suspendue à la toison épaisse…

Elle se retourna. Et me vit. Elle ouvrit simplement la bouche en signe de surprise. Se reprit aussitôt. Dignement, elle prit son sac, marcha jusqu’à moi avec ce que je pris dans la pénombre pour un sourire. Je ne savais plus quoi faire. J’étais suspendue à ses lèvres, à ses hanches, au bruit léger de ses talons…

Elle ouvrit la porte en grand. Nous étions face à face. Mon cœur battait la chamade, mon corps battait le rappel.

 

A mon retour dans la salle, John me dit assez satisfait que j’avais repris des couleurs. J’allumai une cigarette en tremblant. Et en souriant.

Mes mains sentaient le citron.

2 mai 2009

Petit poucet (Virgibri)

[4ème de couverture]

Collection Yeux grands ouverts.

« Petit Poucet » (à partir de huit ans)

Monsieur Victor est facteur au bord de la mer et passe tous les jours devant les mêmes maisons. Un jour, il va faire une rencontre étonnante avec Ludovic, un jeune garçon solitaire… Ils vont être amis, jusqu’à ce que Ludovic reçoive une lettre…

 

Petit Poucet

Monsieur Victor est facteur. Il est assez vieux et va bientôt s’arrêter de travailler. Il vit au bord de la mer, dans une petite maison grise.

Tous les jours, en faisant sa tournée, il passe devant une grande, vieille et belle maison. Elle a un immense jardin, un petit escalier de pierre, quatre fenêtres en façade et elle est inhabitée. Il n’y a donc jamais de courrier à y déposer, sauf à l’époque où des gens de la ville viennent s’y reposer pour les vacances.

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Un jour, en passant devant la maison, monsieur Victor voit un enfant caché dans le jardin. Il s’appelle Ludovic. Personne ne savait d’où venait le petit garçon, mais ce n’était pas grave : monsieur Victor et lui sont devenus amis au fil du temps. Ludovic vit dans la grande maison vide.

Tous les jours, Ludovic attend monsieur Victor parce que pour lui, le facteur est quelqu’un d’important. Et monsieur Victor aime redevenir quelqu’un d’important. Quelqu’un qu’on attend.

A chaque passage du facteur, Ludovic demande s’il a du courrier. Monsieur Victor a trouvé cela amusant, au début. Puis, voyant que l’enfant est de plus en plus triste, il a essayé de trouver une solution.

Il a suggéré à Ludo qu’il fallait avoir une adresse et une boîte aux lettres, avec son nom inscrit dessus, pour recevoir du courrier. L’enfant trouve la remarque juste, et admet sans honte face à son ami qu’il ne sait pas écrire son nom.

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Après son service, monsieur Victor revient vers la vieille maison au grand jardin, et de là ils partent tous les deux se promener sur la plage. Chaque jour, le facteur apprend à Ludo une lettre de son prénom. Ils écrivent avec application, à l’aide d’un bâton, dans le sable, les lettres simples.

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En une dizaine de jours, Ludovic a appris à écrire son prénom. Et il l’a recopié, en se concentrant, sur la boîte aux lettres verte : L.U.D.O.V.I.C. Il pense qu’il n’a jamais reçu de lettres parce qu’il n’a pas eu jusque-là de boîte, avec son nom écrit dessus.

Et tous les jours il attend impatiemment la venue du facteur. Mais il n’y a jamais rien pour lui. Monsieur Victor lui donne des prospectus colorés, des publicités pour calmer son impatience, mais Ludo, même s’il ne sait pas lire, devine que tous ces papiers ne lui sont pas adressés personnellement. Il n’est pas idiot.

L’enfant parle moins à monsieur Victor, et parfois, même, ne vient plus se promener en fin de journée avec lui. Monsieur Victor, qui vit seul dans sa petite maison grise, sent qu’il faut faire quelque chose de plus pour ne pas perdre Ludo.

Un soir, il s’installe sur sa vieille table de cuisine démodée, et étale devant lui un bloc de papier avec des lignes, une enveloppe blanche et un stylo à bille bleu.

Il commence tout d’abord par l’enveloppe, sur laquelle il écrit soigneusement :

LUDOVIC

Grande maison rue des Alouettes

Face à la mer

Monsieur Victor prend le temps d’écrire posément, de son écriture penchée et un peu maladroite. Puis il passe à la lettre. Il n’a pas écrit depuis si longtemps…

« Mon petit,

Je sais bien que tu ne comprendras pas ce que je t’écris, mais tant pis. Te voir triste me rend triste moi aussi, et je voudrais te redonner ce sourire que tu avais en arrivant ici. Parce que grâce à toi, j’ai retrouvé le mien.

Et puis je vais t’écrire ce que je n’ose pas te dire quand je te vois. J’ai peur pour toi, Ludo. Je ne sais pas d’où tu viens, et peu importe, après tout. Mais je voudrais bien que tu t’arrêtes un peu ici, et que tu ne te caches plus dans cette maison vide. La mienne est petite, mais on pourrait très bien y vivre à deux, tu sais ? Je t’apprendrais les autres lettres de l’alphabet, ou bien tu irais à l’école, et puis après on irait pêcher, ou bien se promener. Tu aurais de nouveaux amis, aussi.

On serait bien.

Je ferais un effort pour la cuisine, même si depuis la disparition de Jeanne, je me laisse un peu aller. Elle t’aurait adoré. Elle, elle aurait pu te faire des gaufres, ou d’autres choses comme ça.

Mais on s’en sortirait tous les deux, ensemble. Tu ne crois pas ?

Voilà, mon petit. Je vais m’arrêter là, car je ne suis pas habitué à écrire des lettres. J’espère que celle-ci te rendra le sourire.

A demain, mon petit Ludovic.

Victor »

 

lettre_enveloppe_jaunes

Monsieur Victor plie la lettre et referme l’enveloppe, qu’il met directement dans sa sacoche pour la tournée du lendemain.

Comme d’habitude, Ludo se tient devant la grille, attendant le facteur. Mais il n’a plus cette impatience des débuts. Il n’espère plus vraiment.

Avec une certaine fierté, monsieur Victor retire alors la lettre de sa sacoche et la remet à Ludovic. Très surpris, l’enfant demande plusieurs fois si c’est vraiment pour lui. Il voit son prénom sur l‘enveloppe, identique à celui écrit sur la boîte.

Mais il ne l’ouvre pas. Il la cache sous son t-shirt, contre sa poitrine, l’empêchant de glisser avec son bras.

Il se met à rire, lance un grand « Merci ! » au facteur, et court vers la plage. Monsieur Victor doit finir sa tournée. Il crie à Ludo qu’ils se verraient tout à l’heure, mais n’a aucune réponse. L’enfant est sans doute trop loin. Et puis il y a le vent, aussi. Content mais un peu triste, le facteur reprend son vélo et part.

coucher_de_soleil_vague

En fin de journée, comme toujours, monsieur Victor passe devant la vieille maison au grand jardin et attend Ludo. Mais celui-ci ne vient pas. Ludovic est reparti comme il est venu.

porte_lentille_violette

Le vieux facteur redevient silencieux. Il est blessé mais est aussi inquiet pour cet enfant qui lui a donné tant d’amour sans le savoir.

Depuis, Monsieur Victor, tous les jours, s’arrête devant la maison rue des Alouettes, et réécrit à la craie, sur la boîte aux lettres verte, les sept lettres de l’alphabet qu’il préfère : L.U.D.O.V.I.C.


25 avril 2009

lettres d’adieu (Virgibri)

Tu m’as donné ton nom en me faisant renaître, mais jamais dit « je t’aime », même sur ton lit d’hôpital. J’ai tourné le dos à tes cendres. Trop-plein d’amour dans le silence.

Je t’aime, Papa.

 

Chéri,

Tu m’as demandé de fermer la porte à cause des courants d’air en beuglant comme un veau qui va naître. Je l’ai fermée derrière moi : le vent m’a emportée.

Trouve une bonne avant d’en épouser une.

 

New-York,

Je t’ai croquée. Je reviendrai finir la pomme une autre fois.

See you !

 

Tipiak,

Espèce de fripon pirate, tu crois pouvoir voler nos recettes ? Ben, non ! On a tout mis au coffre et un certain Madoff s’occupe de nous. Ah ah ! Tu ne nous auras pas !

Les vieilles Bretonnes en coiffe

 

Adieu frimas, vent glacé, feuilles mortes et branches nues !

Le printemps

 

Vous m’avez gonflée pendant des années, et voilà que je vais vous éclater, kilos !

 

Votre lumière m’éclate au visage. Je vous ai croisés une fois Paris, et puis ici, à New-York. Je vous ai en moi, maintenant.

Adieu, fleurs du soleil qui me faites pluie.

18 avril 2009

Vertiges (Virgibri)

_ Arthur… Je peux vous appeler Arthur ? J’ai passé ma vie à utiliser votre nom de famille, mais jamais votre prénom.

Il sourit vaguement. Je prends cela pour un consentement.

_ Honnêtement, je ne sais que vous dire. Vous êtes là, et… Je suis comme une adolescente, un peu dépassée.

_ L’adolescence…, murmure-t-il dans un soupir.

_ Oui, la vôtre a été quelque peu « agitée » d’après ce que l’on sait de vous…

_ Mmm.

Il se roule une cigarette. Je ne fume pas mais j’aurais presque envie de lui voir en rouler une pour moi.

_ Arthur… Je me suis toujours interrogée sur le Harar. Pourquoi ce choix ? Pourquoi l’Afrique ?

Il allume sa cigarette, avale longtemps la fumée et ferme les yeux. Je me sens terriblement cruche. Je décide de me taire. En fait, je ne veux le faire parler que pour découvrir chaque grain de sa voix.

La nuque légèrement en arrière, il recrache lentement la fumée et se met à parler.
J’écoute, hypnotisée. J’aurais envie de me distinguer, qu’il ne me trouve pas pesante ou bécasse, alors que je bois ses paroles.

Je ne sais combien de temps il a parlé. J’admire ses fines mains lorsqu’il garde les yeux fermés. J’ai hésité à sortir mon appareil photo pour le prendre dans cette position, abandonné.

Je souris.

_ Arthur, je sais que vous étiez intéressé par la photographie, là-bas…

Son œil s’allume encore plus. Et là, comble du comble, nous causons photo, Rimbaud et moi ! Je lui parle de mon envie de tout à l’heure de saisir ce moment incroyable. Il ne réagit pas. Je ne passe pas outre. J’aurais peut-être dû.

Je dois lui sembler bien fade. Je sens qu’il ne va pas tarder à partir, une fois que le vin sera fini…

_ Arthur, si je n’avais pas aimé les femmes, je sais que j’aurais cherché un amour masculin vous ressemblant…

_ L’amour…, soupire-t-il dans un souffle.

_ …

Je reprends quand même, quitte à être ridicule –comme on l’est toujours face à ses idoles.

_ Arthur… Vous avez été mon premier amour littéraire. Je ne comprenais grand-chose à douze-treize ans, et c’est la même chose aujourd’hui. Mais vous étiez une lumière insaisissable, un radeau poétique, une porte vers Ailleurs.

Silence.

_ Merci. Merci d’avoir été comme un trésor qui ne semblait appartenir qu’à moi. A vingt-et-un an, je me suis dit une seule chose : « Je ne serai jamais Rimbaud ». Je crois que c’est mieux ainsi.

Il écrase sa cigarette. Se lève doucement. Remet son col en place. Ce geste m’étonne.

Et puis, sans que je m’y attende, il passe sa main dans mes cheveux, et caresse ma joue. Il me regarde droit dans les yeux. Je frissonne. Il sourit. Il est magnifique quand il sourit.

_ Au revoir, Mademoiselle Arthur !

Il s’éloigne en riant, les mains dans les poches.

Je reste longtemps face à la bouteille et à la chaise vides.

New-York, 15 avril 2009, vers 16h30,

face à l’Empire State Building




                   


11 avril 2009

Après la pluie (Virgibri)

Virgibri55

Ils étaient là, face à face. Elle avait longtemps attendu ce moment espérant que ce serait LE bon, enfin, oui. De discussions sans fin aux promesses coquines, elle l’avait fait patienter deux mois sur le net. Mails, dial, MSN, puis l’image qu’elle avait cédée via la webcam, à bout de patience : elle voulait le voir aussi.

Passées ces premières épreuves, elle avait accepté de le rencontrer. Sans se précipiter, elle avait voulu le tester sur bien des plans, comme on choisit une nouvelle voiture après un essai de conduite. C’était affreux, elle le savait et l’assumait parfaitement.

L’homme devenait à son tour un produit de consommation. Mais là, arrivée à trente-cinq ans, elle voulait une valeur sûre. Regarder Friends ou Ally Mc Beal devenait pathétique à force de s’y reconnaître. Pourtant, le personnage d’Ally lui parlait tellement ! Elle se souvenait encore de certains épisodes, comme celui dans lequel l’un des personnages masculins n’avait qu’un seul défaut : il mangeait et parlait en même temps. Des morceaux de salade restaient collés à ses dents. Ou encore celui qui avait un rire de cochon, horrible. Et Ally qui ne pouvait pas aller au-delà de ces défauts, à la fois minimes et énormes.

Le test de la promenade sur les quais de Paris avait été une réussite. Marche lente, furetage dans les vieux livres, pause sur le Pont des Arts, crêpe dans les Halles… Parfait : il n’avait rien contre la douceur ni contre une grande dose de romantisme.

Sa voix, aussi. C’était important, la voix, pour elle. Elle n’avait rien de renversant, mais rien de repoussant non plus.

Elle avait donc échafaudé toute une liste de paramètres et de critères à cocher, à remplir, à nuancer. L’un des derniers tests était celui du restaurant. Et elle savait très bien que le dernier, le plus fatal, le plus excitant et le plus angoissant aussi, viendrait après : faire l’amour ensemble.

Ils étaient donc là, face à face, dans ce restaurant. Elle aurait voulu le laisser choisir, mais elle s’était dit qu’il valait mieux se régaler les papilles en cas de déconvenue, plutôt que de prendre le risque de mal manger.

Les petites assiettes tournaient devant eux, contenant des mets japonais délicieux. Le rythme irréprochable des tapis donnait presque le tournis. Ou avait au moins un caractère hypnotique.

La discussion ronronnait. Rien d’extraordinaire, non plus, mais comparé à d’autres mâles qu’elle avait voulu rencontrer, celui-ci avait un certain relief. Les assiettes défilaient, s’empilaient doucement entre eux. L’atmosphère était lourde au dehors comme au-dedans : le temps était à l’orage, il faisait chaud et moite. Elle, sensible à ce genre changement, commençait à étouffer. Lui ne semblait pas en souffrir. Il parlait. Et il tentait de lui frôler la main, doucement.

La bouteille d’eau et celle de vin blanc trônaient entre leurs verres. Leurs verres quasi vides. Et par principe, elle refusait de se servir. Oui, l’égalité des sexes, blabla, ne pas attendre que l’homme fût galant si l’on voulait être traitées en égales de ces messieurs, gnagnagna. Toutes ses copines tenaient ce discours. Mais elle résistait. Somme toute, cela faisait aussi partie du jeu de séduction.

Au-dessus des algues et des sashimis, il lui faisait des yeux de merlan frit : il avait été fort patient jusque-là, mais on sentait bien que son désir était prêt à rompre les digues. Emoustillé par l’idée que c’était enfin LE soir où ils feraient l’amour, il se lâchait dans ses propos. La mangeant des yeux, il jouait sur le double sens de ses phrases et parlait de son envie de goûter ses sushis en prenant tout son temps ou, au contraire, de dévorer ses makis…

Elle souriait à peine, faisant semblant de ne pas comprendre l’ambigüité de ses propos. Elle ne pensait qu’à une chose : savoir s’il allait enfin la servir en eau. Elle n’en pouvait plus de ressentir la soif, mais elle s’obstinait à attendre. Fichue sauce soja salée ! Et cette température qui ne cessait d’augmenter… De petites gouttes de condensation perlaient le long de la bouteille en verre.

Les assiettes continuaient à s’empiler. Ils n’avaient évidemment plus faim depuis longtemps. Etrangement, elle qui était non fumeuse, avait envie d’allumer  une cigarette à ce moment-là. Enfin, elle se voyait fumer une cigarette, imaginant que cela la calmerait. Sans savoir si cette drogue douce avait tant de vertus. L’eau s’était réchauffée mais peu lui importait : elle rongeait son frein en attendant. Lui, croyant qu’elle ne voulait plus rester en ce lieu, mais bien avoir chaud pour d’autres raisons, s’empressa de demander l’addition, émoustillé.

Et là, il se saisit de la bouteille d’eau, enfin. Elle vit parfaitement le mouvement de son bras, de sa main, lentement se décomposer. Au même rythme, un sourire commençait à percer sur son visage de femme douce mais opiniâtre.

Il se versa un verre, en finissant la bouteille et en s’étonnant qu’elle n’eût pas soif.

Elle, la bouche presque pâteuse, avec cette désagréable impression d’avoir la langue gonflée, ne put sortir un seul mot. Elle pensa très fort à Ally Mc Beal à ce moment-là. Elle se leva sans un mot, croisa la serveuse qui revenait avec l’addition, sortit rapidement du restaurant pour qu’il ne puisse pas la rattraper, et s’échappa par quelques petites rues presque en courant, malgré la chaleur.

Non, l’homme avec qui elle voudrait passer le reste de sa vie ne pouvait pas la laisser mourir de soif. Et elle ne pouvait pas faire avec.

Elle reprit son rythme de marche assez lent et régulier. Le ciel était sombre. Il se mit à pleuvoir très doucement. Elle leva les yeux vers le ciel, et sourit. Lorsque la pluie s’intensifia, elle s’arrêta de marcher, pencha la tête en arrière, ramenant ses cheveux pour dégager son front et sourit complètement.

Inconsciemment, elle se mit à entrouvrir la bouche pour avaler l’eau. Elle était belle et étrangement offerte. Comme si elle faisait l’amour avec la pluie.

Sur le trottoir d’en face, un homme sans parapluie la regardait. Il la trouva magnifique.

Il traversa.

4 avril 2009

Fin d’hiver (Virgibri)

Tu es partie trois mois

Sur un coup de tête

Comme on prend le train

Sans un adieu

Sans un demain

Alors vas-y

Achève-moi

Il fait sec là

Il fait froid

Au-dedans comme au

Dehors

Je pensais que c’était plus clair

Toi et moi

Mais tu t’en vas

Mais je m’en vais

Contre mon gré

Contre moi-même

Plus jamais contre toi

On s’aperçoit

On s’étoile

On s’étiole

De toutes les façons

On se voit

Là-bas

Si loin

Tu es partie trois mois

Trois heures

Trois ans

Trois jours

Tu ne savais plus

Et je ne sais pas comment je vais

Faire

Il fait si sec

Il si froid

Ici

Là-bas

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