Chassé-croisé (Vegas sur sarthe)
Elle avait pour nom Pétronille
et chaussait du quarante six
me susurrant non sans malice
« Ne t'en fais pas, c'est un quadrille »
L'autre se prénommait Camille
et pesait bien quelques quintaux
me claironnant allegretto
« Patiente un peu, c'est un quadrille »
J'ignorais tout de cette fille
elle me dit « Moi c'est Lucien »
c'était un chiropraticien
les touchers c'est pas du quadrille !
Le hasard s'appelait Germaine
rompue aux danses de salon
et m'affirma avec aplomb
« Vois-tu où le quadrille nous mène ? »
La coquille (Vegas sur sarthe)
Dimanche matin au bar de l'Escapade à Chaloux-Moulineux
« Dis donc Marcel, t'as l'air d'avoir pris une sacrée pistache ! »
« Euh... juste trois pastiches... ch'est tout »
« Tu veux dire des pastis »
« Ch'est ch'que j'ai dit... trois pastiches, pas vrai patron ? »
Le patron pince-sans-rire : « C'est un canular »
Marcel s'emporte : « Non ! C'est du pastiche»
Le patron est en train de faire les comptes : »Y'avait un perroquet, une tomate, une mauresque … et aussi... »
« Une mauresque ? Marcel, tu prends des mauresques maint'nant ? »
« Non... j'ai pris une maurechque »
Le patron lève le nez du comptoir : «Non c'était une mauresque et ça va faire... »
« Dis donc Marcel, depuis quand tu fais dans l'exotisme ? D'habitude t'es au vrai p'tit jaune, au pastaga, vains dioux ! Tu m'déçois»
« J'ai bien l'droit de voyager puichque ma bergère veut pas décaniller de chon canapé »
« Tu m'fais un sacré voyageur, Marcel ! En attendant y'a l'commandant de bord qui voudrait qu'tu règles la croisière »
Le patron tend la note : « Avec les pistaches ça fera dix huit euros »
« T'as aussi pris des pistaches, Marcel ? »
« Euh... non... juste trois pastiches... et des cacahouètes »
« Allez Marcel, paie ta croisière avant que j'te ramène chez toi … et crache cette coquille que t'as entre les dents »
A'r'nage (Vegas sur sarthe)
Au Moyen Âge dans un petit bourg de la Sarthe – à la sortie du Mans en direction d'Angers – les villageois avaient décidé de soumettre une méchante sorcière au jugement de Dieu en la jetant dans la rivière La Sarthe.
A l'époque on appelait ça plaisamment La baignade.
Si la prétendue sorcière coulait elle était innocente mais noyée, si elle flottait elle était coupable !
Dans un cas comme dans l'autre, être soumis à la question n'offrait aucune réponse convenable.
Sourde comme un pot elle n'eut pas le temps de dire «vous pouvez répéter la question ? » qu'elle fut jetée à l'eau mais à l'aide de ses pouvoirs maléfiques et malgré ses entraves, elle sut refaire surface et les villageois effrayés s'écrièrent en choeur «A’r’nage» !
Ainsi fut baptisé le village, Arnage célèbre aussi par son virage – le virage d'Arnage – une épingle très serrée jamais modifiée depuis 1923 et que les pilotes des 24 Heures négocient en première vitesse pour le plus grand plaisir des fans qui y viennent en pélerinage.
Chaque année au mois de mars le carnaval de la sorcière perpétue cette légende.
Dépêchez-vous ! Cette année les festivités se dérouleront du 10 au 26 mars
Ma noctuelle (Vegas sur sarthe)
Elle n'apprécie pas que je l'appelle ma noctuelle.
Pourtant je trouve que ça lui colle à la peau.
Toute petite, Germaine était parait-il vorace voire boulimique, la terreur du jardin d'enfants et des jardinières qui en avaient la garde et qui la surnommaient Vers gris.
Il fallait la voir grignoter le goûter de ses congénères en se cachant au pied des plantes ornementales.
Quand je l'ai connue elle était nymphe et désirable.
Aujourd'hui c'est encore un beau papillon inoffensif au corps massif, dodue et souvent grise … en résumé c'est ma noctuelle.
Jules Renard disait que le papillon est un billet doux plié qui cherche une adresse de fleur.
Germaine m'a trouvé; je suis sa fleur bien qu'elle affirme le contraire et qu'elle prétende que je l'ai sournoisement capturée dans mes filets.
Ça n'est pas ma faute si Germaine est insensible à la poésie de Jules Renard.
Je dis qu'un type qui a eu le courage d'écrire que la femme est un roseau dépensant ne peut pas être foncièrement mauvais.
A propos de dépenses il faut dire que Germaine a des mœurs nocturnes, dans la famille des noctuelles c'est une méticuleuse comme disent d'éminents lépidoptéristes.
J'ai découvert qu'à la tombée de la nuit elle pratiquait le vol furtif.
Ça peut être ma carte bancaire ou mon meilleur whisky, toutes ces choses que je retrouve au matin au pied du lit alors qu'elle dort du sommeil du juste.
Je regarde dormir ma noctuelle enroulée sur elle-même... et dire qu'au stade larvaire on dit qu'elle grignotait de jeunes tiges.
Ça laisse rêveur, alors je rêve.
On dit qu'un papillon sur cinq est une noctuelle, et il a fallu que ça tombe dans mes filets !
Le kung fu pour les Nuls (Vegas sur sarthe)
On dit arts martiaux quand on pratique plusieurs arts martials, par contre on dit kung fu quel que soit le nombre de kung fu.
Il ne faut pas chercher à comprendre, c'est du chinois.
Le kung fu comporte des techniques et des positions à l'instar du kama sutra mais à la différence que le kama sutra est indou alors que le kung fu est un dur.
Les techniques et les positions du kung fu sont extrêmement concises et codifiées ; ainsi la technique du pas clouté pieds serrés dont un sur la pointe se dit simplement : Ding Bu.
Il est difficile de faire plus court.
La technique du pas frappé s'appelle Ta Bu même si l'on est à jeun.
La position du pas rasant se dit Pu Bu même si l'on a encore soif.
La position de la brouette thaïlandaise n'appartient pas au kung fu.
Il ne faut pas confondre le karaté japonais avec le kung fu chinois.
J'ai voulu tester la différence mais je n'en ai pas trouvé, pas même auprès des personnels de santé qui m'ont pris en charge à l'hôpital ...
J'ai pu vérifier également qu'un combattant pesant 100 kg sera toujours moins mobile et aérien qu’un combattant plus léger.
Quel que soit l'art martial, la respiration est essentielle et pour le reste aussi y compris le kama sutra.
Trop d'apnée tue !
On peut aussi se tourner vers le tai chi qui est un art martial chinois « doux ».
On sent toute la douceur du tai chi dans les positions nommées le serpent rampe vers le bas, saisir la queue de l'oiseau ou brosser le genou.
En conclusion on dira que le kung fu doit être pratiqué avec prudence; on n'oubliera pas que Bruce Lee est décédé à l'âge de 32 ans.
Retour d'affection (Vegas sur sarthe)
« Tout comme le pruneau et la grenade sont les symboles de la guerre, le jujube est le symbole de la paix ».
Ainsi parlait la bamiléléké, une diseuse de bonne aventure camerounaise qu'on m'avait chaudement recommandée et que j'allai consulter pour un retour d'affection.
A l'entendre il me suffisait de mâcher neuf grains de jujube et d'insuffler par la fenêtre en appelant ma bien-aimée – en l'occurence ma Germaine – le matin au réveil.
Il faut dire que je ne suis pas du matin, alors j'ai attendu midi – l'heure de l'apéro – pour mâchouiller ces infâmes graines de jujube avec mon whisky.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé d'insuffler par la fenêtre en appelant votre moitié avec la bouche pleine de graines …
Le voisin du dessous qui prenait lui aussi l'apéro sur son balcon n'a pas apprécié et il est monté me le faire savoir d'un direct au menton.
Bien plus tard Germaine m'a trouvé ainsi, ensanglanté et avachi sur le canapé … « comme d'habitude » a t-elle commenté.
Elle était soit disant simplement allée faire quelques courses.
Dans son panier il y avait entre autres choses des pruneaux – symbole de la guerre – alors je me suis bien gardé de lui parler de ma bamiléléké, la camerounaise qu'on m'avait recommandée.
Je suis retourné voir cette diseuse de bonne aventure pour me plaindre mais l'enseigne avait changé.
A la place il y a un club d'arts martiaux et de self-défense ; je me suis ins crit aussitôt … ça peut servir
L'hurluberlu (Vegas sur sarthe)
Tout petit, tout minot j'étais un étourneau
cervelle de moineau, bulbe de bigorneau
J'ai cru qu'en grandissant, moustachu et velu
je serais raisonnable et bien moins farfelu
Au travail je passais pour un joyeux maboul
j'avais des fantaisies, des trous dans la ciboule
Au lit c'était pas mieux où Germaine excellait
j'attendais – pédalant – la voiture-balai
Aujourd'hui je vais mieux, locataire à l'Ehpad
je m'offre à l'occasion une belle escapade
Sur la tombe où m'attend un silence absolu
je sais qu'on écrira : Ci-gît l'hurluberlu
Trouver des rimes en 'pette' (Vegas sur sarthe)
Alors que je rampais, singeant le mille-pattes
à l'affût des souris armé d'une tapette,
quel est ce malotru, qui est ce psychopathe
qui m'a mis au défi: trouver des rimes en 'pete'?
Cliquant sur le mulot, j'ai quitté ma carpette
sorti tous mes dicos, mis la main à la pâte
mais je ne trouve rien, j'en ai jusqu'à perpette
quand tant d'autres ont fini qui me narguent et m'épatent.
Je vous mets au défi, rois de la galipette
de chasser mieux que moi souris et souricettes;
vous semblez moins malins, j'en entends qui rouspètent
mais je sens que ça vient! Oui! Saperlipopette!
Me voilà rimailleur sans tambour ni trompette
je sens au bout des doigts la force centripète
qui détruit mon clavier et que plus rien n'arrête!
Restez! Ne prenez pas la poudre d'escampette.
Tandis que j'écrirai vous serez mes arpètes,
je jouerai du clavier et vous en salopettes
de tous ces souriceaux vous ferez des brochettes
pour mon plus grand plaisir... et pas d'entourloupettes!!
Allégro à six-huit voire plus (Vegas sur sarthe)
« 3... 2... 1... Bonne année !!! »
Un tsunami se leva brusquement dans la salle surchauffée et je me retrouvai, alpagué par deux matrones qui m'écrasaient les paluches, m'entraînant au milieu des tables dans ce qui ressemblait à un serpentin à échelle humaine.
J'ignore quel forcené menait la tête mais mes pieds ne touchaient plus le sol et pourtant je progressais malgré moi …
« Hé bé ! Avance couillon ! T'es ensuqué ou quoi ? » me lança ma meneuse.
Je dus hurler pour me faire entendre « Qu'est-ce que c'est qu'ce binz ? »
« C'est une farandole, fada ! La danse populaire provençale » reprit-elle en m'écrasant les phalanges.
Un ban bourguignon m'aurait amplement suffi... au moins on reste le cul sur sa chaise en agitant les mains devant sa fillette d'aligoté et on peut même faire du pied à sa voisine.
« C'est bien rythmé » osai-je crier à ma meneuse.
L'autre derrière moi m'écartelait à chaque virage, chaque volute, chaque escargot.
« Bien sûr que c'est rythmé » enchaîna ma meneuse « c'est de l'allégro à six-huit »
Pourtant on était beaucoup plus que huit dans ce train infernal, peut-être quarante.
Je repérai le dernier de la file – lanterne rouge de l'allégro – qui volait littéralement et tentait de s'accrocher de sa main libre au moindre obstacle.
Je songeai que s'il avait pu s'accrocher à la tête on aurait pu freiner le cercle vicieux... à condition de pouvoir poser les pieds par terre !
« C'est quoi ce six-huit ? » demandai-je à ma meneuse.
Elle eut une moue dédaigneuse « une mesure à deux temps, fada et chaque temps est une noire pointée »
J'en conclus que la noire pointée, ça devait être ma suiveuse, une grosse antillaise sans doute naturalisée provençale car elle avait l'air de prendre son pied et le mien avec …
Mis à part Mistral, Giono et le pan bagna, j'ignorais tout de la Provence et de cette danse de cinglés que ma meneuse devait maitriser depuis son plus jeune âge.
« Je suppose que tu t'appelles Mireille ?» osai-je sans trop y croire.
« Non … c'est Fanny mais appelle-moi Adriana » me cria t-elle dans l'oreille avant de me faire décoller dans un virage à angle droit.
Derrière moi, la fameuse noire pointée avait trébuché et je sentis craquer mon bras gauche.
Dans l'ambulance, une jolie secouriste m'observait d'un œil morne.
« Bonne année » dit-elle avant de s'allumer une clope « tu veux une taffe ? »
Je n'avais envie de rien, à part récupérer mon bras qui pendait à des kilomètres.
« Comment t'as fait ça ? » demanda t-elle alors qu'elle s'en foutait royalement.
« C'est compliqué » répondis-je « un allégro six-huit qui a mal tourné à cause d'une noire pointée »
Elle fit mine de comprendre « les gens font n'importe quoi de nos jours »
On en est venus aux confidences... rien d'autre à foutre dans cette ambulance qui fonçait sirène hurlante vers la Pitié-Salpêtrière.
Je devais être leur premier bras arraché de l'année !
Fanny - elle s'appelait vraiment Fanny - était originaire du Pas-de-Calais et elle aimait le slow.
Ça me convenait tout à fait ; je me sentais même d'attaque pour la serrer dans mon bras.
Faut pas pousser mémé (Vegas sur sarthe)
Sur la porte de l'officine il y avait une grosse plaque marbrée très différente de celles qui m'apparaissaient un peu partout sur le corps depuis quelques jours.
Il y était écrit en lettres dorées « Comte Jouvence, apothicaire »
Je me suis gratté la tête encore une fois avant d'entrer.
Un grand type avec des yeux de cocker trônait derrière un comptoir mais il n'avait rien d'un comte à part un gilet garni de petits boutons douteux qui ne m'inspiraient pas confiance.
« Vous êtes vraiment comte ? » ai-je demandé en me grattouillant.
Il m'a toisé de toute sa grandeur : «Z'avez jamais entendu parler des comtes d'apothicaire ? »
Trop occupé à me gratter je n'avais pas fait le rapprochement.
« J'espère que vous ne soignez pas exclusivement les calculs, je voudrais quelque chose pour cesser de me griffer » ai-je supplié.
« Vous faites quelle pointure ? » me demanda t-il en s'approchant pour me prendre la main.
J'ignorais que les comtes – fussent ils apothicaires – avaient des manières si cavalières.
Cet espèce de grand comte n'avait ni queue-de-pie ni jaquette flottante et figurez vous qu'il voulait tout bonnement me refiler une paire de gants en latex !
« J'ai besoin d'une médecine pour soigner ces plaques rouges que j'ai chopées sur le corps » ai-je grogné en me labourant le dos de ma main libre.
Il lâcha enfin l'autre main : «Je vois... vous êtes en train de NOUS faire une poussée de fièvre ortiée »
Ce NOUS ne me disait rien qui vaille ; on n'avait pas gardé les gueux ensemble, ni les comtesses.
J'étais perplexe : «C'est quoi une fièvre ortiée ? »
Sur les étagères trônaient des bocaux remplis de formol où ricanaient des crapauds à deux têtes.
Il prit un air inspiré, l'air du cocker devant une gamelle de croquettes pour chat: «Nous désignerons ça par poussée d'urticaire
celle qui autrefois ravagea la mouquère »
Comme je l'ai déjà dit j'étais perplexe : «Vous êtes obligé de vous exprimer en alexandrins ? »
Ignorant ma question il continua, le bougre : «Prenez donc ce flacon de poudre de calcaire
à laquelle j'ai joint la fleur de persicaire »
Ça commençait à être lourdingue toutes ces rimes en caire ; j'ai failli prendre un joker mais j'ai juste pris son flacon tout en m'épluchant les épaules.
« Ça coûte cher cet élixir? » me suis-je inquiété en attendant une rime en découvert bancaire.
« Une plaque » a t-il simplement lancé en entrebâillant son tiroir-caisse.
Alors d'une main tremblante je lui ai refilé une de mes plaques – c'était toujours une de perdue – et j'allais sortir quand il m'a demandé : «Vous sucrez souvent les fraises ? »
Dans trente secondes il allait me diagnostiquer un Parkinson et me vendre une tisane à base de bébé crocodile et de bave de salamandre.
J'ai déguerpi tout en m'arrachant la peau des fesses.
Croyez moi, je ne suis pas prêt de retourner folâtrer dans les orties avec Germaine !