Chapitre
LXVI
« Alors,
mon bon Trousse-Laine, quoi de mieux qu'un bon bain dans l'onde
fraîche pour se remettre de ses émotions ?
-
Ah, Messire, ce n'est point moi qui vous contredirai. J'ai cru
retrouver dans cette eau la douceur du sein de ma mère, Dieu ait son
âme.
-
Diantre, Trousse-Laine, cela n'a pas dû bien te changer des ribaudes
que tu as l'habitude de côtoyer d'assez près ! »
Le
chevalier et son écuyer s'étalaient paresseusement dans l'herbe,
sous les frondaisons d'un vieux chêne, nus sous les nues, séchant
paisiblement leur corps repu de fraîcheur au soleil, tandis que
leurs montures paissaient tranquillement non loin.
« Messire,
visez un peu ce nuage ! Ne dirait-on pas la croupe vaillante de
quelque gourgandine ?
-
Ah ah, mon garçon, tu ne penses donc qu'à courir la gueuse ! Ne
peux-tu point juste profiter de la caresse de la brise, plus douce
que n'importe quelle main experte, ou de la chaleur des rayons de
notre soleil, si réconfortants ?
-
Messire, pardonnez-moi, mais j'aime les plaisirs simples, ceux qu'on
peut toucher pour quelques pièces ou que l'on peut tenir entre ses
doigts pour deux ou trois belles paroles.
-
Tu as ton lyrisme et ta poésie, je te le concède bien volontiers,
si prosaïques soient-ils.
-
Oui-da, Messire. A ce propos, ne devrait-on point s'inquiéter de
notre dîner ? Pensez-vous que nous puissions lever un lièvre ou
quelqu'autre succulent gibier aux environs ?
-Je
crains fort que nous devions nous passer de dîner, mon bon
Trousse-Laine. Il faut nous vêtir sans tarder et lever le camp
illico. Les Hommes du Guet sont à nos trousses, et je doute fort que
Messire Alvain se laisse distancer trop longtemps après l'affront
que nous lui avons fait la nuit dernière. »
Ainsi
fut fait, tandis que les oiseaux piaillaient continûment dans l'air
évanescent de ce début d'après-midi, et qu'au loin on devinait
l'approche tonitruante de la troupe des poursuivants.