Hier soir, en essayant de faire un peu
de tri dans tous mes papiers, ce qui n'est pas une mince affaire tant
j'entasse tel un archiviste acharné, j'ai trouvé au
fond d'une boîte et une épaisse couche de poussière,
une chemise cartonnée... Bleu. Ni outremer, ni indigo, ni de
Matisse. Bleu. Tout simplement. Peut-être un petit peu passé,
virant à un turquoise plutôt défraîchi...
Forcément, avec le temps tout se salit et se délave.
Et dans cette pochette en bleu de
travail, qui commençait sérieusement à
s'émietter, il y avait une feuille. Une seule. Mais quelle
feuille !
C'était une unique planche de
bande dessinée. Sans paroles. Composée de carrés
égaux, tracés à l'aide d'un basique feutre.
C'était la première planche qui annonçait une
grande série, tout un parquet !... Mais hélas qui ne
s'était jamais poursuivi.
J'avais complètement oublié
ces quelques cases dans lequel l'absurde se jouait de l'invertébré;
qui me replongeaient vingt ans en arrière. Ce pauvre ver, tout
un poème, tout un trésor pour moi...
[15’ viennent de s’écouler dans le temps de l’horloge sidérale. Chronos n’a pas encore renversé son sablier. Il se retrouve au premier jour du printemps 2010, La soit disante nouvelle ère des poètes, à la recherche de leurs temps perdu et suspendu. Propulsé sur un banc après avoir voté « post scriptum : (PS=UMP/FN).]
Il porte à sa main son livre de chevet : « la femme aux mains rouge », une pièce unique qu’il écrit depuis que sa vie a commencé. Ce livre est rouge et sa couverture semblable au code civil est aussi précieuse qu’une bible. Si on le feuillette on tombe sur des dessins d’une autre époque, d’un autre temps. Des temps qui ont fait battre des cœurs quand les pas bravaient le pavé.
Des temps inspirés par des dessins, fusains et défis. Un temps surprenant parce que imprégnant Tous ces temps si tentant Tant et si bien avancé et destiné Ces fameux temps tambourinés à chaque sextant pour ne pas dire à chaque instant.
Il prend son livre entre ses mains et fait défiler sous ses doigts la bande dessinée de ces dessins qui l’ont inspirés dans sa destinée. Il tombe sur un dessin parmi tous ces dessins : sur celui de deux anges aux sexes cachés se tenant par la main. Ils n’ont pas d’ailes mais volent bien dans les cieux. Ils flottent sur un nuage enrubanné nommé FRATERNITE, assis confortablement sous l’autel de la patrie qui brûle comme une flamme olympique dégageant une fumée plus légère et dissipée dans l’air que ce molleton cotonneux qui leur sert de siège, tapis ou prairie et sur lequel pourtant, ils sont assis. C’est ce ruban qui fût imaginé, dessiné et signé. C’est ce ruban, ce fil, cette ficelle, cette bobine qui défile à des cadences ou séquences enregistrées ou saccadées…Cette Histoire que l’on tricote ou que l’on hôte… Cet art que l’on narre pour donner goût à chaque spontanéité pour braver toutes difficultés à commencer par briser toutes ces futilités, banalités ou méga cités…
Olivier avait enfin ôté ses chaînes, il n’avait plus besoin d’elles – en tous cas le pensait-il. Le voilà bien déboussolé, à comprendre son chemin, perdu dans l’inconnu, seul posé sur ce banc, à regarder ce qu’il lisait, suspendu sur ce qui fût ce fil, passant au loin cet albatros rejoignant des effluves marines, cet Olivier à qui il ne fallait pas en demander tant…Il se retrouve bien loin de son ban, bien loin de celle qu’il croyait être ses ailes, encore plus loin que ce très loin, au-delà de ces douze piliers d’une certaine forêt, car encore plus loin que celle où l’homme avait déjà planté des glands.
La nouvelle se répandit rapidement au son des tambours des crieurs, et
bientôt, tout le royaume fut informé de cette forfaiture; il faut dire
que les crieurs étaient forts en gueule... et que les habitants étaient
loin d'être sourds ! Pour plus de sécurité, on placarda la nouvelle qui
commençait à dater au fur et à mesure que le temps
passait, sur les murs des villages avec de la colle-porte pour que ça
tienne mieux. Que quelqu'un ait osé publier un poème long comme un
jour sans pain, ça ne choquait personne, mais qu'on l'ait illustré d'une
gravure qui dépassait visiblement les six cent pique-sels autorisés,
l'outrage était grand pour un si petit royaume. Le roi avait consulté
les oracles et aussi les Grands Pondérateurs du royaume, car il ne
savait rien faire tout seul et la petite reine était trop gourde, trop
occupée à pédaler dans la semoule, comme disait le roi qui l'avait
ramenée du maghreb... la petite reine, pas la semoule. C'est le
douzième Grand Pondérateur qui s'y était collé, car il était expert en
comptage de pique-sels: parvenu au six cent unième, il qualifia l'auteur
de hors la loi, malappris, renégat, gaspilleur, pernicieux, intrigant
de la pire espèce et entreprit d'estimer l'excédent de pique-sels avant
de peser sa sentence.
La balance à peser les sentences était un instrument bizarre à deux
plateaux inégaux et sans aiguille, et comme à son habitude, le Grand
Pondérateur ayant effectué consciencieusement la pesée leva en l'air son
index mouillé pour pondérer sa mesure et déclara "L'auteur de cette
forfaiture sera pourchassé, démasqué si tant est qu'il porte un masque
et condamné à autant de jours de plonge aux cuisines du roi que de
pique-sels excédentaires", et il ajouta, car les Pondérateurs adorent
ajouter quand ça ne leur coûte rien, "Qu'on se mette à sa recherche sur
le champ". Les Rechercheurs soupirèrent car le champ était vaste et
leurs jambes plutôt courtes. Nul doute que le gaspilleur de
pique-sels devait être caché, tremblant dans quelque trou obscur, ce qui
est assez banal pour un trou; tous les rimailleurs du royaume devaient
trembler avec lui, surtout ceux qui abusaient des illustrations pour
enluminer leurs écrits. Rares
étaient ceux qui avaient pu acheter un calibre à pique-sels, le doseur
gradué inventé par Le Roi Merlin, celui par qui les envies prennent vie,
c'est pourquoi les moins nantis se gardaient bien d'illustrer leur
prose. Quelques petits malins, les malins ont tendance à être petits,
avaient bien essayé le doseur gradué de chez Casteau, chez qui il y a
tout c'qui faut, mais celui-là n'était pas à dix pique-sels près et le
risque était trop grand, d'autant qu'à l'époque le service après-vente
était en dessous de tout, et qu'il n'y avait rien en dessous de tout,
pas plus qu'aujourd'hui d'ailleurs. Bèneladaine qui n'était pas plus
sourd qu'un autre était sorti de chez lui aux premiers roulements de
tambour et y était rentré bien vite en apprenant sa forfaiture; bien
qu'il ne signât jamais ses écrits au risque d'être plagié, une peur
panique l'avait pris et il serait rentré dans un trou de souris s'il y
en avait eu à sa
portée. Il hésita un court instant entre le suicide, mais il
s'aimait trop, l'exil et la dénonciation de son voisin, mais il se
ravisa; souvent dans les romans, les gens se ravisent, alors pourquoi
pas lui... et il choisi de ne rien faire, ce qui est déjà quelque chose ! Demain,
il ferait jour, et c'était comme ça depuis qu'il était né, et s'il
fallait travailler plus longtemps pour gagner plus, il économiserait de
quoi s'offrir un doseur à pique-sels d'occasion chez i-baie... Au
loin, les Rechercheurs cherchaient sur le champ à petites enjambées et
Bèneladaine reprit sa tâche là où il l'avait laissée, puisqu'il n'avait
pas d'autre tâche ailleurs. Emporté par le vent, un placard décollé
virevoltait dans la rue tel un cerf-volant: cette année, la colle-porte
était de mauvaise qualité et tout le monde s'en plaignait...
« Il était reveneure ; les slictueux toves Sur l’alloinde gyraient et vriblaient ; Tout flivoreux étaient les borogoves Les vergons fourgus bourniflaient. »*
Et si j’étais de la génération Web que serai-je ? Sans doute un smiley, peut-on dire un smi’Alice… Et si j’étais une poésie ? Je serais pleine de mots-valises. Et si j’étais un métier ? Je serais un philosophe, un peu nihiliste, apparemment fou. Et si j’étais un pays ? Je serais le pays des merveilles ! Si j’étais un illustrateur ? John Tenniel, Walt Disney**, et j’en oublie. Et si j’étais un animal ? Je serais un chat, LE chat de Cheshire. Et si j’étais une partie du corps ? Une bouche souriant à pleines dents !
Un sourire, une merveilleuse merveille .pour un musée imaginaire… Mais faites vite ! Avant qu’il ne disparaisse.
« J’ai souvent vu un chat sans sourire mais jamais un sourire sans chat… » remarqua Alice.
* « Jabberwock » poème de Lewis Carroll, traduction Henri Parisot (1946) ** J’ai un faible pour le Disney qui berça mon enfance d’où le petit .gif…
Sous la masse du ciel poisseux où je ne gâche pas mes yeux une terre en friche j'y fiche mon pieu en découpe les couvertures toute une équipée de voilures bientôt sous le vent par tribord amures bombe le torse et me force l'allure
Oui, je sais... je pars (encore !) en quête de mon trésor
Un océan de lin m'adresse un soyeux drapé de caresses mon petit canot s'y frotte les fesses tandis que ma paume experte en éprouve l'onde offerte mon regard en brasse la surface verte où trace n'est qui ne courre à sa perte
Je ne suis qu'un météore en quête de son trésor
Mer ! Mer ! Voici ton doux visage que borde le rivage de terres que je voudrais oublier
Mer ! Mer ! En dire davantage c'est remettre à l'ouvrage le forgeron de ton coffre à secret
Sur la vague caribéenne l'esprit à vif et l'âme pleine quittant l'océan ses peurs et sa peine mon voyage arrive à son terme déjà s'étend la terre ferme où gît mon trésor dont l'or est en germe et le miel appelle mon épiderme
Terre ! Terre ! Voici ton long rivage que borde le visage aux lèvres que je reviens aboucher
Terre ! Terre ! En taire l’alliage c’est garder le breuvage au doux giron de ton coffre à secret
(ce petit pot de miel au bout du monde)
Je demeure promeneur au milieu d’un champ de fleurs.
Pour enrichir la collection merveilleuse
des trésors du musée imaginaire, j’ai voulu vous offrir, sans les
dénaturer, les plus beaux rêves et les plus belles images que j’ai
stockés dans cette case de mon cerveau où le fantasme rejoint la réalité
pour créer le monde mirifique dans lequel je me plais à faire semblant
de vivre.
Je voulais vous faire partager mes
souvenirs les plus intenses que le temps ne manque jamais d’embellir à
mesure que la vie s’enlaidit. Je voulais vous décrire ces amours
passionnées autant que solides qui emplissent mes espoirs et mes désirs
et se font d’autant plus exaltantes que le cœur s’assèche. Je voulais
vous donner à voir toute la beauté que mon esprit peut produire avec des
morceaux de réalité agrémentés de chimères d’autant plus
extraordinaires que l’existence s’affadit.
Je voulais…
Je voulais vraiment… contribuer à ce…
beau… musée imaginaire.
Montmorency.
Fabrice Jacques-Michel
Montmorency. Ancien chef du Département d'Acquisitions du
Musée des Merveilles Merveilleuses. À votre service.
Pendant trente ans,
six mois, quarante-sept jours, sept heures, neuf
minutes et vingt-deux secondes, fidèle au poste, je
reçus chaque jour des centaines de personnes de toute sorte imaginable :
des grands, des petits, des ronds, des maigres, des vieux, des jeunes,
des
riches, des pauvres, des beaux, des laids. Des gens de partout sur la
planète
peuplant six jours sur sept la salle d'attente hors de mon bureau.
Naturellement,
chacun portait sur lui un trésor qu'il voulait confier au
musée.
Pendant trente ans,
six mois et presque
quarante-huit jours, j'étais chargé par la direction de les recevoir, d'
écouter
leurs narrations, d'examiner le trésor en question, de les remercier
vivement
pour leur contribution, de les raccompagner à la porte, et puis de leur
serrer
la main fermement et avec une gratitude qu'ils croiraient sincère. Une
fois la
porte fermée derrière eux, je terminai rapidement la documentation,
collant une
étiquette d'identification sur l'objet et le remettant sur la courroie
transporteuse qui menait à l'entrepôt vaste du musée.
Mon efficacité ne
connut pas de pareil, je
vous assure.
J'imagine bien que
j'aurais continué, si,
lors de ce quarantième jour de ma trente-et-unièmetrente-et-unième année de
service, je n'avais
pas ouvert ma porte vers 16 h 09 afin de recevoir une petite blonde, d'
un
certain âge, pas grande, pas petite, pas ronde, pas maigre, pas vieux,
pas jeune,
pas riche, pas pauvre, pas belle, pas laide. Je me souviens maintenant
qu'elle
portait un manteau beige quelconque et que j'avais remarqué qu'elle ne
répondit
rien lorsque je me présentai. En principe, c'était le contraire, les
gens
voulaient faire la meilleure impression possible afin que j'apprécie la
vraie
importance dudit trésor. Mais de cette femme-là, rien, pas un mot.
Rapidement
installée sur la chaise devant mon bureau, elle y plaça soigneusement
une
petite boîte.
Au début, je la
croyais incrustée de perles
- j'avais tout vu, bien sûr, des émeraudes, des diamants, des trucs
pitoyables
en carton - et je me rendis vite compte que la petite boîte fut composée
d'ivoire gravée. Je ne me souviens plus comment je compris que la dame
voulait
que je place ma main sur la boîte, je ne me souviens plus comment je
compris
qu'elle voulait que je ferme les yeux.mais sans qu'une syllabe ne passe
entre
nous, j'exécutai, efficace, comme fut mon habitude.
En quelques
secondes, toutes les couleurs de
l'univers passèrent devant mes yeux, maintes mélodies envoûtantes
caressèrent
mes oreilles. Des parfums savoureux taquinaient mes narines tremblantes.
La
boîte vibrait sous mes doigts. Je riais, je pleurais, je hurlais de
joie.
J'avais peur, j'avais chaud, j'avais froid, tout à la fois. Un maelström
irrésistible m'nveloppa. Je sais que j'y serais resté jusqu'à la fin de
mes
jours, mais je ne sais toujours pas, même aujourd'hui, combien de temps
je
restai là, cloué, immobilisé, transi, liquide, heureux.c'était six
secondes,
c'était six millénaires.
Quand j'ouvris
enfin les yeux, je vis la
dame en train de repartir.
- Attendez, madame
! Il faudra que.
Elle se retourna,
souriante. Un léger filet
cramoisi suintait d'un coin de sa bouche. Ses yeux bleus scintillaient,
je sus
qu'ils me commandaient d'ouvrir la boîte. Comme fut mon habitude, j'
exécutai,
automatiquement. Efficace, comme fut mon habitude, je vous assure.
Dans la boîte, je
vis un organe charnu,
musculaire, rougeâtre, violacé, pointillé.
- Mais, m-m-madame,
balbutiai-je, lentement,
difficilement. M-madame, c'est votre langue ?
De nouveau, la
musique m'enveloppa,
l'univers m'appelait et je me sentis très exactement sur le point de
m'évader ; je vis son sourire
luisant juste au-dessus du bord du précipice et j'entendis, de loin,
dans le
tourbillon de l'éternité, des clochettes d'ailleurs qui retentissaient
:
- Oh, ne vous
inquiétez surtout pas,
monsieur Montmorency ! me sourit-elle. Ma langue est bien une merveille
merveilleuse, mais j'en ai
d'autres.
Classique règle en
bois de 45 cm, j’étais
crainte et respectée dans cette classe de CE2. Mon propriétaire avait
passé
presque toute sa vie à l’école, ce qui est normal pour un instituteur ;
avant qu’on dise « professeur des écoles », on
disait « maître d’école ».
On imagine
difficilement
que cet homme vieillissant, vêtu de son éternelle blouse grise démodée,
avait pu
être un petit garçon qui jouait aux billes dans cette même école
publique
devenue mixte après avoir été « de garçons ».
Il arpentait les
rangs en rythmant
ses dictées, il me balançait pour insister sur un mot ou une
terminaison
difficile : « les
genoux –« kssss » -», ou pour suivre le cours d’un fleuve sur
la carte.
Dans ces moments,
j’aimais déceler son
sourire débonnaire derrière sa
moustache à la Brassens.
J’ai parfois
effleuré les doigts ou les épaules d’élèves
récalcitrants, ou
somnolents, mais c’était rare, car mon propriétaire, plutôt calme, ne se
mettait
jamais en colère. Pour marquer son agacement il faisait
sursauter toute la classe en me tapant à plat sur son
bureau : les
chuchotements des garnements tétanisés cessaient immédiatement (pour
reprendre un
peu
plus tard...) les dos se redressaient, et on entendait le
silence pendant les quelques
secondes suivantes.
Bien sûr, il
m’utilisait aussi pour tirer des
traits sur son
cahier, mais il me délaissait fièrement pour tracer à main
levée des traits impeccables sur le
tableau noir. J’étais un peu jalouse.
A la fin de cette
année 1987, mon maître, avant de
partir à
la retraite, m’a offert à un des élèves de
cette classe.
Si vous m’acceptez
dans votre musée, je serai heureuse
de revoir des enfants, qui viendront s’agglutiner
devant ma vitrine et j’espère que vous leur raconterez mon histoire.
En aparté : ma merveilleuse merveille pour les défis du samedi s’enracine dans la rencontre de l’amitié, la musique et la réconciliation. Elle s’appelle Gaspard de la Nuit de Ravel.
Collusion
Elle m’a tendu les billets qu’elle avait récupérés à l’entrée. Je les prends, les yeux perdus dans le vaste hall. Une éternité depuis que je suis brouillée avec les robes pincées qui s’étalent et les cravates impeccablement nouées. En froid avec les arpèges et les mouvements en mi mineur ou d’autres. Les fauteuils cramoisis et les mesures qui s’envolent sans assauts de basse et de guitare électrique me semblent autant étrangers que les lancinantes harmoniques indiennes. Elle me sourit, consciente de m’avoir traînée de force dans la fosse aux lions, engoncée que je suis dans ma jupe droite et mes escarpins douloureux.
Je m’assois sans jeter un coup d’œil au programme, je fixe le piano luisant. Depuis combien de temps, n’ai-je pas écouté quelques mesures de Chopin, ou même Schubert. Un vieux livret aux pages fragiles et odorantes, trônait sur le bureau, une mélodie, un souvenir de cordes pincées. Un nom, Anna Magdalena Bach, des pièces pour clavecins. Des touches jaunies, une note toujours fausse au bout de mon petit doigt. Le feutre et sa frange perlée avec laquelle je jouais machinalement avant de rabattre le lourd couvercle vernis. Je prenais au passage ma dîme d’un bonbon au sucre fondant, mon préféré, celui au glacis vert tendre, j’embrassais mes voisins qui me donnaient gentiment asile pour une demi-heure de notes vives ou écorchées. Un piano à demeure, c’était trop cher. Et puis, plus rien, le silence qui s’installe, mes visites de moins en moins fréquentes. Cette angoisse, presque haine, au creux du ventre chaque mardi dans la salle Mozart. Les propos en ricochet acérés, cette main sèche, lourde d’une bague de fiançailles vieillotte et d’un anneau, s’abattant cette fois-là sur mes doigts maladroits. Plus jamais les touches blanches et noires, plus jamais faire retentir les notes argentines, juste des larmes avalées jusqu’à la lie et le silence.
J’écoute l’accent flûté d’Adelina me raconter les premières lignes du programme, le passage décrit comme diabolique techniquement. Ravel, oui, pourquoi pas, cela présage une touche mélancolique. Elle m’indique le nom de l’œuvre, Gaspard de la nuit. Je tressaille, le titre sonne comme un tableau de Caspar Friedrich. Il est trop tard pour m’éclipser, j’avais accepté l’invitation pour le plaisir d’une soirée entre amies, sans penser à un traquenard innocemment mis en place. Il me faut rester.
Les rangées se taisent dans un frissonnement de tissus et de velours rouge. Un homme en frac noir s’installe devant le clavier.
Si vous désirez les imprimer, les encadrer, en faire des cartes postales pour envoyer à vos ami(e)s, illustrer votre blog, vous pouvez, c'est cadeau ! Les fichiers images non réduits sont téléchargeables ici : http://dl.free.fr/ohbOdVS9e
Quand ce matin ou cette nuit L’épais brouillard de novembre Quand un grand vent de feuilles jaunes Quand le rythme des saisons Dessine à l’horizon La silhouette de st Exupéry Moi le petit prince et le renard mon ami Nous attendons son retour Alors à la saison prochaine Le renard me dit Il reviendra Alors les choses iront mieux Alors les saisons nouvelles Seront dessinées à l’encre de st ex Alors à la mesure de l’homme Sur les ailes d’un géant d’acier Moi le petit prince et le renard mon ami Nous essayerons De ne plus nous perdre Entre les gentianes jaunes Et les épines de la rose Quand un jour d’avril Quand forcément dehors Allongés dans les prés Sur les dernières neiges St ex nous fera signe Moi le petit prince et le renard mon ami
Guettant le moindre geste Entre le ciel et le désert On s’abandonnera dans ses bras Quand une carte à la main Quand le topographe Quand fatigué d’écrire St ex s’endormira sur la laine chaude du mouton Alors moi le petit prince et mon ami le renard Alors les blés murs de l’été Alors les steppes venteuses Oubliées dans son livre Nous ne seront plus les derniers amis d’une catastrophe
quand une lettre de lui acheminée par le vent quand une journée de plus sans lui à soutenir les arbres et les hommes
Moi le petit prince et mon ami le renard Sans défense devant le monde armé Nous demanderons l’abri Aux enfants de don Quichotte Une grenade à la main Moi le petit prince et mon ami le renard
Quand ce papier froissé et griffonné est tombé dans ma boîte aux lettres, j’étais justement en train de vider les greniers en vue d’un déménagement tout proche. Le travail était déjà bien avancé et j’avais déjà fait profiter pas mal de gens de mes pieuses reliques.
Ainsi par exemple, les ronflements de l’ogre, je les avais offerts de bon cœur à celle qui était devenue la nouvelle femme de l’homme-de-ma-vie. Ils lui revenaient de droit, n’est-ce pas. Alors que me restait-il ? Un vieux rat, mais il refuse obstinément de refaire le cocher, et d’ailleurs la dernière citrouille a été transformée en confiture juste avant l’hiver.
J’ai brûlé le balai de Blanche-Neige quand on a fait les travaux de rénovation et installé le système d’aspirateur centralisé et j’ai jeté hier les dernières cendres sur le tas de compost.
Ma mère a vendu la quenouille à un brocanteur. C’est de justesse que j’ai pu sauver de la vente le miroir-dis-moi-qui-est-la-plus-belle, c’est Francis, mon coiffeur, qui en profite.
Il y a bien longtemps que mon père a mangé les dernières tranches de pain d’épices envoyées par tonton Grimm et j’ai égaré la recette du cake d’amour. Ma robe couleur du temps ? Elle a pris un peu de patine et n’intéresse sûrement plus personne. D’ailleurs, la fermeture éclair est cassée.
Tous les crapauds du voisinage sont en train de frayer en ce moment et n’ont vraiment pas la tête à jouer au prince charmant. C’est pourtant l’époque où ils se laissent prendre avec le plus de facilité, j’en ai aidé une bonne vingtaine à traverser la route, dans la nuit de vendredi à samedi.
Il me reste bien la clé de la chambre de Barbe-Bleue, mais je ne voudrais créer d’ennuis à personne. Vous comprenez que de nos jours, avec l’ADN et la police scientifique, il vaut mieux ne pas laisser traîner ce genre de pièce à conviction.
Ah ben oui ! comment n’y ai-je pas songé plus tôt ! Je vous offre mes cailloux, vu que je compte m’acheter un GPS pour aller voir mon amie Marie l’été prochain !
Mon
bien le plus précieux, le voici. Je viens de le dérober aujourd’hui
même et vous l’offre. Au premier regard, dans ce salon plein
de bruits de voix, il m’a semblé peint tout exprès pour moi et
non pour son mari qui lui, bienheureux homme, peut la voir tous les
jours, à toute heure. Le bien le plus précieux du prince, si j’ose
dire, au-delà de toute sa richesse matérielle, est son épouse mais
le sait-il… J’en doute. Combien je l’envie, cela il ne le sait
pas sinon le libre accès de son salon et de ses appartements ne me
serait plus possible et mon cœur en serait fort meurtri.
Ce soir
du monde, des bruissements, des conversations animées et mondaines
et si mon être social était en apparence bien présent et au
diapason de ces charmantes personnes, mon cœur palpitait fort pour
la princesse. Tout en m’efforçant de ne rien laisser paraître de
cette coupable attirance, au moment où je suis passé devant la
petite table où l’on exposait son exquis portrait, tout en
regardant mon adorée, ma main dans mon dos s’est prestement
emparée de la petite peinture sans m’encombrer de l’étui d’où
on l’avait sortie.
Personne
n’a pu me voir, personne ne m’a vu. Si, elle. Elle m’a vu et
devant son trouble presque palpable, je me suis approché d’elle
pour lui murmurer les yeux plongés dans les siens quelques paroles
la priant de ne rien révéler de mon larcin sinon sa réputation
parfaite ne pourrait qu’en être entachée car dès lors elle
serait, en quelque sorte, complice de s’être tue.
Pendant
quelques instants j’ai continué à fréquenter cette assemblée,
parlant à l’un, répondant à l’autre, tout en gardant mon
trésor ineffable enfoui au fond de la poche de mon habit de velours,
l’esprit en feu et le cœur en tumulte : elle m’a vu prendre
son portrait et elle n’a rien dit.
Chers
amis qui fort opportunément me proposez un défi, je vous en
remercie, je le relève et vous remets ce petit portrait de mon
aimée. Mais plus précieux que ce tendre objet est désormais
l’amour immatériel qui me lie à elle et nous attache l’un à
l’autre, son silence éloquent explicitant enfin son regard.
J’aurais aimé vous offrir la merveille des merveilles, quelque chose comme un morceau de la citrouille qui fit le carrosse de Cendrillon, les cailloux blancs du Petit Poucet, ou même le dragon jovial et doux qui aide Bastien dans l’Histoire sans fin… Mais je n’ai rien de tout ça ! En vérité, j’ai une lampe qui n’est pas d’Aladin. Mais qui est d’un pays où je n’ai jamais posé les pieds. Elle parle d’une petite fille aimée de sa grand-mère, car il fût un temps où la vieille dame encore jeune visita la Tunisie. Une lampe qui me voyage et m’enracine. Du bleu et du blanc sur porcelaine et ça n’a l’air de rien. Je possède encore un animal fabuleux, transparent et coloré, sans nom et sans fiche signalétique. Il est ce que mon cœur dessine. Il a les couleurs de mes frères. Fragile. Etrange, non ? Il y a peut-être quelque chose qui… mais chut, cela pourrait faire peur. Une sorcière habite chez moi. L’accepteriez-vous ? Elle est plutôt souriante et je ne crois pas qu’elle jette de mauvais sort. Mais tout ceci, on ne peut vraiment pas dire que ça brille de mille feux ! C’est que… mon navire n’a découvert que des îles aux trésors sans flamboyance, vous comprenez ? Je suis une capitaine de l’ombre, qui récolte les étoiles qu’elle peut. J’ai une tétine grignotée, arrachée de haute lutte à une petite fille prête à grandir mais qui ne le savait pas. Etre là pour lui faire franchir le pas… Moi, j’y vois une merveille. J’ai un livre abîmé, et jamais déchiffré – je ne connais pas la langue – un livre d’enfance comme une berceuse d’imaginaire, venu de je-ne-sais-où, je ne sais comment : « Màm koníčka bielho » et un cheval blond à bascule… Il y a là assez de mystère, peut-être, pour entrer dans votre collection des merveilles de merveilles. Enfin, pour clore, je peux vous proposer, en prêt, un petit coffre. Précieux. Dedans, il y a des clefs orphelines et un grelot. Pourquoi ? Pourquoi pas.
Poétiquement vôtre, captaine Lili
Lettre envoyée dans une bouteille de limonade à l’ancienne, vide. Sableuse et entourée d’un collier de coquillage.
Aujourd’hui, ça m’dit pas plus que ça, mais
essayons quand même ; voyons…
Vous présenter un objet auquel je tiens :
· L’abécédaire de mon
grand-père ? Il n’en est pas
question, je suis bien trop égoïste pour le partager !
· Mon vieux Teppaz que je viens de ressortir pour l’opération
« Chanson réaliste ? » Qui peut bien encore s’intéresser à ce
genre d’objet hormis quelques « piqués
du casque » tels que mes compères et moi-même ?
· Mes vieilles diapos de
Djibouti et d’Ethiopie ? Elles n’ont de valeur que pour moi …
et le vieux complice qui partage ma vie (et qui la partageait déjà
à l’époque..)
· Une de mes aquarelles ?
Voyons, ce ne sont pas des trésors, ces tableautins qui font parfois la joie
des copains ? Je suis certaine que
ça ne vous dirait rien !
Alors ?
Peut-être mon dernier cadeau
d’anniversaire ?
Sur invitation de Papistache, je me permets d'envoyer ma merveilleuse
merveille. J'ai particulièrement soigné l'emballage : il ne faudrait
surtout pas qu'elle s'abime...