Effet d’optique (Caro Carito)
ro
Margarita ou Gin Fizz ? Madame s’éclipsa dans un froufrou de satin paille. Le maître de maison s’avança, smoking de rigueur sur une impeccable chemise de sergé paille. Dieu qu’il est beau, pensa-t-elle en secouant ses boucles platine.
Sur un signe de Lawrence, le majordome, elle se tourna vers le troupeau de gorgones et autres dragons familiaux emperlées, cravatés et momifiés qui s’engouffra illico dans la salle à manger. Croustade d’écrevisses et asperges au citron, lotte au beurre « colbert », poulet aux agrumes confits et lemoncake. Décidément, Jasper et Lucy étaient à la hauteur de leur réputation culinaire. Un tour dans le salon parme ou le fumoir, avant de voir la meute d’invités s'engouffrer dans la nuit froide.
Elle l’observait, allongé sur le sofa, l’air satisfait. Orchidées, vins fins, cristal et argenterie au grand complet sur la nappe tissée de fil d’or. Jusqu’à ce jour, elle n’avait jamais connu sa belle-famille qu’à travers potins et articles de presse. Et à ce regard sombre qu’il avait parfois. Elle y lisait toute la tristesse d’une enfance solitaire dans le manoir grand-paternel. Jusqu’à la salvation de l’internat à la mort de sa mère.
Elle rit soudainement. Tu as remarqué, Chéri, comme c’était drôle. Leurs persiflages et leurs propos acerbes, toutes leurs piques perdaient de leur intensité au fur et à mesure du dîner. Leurs visages avaient pris une teinte jaunâtre, comme si leurs remarques amères leur étaient montées à la tête. Tu crois que c’était un effet d’optique ? Après tout, les chandelles étaient en cire jaune. Ses traits se durcirent. Elle vit passer un éclat de haine dans son regard. Ce n’est qu’au bout d’un long silence qu’il murmura acidité gastrique.
Au petit matin, alors qu’elle s’enivrait encore de l’odeur âcre et citronnée de sa peau, il se confia enfin. Ils souffrent tous de reflux variés, d’ulcères... Une tradition familiale en quelque sorte. Estomac délicat et fiel de vipère. Leurs lèvres ne s’ouvrent que pour faire souffrir leurs semblables. J’ai haï chaque repas sous le toit de Torsel Manor. Toutes ces viandes grasses, ces gibiers, me donnaient la nausée et je courrais aux cabinets pour vomir. Ma bonne me montait un porridge dans ma chambre pour que je ne crève pas de faim. Ce n’était rien. J’ai vu ma mère retenir ses larmes à chaque dîner. Ils l’ont tuée. J’ai pu respirer à nouveau le jour où, orphelin, j’ai pu entrer à l’internat. J’étais maigre et souffreteux. Mais j’étais sauf. Je me suis juré de n’avoir jamais à mendier leur argent. Qu’après ce repas, ils crèvent, ce ne serait que justice. Mais je voulais les faire souffrir. Une seule fois. Qu’ils savourent l’amertume de la cigüe, ces salopards.
Il se tourna vers elle et lui caressa la joue. C’est fini, nous ne les reverrons plus. Ils se pencha mais ne l’embrassa pas. Ces mots lui étaient-ils destinés ? N’avait-elle pas senti une frêle présence? Sa mère ? Sur le sol anglais, ça n’avait rien de choquant. Et un fantôme au manoir, pourquoi pas.
Défi 2 Ecstasy
is a Paradise lost. Au
creux de leurs yeux Au
creux de leurs mains Un
cachet pâle Extase
amère versus envolée fluo Fruit
défendu au goût de citron. La
nuit demeurera sombre