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Le défi du samedi
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27 septembre 2008

Gigoletto - Caro_Carito

Tragi-comédie en une scène

Et plusieurs répétitions…

 

Gigoletto est parti. Il a jeté son sac de sport griffé Lacoste sur son épaule et a fermé la porte sur nos quelques semaines de vie commune. Non sans une certaine élégance.

Depuis ce dimanche d’abandon, la semaine a déroulé son ennui pluvieux. De pseudo-obligations en sorties mondaines, son prénom s’est effacé. Quant à son nom, l’avais jamais connu ? Ses traits s’estompent dans un halo de boucles dorées et dociles. Y perdre ma main était un jeu savoureux. De ces souvenirs sans esclandres - ce jeune garçon n’avait pas eu le mauvais goût de me faire une scène de boulevard ou de m’accuser de l’avoir abusé – ne me reste en bouche qu’un léger souffle d’amertume.

Matinée dominicale oisive. De ma terrasse, j’admire les flots de zinc qui s’étalent. Le disque pâle étouffe le dôme du Sacré Cœur d’une clarté éblouissante. J’entends vaguement les bruits de la rue Taitbout tandis que je sirote un café solitaire. Le bouquet acheté hier se creuse déjà sous le poids de la fatigue et des lourds roses. Un pétale se pose sur ma main. Rosé et tendre, il me caresse. Il est piqué de quelques marques. Comme sa peau lisse d’éphèbe éclaboussée de taches de rousseur. J’aimais effleurer son visage de mes lèvres, croquer les siennes, juteuses et gémissantes. Ma main aux fines ridules a froid malgré la chaleur de la porcelaine et des rayons de soleil. Dépouillée des ses bijoux, elle semble bien inutile. A peine quelques jours auparavant et elle musait, mutine, sur sa chair drue, taquinant un sexe tendu et malhabile. Ses caresses étaient pleines de fougue et de rires. Il avait, les premiers temps, gardé cette innocence de la jeunesse, comme s’il s’excusait de devoir encore apprendre. Bien vite pourtant, alors qu’il ne se croyait pas observé, un éclat de haine avait traversé ses yeux. J’avais alors deviné qu’il allait me quitter. La douceur et les présents ne pouvaient éclipser bien longtemps la fierté de se savoir posséder et, qui sait, le désir d’un sentiment plus fort. A vingt ans, on ne peut pas savoir que la tendresse a une saveur hors de prix.

Assez. Il est temps pour moi d’aller traîner mon vague-à-l’âme au Louvre. Je me lève et repousse la chaise. Les touristes ont déserté la capitale, les parisiens préférerons se presser sur les terrasses des cafés. Ou s’accommoderont des chaises métalliques du Luxembourg, avides des derniers feux de l’été. Oui, une visite au musée. Je prendrai ensuite un thé et un gâteau avant de rentrer dans mon salon déserté.

 

Face au tracé de mon Maître, Jean Auguste Dominque Ingres, je sens monter en moi une larme intempestive. Heureusement, une voix rompt le brouhaha ces curieux et annonce un n° dans les haut-parleurs. 3948 a gagné ! Une œuvre, n’importe quelle œuvre. Quel jeu stupide. Même la Joconde ? En un réflexe machinal, je tire le ticket d’entrée de ma poche. 3948 se détachait sur la mort de Sardanapale en arrière plan-glacé. Je lève ma main. Des officiels arrivent. Une foule pressante se colle à moi. J’aurais pu toucher cette excitation bruyante, les paris fusent, tous s’exclament, s’interrogent…

Tout se précipite alors très vite, je marche lentement à côté de M. le Conservateur et lui désigne un coin retiré de la salle des statues. La masse grogne, montre les dents et se disperse. M. le Conservateur semble soulagé. Nous passons dans ses bureaux pour que je lui laisse mes coordonnés et puisse signer quelques papiers.

 

Le colis arrive en fin de semaine. Je le déballe avec précaution. La statue apparait dans toute sa grâce. Je tourne autour, médusée, en admiration devant sa pureté antique. Je pose mes mains sur elle, j’exulte d’une joie d’enfant. Je la pose avec soin sur le socle que je lui ai réservé. Je m’accroupis soudain et frotte lentement ma joue sur ses fesses parfaites. Et je les revois tous, déambulant au saut du lit alors que je repose ensommeillée. Gigoletto I, Gigoletto II, III, les doués, les tendres, les éphémères, les cupides. Je laisse un chaste baiser en hommage à leur souvenir sur le fessier de terre cuite.

Désormais, je vais pouvoir jauger les doublures à venir à l’aune de la perfection.

colis

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20 septembre 2008

Coming out - Caro_Carito

Dans le prestigieux studio d’enregistrement de « entre les guillemets », Alain Gentel, figure emblématique de l’audiovisuel français, officie dans son rendez-vous mensuel. Une tension palpable règne dans les locaux.

Septembre. Effervescence d’une rentrée littéraire.

A l’opposé de l’équipe qui s’agite et arpente en tout sens le plateau télé, le patron affiche une décontraction presque indécente. Son invité, il l’attend de pied ferme. Il a réussi à imposer à sa direction férue de sondages son auteur fétiche. Une rentrée sans goncourisé alignant des best-sellers à répétitions et des reportages sur leur refuge germanopratin, c’est une première. Il s’est délecté toute la semaine à annoter livres et interviews. Il a visionné des enregistrements télé et radio jusqu’à plus soif. Il est fin prêt. Sa mine réjouie fleure le plaisir de celui qui va se régaler une heure de direct durant.

Il ajuste sa cravate, nettoie ses lunettes. Il s’autorise à tailler une bavette avec les téléspectateurs invités et se dirige vers son fauteuil. Louis Lemal arrivera deux minutes avant l’émission, un brin de superstition n’ôte rien au charme de cet auteur et à la richesse de ses propos.

Il arrive enfin, ses yeux clignant sous la clarté des projecteurs. Une chemise immaculée sur un jean noir, l’allure juvénile malgré sa crinière blanche et sa peau striée de petites rides. Un sourire et une poignée de main. Il s’installe.

Alain Gentel attrape ses fiches fébrilement. Instant fatidique avant de plonger dans une partie de ping pong racée où chacun des joueurs aligneront bons mots et réflexions plus profondes. Une pensée peu poétique le traverse. Ce soir, il va casser la baraque, il le sent.

- Cher Louis, bonjour. C’est toujours un plaisir de vous recevoir ici. Et un privilège.

Louis Lemal sourit.

- Votre roman, « Rendez à César » a, comme toujours, rencontré son public et été accueilli avec enthousiasme par la critique…

Un silence. Son interlocuteur hoche la tête. Diantre, il l’a connu plus loquace. Une angine ? Pourtant le temps est doux. Il attrape un de ses fiches, légèrement déstabilisé et embraye sur le commentaire suivant.

- En aparté, je dois vous dire que votre style est une pure merveille. Une phrase et me voilà transporté dans la Rome antique avec une profusion de détails et cette légèreté qui nous rend immédiatement l’intrigue familière.

Et c’est là que devant le regard stupéfait de Alain Gentel, personnage chevronné du PAF, et un public ébahi que Louis Lemal regarde ostensiblement sa montre et annonce :

- J’ai un train pour Londres à prendre. Vous m’excuserez, n’est ce pas. Voyez-vous, il me faut aujourd’hui rendre à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu et à Edwige Laumonnier ce qui est à Edwige Laumonnier. Depuis 15 ans, c’est elle qui se cache derrière ma signature et je n’ai pris ce rôle que suite à une soirée un peu arrosée et aussi… Parce que, Edwige, tu me pardonnes, Edwige est du genre réservée, nous avions passé un pacte un peu enfantin, je l’avoue. Mais il est temps de mettre fin à cette amusante mascarade. Edwige.

Louis Lemal se lève et s’avance vers une femme menue à l’allure de souris. Il attrape sa main, l’assoit d’autorité à sa place et quitte le plateau non sans avoir serré la main d’un Alain Gentel interloqué. A nouveau cette pensée traverse l’esprit du présentateur vedette mais avec un brin de sarcasme et de déception : c’est sûr ce soir tu vas casser la baraque.

Il pose ses fiches et d’une voix douce s’adresse à sa nouvelle interlocutrice : « Chère Edwige, nous allons mettre de côté ce coming out qui va bousculer, à n’en pas douter, le microcosme littéraire français. Je suis impatient de connaître qui est cette personne qui manie la langue française avec autant de doigté. » Il s’interrompt. « Dîtes-moi tout, Edwige, je peux vous appeler Edwige, car j’aime tant vos romans, je les ai tant lus et relus, que j’ai l’impression de vous connaître. Oui, racontez-nous… Cette part féminine qui est une constante dans vos ouvrages…»

13 septembre 2008

Maudits mots dits (Caro Carito)

Maudis Les Mots Dits

Maudits je t'aime

Tu me demandes si je t’aime.

Dans la chaleur des draps froissés.

En voiture, quand j’ai l’œil rivé au rétroviseur.

Au cinéma, devant le mot fin en lettres blanches.

A l’encre liquide de tes sms.

Après tu éclates en sanglots, en te pendant à mon cou.

Je dénoue tes doigts qui s’agrippent.

Aimer, être aimé, c’est aussi avoir mal, répètes-tu.

Dans mes réponses, je mets toute me tranquille assurance,

Cette force que tu as peur d’user.

Tu t’excuses, tu ries, tu jures, tu t’enfuis.

Tu reviens.

A eux aussi,

Tu leur demandes si je t’aime.

Traquant les indices

Surveillant les regards furtifs.

Les lâchetés que je m’autorise.

Tu questionnes, tu interroges,

Tu incommodes, tu t’emportes.

Tu les prends à témoin, eux, moi,

L’univers entier et même après…

Alors tu t’effondres.

Je te ramène, exténuée, à bout de toi.

Tu t’endors dans le vieux sofa rouge.

J’entends encore tes lèvres murmurer

Ces mots dont il ne reste que la trame.

Je reste impuissant car, comment te dire, mon aimée,

Que tes doutes forgent mes certitudes.

30 août 2008

Services rendus - Caro_Carito

La course du chariot s’arrêta à la caisse n°16.

72 minutes pour faire les courses. Les produits les moins chers. Ne rien oublier

Je regarde devant moi la longue file fatiguée. Un, deux, trois… Ils sont six à me précéder.

La caissière a l’air d’être une novice. Elle a le sourire emprunté de ceux qui ont peur de faire une erreur. Un vendredi à 18h47. Elle a dû déjà subir pas mal de remarques désobligeantes. Sur sa lenteur. Sur ses gestes peu dégourdis. Mais le pire c’est sans doute ces mots muets, méprisants, sur ses fines tresses et sa peau mate. Yvonne, ma copine a une grande sœur Hortense. Elle pleurait le jour où elle s’est fait renvoyait de l’hyper d’à côté. Pas assez rapide. Ou elle ne plaisait pas. Je ne m’en souviens plus. De toute façon, l’excuse pour la virer était bidon.

Je tire de ma poche le portable de ma mère et un vieux livre. Pas de message. Pas de j’ai oublié le ketchup, le shampoing, les saucisses

Sur un fond de musique pénible, un mec hurle dans les hauts parleurs que là, maintenant, pour un paquet de jambon acheté, un offert. Je m’en fous.

Je suis seule. Partie, barrée. N’importe où. Dans les affres distillées par Stephen King, coincée entre le rouge et le noir de Stendhal. En équilibre sur mon caddy poussif, je m’envole.

Ca passe vite, mine de rien, vingt minutes à la caisse.

Plus vite que si j’étais chez nous. Là-bas, les tout-petits chialent, les grands ne pensent qu’à me faire tourner en bourrique et ma mère. Elle attend que son dernier mec revienne pour une nuit ou pour un mois. Ou jamais. Mais ça je ne lui dis pas.

Heureusement elle déteste les courses. D’abord, elle ne sait pas acheter. L’argent s’évapore de ses mains grises.

Elle n’aime pas non plus le regard des autres qui s’attardent sur sa taille épaisse sous ses vêtements défraîchis.

Et surtout les files d’attente lui fichent le bourdon.

 

Moi, au contraire.

Je les adore.

5 juillet 2008

La boîte de Pandore* (Caro)

Je n’ouvre pas le couvercle…. J’écoute d’abord leurs musiques. Je tends l’oreille. Des sons venus de l’enfance ou d’hier. Une note argentine, un murmure pour qui sait tendre l’oreille. Je devine par avance les mots. Mes mots, qui s’entrechoquent. Comme des billes, des pierres colorées qui roulent dans les volutes de ma mémoire. Leur chatoiement me ravit à la grisaille familière.

L’un d’eux s’échappe de sa prison de papier. Pour l’heure, j’ai déjà beaucoup à voir : neuf tulipes pouffant de rire dans un vase transparent**. Dans la voiture, au milieu d’une conversation, en m’appesantissant sur une feuille aux chiffres tenus, je papillonne. Je les imagine, ces fleurs aux lignes pures, robe de satin aux accents de coquelicot et de paille grillée, resplendissantes de soleil. Tellement présentes. Et cette eau claire qui les abreuve dans les clairs filets de l’été.

Un peu plus loin, une fenêtre et un champ qui dansent à l’abandon. Le rire d’un criquet. Un vieil arbre et un pas d’homme.

Et je reviens à elles, à leurs danses légères. Je souris à mes deux chipies ; deux orchidées complices dont les fleurs tigrées s’effleurent. Elles qui ne pensent, qui sait, qu’à moi, tendues jusqu’à l’extrême pour m’offrir leurs fragrances discrètes. J’écoute leur babil, étonnée d’être leur confidente.

Alors la perfection des tulipes et des mots enlace mes pensées. D’autres billes s’échappent, nouvelles pierres, anciens morceaux de kaléidoscopes qui me parlent d’attente. Attendre que l’amour qui passe soit un amour qui demeure***. Des souvenirs de front frais d’enfant au matin. D’une tache de rousseur posée sur ta joue. D’une joyeuse tablée à l’hiver comme à l’été.

D’un battement de cil, le couvercle s’est refermé et le coffre s’est évanoui, ne laissant dans mes yeux que l’éclat de rire des mots. Parée de tous leurs feux, riche de leurs reflets, je me devine prête, rien ne pourra m’arriver.

* la boîte de Pandore d’où, d’après certaines sources, s’échappèrent les maux, les mots ? Les dieux laissèrent l’espérance aux hommes.

** Autoportrait au radiateur de Christian Bobin

*** l’Eloignement du monde de Christian Bobin

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28 juin 2008

Rush hour (Caro_ Carito)

Mais où ai-je pu le fourrer ? Je m’en veux, je m’en veux, je m’en veux.

Bon quel jour sommes-nous ? Samedi. Donc, jour de marché. CQFD. Un papier, un crayon, une liste. Où l’ai-je mis, je l’ai fourré quelque part, je ne vais jamais m’en sortir sans lui.

Et les enfants, les enfants, nonnnnnn ! Je suis sûre que je suis en train d’oublier un truc. Allons cocotte un effort, cette dame, la maman de bidule. Elle t’a appelée. Mais pourquoi ? un anniversaire, une piscine, aller le chercher à l’école… Mais qu’est-ce que j’ai entre mes oreilles, le vide intersidéral, je n’arrive à me souvenir de rien. Si seulement je pouvais remettre la main dessus. Mais où diantre ai-je pu le fourrer ?

Quoi chéri ? Si je sais où tu as rangé le dernier avis d’imposition ? Mais c’est contagieux, ma parole, c’est toi qui m’a refilé le virus ! Non, n’insiste pas ; je suis déjà assez énervée comme ça. Quoi je pète un câble depuis une heure ? Comment, tout le monde est sur les nerfs à cause de moi ? Oui je sais le petit déjeuner n’est même pas prêt, mais tu sais où se trouve chocolat et brioches non ? Tu ne veux pas que je tienne la main non plus ? Quoi, quoi ? Oui c’est mieux faîtes comme vous voulez, manger sans moi. Ahhhh, je suis en train de devenir folle. Quoi ta déclaration, j’en sais rien, je te l’ai dit. Je ne l’ai pas vue. Oui. Non.  Ok, si je la vois, je te l’envoie fissa. Ouais par chronopost tant qu’on y est. Quoi c’est le dernier jour sinon  on paye une amende. Mais que veux-tu que j’y fasse, Tu vois bien que j’ai d’autres chats à fouetter… Quoi ? Non, je ne l’ai  toujours pas trouvé. Oui, j’ai regardé dans mon bureau et je me demande où j’ai bien pu le ranger.

Allez respire, réfléchis ma fille, du calme. Une gorgée de café. On se concentre sur ses neurones. Bien sûr, tu es en train d’oublier plein de trucs. Tiens, note vite fait, il faut que tu appelles la boutique de Déco des Lys, ils m’ont laissé un message. Aïe, le cadeau de la fête des pères pour mon paps et zut l’anniversaire d’Ode. Ce n’est pas possible, comment vais-je faire sans lui ? Il faut que je le retrouve, j’ai toute ma vie dessus. Calme toi trace pas à pas ta journée. Où a-t-il pu se glisser ? Dans la voiture. J’ai déjà regardé trois fois. Bureau. J’ai même retrouvé un vieux chèque égaré. Non, je ne vois toujours pas où j’ai bien pu le mettre.

J’en ai marre, ils n’auraient jamais dû me l’offrir. L’autre, la version préhistorique, acheté chez Quo Vadis, sans bip ni rien, je le retrouvais toujours et ça ne me demandait pour l’ouvrir qu’un effort manuel.

Il y a un truc que j’oublie, un truc important. Oui, samedi. Qu’est-ce que je fais le samedi. La messe, non d’ailleurs, même pas le dimanche. La kermesse c’était la semaine passée ; Le gâteau pour la fête de l’école de musique, il faut que je le fasse demain. Mais oui, c’est le défi du samedi et non, horreur enfer et damnation ! Mon texte je ne l’ai pas envoyé, je l’avais tapé sur mon i-phone et je l’ai paumé ! Que je m’en souvienne. Un truc du style…

Je regarde l’heure, mon pote l’i-phone me dit qu’il est temps de sortir le linge parce qu’il fait beau. Et il me dit pendant que je jette un coup d’œil à son écran lumineux. Right in time, il me faut démarrer le roastbeef…

C’est raté… J’ai tout raté. J’ai paumé mon bébé et j’ai oublié d’envoyer mon texte…

7 juin 2008

La tête de l'emploi (Caro-carito)

La secrétaire fait entrer un homme à l’air un peu effaré.

- Entrez, entrez, mettez vous à l’aise.

L’homme en complet bleu marine lui tend une chaise.

- Bien, vous avez donc eu en main l’annonce parue dans le journal local.

L’homme, en complet bleu marine, assis derrière son bureau, extirpe d’une pile de documents et de dossiers une coupure de journal soigneusement pliée. Son interlocuteur semble vouloir dire quelque chose.

- Je sais, je sais. Le texte est assez précis. Voire trop précis. J’avoue, ce fut une erreur. Un de vos devanciers sur cette chaise nous a même accusés de chercher un mouton à cinq pattes. Bien sûr, c’était exagéré. Mais vous verrez, nous nous sommes amendés. Désormais, nous allons à l’essentiel…

Une pause

- Une bonne partie de ce qui est requis n’est désormais plus d’actualité. Des détails, des requêtes, somme toute, secondaires.

Il marmonne : « très secondaires ».

- Bon, entrons dans le vif du sujet. Sexe. Age, état civil, nationalité. Corpulence. Origine rac….

Il s’approche de ses notes pour les relire comme s'il n’arrivait pas à déchiffrer quelque chose. Entre ses dents : « Zut, c’était barré. »

- Bien, passons aux diplômes. Mettons nous d’accord, nous voulions un double cursus avec expérience Erasmus exigée, trilingue bien sûr. Mais avec le niveau actuel, ça n’est pas si important, vous êtes bien dans la moyenne ? Avec un bac, un équivalent. Parfait.

Il s’interrompt brusquement.

- Vous savez ce qu’est un ordinateur ?

Soulagement visible

- Une souris ?

Un soupir de contentement.

- Français courant. Quelle question stupide ! Vous avez bien compris l’annonce. Esprit de débrouillardise ? Mais que diable, comment auriez-vous fait pour arriver jusque chez nous sans une once d’ingéniosité.

Il coche avec rapidité des cases sur une feuille dactylographiée.

- Bon la tenue. Cela peut s’améliorer.

Il fixe son interlocuteur, soupèse la chemisette avachie, les boucles blond-roux qui entourent avec un vague désordonné le visage poupin et légèrement coloré de son vis-à-vis.

- Un short par cette chaleur passe encore. Je précise l’usage est circoncis au bureau.

Il s’éponge le front avec un mouchoir en tissu.

- J’ai aperçu vos sandales. Cela donne un look de touriste allemand égaré en France. Surtout avec les socquettes. Vous êtes bien d'accord… Oui ? Comme le bob, vous me comprenez, ça ne fait pas très sérieux pour un commercial.

- Le camping ? Vous acceptez déjà le poste ! Martine, Martine, vite le contrat, le champagne… Ainsi vous êtes disponible tout de suite… Quelle merveille !

Il se tord les mains de joie, on croirait presque voir une larme perler au coin de la paupière droite. La jeune femme du début entre dans le bureau quand une grosse voix avec un fort accent teutonique cherche ses mots avant d’ânonner : « Je viens de Munich, je cherche le camping des flibustiers de la Rance. » Consternation générale.

L’homme au complet le raccompagne jusqu’au parking. En regardant partir le camping-car, il éprouve un léger pincement au cœur : « Quel dommage, il avait l’air vraiment bien… »

31 mai 2008

Une veillée sur la grande ceinture (Caro-carito)

Approchez, approchez

Ah oui, vous êtes tous là.

Asseyez-vous pour écouter le périple de Yalaté.

Yalaté…

Ecoutez les mots, écoutez l’histoire et instruisez-vous.

Yalaté est arrivé d’au-delà des mers, du désert.

Il a fait un long voyage.

A dos d’âne

En taxi

A pied

En esquif

En bateau

En stop

En bus

En camion

En métro

Et à nouveau à pied.

Yalaté est arrivé dans la grande ceinture de la ville.

Ils l’ont accueilli, cousins, frères, neveux.

Ils lui ont trouvé un travail et lui ont dit :

« Il faut que tu sois prudent.

Ici les hommes sont des loups, avec des matraques.

Ils sentent que tu n’es pas des leurs et tu retournes illico au pays. »

Alors…

Yalaté s’est fait tout petit,

Petit comme une souris.

Il retenait son souffle

Quand un inconnu passait trop près.

Où quand un œil mauvais

Traînait au coin d’une rue.

Un jour, Yalaté avait faim.

Et la faim est comme une hyène

Qui crie et qui hurle sans jamais s’arrêter.

Alors il a fait sonner les pièces dans sa poche

Est entré dans un supermarché.

Il a marché le long des rayons éclairés de néons et de couleurs.

Ensorcelé,

Etonné

Abasourdi

Emerveillé

Ebloui

Estomaqué

Envoûté soudain par la vision des dizaines et des centaines

Et des milliers de fromages.

A l’infini.

Imprudent aussi.

Un homme immense au costume sombre s’est approché et ….

Yalaté s’est envolé au-delà des tours de béton, après les menottes, et les cellules sales.

Après les zones de transit sans fenêtres et sans horizon.

Il a fait un long voyage.

En avion à travers l’Afrique.

Il a soupiré, en apercevant au loin,

Derrière le vieux baobab,

Son village.

Yalaté a alors murmuré :

« A cause d’un fromage, me voilà revenu à mon village du bout du monde. »

Il a fermé les yeux en serrant son vieux sac.

Yalaté savait qu’il retournerait,

Dans cette ville de maisons aveugles où il fait bon manger.

Ecoutez, écoutez l’histoire de Yalaté,

Faites-la passer, transiter, vivre

Pour ne jamais vous faire faucher par le vautour d’ivoire

Aux ailes d’acier.

24 mai 2008

Double scotch (Caro Carito)

Je portai machinalement la main à ma tête, p….., certains matins sont vraiment pâteux. N’empêche, je n’avais pas dû trop boire car aucun mal de crâne ne s’accrochait à mes tempes. Je m’assis sur le lit en désordre, essayant d’accoutumer mes yeux à la pénombre. Un coup d’œil à ma montre. 6h32 indiquaient les aiguilles dorées. Tôt, même si la lumière filtrait à travers les stores. Tiens, je n’avais pas dormi seul, un corps doré sommeillait à mes côtés. Je ne pouvais voir son visage caché sous des mèches folles. Un instant, j’eus envie de la réveiller mais non. Qui était-elle ? Je ne me souvenais même pas de son nom.

En fait, je ne me souvenais même pas de qui j’étais. D’un saut, j’atteignis la salle de bain. Un homme dans la trentaine me fixait soupçonneusement, une barbe drue envahissant ses joues, des cernes de mauvaises nuits accrochés à son regard sombre. Il passa une main sur son visage avant de s’asperger d’eau. Après ce bref dialogue muet avec ce double inconnu, je récupérai quelques vêtements qui jonchaient ça et là le plancher de la chambre. Je souris, la scène semblait sortie d’un film blockbuster alignant les souvenirs suggestifs d’une nuit qui fut, à n’en pas douter, torride. Les fringues m’allaient bien mais ne recelaient aucun indice quant à mon identité. J’avisai une bouteille de Cardhu à moitié vide. Je reniflai le verre vide, du 16 ans d’âge. Instantanément, je me retrouvai dans un bar, et j’entendis ma voix, une voix rauque, prononcer ce sésame magique qui m’ouvrait les portes de la nuit : « double scotch ! ».
Je parcourus la maison aux pièces en enfilades labyrinthiques. Des corps reposaient ça et là comme une version trash de la Belle au bois dormant. Il leur faudra bien plus d’un baiser pour se réveiller. Un salon où traînaient des dessous d’assez mauvais goût et des lignes de poudre blanche. Des coupes et des bouteilles à moitié renversées. Et partout, cette odeur de sueur froide et de cigarettes qui colle à la peau. J’entrai dans une vaste pièce lambrissée. Une bibliothèque vidée de ses livres. J’appuyai sur l’interrupteur faisant jaillir une lumière glauque. Un tripot. Je raflai une épaisse liasse de dollars qui traînait au milieu des jetons.

Je descendis le grand escalier de verre. J’avisai une pile de manteaux et pardessus accrochés en enfilade. Le silence régnait partout, je n’avais rencontré personne, enfin juste des inconnus semblables à des statues de chair. J’allais attraper un imper beige quand mon regard accrocha une photographie par terre. Elle avait glissé d’une sorte de press-book. Je m’assis un instant pour le feuilleter. Le visage de l’inconnu dans la glace se trouvait là parmi d’autres belles gueules. Il avait interprété Garcin. Sur la photo, découpée dans un magazine, mon regard s’arrêta sur le menton veule. Oui, ce mec avait le visage de l’emploi, empreint de lâcheté. Je caressai mon visage, étrange, l’acteur sur la photo dissemblait de l’homme aperçu dans le miroir. J’avisai une invitation. Ainsi le grand raout avait été organisé suite à une représentation de pièces courtes de grands dramaturges. Il semblait que mon sosie y tenait une place d’honneur, interprétant  « Parle-moi comme la pluie » de Tennessee Williams.

Les mots lui revinrent immédiatement, il revoyait le théâtre, la scène, cet homme qui avait passé la nuit dans une baignoire remplie de whisky et de glaçons et cette femme pathétique qui attendait de l’autre côté de la ville. Cette intensité physique, ce désir brut, animal entre eux deux, qui devait rejaillir sur le public. Il se souvint que, ce soir-là, il aurait presque pu le palper. Il ne souvenait pas même du visage de sa partenaire, sa maîtresse sans doute. Mais il sentait aussi que une autre femme l’attendait de l’autre côté de la ville, qu’il fuyait sans oser l’abandonner, cette ombre dont les yeux éteints lui faisaient horreur et dont il ne pouvait s’écarter. Cet homme était un lâche, un Garcin.

Il franchit la porte et avisa un homme à tout faire qui lui tendit un trousseau de clefs et lui désigna une voiture. Il n’entendit même pas le nom que l’homme murmura en lui tendant les clefs. Il ne jeta même pas un coup d’œil dans la boîte à gants. Il y trouverait sans doute quelques papiers d’identité. Il enclencha le moteur et se mit à filer vers l’autoroute, sans même regarder derrière lui.

Il lui fallait partir loin, jusqu’au prochain bar, jusqu’au prochain double scotch.

17 mai 2008

Diras-tu oui? - Caro_Carito

Pour éclairer tes yeux d’eaux dormantes, j’aimerai t’offrir la démesure et l’outrance, le pays brûlant de mon d’enfance.

Nous déposerons les armes dans le berceau des volcans, au sein des maisons aux briques ocre, rouges et blanches. Là, je te conterai la légende, notre légende d’exilés. Des mots transmis, ravaudés qui ont fait nôtre ce bout de terre aride.

Nous nous égarerons, main dans la main, dans cette forêt, où chaque pas s’efface, avalé par une végétation vorace et tapageuse. Nous guetterons l’aube violine. Et te sachant immobile à mes côtés, je saurais que ton regard impassible, semblable à deux éclats de jade, se fond alors dans le luxe des hautes frondaisons.

Oublieux du temps, nous poserons nos mains sur les murs des temples tutélaires, perdus dans les hauteurs. Tu sentiras la présence féline des dieux passés. Alors tu pourras mesurer la distance qui sépare le grand condor de tout autre. Tu oublieras le héron gracieux et la célérité de l’épervier car tu l’apercevras, tel un seigneur, planant entre le Huascaran et les cordillères blanche et noire. Regarde comme il est fier ; son vol majestueux effleure les cimes enneigées.

Nous errerons ensemble le long des brumes grises qui assiègent Lima, nos regards perdus dans les méandres des balustrades et des palmiers poussiéreux. Nous traverserons les déserts, de sable et de pierres qui se dévident à l’infini. Et sur une digue de béton, face aux bouillonnements des vagues, nous serons seuls au monde.

Nous sentirons le goût du sel sur nos lèvres. Tu apercevras peut-être les fantômes des conquistadores et le ventre pansu des caravelles à l’assaut de l’Eldorado. Oseras-tu goûter à ce feu qui nous incendie, corps et âmes, et qui nous tient éveillés la nuit durant, dansant, la peau luisante et fiévreuse? Avec ton cœur où bat sans cesse ce pays enclavé dans le vieux continent, altier, accepteras tu cette terre de pionniers ? Ici, souffle l’esprit du Nouveau Monde, une terre à partager, un rêve à découvrir.

 

Je t’offre mon pays, au sang bouillonnant, au rire facile et léger comme le vin de Tacama. Vois son cœur ouvert et généreux, avec cette folie douce et entêtante.

Lorsque nos âmes ivoire et brunes s’emmêlent, qui sait… Puisque, en levant les yeux vers le ciel, bercés par le chant des peupliers, nous partageons la même éternité.

3 mai 2008

Tube cathodique - Caro_Carito

Avant de lire, regarder : http://fr.youtube.com/watch?v=1zJVYkX9r8w&feature=related
 

J’éteins la télé. C’est vraiment une sale manie que j’ai prise d’écouter M6 au saut du lit. Mais ça me donne là pêche. Et j’en ai besoin. Tous les jours de la semaine, congés, dimanche et jours fériés compris. Mais surtout quand je vais au boulot. Bon il est temps. Je pense à ce vidéo clip, ça doit être étrange de se retrouver autre. Bon le gars-là, Kamini y devient blanc. Qu’est-ce que je pourrais devenir. Tiens invisible. Il suffit que je me regarde dans la classe, un teint pâle et des cheveux courts d’une couleur indéfini. Un pull gris. Un jean. Un uniforme. De toute façon, on ne me remarque pas. Je ne parle pas, je bosse, corvéable à loisirs, avec un petit salaire et on me dit à peine merci.

Un dernier coup d’œil dans la glace. Mais j’ai la berlue. Il n’y a plus personne dans ce miroir. Me voilà invisible pour de bon. Je m’assois deux secondes. Heureusement même transparent, je peux avaler un peu de café. Bon, ce n’est pas la peine que je prenne mon vélo pour aller au taff. Il faut que je prenne le métro. Et d’ailleurs pourquoi je devrais aller bosser. Puisque l’on ne me voit pas. Soudain je regard mon tube cathodique et je vois ce mec black, enfin non, il est blanc maintenant, qui se marre. « Salut mon pote, t’as droit à une heure d’invisibilité, profites-en !» Dernier éclat de rire et ploff plus rien.

La porte vient de se fermer derrière moi. En profiter, pourquoi faire… Je pourrais aller au taff et leur faire payer par mille misères ce qu’ils me vont supporter chaque jour, cette insoutenable indifférence polie. Non. Trop facile. Devant moi, j’aperçois une blonde au lourd manteau de fourrure. Elle grimpe dans un taxi en demandant un péremptoire « les Champs Louis Vuitton », je l’y rejoins aussi sec. Là, confortablement engoncé dans les fauteuils de cuir, légèrement dans les vapes, son parfum c’est pas du truc pour jeune fille à l’extrait de rose et de magnolia. Ca dépote ! Je me laisse bercer par paris est ses berges, ses boulevards. Je suis béat. Et puis je le vois, comment l’avait-on surnommé lors de sa construction ? La verrue ! L’Opéra Garnier. Bingo Ca y est je sais, je sais que je vais faire, je vais courir après un autre invisible, un de ces êtres que l’on ne voit pas. Et qui sais-trouver le lac oublié. Je profite d’un feu rouge pour me glisser hors du taxi et je grimpe le cœur léger les marches de l’opéra Garnier. Au passage je chipe à un touriste distrait son Gaston Leroux ; une heure m’avait-il dit, une heure pour aller au-delà des pages, pour plonger à sec dans le réel derrière l’encre et le papier.

fantome

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