La chambre (Caro Carito)
Je me sens mal à l’aise chez ce psy. Je ne les aime pas de manière générale. Leur retenue glacée m’effraie. Il me demande un moment heureux. Ce ton tranquille me ramène au temps du collège, à cette prof de français détestée. Elle aussi avec la même tranquille assurance. Elle aussi nous demandait de nous dépouiller de notre intimité. Il nous fallait coucher sur le papier – quatre pages minimum - des extraits de nos vies, des sentiments, des impressions. Tout ça pour inscrire une mauvaise note bien en vue, surlignée de rouge, au bas de la copie.
Il répète la question, je ne réponds toujours pas. Je jette un coup d’œil alentour pour prendre contact avec la chambre inconnue. Le canapé est recouvert d’un frais liberty et la fenêtre s’ouvre sur un jardin. J’aperçois les corolles rosées d’un cerisier et un merle qui se balance avant de plonger dans le vide. Sur le mur crème, deux ou trois estampes japonaises et une photographie en noir et blanc, un garçonnet sur le chemin de l’école. Un souvenir agréable ? C’est si simple en fait…
Tu es trop grand maintenant, je vais te couper… Il enfouit sa bouille ronde dans mon cou et s’arrache à mes bras. J’aimerais t’enlever quelques années. Je regarde s’éloigner la silhouette emmitouflée dans le caban bleu marine qu’une amie a prêté et qui lui va si bien. Un dernier signe de la main avant que la voiture des grands-parents ne disparaisse.
J’attrape l’un des doubles du doudou originel qui traîne dans l’entrée et gravis les escaliers. Sa chambre se trouve à gauche, au bout du couloir. La couette est roulée en boule comme toujours. Je serre contre moi l’oreiller Barbapapa et ne peux m’empêcher de le porter à mon visage. Son odeur d’enfant est restée là, incrustée dans les replis de coton.
Je m’allonge sur
le lit en chien de fusil et je ferme les yeux. Je viens de fermer le livre
d’images. Les volets sont clos. Nous nous pelotonnons l’un contre l’autre. Je
chantonne. Toujours cette même comptine. Les notes se taisent dans le calme de
l’après-midi. J’entends son souffle, je compte ses soupirs. Déjà le sommeil
m’entraîne dans le paradis accueillant des rêves. Juste une minute, savourer mon
tout petit.
Au loin, j’entends une voix étrangère qui me demande à nouveau : un moment heureux ? Je n’ai toujours pas appris à répondre. Et puis, tout se mêle : hier, demain, aujourd’hui. Le désir de la fillette, de la jeune femme. D’une vieille dame au seuil de sa vie aussi, silhouette fragile qui se dessine le long de mes jours. Avec ce besoin inchangé de respirer encore une dernière fois, l’odeur de sommeil de mes brigands. Jusqu’au bout.