Eolia - Kloelle
Trois pétales de pluie
Au lilas de ses yeux
A
quoi sert le vent ?
Je te vois, cachée dans les hautes herbes de ma vallée.
Je sais que tu es là, tigresse meurtrie à la crinière
affadie,
Tu me guettes, blessée, apeurée, solitaire…
Tes doux yeux s’embrument et se resserrent,
Témoins malgré toi de ta douleur vive…
Ne t’enfuis pas mon Amazone infidèle !
Tes griffes acérées caresseront ma peau
Et je succomberai à tes charmes
Quand ,toi, tu cèderas au monde que tu hais…
Viens à moi, ma belle !
Je regrette ma fougue, trop humain…
Mais espère, malgré tout, ton contact apaisant
Pour une union improbable au comble du désir…
Oh et puis non… attends…
Ne crains plus mon regard, Artémis farouche !
Je ferme mes yeux et te lâche….
Tu es libre, enfant capricieuse,
De fuir ton désir ou d’affronter ta peur…
Je reste là, immobile,
Et attends dans mon sommeil
Ta décision fragile…
Il avance peniblement.
La pluie tropicale lui
fouette le visage cruellement, presque jusqu’au sang. La nuit impitoyablement
noire le laisse sans reperes. La peur
lui prend les tripes.
La boue retient ses
chaussures, l’empeche d’avancer. Mais il
ne peut s’arreter. Il essaye de courir de toutes ses forces mais semble au
contraire bouger au ralenti, pire, faire du sur-place dans cette melasse
collante.
Il a besoin de se cacher, de
rentrer chez lui, pres de la riviere. Mais il sait instinctivement qu’il se
trouve a des kilometres de la... dans la selva.
Malgre l’humidite ambiante et ses vetements qui lui collent au corps, il frissonne. La tete lui tourne, il se sent de plus en plus faible a chaque seconde qui passe. Il lui semble sentir sur sa nuque le souffle de creatures invisibles ; des voix etranges appellent son nom ; des claquements lointains lui parviennent de toutes directions ; des sons familiers se font echo et se perdent dans le velours menacant de la nuit.
Il se sent entoure,
epie ; les bruissements du feuillage ne font qu’accentuer sa paranoia. Il
s’attend a voir surgir de derriere les gigantesques troncs d’arbres cette vie
qu’il avait laissee en France pour venir s’installer dans ce petit village
d’Amerique du Sud.
La !
Son coeur s ‘arrete.
Entre les feuilles perlees
de pluie, un regard... ces yeux... les seuls qu’il puisse reconnaitre entre
mille...
Les yeux de son ex-femme...
Il se reveille, suant et
haletant, de ce reve enfievre.
Elle entend les appels et les bruits de pas autour d’elle et elle se recroqueville plus encore pour ne pas qu’on la voie. Il ne faut surtout pas qu’on la trouve, sinon elle est fichue. Mais elle est bien cachée dans le feuillage accueillant où elle s’est réfugiée. Elle se sent comme une exploratrice. On dirait qu’elle s’est perdue dans la forêt et qu’elle est poursuivie par des animaux féroces. Et on dirait qu’elle se cache pour ne pas qu’on la trouve. Mais dans son histoire on dirait qu’elle a emmené des barres chocolatées et de quoi boire pas comme elle. Quelle gourdasse, elle n’est pas encore prête à être une vraie exploratrice. D’ailleurs elle ne s’est pas vraiment perdue (même si elle ne saurait plus trop retrouver le chemin de la maison tellement elle s’est enfoncée dans la forêt) mais qu’elle s’est volontairement échappée. D’ailleurs ce ne sont pas vraiment des animaux mais son père et les voisins de la maison bleue, elle a reconnu les voix. Les animaux l’auraient déjà trouvée, eux. Oui, on dirait plutôt qu’elle s’est perdue pour échapper aux terribles soldats de la Reine du Pays de l’Enfant Roi qui allait la punir injustement. Parce qu’au Pays de l’Enfant Roi, c’est toujours lui qui a raison et qu’on écoute. Et qui choisit en premier l’image du paquet de céréales. Et à qui on donne raison quand ils se disputent. Tous ça parce que c’est le plus petit. Mais l’Enfant Roi n’est qu’un sale petit troll, elle n’en veut pas. Elle, elle avait demandé une petite sœur.
- Sophie, si tu ne sors pas tout de suite de ta cachette, je te promets que tu auras une fessée comme tu n’en as encore jamais eue. Ca suffit maintenant
Les soldats s’impatientent et ont l’air de devenir encore plus redoutables. Le ventre de l’exploratrice se met à gargouiller, ça doit commencer à être l’heure du repas, en plus maman a dit que ce soir ce serait raviolis. Enfin la Reine du Pays de l’Enfant Roi…
- Sophie, je compte jusqu’à trois et après ça va barder pour toi si tu ne t’es pas montrée. J’en ai vraiment marre de tes caprices de gamine trop gâtée. Un…
Tiens on dirait des gouttes d’eau qui commencent à tomber. Mais pourtant on avait dit qu’elle était exploratrice en Afrique, c’est pas du jeu !
- Deux…
Tant pis, là c’est plus vraiment drôle. On dirait que le jeu est fini.
Elle se relève et se montre enfin, sortant du feuillage qui l’abritait :
- Papa ! Heureusement que tu es là, je m’étais perdue…
Lundi,
j’ai découvert ce magnifique pastel de Zesheep et depuis je suis venue
tous les jours et plusieurs fois par jour pour observer ce tableau. Ce
regard d’une femme ou vraisemblablement d’une jeune fille, ces éclats
bleus qui se dissimulaient derrière un feuillage, quel secret ou quelle
blessure enfouis rendait ces yeux si tristes ? J’ai repoussé d’autres images qui, déjà, se superposaient à ce tableau. A
travers ce regard j’ai vu ceux de ces jeunes enfants dont la vie
bascule du jour au lendemain. Ils arrivent dans une institution qu’ils
ne connaissent pas au milieu d’adultes et d’enfants qu’ils rencontrent
pour la première fois. Leurs
yeux ne cachent rien de leur crainte, de leur souffrance, de leur
chagrin. Des larmes brillent souvent dans leur regard. Aucun son ne
sort de leur bouche. Ils baissent la tête dès qu’on leur adresse la
parole. Avec le temps et de la patience, ils retrouvent confiance et à nouveau des étoiles scintillent dans leurs yeux.
Derrière son guichet en orme ciré, l’hôtesse doit me prendre pour un cinglé. C’est le dixième billet que je lui achète pour l’exposition temporaire “Fleurs de peaux” au musée des Beaux-Arts de la ville de Ch***.
Jeudi dernier, il pleuvait, le rendez-vous avec un gros fournisseur de ma boite avait été annulé. Je suis commercial à la Solu-Paper-Tea, société spécialisée dans la fabrication des sachets solubles de thés et tisanes. J’ai déambulé dans les rues médiévales sous mon parapluie jaune et vert, à l’enseigne de la boite.
L’affiche m’a attiré : “Pastels secs, Fleurs de Peaux de Zesheep”. Je suis entré... Les portes du musée s’ouvrent à
neuf heures. A midi, le gardien me pousse gentiment vers la sortie. A
quatorze heures, je tends ma carte bleue à l’hôtesse :
— Pour l’expo “Fleurs de Peaux” ?
— What else ?
Mardi,
le musée ferme, j’aurais pu quitter Ch*** et appeler la boite ou
Monique, j’ai rôdé dans les jardins de l’évêché qui bordent la vieille
bâtisse où sommeillent les collections d’art de la ville. Je n’ai pas
réussi à sortir le téléphone de la poche de mon caban.
Mercredi.
Je suis là, dès l’ouverture. L’hôtesse me tend un billet avec
réticence. Je lis sur son front le lourd cheminement de sa pensée. Elle
redoute un acte de vandalisme ou un vol spectaculaire. Elle a tort.
Je
n’en veux pas aux œuvres accrochées. Une seulement m’attire. J’ai
l’impression qu’elle vit et change à chacun de mes passages.
Je quitte le musée chaque fois plus fort que lorsque que j’y suis entré. Ce regard me donne une pêche d’enfer.
Hier,
mercredi, j’ai cogité toute la journée. J’ai foulé chaque centimètre
carré du jardin de l’évêché. Il est petit. Si ce matin, je perçois, le
moindre signe, je plaque tout : boulot, épouse, appart, relations... Je
fonds sur les Marquises.
Bientôt
quarante berges, je ne vais pas attendre d’être usé pour emboîter mes
pas dans les traces de Gauguin. Un signe, un seul et... je m’envole.
Aucune idée n'inspire ma plume
Je perds mes vers dans une brume.
Petit visage aux yeux de bleu
Me rend muette, me parle si peu.
Oh, s'il y avait juste un oiseau,
Ou un mouton au pastoureau !
Si on y voyait juste le ciel,
Je ferais mille mots existentiels !
Mais cette tête parmi ces feuilles
Ne m'aide pas à franchir le seuil.
Je n'ai rien à vous offrir.
Rien, rien à découvrir !
Petit visage aux yeux de bleu
Me rend muette, me parle si peu,
Aucun chemin à parcourir.
Je n'ai rien à vous offrir.
I.
Ce matin, il a posé
deux cordes supplémentaires sur sa lyre.
- C’est idiot un
instrument à neuf cordes alors que la gamme ne comprend que sept notes ! »
lui dit-elle.
- C’est, répond-il,
en hommage aux neuf muses. »
Il vient toujours
faire le Jacques non loin d’elle. Quand il joue de son instrument les rochers
et les arbres se déplacent pour venir l’écouter. Elle ne reste pas de bois non
plus, même si elle est nymphe des arbres. Mais elle sait. Epouser cet homme qui
l’aime et qu’elle aime tout autant, ce serait aller vers leur bonheur mais
aussi très rapidement vers leur perte.
Tout en eux, dès lors, passe par les regards. Ils s’estiment, ils s’admirent, il s se savent faits l’un pour l’autre mais elle ne lui cédera rien. Tant pis pour l’histoire et la légende. Il restera un Argonaute, celui qui, par son chant, fit taire les sirènes. Elle restera anonyme
II.
Ce matin, il n’est
pas encore là. Elle l’attend, sans inquiétude, silencieuse, sereine. Soudain
arrive ce raseur d’Aristée. Lui, c’est le dieu du stade, le roi de toutes les
courses aux J.O mais, comme dragueur, un relou de première.
- J’ai perdu, mon
Eurydice, deux centièmes par rapport à ma performance d’Athènes, aujourd’hui.
Ne veux-tu pas me servir de lièvre pour le marathon, cet après-midi ?
- Je ne suis pas
ton Eurydice ! Et encore moins ta cocotte ou ton lapin, espèce de
zatopèque !
- Ne te fâche pas,
Eury ! Je sais que tu en pinces pour l’autre muzikos mais je peux quand
même tenter ma chance puisqu’il n’y a rien eu entre vous !
- Casse-toi, pauvre
congre !
Pourquoi le déteste-t-elle ? Pourquoi a-t-elle toujours un pressentiment, un ressentiment contre ce type ? Pourquoi est-il toujours, aussi, présent dans ses visions funestes ?
III.
Ce matin-là, elle
assiste dans sa clairière à une drôle de scène. Un véhicule étrange s’est posé
pendant la nuit dans son petit coin ombreux et idyllique de leur beau pays de
Thrace. Trois guerriers bourrus en sont sortis, accompagnés d’une mortelle en
robe rose. Ils ont dressé une tente et prennent présentement leur
petit-déjeuner.
- Divin, ce yaourt
au miel, les copains ! lance la jeune femme à l’étrange coiffure
retenue par deux bouquets de fleurs d’églantier. Qu’est-ce que tu manges, toi,
Jurassic ? »
- Je trempe une
tartine de moussaka dans du thé aux graines de pita gore. »
- C’est bon ? »
demande Luna.
- C’est pas pire
que le Maroilles dans le café noir des Ch’tis ! »
- Est-ce qu’on aura
le temps d’aller en ville acheter de l’ouzo avant de repartir ? » demande
Central qui a toujours été le plus raisonnable des frères Park.
- Je ne sais pas,
répond Isaure. Déontologiquement, a-t-on le droit de ramener du nectar et de
l’ambroisie des pays mythologiques ? Je ne suis pas sûre d’ailleurs que
nous soyons arrivés au bon endroit. C’est quand même la première incursion de
Tornado dans un pays de légende ! »
- Moi, je suis sûr
que oui. Je fais toujours confiance aux professeurs de l’Université de Rennes
3. »
- Attention,
planquons-nous, voilà quelqu’un ! »
C’est Aristée qui
arrive avec des baskets neuves et un chronomètre qui fait bling-bling.
- Incroyable !
C’est lui ! »
- Je n’en reviens
pas ! Vous avez vu comme il lui ressemble, à elle ? »
IV.
Ce matin, Orphée
lui a offert trois perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas. Il ne
dit surtout pas à Eurydice qu’il s’agit d’un cadeau d’Isaure Chassériau. Il ne
dit pas qu’il a assisté lui aussi à l’enlèvement d’Aristée par trois guerriers
bourrus et la déesse du voyage dans le temps. Il ne dit rien, il regarde
Eurydice avec amour et inquiétude.
Dans la première
perle de pluie, elle voit l’horizon dégagé : il n’y a plus de course folle
pour échapper au dieu satyre, plus de serpent qui la mord au pied, plus de
séjour aux Enfers, plus de descente d’Orphée et surtout elle n’aperçoit plus ce
moment trop cruel où, malgré ses injonctions silencieuses « Ne te retourne
pas ! Ne te retourne pas ! Ne me quitte pas ! » cet idiot
se retourne quand même.
Dans la deuxième
perle de pluie, elle voit Aristée sur la place d’une grande ville. C’est un peu
comme dans ses anciennes visions des Enfers mais c’est très particulier. Les
gens autour de lui sont vêtus bizarrement et il est le seul à griller sur un
bûcher. Les trois soldats bourrus et la jeune femme en rose s’échappent dans le
fond de la goutte d’eau en compagnie d’une femme qui a la même coiffure à
frange qu’Aristée.
Dans la troisième
goutte d’eau on voit le jardin du Thabor à Rennes. La statue de l’enlèvement
d’Eurydice qui trônait d’ordinaire à deux pas du kiosque à musique… la statue de
Charles Lenoir n’existe plus.
Ce matin, ils se
sourient, ils se regardent, ils savent qu’ils vont s’aimer sans heurts jusqu’à
la fin des temps.
Et peu importe que le pays où il ne pleut jamais et d’où viennent les trois perles de pluie soit une terre de légende qu’on appelle Bretagne.
-"pourquoi faut-il toujours que femme se cache" ?
pour permettre aux pinceaux... d'imaginer.
-"pourquoi faut-il toujours que femme se voile d'une fleur "?
pour permettre aux pastel... d'exister.
-"pourquoi faut-il toujours que femme se pare de mystère" ?
pour permettre aux couleurs... d'idéaliser.
Blessée, elle se sent venir un cœur de glace
Et ses yeux d'améthyste perlent des pleurs de quartz.
Sous l’épais feuillage
Souvenir de ceux qui furent
De petites armes
Dans les yeux tatoués
Trois enfants, trois gouttes d’eau
Trois petites larmes
« Soyez vous-même », qu’il a dit, le Monsieur.
.
Voici près d’une heure que je te regarde, tout en essayant d’être moi-même, face à toi. Je dois bien l’avouer, je suis fascinée par tes yeux. Je vais même te dire : je ne vois que ton regard, dans tout ce vert. Mais quel regard ! Il me donne l’étrange impression que tu es vivante. Et ça me trouble.
.
Pourquoi me regardes-tu comme ça, dis ? Pressens-tu mes réticences ? Comment le peux-tu ? Oh, tu sais, moi je ne te ferai aucun mal. Sois-en sûre. Ce n’est même pas que je ne t’aime pas, c’est plutôt que je n’ai jamais appris à t’aimer, toi et les autres.
.
Au début, je disais aux gens mon détachement pour l’art simplement pour expliquer mon ignorance. Et puis je l’ai tellement dit que cette caractéristique me colle à la peau :
Val est brune, elle est gentille, elle a un blog et deux enfants, et elle n’est sensible ni à la poésie, ni au beau artistique.
.
Alors, puisque l’on est seules, face à face, je vais te faire une confidence. Je pense que j’ai tout simplement peur de me séparer de ma prétendue frigidité à l’art, parce que je considère qu’elle me définit, tout comme la couleur de mes yeux ou mes plus ardentes passions. Je suis même parfois tentée par l’émergence de quelques émotions à la vue de beautés comme la tienne, mais je m’efforce de les refouler pour rester fidèle à l’image que j’ai donné de moi. J’aurais l’impression de me trahir en m’abandonnant à ton charme…
.
Et puis, c’est tellement plus facile de feindre le manque d’appétit que d’avouer que l’on a faim, mais que l’on n’ose pas entrer dans ce restaurant, que l’on estime bien trop chic pour soi. On n’y serait pas à l’aise !
.
Personne ne nous écoute. Et puis, ce n’est pas toi qui iras le répéter, n’est-ce pas ? Alors, je vais faire une exception aujourd’hui. Rien que pour toi. Parce que tu es belle et que tu me bouleverses. Je vais tout te dire.
.
Jamais des yeux peints ne m’ont poignardé le cœur avec une telle intensité. Jamais !
.
Et peut-être même que des yeux aussi saisissants que les tiens, comme ça braqués sur moi, pourraient bien me faire baisser les armes et regarder dans la direction que m’indiquent les milliers d’index, pointés vers toutes ces beautés que j’ignore.
.
Message d’une DRYADE
au promeneur du parc.
Fille de Zeus et du Ciel
le jour et la nuit je veille
sur la nature si belle
aux mille et une merveilles …
Mais si tu vois, promeneur,
couler de mes yeux des larmes
c’est le signe que mon cœur
se déchire, en grande alarme …
Pitié pour la terre Mère
arrêtez de l’épuiser
et de réduire en poussière
les arbres de ses forêts !
MAP
- J’aime bien les perles de rosée.
- C’est pas des perles de rosée, c’est des larmes.
- Des larves ?
- Des larmes.
- …
- Quoi ?
- Ben maintenant je trouve qu’on dirait des larves et du coup j’aime moins.
Regardez-moi.
Je
m’appelle Eve.
Certains me voueront une haine ancestrale, née aujourd’hui,
jour où j’ai… Non. Où nous avons croqué la pomme. Je serai alors plus Lilith
que femme.
D’autres m’aduleront, me voueront aux nues de la féminité,
de la liberté. Je serai Eve le symbole. La terre nourricière. Je ne serai plus.
Mes filles penseront à cette malédiction attachée à nos
ventres. Tu enfanteras dans la douleur.
Elles gémiront quand leurs dos courbés, leurs corps fatigués les feront
regretter d’être venues sur terre.
Pour elles, trois larmes.
Une qui rafraîchira leurs tempes lasses et enlèvera un
boisseau de peine à leur âme.
Une qui se mêlera à celles qui ruissèlent sur leurs visages.
Ainsi, elles sauront qu’elles ne sont pas seules.
Et la dernière se fraiera un chemin jusqu’à leur cœur.
Alors, elles trouveront la force de se redresser. Leurs regards se perdront
dans le mien.
Laissez le mythe. Regardez-moi.
Je ne suis qu’une femme et je m’appelle Eve.
La petite personne surveille le jardin, elle a été désignée comme sentinelle pour cette lunaison.
Alors elle scrute bien l'espace autour d'elle, il ne faudrait pas que ses frères et sœurs se fassent surprendre en plein travail. Par des enfants ou des animaux ce ne serait pas trop grave, mais si c'était un des grands il pourrait les prendre pour des nuisibles et leur faire du mal.
Il va être temps, le soleil commence doucement à poindre à l'horizon.
Tout est calme.
La petite personne roucoule une invitation.
Aussitôt surgissent de partout lutines et lutins qui courent avec elle vers le centre du jardin.
Ils se prennent par la main et se lancent dans une ronde bondissante.
De leurs gorges montent un chant très doux qui mêle chagrin de voir la nuit disparaître et bonheur de voir le soleil se lever.
Ce chant monte dans l'air.
Chagrin et bonheur se mêlent, deviennent larmes.
Et ces larmes tournoyant dans l'espace viennent doucement se poser sur le jardin lui offrant une couverture chatoyante de rosée.
Les petits êtres continuent encore un peu leur ronde, faisant jaillir la rosée sous leurs petits pieds, s'en aspergeant en riant.
Bientôt il est temps de repartir pour mener à bien d'autres tâches.
Comme de petits filaments de lumières les voilà qui filent tous vers la forêt.
La petite sentinelle reste encore un moment en arrière pour admirer leur travail.
Remarquant du coin de l'œil un mouvement à l'une des fenêtres de la petite maison, elle lève la tête et aperçoit une fillette dont le visage rayonne du plaisir d'admirer son jardin transformé en arc-en-ciel.
La petite lutine l'a déjà vue cette enfant et elle lui plait bien.
Cachée derrière quelques herbes elle l'observe un moment, s'émerveille de son sourire de joie, et doucement trois dernières petites gouttes de rosée s'échappent des ses yeux pour venir illuminer un autre petit brin d'herbe.
Ce nouveau scintillement attire le regard de l'enfant qui se met à rire de ravissement et sans trop savoir pourquoi lance un baiser dans les airs vers ce miroitement.
Une petite lutine s'en saisit, le niche sur son cœur, et s'en va d'un pas dansant rejoindre ses frères et sœurs.
Trois petites graines, Comme dans Verlaine… Perles de rosée ? De pluie ou bien de larmes ? Qui les a déposées ? " Il pleure dans mon cœur, Quelle est cette langueur " ? Ils sont si bleus Ces yeux ! Ils me désarment… Tapie dans les fourrés, Cette demoiselle, Pourquoi se cache-t-elle ? Son doux visage, A un air si sage… Pourquoi chuchoter ? Je vous laisse écouter, Mais aussi deviner… Voilà mon défi De ce samedi…