L’escalier de secours (Prudence Petitpas)
On y était presque, mon frère m’avait parlé d’un terrain vague où l’on pouvait trouver le trésor du siècle, j’avoue que du haut de mes 10 ans, je n’y avais pas vraiment cru, mais il fut si persuasif ce soir là que j’acceptai de le suivre… après avoir couru en sortant de la maison sans nous retourner de peur d’entendre notre mère nous rappeler : vos devoirs, vous n’avez pas fait vos devoirs, rentrez les enfants vous sortirez plus tard… mais nos oreilles restèrent sourdes à ces appels et nos petites jambes nous emportaient tout droit vers l’aventure. Il fallu traverser la grande route, et là mon frère, qui se prenait pour le grand, alors qu’il avait tout juste 12 ans, me prit solennellement la main et regardant à droite à gauche, puis de nouveau à droite comme nous avait appris papa lors de la leçon « je traverse prudemment une route », il me tira en avant et nous la traversâmes en courant. J’avais bien vu qu’une voiture arrivait sur notre gauche, mais heureusement, la traction ferme et rude de mon frère nous évita un accident… Ouf, nous étions enfin de l’autre côté, je commençai à trouver l’aventure un peu dangereuse et ne put m’empêcher de râler : dis, tu ne crois pas qu’il vaut mieux revenir chez nous, là… maman va être furieuse et…. Mais il ne me laissa pas continuer, il partit devant moi en courant et en me lançant : retourne à la maison, si tu es une poule mouillée, moi, je vais voir le trésor. Un temps d’arrêt et je compris que si je ne voulais pas passer pour une dégonflée et me retrouver seule sur ce chemin inconnu, j’avais l’obligation de le suivre et de continuer en avant notre course. Après quelques traversées de champs où il fallut enjamber les sillons de nos petites gambettes, nous arrivâmes essoufflés devant une sorte de hangar ! je me pliai en deux pour reprendre de l’air, haletante, le cœur battant à mille à l’heure, je ne savais que penser de cette excursion et encore moins si ce trésor en valait la peine. Mon frère, remis plus vite et tout excité, me montra sur notre droite un vieil escalier tout rouillé : c’est là, me dit il, il faut monter ce grand colimaçon et le trésor est là-haut. Je levai les yeux sur cet escalator vieux comme grand-père et sceptique, je refusai de monter : mais ce n’est qu’un escalier de secours qui va nulle part, on ne risque que de tomber de là-haut, argumentai-je. Tu as vraiment peur de tout, reprit mon frère, tout en haut, au bout à la dernière marche, je te dis que nous découvrirons le plus beau trésor du monde… il faisait déjà presque nuit, le crépuscule commençait sa descente sur la plaine et je ne voyais pas d’autre solution que d’écouter mon frère, monter ces grandes marches, voir ce trésor et rentrer enfin à la maison avec l’espoir que maman ne se fâchera pas trop fort.
Nous commençâmes l’ascension, mon frère devant montant joyeusement les marches, et moi derrière, n’osant regarder ni en bas, ni en l’air et me rappelant que même sur une balançoire, j’avais déjà le vertige. Il arriva le premier à la cime de l’escalier, s’assit sur la dernière marche, celle qui donnait dans le vide et me héla, viens vite, regarde, le trésor est là… je montais enfin le dernier cran de ce monstre de fer et prudemment, je trouvai une place près de lui. Il mit son bras sur mes épaules, en geste de protection, je posai alors ma tête dans le creux de son cou et les larmes aux yeux je regardai le trésor… un disque d’or descendait sur la plaine et de notre perchoir nous assistions à l’étalage de ses rayons, au foisonnement de ses couleurs, à l’embrasement de la région… et quand mon frère pointa du doigt, une petite maison au milieu de nulle part, je reconnu notre demeure et mon sourire s’agrandit lorsqu’un rayon d’or caressa le toit de notre foyer et fit briller comme un astre ce tout petit logis.
- tu vois on habite dans une étoile et tous les soirs, cette étoile dit bonsoir au soleil… c’est ça notre trésor, me murmura mon frère. Je me serrai un peu plus dans ses bras, riant, pleurant devant la beauté de ce cadre qui n’était autre que le foyer où nous vivions avec papa et maman. Que du bonheur, quel beau trésor, me dis-je… et si on retournait dans notre étoile avant la nuit, glissai-je à l’oreille de mon grand frère !