George (Célestine)
Dans la cour de Glovenor College, à Hampstead Beach l’on avait installé un escalier à vis qui ne menait nulle part. Sa dernière marche n’était qu’une promesse d’ascension, qui s’arrêtait net avant le grand saut dans le vide.
Le Directeur, Sir Artemus Bradbury, le considérait sans doute comme une œuvre d’art censée nous instiller le sens de la vie. Une ascension lente qui se termine tragiquement…
Les étudiants n’avaient pas le droit de l’emprunter. Et partant, il ne se passait pas un jour sans que l’un ou l’autre de ces galapiats ne montassent dessus, pour le simple plaisir de transgresser l’interdit. Il fallait entendre le surveillant principal, Nicephore Preston, s’époumoner dans son sifflet pour déloger les contrevenants. Mais il n’avait pas de bons yeux, et avec l’uniforme, tous ces jeunes gens se ressemblaient. Le temps qu’il traversât l’immense pelouse centrale qui ornait le carré entre les bâtiments de conception très militaire, et les fraudeurs s’étaient égaillés sans vergogne, en lui braillant des quolibets.
J’étais alors amoureuse de George Chesterfield, un grand de troisième année, d'au moins seize ans, au profil noble et doux et aux boucles rousses. Je rêvais souvent qu ’il m’emmenait en haut de la vis interdite pour me déclarer sa flamme.Ou au moins m'embrasser.
Un soir, vers six heures, alors que le Carré était désert, je traversais l’herbe en flânant, le nez au vent pour capter les effluves du printemps anglais qui tarde à venir, mais qui explose en mille odeurs avec l’éruption des fleurs. Je serrais mes livres contre ma poitrine de quatorze ans, aussi naissante que les narcisses qui étoilaient la pelouse, en nourrissant des pensées confuses et interlopes.
Par une bizarre concomitance du hasard ou du destin, une main vigoureuse se plaqua sur mes yeux et l’autre m’entraîna fermement vers l’escalier. Nous montâmes les marches, et au sommet, je sentis une bouche avide s’emparer de la mienne pour un baiser des plus brûlants (et des moins élisabéthains).
Georges…murmurai-je. Mais en ouvrant les yeux, je m’aperçus que mon ravisseur était…Patrick O’Keneally, un élève de ma promotion qui me poursuivait de ses assiduités et que je fuyais. Je m’apprêtai à le gifler et à me débattre.
Quand à ce moment-là, à quatre pouces de son visage, je m’aperçus que de petites étoiles d’or brillaient dans ses yeux d’écureuil. Le grain de sa peau ressemblait à ces étonnants fruits que l’on ne trouve que dans le sud de la France et qui s’appellent des brugnons. L'ensemble était plutôt plaisant.
Un charme étrange émanait de sa personne, dont je ne m’étais jamais aperçue auparavant.Un ravisseur ravissant.
Il paraissait embarrassé.
-George ? dit-il en souriant. George, comment dire? George rêverait de monter sur cet escalier et de faire la même chose. Mais je crains de vous dire que ce ne soit ...avec moi!
Je pris ce jour-là, en haut de l'escalier défendu, ma première double leçon de vie.