8 décembre 2012
La maskotka (Vegas sur sarthe)
Vous vous souvenez certainement que mon oncle Hubert avait ramené sa polonaise Anastazia par le train - mon père disait par l'arrière-train et sans crier gare - mais il avait surtout rapporté un talizman, une maskotka pour dire comme elle, un gri-gri pour dire comme nous.
L'oncle employait souvent l'expression 'gris comme un polonais' et j'avais deviné que le niveau de gris s'exprime en degrés d'alcool mais je ne pouvais imaginer ce que vaut un gri-gri à part un très fort mal de tête.
Toujours est-il que le gri-gri ne quittait jamais sa poche, qu'il porte un jeans, un survêt ou son costume du dimanche de même que sa main ne quittait pas la poche et tripotait le machin à longueur de journée.
Je dis machin car il n'avait aucune forme définissable ni aucune couleur répertoriée tant il avait dû être malaxé.
L'oncle Hubert prétendait le tenir du petit fils du grand-père de l'arrière grand-père d'un soldat inconnu qui l'avait arraché en 1683 sous les murs de Vienne au grand vizir Kara Mustapha en personne, juste avant sa décapitation par le sultan Mehmed IV... ou peut-être Mehmed V, car à cet instant du récit l'oncle Hubert s'embrouillait beaucoup avant de s'éclaircir la gorge d'une double lampée de wodka !
Dans cet instant sublime où l'objet prenait une dimension mystique, j'étais autorisé à l'effleurer du bout du doigt tandis que l'oncle concluait son récit guerrier dont la plus grande conséquence selon lui avait été l'invention du croissant, première viennoiserie dont la forme rappelle le symbole du drapeau ottoman !
Comme cet ultime détail culinaire me mettait toujours l'eau à la bouche, l'oncle - pour m'accompagner - y allait d'une dernière lampée de wodka et renvoyait le gri-gri dans les abîmes de son pantalon...
Jamais je n'ai osé demander quels pouvoirs magiques et quelle protection lui apportaient son machin, toujours est-il qu'il ne l'a pas empêché de perdre ses cheveux ni de mettre le feu à son lit en allumant un cigare.
Mon père disait en rigolant qu'il avait confondu allumette et amulette mais je ne vois toujours pas en quoi c'était risible.
Aujourd'hui feu l'oncle Hubert est feu et je garde précieusement son gri-gri qu'Anastazia m'offrit plus tard à Noël comme mon plus beau cadeau au monde.
Je l'observe souvent en le faisant rouler sous mes doigts et je me demanderai toujours qui pouvait être ce Madein China qui y grava un jour son nom...
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