Être vivant (Claudio)
Olivier commençait à trouver le temps un peu long.
A quel moment ces carabins ébahis allaient-ils se rendre compte qu’il était toujours vivant ?
C’est bien beau de jouer les équarisseurs de CHU, de faire mumuse avec les osselets des honnêtes gens, soi-disant pour apprendre et faire avancer la science. Olivier n’avait rien contre le progrès. Mais qu’on s’attaque aux morts et qu’on laisse les vivants tranquilles !
Disséquer le phénomène qui défrayait la chronique depuis des mois, c’était l’idée du Professeur Le Mézec, grand ponte de la Faculté de Médecine de Rennes. Pour ce faire, il lui fallait le capturer. Alors il le fit écraser. Tout simplement.
Il le déclara mort et se mit au travail.
Le breton, jaloux, commença par émasculer le supposé cadavre. Car si jusque là, la Bretagne aimait à faire rimer ses chapeaux ronds avec les couilles en plomb de ses indigènes, Olivier les avait détrônés.
C’est tout un service en or que possédait notre homme. Or pur, s’il en est.
Brillant dans tous les sens du terme, souple, agile, exceptionnel aux dires de la gente féminine. Cadeau congénital resté, à ses yeux, longtemps sans importance. Il pensait naïvement que chacun était outillé de la même façon.
La puberté lui ouvrit l’esprit. Un jour, il s’aperçut que sa main droite « s’auriférait » peu à peu.
Plus tard, il fut bien obligé de reconnaître qu’il n’était pas commun de posséder des organes génitaux et une main droite… en or. Il avait bien constaté qu’il faisait de très beaux enfants, même à de vilaines porteuses. Il ne s’y attarda pas, mettant cela sur le compte d’une fierté machiste qu’il repoussa. Il avait bien vu qu’il claudiquait plus que les autres, obligé qu’il était de compenser le poids de la prestigieuse main. Ce sont les autres qui boitent, se dit-il.
L’étalon-or était, naturellement, très sollicité et les prétendantes faisaient la queue devant sa porte. Pour sauver la morale, elles prétextaient que la main d’or guérissait miraculeusement tous les maux de la terre. Ce qui était vrai aussi.
Ces dons de la nature valurent donc à Olivier, la Une des magazines et le tour de France des plateaux télé.
Ce fut le début des ennuis. Chacun voulait récolter son huile… d’or. Celle qui faisait de beaux enfants. Celle qui guérissait les corps. Celle qui magnifiait les sens, exaltait les passions et sublimait les jupons.
Un industriel flaira la bonne affaire. huiledolivier.com était né, déposé, administré. Il fallait maintenant, produire.
Hors de question ! Olivier prit la fuite.
Paparazzi, apprentis sorciers, femmes délaissées et autres rhumatisés chroniques se lancèrent à ses trousses.
C’est ainsi qu’il se retrouva entre les bistouris du bretonnant Professeur Le Mézec.
Castré sans ménagement, scié, ouvert, exploré, trituré, il n’avait rien senti. Mais, Olivier commençait à trouver le temps un peu long. A quel moment ces charcutiers celtes, Ambroise Paré à coiffes, allaient-ils se rendre compte qu’il était toujours vivant ?
Toujours vivant et rien senti ? L’huile d’Olivier ne fit qu’un tour.
Serai-je donc mort ? Et pourtant je vois tout, je sais tout.
…
Et si c’était cela « être mort ». Si c’était comme, « être vivant » ?